N° 478

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2011-2012

Enregistré à la Présidence du Sénat le 20 mars 2012

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication (1) sur la conciliation entre liberté de l' Internet et rémunération des créateurs ,

Par Mme Marie-Christine BLANDIN,

Sénatrice.

(1) Cette commission est composée de : Mme Marie-Christine Blandin , président ; MM. Jean-Étienne Antoinette, David Assouline, Mme Françoise Cartron, M. Ambroise Dupont, Mme Brigitte Gonthier-Maurin, M. Jacques Legendre, Mmes Colette Mélot, Catherine Morin-Desailly, M. Jean-Pierre Plancade , vice-présidents ; Mme Maryvonne Blondin, M. Louis Duvernois, Mme Claudine Lepage, M. Pierre Martin, Mme Sophie Primas , secrétaires ; MM. Serge Andreoni, Maurice Antiste, Dominique Bailly, Pierre Bordier, Jean Boyer, Jean-Claude Carle, Jean-Pierre Chauveau, Jacques Chiron, Mme Cécile Cukierman, M. Claude Domeizel, Mme Marie-Annick Duchêne, MM. Alain Dufaut, Vincent Eblé, Mmes Jacqueline Farreyrol, Françoise Férat, MM. Gaston Flosse, Bernard Fournier, André Gattolin, Jean-Claude Gaudin, Mmes Dominique Gillot, Sylvie Goy-Chavent, MM. François Grosdidier, Jean-François Humbert, Mmes Bariza Khiari, Françoise Laborde, Françoise Laurent-Perrigot, MM. Jean-Pierre Leleux, Michel Le Scouarnec, Jean-Jacques Lozach, Philippe Madrelle, Jacques-Bernard Magner, Mme Danielle Michel, MM. Philippe Nachbar, Daniel Percheron, Jean-Jacques Pignard, Marcel Rainaud, François Rebsamen, Michel Savin, Abdourahamane Soilihi, Alex Türk, Hilarion Vendegou, Maurice Vincent.

AVANT-PROPOS

Mme Marie-Christine Blandin, présidente de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication du Sénat

Mesdames et Messieurs, merci de votre présence. C'est une demi-journée d'échanges que je souhaite apaisée et fructueuse.

Permettez-moi tout d'abord de former des voeux pour chacun d'entre vous en ce début d'année 2012, qui sera riche en arbitrages - n'en doutons pas - quels que soient vos convictions et les choix électoraux des Français.

Nous sommes dans un exercice politique démocratique. Imaginez le maire d'un village à qui la population âgée réclame des bancs. Il les installe puis les mêmes lui font savoir que ce sont les jeunes qui prennent toutes les places. Il les enlève. D'autres personnes âgées se plaignent de ne plus pouvoir s'asseoir. Il les réinstalle donc !

Ce rôle politique, nous ne souhaitons pas le tenir. Nous ne sommes pas des girouettes ! Nous désirons instaurer le dialogue entre des personnes qui n'ont pas forcément les mêmes stratégies pour défendre le bien commun ou leurs intérêts. C'est dans cet esprit que je souhaite que se déroule cette réunion.

Voilà un an, notre commission avait organisé une table ronde sur les conditions du développement de la création de contenus culturels à l'heure du numérique.

Aujourd'hui, nous voulons approfondir les réflexions alors que les défis de la deuxième révolution numérique se précisent, de même que l'urgence à les relever. Comment garantir la rémunération des créateurs sans brider les échanges et la créativité sur Internet ?

Si cette question est ici à nouveau posée, c'est que les dispositions aujourd'hui en vigueur ne donnent pas toute satisfaction. Les protagonistes du contrôle des téléchargements et des sanctions par la loi DADVSI (droit d'auteur et des droits voisins dans la société de l'information) se sont d'ailleurs, il y a quelques années, très vite rendus compte de son inapplicabilité, tandis que les défenseurs des droits du consommateur rejoignaient les rangs indignés des défenseurs des libertés publiques. La démesure des sanctions montrait bien que les intérêts en jeu dépassaient ceux des simples créateurs.

De plus, certains éditeurs qui montraient hier du doigt la spoliation des auteurs n'ont pas été les derniers, au travers de plateformes inédites et de forfaits peu regardants, à flouer les principes qu'ils mettaient hier en avant. Souvenez vous de la très contestée licence globale, dont je mesure à la fois l'intérêt potentiel si elle n'avait pas été diabolisée avant même d'avoir été sérieusement étudiée, et du problème soulevé par la rupture culturelle et dommageable qu'elle posait en brisant le lien direct auteur-oeuvre-rémunération. La fameuse licence globale retrouvait paradoxalement à cette époque, sous couvert d'offres alléchantes, un travestissement à but lucratif, comme si le marché prenait acte des moeurs en cours et sautait soudain le ruisseau de l'éthique qu'il mettait hier en avant pour défendre ses intérêts !

Puis vint Hadopi (Haute Autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur Internet). Plus consensuel, le texte n'en fut pas moins partiellement censuré par le Conseil constitutionnel en juin 2009. Je me souviens de ce débat motivé par la défense des créateurs au cours duquel on vit un « cavalier législatif » soutenu par le Gouvernement selon lequel toute production, texte ou photo d'un journaliste ne méritait pas rémunération pour peu que sa duplication intervienne sur un support appartenant au même groupe de presse. Quand on connaît la concentration des médias, il est pour le moins curieux qu'un texte de loi prétendant défendre les auteurs en devienne pour partie le fossoyeur !

Personnellement, je m'interroge sur un système dans lequel c'est à l'accusé de faire preuve de son innocence et dans lequel prouver son innocence peut consister à donner les preuves de l'achat et de l'installation de dispositifs pare feu liés à une filière économique incompatible avec le logiciel libre.

Nous entendrons donc le premier bilan qu'en tire la présidente de l'Hadopi.

Les plateformes, les canaux de distribution, les appareils connectés à Internet se multiplient ; parallèlement, nous assistons à une révolution des modes de création, de diffusion et de consommation des biens culturels. La distribution des contenus culturels est à la fois plus complexe, mondialisée et concentrée sur quelques grands opérateurs mais aussi plus protéiforme.

Le développement des réseaux sociaux, de la lecture en flux - streaming -, l'« info nuage » ou cloud computing , et la télévision connectée viennent bouleverser les pratiques et, avec elles, les modèles économiques.

Dans ce contexte, il a été dit au Forum d'Avignon, en novembre dernier, que « la propriété intellectuelle est un concept de plus en plus volatile ». Notre commission n'a pas l'intention de la laisser s'évaporer !

Il nous faut aujourd'hui prendre de la hauteur et poser sérieusement les bases du cadre public que nous voulons donner aux pratiques liées à l'évolution des supports de communication et d'échange. Notre priorité, c'est la culture, la création, les savoirs, leur production, leurs échanges.

Universitaires et artistes, militants et chercheurs, tous mesurent aujourd'hui la formidable contribution des outils numériques et de la « toile » à la résolution des enjeux de demain ainsi que leur aspect collaboratif, voire solidaire.

M. Jean Bergevin, responsable de la lutte contre la contrefaçon et le piratage à la Commission européenne, nous dira si l'Europe prépare la mise en adéquation de ces priorités et garantit la non-spoliation des créateurs.

Dans le journal Le Monde du 3 janvier 2012, des intellectuels avertis proposaient de transformer l'Hadopi en « compteur des flux pour calculer les droits des artistes ». Lors de sa venue à Paris, Richard Stallman défendait le « mécénat global ». La traduction trop simplifiée devenait vite une « redistribution d'une partie des fonds recueillis selon la popularité des oeuvres ». On enterrait une deuxième fois Cesária Évora !

Personnellement, je ne m'accommode pas du fait que l'identification des oeuvres plus populaires mette au pain sec celles qui nécessitent plus de temps pour se faire reconnaître ou qui rencontrent un public plus étroit. La diversité culturelle ne doit pas être un vain mot et il est du devoir des pouvoirs publics d'en garantir la richesse.

La matinée sera organisée en trois temps :

- tout d'abord, un état des lieux de la protection du droit d'auteur sur Internet et des réponses juridiques actuellement mises en oeuvre ou envisagées, en France, en Europe et aux États-Unis ;

- le deuxième temps sera consacré à une évaluation de l'efficacité de ces réponses. Nous entendrons tant la présidente de l'Hadopi que les détracteurs de la loi, puis les ayants droit ;

- enfin, nous tournerons nos regards vers l'avenir. Les mutations en cours doivent nous permettre à la fois de créer les opportunités d'accroître l'accès de tous aux productions culturelles et de trouver des moyens pérennes d'améliorer le financement de la création.

Les nouvelles technologies elles mêmes pourraient y contribuer. De nouvelles sources de financement sont encore à imaginer et à mettre en oeuvre.

Je vous signale que les représentants des ayants droit du monde de la musique - SACEM, SNEP mais également ADAMI - se sont désistés lundi compte tenu de réunions simultanées lancées par le ministre de la culture pour préfigurer le futur Centre national de la musique, et de la commission pour la copie privée. Je regrette qu'ils ne soient pas représentés ici.

Je vous rappelle que cette table ronde est ouverte à la presse et aux professionnels concernés. Elle sera enregistrée et diffusée sur la chaîne Public Sénat ainsi que sur le site Internet du Sénat.

Je propose que chaque intervenant dispose de cinq minutes d'intervention avant que ne s'engage le débat avec les sénateurs et avec la salle. Je suis sûre que les souhaits d'intervention et de questions ne manqueront pas...

Je propose que nous commencions par évoquer l'état des lieux de la protection du droit d'auteur sur Internet.

La parole est à M. Alleaume, professeur de droit...

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