B. LES RÉFLEXIONS CONCERNANT LE CADRE JURIDIQUE EUROPÉEN

M. Jean Bergevin, chef d'unité à la Direction de la propriété intellectuelle de la Commission européenne

Merci beaucoup madame la présidente. Veuillez excuser mon français car, malgré mon nom, j'ai été élevé dans la perfide Albion ! Par ailleurs, je devrais vous quitter vers 11 heures 30, devant participer à une autre table ronde au Parlement européen sur le même sujet cet après midi...

Je ne crois pas qu'il y ait opposition entre les termes de « liberté » et de « défense des droits » ni entre la directive sur le commerce électronique, texte clé de nos discussions que je connais bien pour avoir fait partie de l'équipe qui l'a préparé en 2000 et la directive sur l'application des droits de la propriété intellectuelle, qui est de ma responsabilité dans mes nouvelles fonctions.

D'autre part, la directive sur le commerce électronique n'a pas conféré une liberté inconditionnelle aux plateformes ni aux prestataires de services. On oublie souvent que cette directive, basée sur le droit intérieur comportait un article fondamental, le principe du pays d'origine, qui s'appliquait à tout service en ligne. Ce principe est souvent critiqué pour être trop libéral mais il est fondamental pour l'application de la loi car il implique que le pays d'origine a un devoir de s'assurer que la loi est effectivement appliquée aux entreprises établies dans sa juridiction. De cette façon, et cela est très important pour les opérations sur l'Internet, une infraction commise dans un État membre de réception sera sanctionné dans l'État membre de sa provenance où le contrefaiseur est établi. Le contrefaiseur ne peut donc pas échapper à la justice « en sautant » à travers les frontières du Marché intérieur. Ce principe peut être appliqué lorsque l'harmonisation du droit de substance est prononcée. Malheureusement ce ne fut pas le cas pour le droit d'auteur et donc en ce qui concerne le droit d'auteur, la dérogation était totale.

En effet, en 2000, l'harmonisation européenne était insuffisante pour permettre à ce principe de s'appliquer dans ce domaine. Qu'on le veuille ou non, c'est toujours le cas aujourd'hui. On ne peut dire qu'il existe une harmonisation suffisante dans le domaine des droits d'auteur pour pouvoir appliquer ce principe. Mais le problème est d'autant plus évident, Internet, comme l'a dit le professeur Alleaume, est non seulement un réseau européen mais également international. Il est très facile à celui qui veut contourner le droit de s'établir autre part et de continuer à faire ce qu'il faisait auparavant.

Une telle demande existait en 2000 au sujet de cette directive car il était évident qu'une harmonisation européenne était nécessaire. On n'a pu parvenir à imposer ce principe en Europe s'agissant du droit d'auteur. Est-ce un échec total ? Non, car l'article 5 nécessite notamment que tout prestataire de service culturel s'identifie, indique son adresse géographique, etc.

Comment appliquer les textes ? La directive 2004-48 sur l'application du droit de propriété intellectuelle a permis aux ayants droit d'exercer des recours mais constitue une harmonisation minimale. Lorsque des cas d'infraction sont reconnus dans un État membre européen, l'opérateur passe dans un autre État membre et l'ayant droit doit intenter une nouvelle procédure. En outre, les recours civils ne sont pas bon marché pour certains petits opérateurs ou ayants droit.

De plus, je rappelle que la directive 2004-48 ne traite que les procédures civiles. La Commission avait proposé de rapprocher les sanctions pénales dans ce domaine mais malheureusement, par moment, l'Europe n'avance plus. Nous venons de retirer cette proposition, le Conseil n'en voulant pas. Généralement, il y a peu de volonté de la part des États membres de réaliser l'harmonisation dans ces domaines. Néanmoins, nous pensons qu'on doit essayer de réviser le texte pour les procédures civiles et de le renforcer vu l'ampleur du problème constaté, comme la Commission l'a annoncé dans une communication en mai dernier.

Nous allons également étudier la question des sociétés de gestion collective afin de permettre que les ayants droit puissent obtenir une rémunération plus équitable. Par ailleurs, la Commission va adopter une communication sur le commerce électronique. Pour le moment il n'est pas prévu de réviser la directive de 2000 mais des annonces doivent être faites en matière de notice and action .

En ce qui concerne l'application du droit, le Commissaire Barnier a été très clair lorsqu'il a annoncé la révision de la directive sur l'application du droit de la propriété intellectuelle et a clairement expliqué que le texte ne s'en prendrait pas aux individus mais aux sources. Les lois comme Hadopi ne sont pas contestées par la Commission mais nous établissons des observations sur la compatibilité avec le droit européen. La loi Hadopi est passée par ce stade, vous le savez comme moi.

Pourquoi ne pas la mettre en place au niveau européen ? La loi Hadopi était la première mais il existe plusieurs projets dans différents États membres. Nous devons étudier leur efficacité. Pour le moment, elles ne génèrent pas de problèmes transfrontaliers. Si c'était le cas, nous devrions faire des propositions.

Enfin, nous pensons qu'en ce qui concerne Internet et l'application du droit de propriété intellectuelle, beaucoup reste à faire pour permettre une meilleure identification des vrais contrefacteurs.

La directive sur le commerce électronique ne traite que de la responsabilité des intermédiaires et des prestataires de services en ligne. Par contre, la directive 2004-48 concerne tous les intermédiaires qui peuvent faciliter l'accès à l'information par une opération illégale. Nous n'avons pas, selon nous, suffisamment développé ces provisions.

Certes, des projets de loi existent aux États-Unis mais on cherche surtout à réunir tous les acteurs autour d'une table et à passer des accords. On ne se limite pas aux tenants des droits et aux plateformes. On englobe les opérateurs de services de paiement et les annonceurs - dont les marques figurent parfois sur les sites illégaux et qui facilitent les infractions. On envisage également d'y associer les distributeurs et les transporteurs.

La Commission parle de remonter à la source. Les sites qui facilitent les infractions en matière de propriété intellectuelle en tirent profit, qu'il s'agisse d'annonceurs ou d'autres. Dans ces cas-là, la directive devrait s'appliquer pleinement. Notre directive met en place des systèmes plus lourds lorsqu'on peut démontrer une infraction à l'échelle commerciale. Cependant, elle est très mal définie et interprétée différemment suivant les États membres. Nous voulons préciser cette définition pour qu'elle couvre toute situation ou l'opération se fait un bénéfice financier au détriment du propriétaire de droits. Il s'agit dès lors d'une opération commerciale qui devrait ouvrir des droits à l'information.

Reste la question de la mise en ouvre d'une décision de justice d'un État membre dans un autre. La question demeurera ouverte jusqu'à temps que l'harmonisation des droits de fonds soit plus complète.

S'agissant de l'offre légale, je traite des directives concernant l'application du droit dans certains pays où l'offre légale n'existe pas, comme la Pologne. Comment expliquer à un Polonais qui a vécu en France ou en Angleterre qu'il ne peut avoir accès dans son propre pays aux services auxquels il a été habitué ? C'est un véritable enjeu politique, européen comme national. Le consommateur ne comprend pas cette situation. C'est une occasion pour les contrefacteurs de gagner beaucoup d'argent au détriment des propriétaires de droits. Les enjeux sont énormes.

Mme Marie-Christine Blandin, présidente de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication du Sénat

Merci, monsieur le chef d'unité, de nous avoir apporté la parole de l'Europe.

La parole est à Mme Marie - Françoise Marais, présidente de l'Hadopi, beaucoup citée dans les exposés précédents.

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