N° 270

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2011-2012

Enregistré à la Présidence du Sénat le 18 janvier 2012

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des finances (1) sur l' enquête de la Cour des comptes relative au patrimoine immobilier des établissements publics de santé non affecté aux soins ,

Par M. Jean-Pierre CAFFET,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : M. Philippe Marini , président ; M. François Marc, Mmes Michèle André, Marie-France Beaufils, MM. Yvon Collin, Jean-Claude Frécon, Mme Fabienne Keller, MM. Gérard Miquel, Albéric de Montgolfier, Aymeri de Montesquiou, Roland du Luart , vice-présidents ; M. Philippe Dallier, Mme Frédérique Espagnac, MM. Claude Haut, François Trucy , secrétaires ; MM. Philippe Adnot, Jean Arthuis, Claude Belot, Michel Berson, Éric Bocquet, Yannick Botrel, Joël Bourdin, Christian Bourquin, Mme Nicole Bricq, MM. Jean-Pierre Caffet, Serge Dassault, Vincent Delahaye, Francis Delattre, Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, MM. Éric Doligé, Philippe Dominati, Jean-Paul Emorine, André Ferrand, François Fortassin, Thierry Foucaud, Yann Gaillard, Jean Germain, Charles Guené, Edmond Hervé, Pierre Jarlier, Roger Karoutchi, Yves Krattinger, Dominique de Legge, Marc Massion, Georges Patient, François Patriat, Jean-Vincent Placé, Jean-Marc Todeschini, Richard Yung.

Mesdames, Messieurs,

Le présent rapport retrace les conclusions d'une enquête demandée par votre commission des finances à la Cour des comptes, en application de l'article 58-2° de la LOLF, sur « le patrimoine immobilier des établissements publics de santé non affecté aux soins ».

Cette enquête a été réalisée à la demande de notre ancien collègue, Jean-Jacques Jégou, rapporteur pour avis du projet de loi de financement de la sécurité sociale et rapporteur spécial de la mission « Santé ». Votre collègue Jean-Pierre Caffet, nommé rapporteur de ce domaine de compétences à l'issue du dernier renouvellement sénatorial, a poursuivi la collaboration avec la Cour.

La demande initiale de votre commission portait sur le patrimoine immobilier hospitalier dans son ensemble, privé et dédié aux soins. Cependant, compte tenu de l'ampleur du sujet, il a été convenu de restreindre l'enquête, dans un premier temps, au seul volet « privé ». Une nouvelle enquête portant sur le patrimoine immobilier dédié aux soins des centres hospitaliers universitaires (CHU) a été demandée à la Cour ; sa restitution est prévue pour 2013.

A travers cette enquête, votre commission entendait, à partir d'exemples précis, apprécier, d'une part, l'état des connaissances et la nature du patrimoine immobilier détenu par les hôpitaux et, d'autre part, les modalités de gestion de ce type de biens .

L'enjeu est considérable puisque le patrimoine immobilier des établissements publics de santé (patrimoine privé et dédié aux soins) s'élève, selon la Cour, à environ 60 millions de m 2 , soit une importance comparable à celle du patrimoine de l'Etat. Ce chiffrage doit néanmoins être appréhendé avec précaution en l'absence d'outils fiables de recensement.

La Cour indique, par ailleurs, que l'immobilier représente le deuxième poste des dépenses hospitalières , après les dépenses de personnel.

Le thème retenu par votre commission des finances s'inscrivait, par ailleurs, dans un contexte particulier caractérisé par :

- d'une part, la situation financière dégradée des établissements de santé . La question soulevée par votre commission était ainsi la suivante : l'amélioration de la gestion du patrimoine immobilier hospitalier peut-elle constituer une source de recettes supplémentaires ou une piste de réduction de certaines dépenses ?

- d'autre part, les efforts menés, depuis plusieurs années, par l'Etat (ainsi que les caisses de sécurité sociale) dans la rationalisation de la gestion de leur propre patrimoine . La question sous-jacente était celle-ci : les réformes menées par l'Etat sont-elles transposables à la gestion du patrimoine hospitalier ?

Selon l'usage, les travaux de la Cour des Comptes ont donné lieu, le 18 janvier 2012, à une audition pour suite à donner mettant en présence les magistrats chargés de l'enquête, ainsi que :

- pour le ministère de la santé : Elise Noguera, conseiller technique au cabinet de Xavier Bertrand, ministre du travail, de l'emploi et de la santé ; Annie Podeur, alors directrice générale de l'organisation des soins ;

- pour l'Agence nationale d'appui à la performance des établissements de santé (ANAP) : Christian Anastasy, directeur général et Christian Berehouc, directeur associé ;

- pour les établissements de santé et les agences régionales de santé (ARS) : Christian Dubosq, ancien directeur général-adjoint de l'ARS Rhône-Alpes ; Mireille Faugère, directrice générale de l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris (AP-HP) et Julien Samson, directeur général adjoint des Hospices civils de Lyon (HCL).

Les travaux de la Cour, qui reposent sur un important travail d'investigation (pas moins de cent-quarante personnes auditionnées, quatorze établissements visités, des échanges avec huit autres et la rencontre de représentants de neuf ARS), apportent des pistes de réflexion pertinentes sur un sujet, jusqu'alors, peu exploré.

Comme le rappelait le Président de la sixième chambre de la Cour des comptes lors de l'audition pour suite à donner, la gestion du patrimoine privé des hôpitaux revêt un caractère historique - le domaine privé des hôpitaux étant issu pour l'essentiel de dons et legs - en même temps qu'il constitue une question d'actualité - la situation financière actuelle des établissements de santé conduit à appréhender ce patrimoine différemment -, ainsi qu'un enjeu pour l'avenir : le mouvement de réorganisation et de reconstruction d'hôpitaux, loin d'être achevé, se traduit par la libération d'un grand nombre de surfaces hospitalières consacrées aux soins qui, une fois désaffectées, rejoignent le patrimoine privé.

En tous les cas, le patrimoine immobilier hospitalier soulève des problématiques variées : des enjeux financiers, sociaux, culturels et urbanistiques.

Tout en insistant sur les difficultés juridiques, techniques et politiques auxquelles les établissements sont confrontés en la matière, le constat de la Cour est sévère :

- ce patrimoine est encore très largement mal connu et n'a pas fait l'objet jusqu'à récemment d'une politique de gestion active ;

- son utilisation au service d'une politique de logement des personnels a été réalisée dans des conditions mal maîtrisées ;

- pendant très longtemps, les tutelles n'ont pas été à la hauteur des enjeux et accusent un important retard par rapport à l'Etat dans ce domaine.

Votre commission des finances adhère à l'ensemble des préconisations de la Cour et sera attentive à leur mise en oeuvre rapide.

Certes, le patrimoine privé des hôpitaux ne constitue pas la manne financière souvent imaginée, mais représente des potentialités financières loin d'être négligeables. La dégradation des finances des hôpitaux publics devrait conduire leur tutelle et les établissements de santé eux-mêmes à s'intéresser davantage à cette problématique.

I. DES ENJEUX FINANCIERS, SOCIAUX, HISTORIQUES ET URBANISTIQUES

A titre liminaire, certaines définitions et éléments de contexte sont utiles à rappeler :

1) On entend par patrimoine « non affecté aux soins » deux principales catégories de biens :

- d'une part, les biens du domaine privé pour partie issus de dons et legs : forêts, terres, vignes, immeubles d'habitation, biens atypiques (châteaux, théâtres,...). Les charges et produits afférents à ces biens sont regroupés dans un budget annexe au budget général de l'hôpital, le « budget de la dotation non affectée » (DNA) ;

- d'autre part, les anciens bâtiments hospitaliers désaffectés en raison de nouvelles constructions d'établissements de santé, sous l'impulsion notamment du plan « Hôpital 2007 ».

2) La gestion de ces deux types de biens ne constitue pas un enjeu de même ampleur d'un point de vue géographique :

- la question de la gestion du patrimoine privé dans son premier volet (DNA) ne concerne que très peu d'établissements qui sont principalement concentrés dans les régions d'Île-de-France, Bourgogne, Rhône-Alpes et Provence-Alpes-Côte-d'Azur ;

- en revanche, la reconversion d'anciens établissements de santé désaffectés est une problématique qui, compte tenu du mouvement de réorganisation hospitalière, touche désormais l'ensemble du territoire .

3) Selon la Cour, la région parisienne apparaît comme atypique en raison notamment de l'importance du patrimoine privé et de l'ampleur des problématiques de reconversion de sites.

A. UN ENJEU FINANCIER MAL CONNU

1. Des résultats d'exploitation et des produits de cession aux montants globalement limités

La gestion du patrimoine immobilier privé des hôpitaux revêt un enjeu financier, sous le double aspect des résultats d'exploitation qu'il permet de dégager et du potentiel de cession qu'il peut représenter.

a) Des résultats annuels d'exploitation (hors cessions) « modestes »

Les recettes des budgets consolidés retraçant l'exploitation par les établissements de leur patrimoine non affecté aux soins se sont élevées à environ 100 millions d'euros par an sur la période 2002-2010 (soit 25 millions d'euros de bénéfices).

Les résultats d'exploitation sont fortement concentrés puisque :

- seule la moitié des établissements publics de santé disposent d'un budget annexe au titre d'une dotation non affectée ;

- trois établissements totalisaient en 2009 environ 60 % des recettes d'exploitation : l'AP-HP (28 millions d'euros), les HCL (16,5 millions d'euros) et le centre hospitalier de Beaune (10,2 millions d'euros) ;

- une quarantaine d'établissements faisaient apparaître un résultat déficitaire en 2009 . La raison principale de cette situation est la suivante : la mise à disposition de logements à des loyers sous-évalués, voire nuls, alors que l'entretien ou la rénovation de ces bâtiments peut représenter une charge importante (40 000 euros par logement dans le cas du CHU de Bordeaux, par exemple).

b) Des produits de cessions aux montants fluctuants

Quant aux produits de cessions, qui recouvrent aussi bien la vente de biens « DNA » que celles d'anciens sites hospitaliers désaffectés, ils se sont élevés à 70 millions d'euros par an en moyenne sur la dernière décennie. Leurs montants sont néanmoins fluctuants d'une opération à l'autre.

Selon la Cour, « l'examen de l'évolution des produits de cession sur la période 2002 à 2010 ne traduit pas un mouvement massif de vente du patrimoine de la DNA et confirme une absence de politique déterminée de valorisation ».

Certaines ventes ont pu néanmoins engendrer des produits assez importants , comme en témoignent par exemple les ventes des sites hospitaliers de Laennec (82 millions d'euros), de Boucicaut (66 millions d'euros) et de Broussais (80 millions d'euros prévus).

2. Un potentiel financier mal évalué
a) Une mauvaise connaissance au niveau local et l'absence de recensement national

De manière générale, la Cour des comptes souligne le manque de connaissance de ce patrimoine , aussi bien au niveau des établissements que du ministère de la santé.

Comme le rappelait, en effet, le Président de la sixième chambre de la Cour des comptes devant votre commission, certains établissements ont de leur patrimoine une connaissance juridique imparfaite , notamment du fait de la perte des origines de propriété et de la transformation de ce patrimoine depuis son acquisition.

Quant au niveau national, aucun recensement n'a encore eu lieu et il n'existe pas aujourd'hui de base de données consolidées permettant d'avoir une vision globale de ce patrimoine. Un recensement est pourtant un préalable nécessaire à la définition d'une stratégie nationale claire en la matière.

b) Des pratiques comptables « hétérogènes » et « opportunistes »

A cela s'ajoutent des pratiques comptables ou budgétaires « hétérogènes » et « opportunistes » des établissements, en raison notamment de l'absence de règles claires sur la répartition entre le budget général et le budget annexe relatif à la DNA .

c) Une méconnaissance des valeurs de marché

Enfin, la Cour souligne une méconnaissance de la valeur de marché du patrimoine privé des hôpitaux . D'après les études réalisées par la direction générale des finances publiques (DGFiP) à la demande de la Cour, le patrimoine privé des hôpitaux était inscrit dans leur bilan pour un montant de 453,4 millions d'euros en 2010.

Toutefois, il est impossible d'en déduire que le potentiel financier lié à la cession de ce patrimoine s'élèverait à ce même montant, les règles comptables ne prévoyant qu'une valorisation des actifs à leur valeur historique .

Seuls quelques établissements ont réalisé un recensement physique de leur patrimoine et ont procédé à son estimation financière : le patrimoine privé de l'AP-HM est ainsi évalué à 115 millions d'euros et celui des HCL à 620 millions d'euros. En revanche, le potentiel de cession du patrimoine de l'AP-HP, qui constitue pourtant le patrimoine immobilier le plus important quantitativement, n'est pas connu.

La conclusion de la Cour est ainsi la suivante : « le potentiel de valorisation financière de ces biens est sans aucun doute plus important que l'exploitation qui en est faite actuellement, à la fois en termes de résultats d'exploitation et de produits de cession . Toutefois, les insuffisances de la comptabilité des hôpitaux et l'absence de recensement national ne permettent pas de l'estimer clairement ».

3. Une meilleure optimisation de la gestion du patrimoine privé souhaitable compte tenu de la situation financière dégradée des établissements de santé

Comme le rappelle la Cour des comptes, la situation financière des établissements de santé s'est fortement dégradée ces dernières années. En 2010, leur déficit cumulé a atteint près de 500 millions d'euros et leur niveau d'endettement 24,4 milliards d'euros , contre 13 milliards d'euros en 2006.

Dans ce contexte, une optimisation de la gestion du patrimoine hospitalier privé apparaît indispensable , même si, bien évidemment, les sommes en jeu sont sans commune mesure avec les autres ressources des établissements de santé et leur besoin de financement .

Comme cela a été indiqué en introduction, le patrimoine privé des hôpitaux ne constitue pas la manne financière souvent imaginée qui permettrait de résorber leur déficit. Néanmoins, comme l'indique elle-même la Cour :

« Eu égard à l'ampleur de leurs besoins de financement, les hôpitaux publics doivent à leur tour se mettre en mesure de mobiliser plus efficacement toutes les sources possibles de recettes pour éviter de peser sur l'assurance maladie dont le déficit est plus que préoccupant par son ampleur et sa récurrence ».

Votre rapporteur spécial soutient les préconisations de la Cour sur cet aspect de la gestion du patrimoine immobilier des établissements de santé, à savoir :

- « définir précisément les règles applicables au budget annexe de la DNA, en particulier en ce qui concerne son périmètre et son articulation avec le budget principal » ;

- « accompagner cette évolution du développement d'outils de comptabilité analytique pour apprécier la charge financière liée au patrimoine privé » ;

- « améliorer l'information comptable relative au patrimoine immobilier des établissements en précisant systématiquement dans les annexes aux états financiers la valeur de marché des biens non affectés aux soins ».

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