C. RESTITUER L'EXAMEN DE LA GESTION DANS SON RÔLE D'OUTIL AU SERVICE DES COLLECTIVITÉS

1. Faire de l'examen de la gestion une source effective de repères pour les collectivités
a) Favoriser la mise en perspective des modes de gestion des différentes collectivités

Comme le souligne la Cour des comptes, « la connaissance des coûts prend tout son sens lorsqu'elle permet à la collectivité non seulement de mesurer ses propres évolutions, mais de se situer par rapport à des collectivités de même niveau pour les mêmes services 131 ( * ) ». Un renforcement de l'homogénéité des programmes et des méthodes de contrôle répondrait à cette logique, dans la mesure où il faciliterait la mise en perspective des modes de gestion des différentes collectivités. Il aurait pour conséquence de favoriser la diffusion de bonnes pratiques de gestion et la limitation du recours à des pratiques à risque.

Les examens de la gestion tels qu'ils sont pratiqués à l'heure actuelle, sur des thèmes qui peuvent être choisis de manière indépendante par chaque chambre, et suivant des méthodes qui peuvent diverger, donnent finalement peu de repères aux collectivités : leurs élus n'ont pas véritablement de possibilité de comparer leur gestion à celle de collectivités aux caractéristiques similaires. Ils peuvent, en outre, éprouver une certaine perplexité devant les critères d'appréciation des chambres.

Pour renforcer la portée des enseignements tirés de chaque examen de la gestion, il est nécessaire que ces derniers soient conduits selon les mêmes principes. Comme les expériences menées dans un laboratoire de recherche, les observations doivent être réalisées suivant des méthodes identiques.

C'est d'ailleurs cet état d'esprit qui régit la conduite des enquêtes interjuridictionnelles menées par la Cour des comptes et les CRTC, de même que la création récente d'une nouvelle formation commune consacrée aux finances locales ( cf. supra ). Ces dispositifs sont autant d'encouragements à une généralisation des procédés d'homogénéisation des méthodes et des programmes entre les CRTC et la Cour des comptes.

C'est dans ce contexte que la question de la pertinence du principe d'indépendance de chaque chambre doit être posée : le principe d'indépendance des magistrats n'empêche pas que ceux-ci coordonnent leurs programmes et adoptent les mêmes méthodes de contrôle, eu égard à l'impératif d'égalité devant le contrôle, d'une part, et à la nature administrative de ce dernier, d'autre part.

La réforme du réseau des CRTC, initiée par Philippe Séguin, répondrait à cette nécessité. Une homogénéisation effective des programmes et des méthodes entre les différentes chambres, ainsi qu'avec la Cour des comptes aurait en outre des répercussions positives sur la capacité de la Cour des comptes à répondre aux demandes du Parlement dans les délais impartis, lorsque ces dernières concernent l'ensemble du territoire.

(1) Unifier la programmation

La programmation des examens de la gestion devrait être élaborée, pour l'ensemble du territoire, suivant des priorités déterminées au niveau national par la Cour des comptes, en association avec des membres des CRTC . Ces dernières prendraient en compte les préoccupations des collectivités ainsi que les risques perçus dans certains domaines par les CRTC. Afin de rendre cette homogénéisation effective, la Cour des comptes devrait avoir la possibilité de s'opposer à la réalisation du programme d'une CRTC en cas d'insuffisante prise en compte de ces priorités.

Le ciblage actuel sur les comptes dits « significatifs » a pour effet de concentrer la pratique des examens de la gestion sur un nombre limité de collectivités, sollicitées de manière fréquente, avec les conséquences que cela implique en matière de mobilisation de personnels et de banalisation de l'exercice. Nombre de communes, situées juste en-dessous du seuil, en sont de ce fait écartées, alors qu'elles gèrent des sommes relativement importantes. Leur gestion n'est bien souvent contrôlée qu'en cas de signalement d'un risque particulier.

Si les moyens actuels des CRTC rendent inenvisageable leur contrôle systématique au titre de l'examen de la gestion, ces collectivités de taille intermédiaire ne devraient pas pour autant en être totalement exclues.

En outre, la notion de comptes significatifs recouvre des réalités différentes suivant les régions , selon qu'elles sont dotées de collectivités de grande taille ou non : un budget considéré comme significatif dans une région peut très bien s'avérer insignifiant dans une autre. C'est la raison pour laquelle la notion même de comptes « significatifs » doit être redéfinie.

Proposition n° 7 : Redéfinir les priorités de contrôle des chambres régionales et territoriales des comptes (CRTC) afin qu'elles soient plus homogènes, et s'assurer que les collectivités dont les comptes sont situés en-dessous du seuil actuel des « comptes significatifs » n'en soient pas exclues de manière systématique

Proposition n° 8 : Donner à la Cour des comptes la possibilité de s'opposer à la réalisation du programme d'une CRTC en cas d'insuffisante prise en compte des priorités élaborées au niveau national

(2) Unifier les méthodes

En ce qui concerne les méthodes de contrôle, une étape supplémentaire pourrait être franchie avec l'inscription, dans la loi, de la référence à des « normes professionnelles » auxquelles les membres des CRTC seront tenus de se conformer, si leur contenu vise effectivement à promouvoir des critères homogènes d'appréciation de la gestion des collectivités.

Dans le cas contraire, il conviendra de réaliser un effort supplémentaire en ce sens, en élargissant la composition de la commission outils et méthodes des CRTC à des magistrats de la Cour des comptes et en lui donnant des moyens et des pouvoirs supplémentaires.

Une attention particulière devra être portée à la nécessité d'adapter de façon continue les méthodes de contrôle des CRTC aux évolutions du contexte de la gestion locale.

Le processus d'homogénéisation des méthodes des CRTC devrait également s'accompagner d'un renforcement de leur transparence à ce sujet. Il doit être mis fin à la perplexité qu'éprouvent les ordonnateurs devant le développement de l'« évaluation des résultats atteints par rapport aux objectifs fixés » par la collectivité, dont le contenu est plus difficile à appréhender que la vérification de la « régularité des actes de gestion ».

La publication de critères d'évaluation des chambres élaborés au niveau national permettrait aux élus de mieux saisir la manière dont est examinée leur gestion, et d'anticiper les remarques qui pourraient leur être faites dans ce cadre . En renforçant la transparence des CRTC, la publicité de leurs critères d'analyse accroîtrait, en outre, la portée de leurs observations.

La prise en compte du contexte de la gestion doit évidemment rester au centre de l'exercice, qui le rend d'ailleurs si complexe. C'est la raison pour laquelle il ne s'agit pas de réduire l'examen de la gestion à une liste de ratios ou de critères qui devraient automatiquement être remplis. Leur opposabilité n'est donc pas envisagée à l'heure actuelle.

Proposition n° 9 : Veiller à ce que l'homogénéité des méthodes soit effectivement renforcée entre les CRTC et avec la Cour des comptes, que ce soit au moyen des « normes professionnelles » auxquelles sont tenus de se conformer les membres des CRTC, ou par un renforcement des pouvoirs et des moyens de la commission outils et méthodes des CRTC, sa composition étant élargie à des magistrats de la Cour des comptes 132 ( * )

Proposition n° 10 : Rendre publics les critères d'analyse des CRTC

Se pose la question de savoir si ces deux missions ne pourraient pas être assumées par la nouvelle formation commune Cour des comptes-CRTC consacrée aux finances locales. Votre rapporteur n'a pas souhaité exprimer d'avis sur ce point, compte tenu du caractère extrêmement récent de la mise en place de cette formation commune.

(3) Faire de l'examen de la gestion un vecteur de diffusion de bonnes pratiques

L'intérêt des examens de la gestion serait considérablement renforcé si les rapports d'observations des CRTC ne se limitaient pas à une mise en exergue des irrégularités ou des incohérences de gestion des collectivités, et indiquaient également leurs pratiques vertueuses, dans le respect de leur libre administration 133 ( * ) . Associée à une homogénéité renforcée des examens de la gestion, cette mesure ferait de ces derniers un vecteur effectif de diffusion de bonnes pratiques, et une source d'inspiration pour les collectivités.

Elle aurait, en outre, pour effet de renforcer la qualité du dialogue entre les chambres et les élus, et l'état d'esprit dans lequel s'effectuent ces contrôles. Nombre d'élus ont, en effet, été confrontés à des situations dans lesquelles le caractère vertueux de leur gestion était salué à l'oral, mais n'était pas traduit dans le rapport d'observations, centré sur des aspects mineurs mais négatifs de la gestion, quand l'examen n'était pas simplement clôturé sans donner lieu à un rapport.

Des évolutions semblent d'ores et déjà à l'oeuvre en ce sens : les rapports des CRTC comportent parfois des observations qui traduisent une certaine satisfaction au sujet de la gestion des entités qu'elles contrôlent. Votre rapporteur considère que ces évolutions doivent être confirmées et amplifiées, de manière à ce que l'examen de la gestion devienne effectivement un vecteur de diffusion de bonnes pratiques.

Proposition n° 11 : Elargir le contenu des rapports d'observations des CRTC aux aspects positifs de la gestion des collectivités et souligner dans ce cadre leurs pratiques vertueuses, sans que l'opportunité de leurs décisions puisse faire l'objet d'appréciations à ce titre

b) Renforcer les effets des contrôles
(1) Répondre aux préoccupations des élus

Nombre d'élus souhaiteraient avoir des réponses aux interrogations qu'ils se posent au sujet de la gestion de leur budget de la part des magistrats qui réalisent l'examen de cette dernière . Or, il n'existe à l'heure actuelle aucune obligation pour les magistrats d'y répondre. Il convient dès lors d'envisager une telle obligation, de manière encadrée. Cet échange participerait du renforcement du conseil fourni aux collectivités territoriales.

De la même façon, les élus ressentent parfois le besoin d'une vérification de la qualité de leur gestion dans des domaines précis : le problème du « principal-agent » peut par exemple les conduire à souhaiter un examen approfondi de la gestion de leurs institutions périphériques, telles que les SEM, les SPL...

Ils peuvent aujourd'hui en demander l'examen à l'occasion de l'ouverture du contrôle, mais ce procédé reste informel. Par ailleurs, s'ils peuvent solliciter l'ouverture d'un examen de la gestion en vertu de l'article L. 211-8 du CJF, cette procédure est très peu utilisée.

Il convient dès lors d'envisager que l'ordonnateur d'une collectivité puisse obtenir l'examen d'un sujet particulier dans le cadre d'un examen de la gestion de manière plus systématique, à sa demande. La prise en compte des préoccupations des collectivités par les CRTC en serait certainement accrue. Cette possibilité serait strictement encadrée, afin qu'elle ne puisse être utilisée comme manoeuvre dilatoire.

Proposition n° 12 : Obliger la CRTC à répondre aux questions relatives à la gestion des finances locales posées par les ordonnateurs, dans le cadre d'un examen de la gestion

Proposition n° 13 : Donner la possibilité à l'ordonnateur de la collectivité d'obtenir l'examen d'un sujet particulier, dans le cadre d'un examen de la gestion

(2) Donner une dimension plus concrète aux observations

A l'heure actuelle, la mission des CRTC est limitée à un repérage des incohérences ou des gisements d'économie observés dans la gestion d'une collectivité, invitant l'ordonnateur à prendre des mesures correctrices, sans nécessairement en préciser le contenu. Or, la solution adaptée aux problèmes identifiés n'apparaît pas toujours de manière évidente.

Le rôle de soutien à l'action des collectivités des chambres pourrait être renforcé si elles accompagnaient leurs observations de recommandations concrètes à visée prospective.

Il ne s'agirait bien évidemment pas de se substituer aux élus dans la réalisation de choix de gestion de nature politique, mais de préciser par quels moyens des améliorations pourraient être réalisées, en laissant à la collectivité la responsabilité de privilégier l'un ou l'autre de ces moyens.

Ces recommandations d'ordre général seraient élaborées suivant une logique de dialogue avec la collectivité, et hiérarchisées selon leur degré d'importance. Une indication sur la période de temps dans laquelle elles pourraient être mises en oeuvre pourrait aussi être fournie.

Proposition n° 14 : Intégrer dans les rapports d'observations des CRTC des recommandations à visée prospective d'ordre général, dans le respect de la libre administration des collectivités territoriales

(3) Assurer un suivi des examens de la gestion

Pour assurer le suivi d'un examen de la gestion, les chambres n'ont aujourd'hui d'autre moyen que d'ouvrir une nouvelle procédure d'examen de la gestion, qui débute par un suivi des observations formulées antérieurement. Elles ne le font en général qu'après une certaine période de temps, ce qui nuit à leurs capacités de suivi de leurs observations.

Il convient dès lors de prévoir que l'ordonnateur, dont la gestion a été contrôlée par une CRTC, rende compte des suites qu'il a données à ses observations dans un délai d'un an à partir de leur publication, auprès de la CRTC mais également auprès des membres de l'assemblée délibérante de la collectivité concernée.

Proposition n° 15 : Prévoir que l'ordonnateur d'une collectivité ayant fait l'objet d'un examen de la gestion rende compte des suites données aux observations de la CRTC dans un délai d'un an après leur communication, auprès de la CRTC comme des membres de l'assemblée délibérante de la collectivité concernée

(4) Susciter plus de débat public autour des contrôles

L'un des objectifs de l'examen de la gestion, depuis l'instauration des mesures de publicité le concernant en 1990, est de susciter un débat au sein de la collectivité. Or, bien qu'il soit prévu par la loi 134 ( * ) , ce dernier se limite souvent à une mention rapide du rapport de la CRTC. Ainsi, mises à part les observations à caractère sensationnel reprises dans les médias, les rapports des chambres ne rencontrent aujourd'hui qu'un faible écho, et ne remplissent pas véritablement leur rôle en matière d'information des citoyens, pourtant essentiel à la démocratie locale.

Afin de remédier à ce problème, il pourrait, par exemple, être envisagé que le président de la chambre, ou un magistrat désigné par lui, ait la possibilité de venir présenter le rapport d'observations devant l'assemblée délibérante : sa présence donnerait davantage de portée au débat, et l'échange qu'il pourrait avoir avec les membres de l'assemblée permettrait sans doute une meilleure appréhension du sens des remarques de la chambre.

Proposition n° 16 : Donner la possibilité à l'ordonnateur d'une collectivité d'inviter le président de la chambre, ou son représentant, à présenter le rapport d'observations dont elle a fait l'objet devant l'assemblée délibérante

c) Préserver l'expertise et la capacité de réaction des chambres
(1) Faciliter le repérage des risques

A l'heure actuelle, les CRTC n'ont pas systématiquement accès au réseau d'alerte des préfectures et des DDFiP, qui répertorie les collectivités dont les finances représentent un risque. Sa transmission dépend de la qualité des relations nouées entre le préfet et le président de la chambre, alors qu'il constitue un outil de plus dans le repérage par les chambres des comptes à risques.

Une obligation de transmission du réseau d'alerte aux CRTC mettrait fin aux divergences constatées en la matière sur le territoire. Afin que ce dernier ne soit pas utilisé de manière partisane, cette obligation pourrait être assortie de conditions de confidentialité strictes.

Notre collègue André Reichardt a relevé que cette transmission pouvait avoir pour conséquence une aggravation de la situation de ces collectivités « à risque », si elle provoque des contrôles qui les empêchent de se consacrer à la résolution de leurs difficultés.

Cette remarque confirme la nécessité de restituer l'examen de la gestion dans son rôle d'outil au service des collectivités : bien loin d'empêcher une collectivité de résoudre ses difficultés, l'examen de la gestion doit au contraire être un moyen de l'accompagner dans cette action. Il peut en outre servir à mettre au jour des difficultés dont la collectivité n'aurait pas perçu l'ampleur.

Proposition n° 17 : Rendre systématique la transmission du réseau d'alerte des préfectures aux présidents des CRTC

(2) Préserver l'expertise des chambres

Condition sine qua non d'un contrôle bien accepté des élus et dont les observations sont prises en compte, l'expertise des chambres doit être maintenue.

C'est la raison pour laquelle l'hypothèse de la dévolution d'une nouvelle mission de certification des comptes aux CRTC semble difficile à envisager pour l'instant, en l'état actuel de leurs moyens. Rappelons à ce titre que les CRTC contribuent déjà à l'amélioration de la qualité et de la fiabilité des comptes des collectivités qu'elles contrôlent 135 ( * ) .

Une solution devrait en outre être apportée aux problèmes rencontrés par les CRTC qui rencontrent des difficultés à disposer d'une expertise sur l'ensemble des champs que couvre l'examen de la gestion, par exemple en raison du fort « turnover » qui les caractérise.

S'agissant de ce dernier, votre rapporteur appelle l'Etat à conduire une réflexion sur les moyens de garantir une certaine stabilité au sein des chambres.

Il propose que soit mis en place, en complément, un dispositif de mutualisation d'expertises. Pourraient, par exemple, être temporairement mis à disposition de ces chambres des magistrats issus de la Cour des comptes ou des CRTC.

Proposition n° 18 : Donner la possibilité aux CRTC de faire appel à des magistrats issus de la Cour des comptes ou d'autres CRTC


* 131 « Les évolutions du pilotage et du contrôle de la gestion des collectivités locales », Rapport public de la Cour des comptes 2009, p. 300.

* 132 Outre ses membres de droit issus de la Cour des comptes (le secrétaire général ou son représentant et le président de la mission d'inspection des CRTC).

* 133 Bien évidemment, les remarques formulées dans ce cadre ne sauraient faire l'objet d'un contrôle d'opportunité.

* 134 L'article L. 243-5 du CJF disposant que : « le rapport d'observations est communiqué par l'exécutif de la collectivité territoriale ou de l'établissement public à son assemblée délibérante, dès sa plus proche réunion. Il fait l'objet d'une inscription à l'ordre du jour de l'assemblée délibérante ; il est joint à la convocation adressée à chacun des membres de l'assemblée et donne lieu à un débat . »

* 135 Depuis la loi de finances rectificative du 29 juillet 2011, il est en outre précisé dans le CJF que « La Cour des comptes s'assure que les comptes des administrations publiques sont réguliers, sincères et donnent une image fidèle du résultat de leur gestion, de leur patrimoine et de leur situation financière soit en certifiant elle-même les comptes, soit en rendant compte au Parlement de la qualité des comptes des administrations publiques dont elle n'assure pas la certification . ».

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