II. QUELLE EFFICACITÉ DES SOLUTIONS ACTUELLEMENT MISES EN oeUVRE ?

A. HADOPI : PREMIER BILAN OFFICIEL DE LA LUTTE CONTRE LE PIRATAGE ET POUR L'ACCÈS À UNE OFFRE LÉGALE ATTRACTIVE

Mme Marie-Françoise Marais, présidente de l'Hadopi

Parler d'Hadopi en quelques instants est extrêmement difficile. Rarement une autorité indépendante a eu à se construire dans un climat aussi conflictuel. La polémique a un peu caché la nature réelle de cette institution.

Nos repères sont bouleversés par Internet. Nous sommes partis du constat que des personnes, généralement respectueuses de la loi, se livraient à des actes préjudiciables à une certaine catégorie d'individus, en particulier les auteurs et tous ceux qui travaillent autour d'eux - techniciens, etc.

L'Hadopi dispose de deux piliers. Le premier est celui de la réponse graduée, celle dont on a beaucoup parlé. On la connaît d'ailleurs assez mal puisque selon certaines idées, il faut prouver sa bonne foi. Or ce n'est pas sur ce terrain que s'est placée l'Hadopi pour développer cette réponse graduée qui appartient à la commission de protection des droits, autonome, d'ailleurs, au sein de l'Hadopi.

Le deuxième pilier est celui du développement de l'offre légale et des observations sur l'utilisation des internautes, licite ou illicite ainsi que sur les évolutions techniques.

La réponse graduée, constitue surtout un rappel à la loi. On essaye de sensibiliser les internautes et pas uniquement ceux que l'on désigne à l'heure actuelle comme les activistes : cela peut être moi, mon mari ou des gens qui consomment de façon un peu moins précise. Ce rappel à la loi consiste à les sensibiliser sur l'importance que peut revêtir le droit d'auteur.

Bien souvent d'ailleurs, certaines personnes sont persuadées qu'elles sont dans la légalité alors qu'elles recourent à des sites illégaux, dont MegaUpload !

Le rappel à la loi se fait en trois étapes. Première étape, première recommandation. On nous a dit que nous n'y parviendrions jamais. Il est vrai qu'il a fallu construire l'institution. Rien n'existait puisque, le 10 janvier 2010, au sein de l'Hadopi, indépendamment des membres nommés, j'étais seule sur le plan opérationnel, sans budget réel. Il nous a fallu aussi nous construire sur le plan juridique, ne bénéficiant pas des décrets qui nous permettaient d'avancer.

Lancer la première recommandation le 1 er octobre 2010 a constitué une mobilisation totale pour nos équipes. Quelle est cette première recommandation ? Il ne s'agit pas de fustiger l'internaute mais de lui dire que son accès Internet a servi à du téléchargement illicite, lui conseiller de penser aux auteurs et, à tous ceux qui vivent de cette activité, expliquer qu'il existe des moyens de le télécharger légalement. La possibilité de prendre contact avec l'Hadopi pour recueillir des informations existe par ailleurs dès l'envoi de la première recommandation.

Si, dans les six mois, on constate une réitération, une deuxième recommandation va partir. Il ne s'agira pas seulement d'un mail mais d'une lettre recommandée avec accusé de réception dans laquelle on rappelle qu'il y a un problème.

Dans la pratique, les gens prennent contact avec l'Hadopi et un dialogue s'établit. La plupart de ceux qui téléphonent ne contestent même pas que leur accès a servi à quelque chose d'illicite. Ils veulent généralement savoir de quelle oeuvre il s'agit. La réaction est souvent de dire : « Je sais de qui il s'agit ! » La plupart du temps d'ailleurs, ceux qui reçoivent la recommandation ne nient pas s'être égarés sur des chemins illégaux et reconnaissent qu'il y a d'autres moyens de consommer.

En cas de troisième réitération, la commission de protection des droits envoie une notification informant que l'on va transmettre le dossier au juge. Ne croyez pas pour autant que la transmission se fait systématiquement. En novembre, on comptait 736 000 recommandations de première phase. C'est très peu et beaucoup à la fois. Il s'agit en fait d'une action pédagogique. La commission va envoyer un certain nombre de recommandations, non seulement en matière de peer to peer mais surtout à propos du droit d'auteur. Finalement, la prise de conscience s'effectue par ce biais.

Le nombre de recommandations de second niveau s'élève à 62 000. On enregistre donc déjà une certaine baisse en même temps qu'un dialogue s'établit.

Quant à la troisième phase, il s'agit pour tout le monde de l'Arlésienne. Je sais que M. Seydoux, à côté de moi, est impatient : son impatience va prendre fin, je pense, dans les semaines qui viennent. Cette troisième phase compte 165 dossiers et la commission de protection des droits, qui est très respectueuse des libertés, tient à tout prix à les instruire. Elle convoque les personnes et un véritable dialogue se noue à nouveau. C'est au vu des circonstances qu'elle décidera ou non de transmettre les dossiers.

Cette solution, qui consiste à faire de ce dispositif un rappel à la loi, une sensibilisation, une pédagogie, une responsabilisation, touche une part significative de personnes qui, autrefois, demeuraient dans l'illégalité.

Je ne suis pas née de la dernière pluie : certains déclarent avoir diminué leur consommation illicite tandis que d'autres avouent avoir totalement arrêté.

Je ne suis pas tout à fait d'accord avec le professeur Alleaume quand il dit que les identifications sont destinées à ne pas encourir de sanctions. Une société sans culture n'est pas possible. Il faut une contrepartie et certains acceptent de consommer légalement pour permettre l'équilibre. L'Hadopi recherche cet équilibre. Ce n'est pas toujours facile. Cette réponse graduée et pédagogique n'aura à mon avis d'effet que si, parallèlement, l'offre légale se développe.

Les problématiques sont très différentes selon les secteurs. Il est certain que la musique ne se conçoit pas de la même façon que le cinéma ou que les oeuvres audiovisuelles, d'où la nécessité d'une visibilité et une approche plus expertisées.

On constate bien souvent qu'il existe des réponses toutes faites à des questions parfois mal posées. Le but de l'Hadopi est d'amener les acteurs à travailler le plus en amont possible d'Internet et de parvenir à une compréhension plus pointue de l'attente du public.

L'offre légale existe également dans le cinéma mais nous ne ferons pas Internet sans public. Les internautes nous disent qu'Internet n'est pas suffisamment accessible, trop cher, peu visible et qu'ils sont pressés. A nous de leur expliquer ce qu'il est possible de faire.

Je pense que nous arrivons à développer l'offre légale. Quarante et une plateformes ont sollicité le label. Nous sommes en train de mettre en place notre portail de référencement. C'est une façon pour les internautes de se repérer. Ceux-ci sont plus responsables qu'il n'y paraît et je suis sûre qu'ils sauront très vite trouver les pistes.

Nous avons besoin, me semble-t-il, d'études expérimentales. C'est pourquoi nous avons instauré des laboratoires. Cinq laboratoires se penchent sur tous ces problèmes liés à Internet concernant les réseaux, les techniques, l'économique, le juridique, le philosophique. Le professeur Alleaume pilote d'ailleurs le laboratoire juridique, en raison de son autorité.

Ces études permettront également d'arriver à un recensement plus précis des attentes et des habitudes de chacun pour permettre au système de trouver les solutions débouchant sur le consensus et l'équilibre.

Certes, les émotions que j'ai connues quand j'avais vingt ans dans les salles de cinéma sont irremplaçables mais, que cela me plaise ou non, je constate, même lorsque je vais à l'étranger, qu'un certain nombre de personnes ne « consomment » plus de la façon dont nous consommions - terme dont j'ai horreur. Regarder un film sur iPad n'a pas du tout le même charme que de le regarder dans une salle mais on peut néanmoins retrouver cette sensation.

Je pense donc qu'il faudra intégrer ce nouveau mode de consommation. Je suis désolée que mes petits enfants regardent un film sur un iPhone ou sur un Smartphone mais c'est une réalité à laquelle on se heurte et tout doit pouvoir coexister dans un certain équilibre.

Mme Marie-Christine Blandin, présidente de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication du Sénat

Le cadre est planté !

Nous allons entendre les acteurs du terrain, ceux qui utilisent Internet, défendent les auteurs, vendent des oeuvres, les mettent à disposition.

Nous allons commencer par écouter M. Cédric Claquin, secrétaire national de la Fédération de labels indépendants.

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