B. UN SYSTÈME D'ÉVALUATION DONT LE CARACTÈRE COMPLEXE ET OBSOLÈTE EST DÉNONCÉ UNANIMEMENT

1. Les règles complexes de l'évaluation des propriétés bâties

La valeur locative cadastrale (VLC), déterminée par le centre des finances publiques territorialement compétent, correspond au loyer normal que le bien est susceptible de produire à la date de référence qui est celle de la dernière révision intervenue.

Cette définition simple a donné lieu à des mécanismes particulièrement complexes pour sa mise en oeuvre. Les règles d'évaluation varient selon les natures de locaux (d'habitation ou professionnels) et au sein même de ces deux catégories.

a) Les trois catégories de locaux professionnels

Les 3,3 millions de locaux professionnels (contre 33 millions de locaux d'habitation) sont évalués selon plusieurs méthodes, régulièrement critiquées pour leur complexité et leur obsolescence.

Les locaux commerciaux sont évalués selon trois méthodes :

- pour les locaux loués au 1 er janvier 1970, on utilise le montant stipulé dans le bail en 1970. Cette méthode concerne environ 5,5 % du parc ;

- pour les locaux non loués au 1 er janvier 1970, l'évaluation s'effectue par comparaison aux immeubles types présentant des caractéristiques similaires (cette méthode concerne 93 % des locaux) ;

- à défaut, le local fait l'objet d'une appréciation directe par les services fiscaux sur la valeur vénale (1,5 % des locaux).

Pour la quasi totalité des locaux industriels , la valeur locative est déterminée selon une méthode comptable à partir du prix de revient des différents éléments des immobilisations imposables éventuellement revalorisé selon un taux d'intérêt qui fait intervenir, pour les équipements et biens mobiliers (EBM), leur durée d'amortissement et leur date d'acquisition. Cette méthode assure que les valeurs retenues sont conformes à la réalité.

Détermination de la valeur locative des équipements et biens mobiliers

Toutefois, pour les entreprises sans bilan (soit moins de 10 % du total des entreprises), la valeur locative est fixée comme pour les locaux commerciaux.

Enfin, pour les locaux des professions libérales , la méthode d'évaluation est identique à celle utilisée pour les locaux d'habitation et repose sur la comparaison .

b) Les locaux d'habitation

La méthode de détermination des VLC des propriétés à usage d'habitation (33 millions de locaux) est encore plus complexe et s'effectue par comparaison avec celle de locaux de référence, choisis, dans la commune, pour chaque nature et catégorie de locaux. Selon la Cour des comptes 3 ( * ) , treize étapes sont suivies successivement dans le cadre de cette évaluation : classement dans une catégorie en fonction des éléments de confort associés, calculs des surfaces pondérées comparative et nette, obtention d'une équivalence superficielle, pondérations successives.

La surface pondérée totale ainsi déterminée, multipliée par le tarif de la catégorie correspondante, donne la VLC 1970.

2. Des processus d'actualisation et de révision bloqués
a) Les trois mécanismes prévus par le code général des impôts

Le code général des impôts prévoit, dans son article 1516, une actualisation, tous les trois ans, et une révision générale, tous les six ans, des valeurs locatives des propriétés bâties et non bâties.

Dans l'intervalle de deux actualisations, l'article 1518 bis précise que les valeurs locatives foncières sont majorées par application de coefficients forfaitaires fixés par la loi de finances en tenant compte des variations des loyers.

b) L'échec de leur mise en oeuvre effective

Ces impératifs ont été diversement appliqués puisque si les lois de finances ou les lois de finances rectificatives successives ont bien prévu des revalorisations annuelles, la dernière actualisation applicable aux rôles de taxes foncières et TH date de 1980 sur la base des valeurs 1978.

Quant à la dernière tentative de révision générale engagée par la loi du 30 juillet 1990 elle s'est soldée par un abandon, et les valeurs locatives cadastrales, pour les propriétés bâties, s'appuient donc sur la dernière révision effectuée en 1970 qui résulte de la loi n° 68-108 du 2 février 1968 et du décret n° 69-1279 du 28 novembre 1969.

c) Les raisons du blocage

Si la dernière tentative de révision des valeurs locatives cadastrales, préparée par l'administration fiscale à compter de 1990, n'a jamais été mise en oeuvre, c'est en raison d'abord des transferts de charges qu'elle induisait : 12 % des locaux soumis à la TFPNB et 7 % des locaux soumis à la TH auraient vu leur cotisation accrue de plus de 50 %.

Ampleur des transferts de charges qui auraient résulté de la révision générale de 1990-1992

Ces effets redistributifs étaient particulièrement importants en ce qui concerne la taxe d'habitation, s'effectuant, dans la plupart des cas, comme le souligne le Conseil des prélèvements obligatoires 4 ( * ) , au détriment des contribuables les plus aisés et au bénéfice des plus modestes.

Evolution des cotisations moyennes de taxe d'habitation en cas de révision générale (en 1990)

En abscisse : revenu annuel en francs

Source : Rapport au Parlement sur les conséquences de la loi du 30 juillet 1990, Direction générale des impôts et service de la législation fiscale, 1992

On peut aussi incriminer à la fois une ambition excessive , consistant à vouloir réaliser globalement la révision de tous les types de locaux, et une méthode brutale qui ne laissait pas de place à l'expérimentation et aux leçons que l'administration aurait pu en tirer.

3. Un système injuste

Malgré cet échec, la révision des valeurs locatives cadastrales reste une nécessité au regard de la justice fiscale et un souhait partagé des élus locaux et de l'administration fiscale qui en attendent aussi bien une réappropriation de la connaissance de leur territoire, d'éventuelles recettes supplémentaires, une crédibilité retrouvée vis-à-vis des contribuables et, à plus long terme, de nouvelles avancées de la péréquation entre collectivités territoriales.

Ces défauts ont été mis en évidence par le rapport précité du Conseil des prélèvements obligatoires sur la fiscalité locale, très critique, dénonçant une « évaluation sans rapport avec la réalité du marché immobilier ». Il soulignait, s'agissant plus particulièrement de la fiscalité pesant sur les ménages, que « le recours à des valeurs foncières anciennes et non actualisées participe directement du caractère régressif de l'imposition locale.

« La non revalorisation des bases induit également des transferts de charges importants entre contribuables. Les tarifs de 1970, encore en vigueur, ne reflètent plus la réalité du marché immobilier. En particulier, les biens de faible valeur paraissent largement surestimés par les valeurs locatives cadastrales. Les immeubles de construction récente, notamment ceux abritant des habitations à loyer modéré, présentent de nombreux « éléments de confort » appréhendés par le dispositif. A l'inverse, la rénovation des logements anciens n'a pas été intégralement prise en compte ni la désaffection pour les zones où l'activité économique, vivace en 1970, a dépéri. »

Les injustices résultant de l'ancienneté des évaluations sont renforcées par les lacunes de la mise à jour de l'assiette physique.

En effet, les impôts locaux n'étant pas déclaratifs, la VLC n'est pas recalculée tant que les caractéristiques du bien ne sont pas réputées avoir changé.

Certes, les changements physiques modifiant l'état de l'immeuble au 1 er janvier de l'année d'imposition sont pris en compte et les constructions nouvelles, changements de consistance ou d'affectation des propriétés doivent être déclarés dans les 90 jours de leur réalisation définitive. Les changements de caractéristiques physiques ou d'environnement sont en revanche constatés d'office, lorsque la modification en découlant est de plus d'un dixième de la VLC.

Toutefois, comme les représentants de la DGFiP l'ont fait observer, aucune sanction n'était applicable en cas de non déclaration, ce qui explique en grande partie, les « pertes en ligne » de bases qui pénalisent les collectivités territoriales.

De fait, la perspective de la révision générale n'a jamais été définitivement écartée. Elle a réapparu par intervalles au cours des années 1990, jusqu'à une proposition présentée en mars 2009, dans le cadre du projet de loi de finances rectificative pour 2009, par un amendement déposé en des termes identiques à l'Assemblée nationale par Jean-Pierre Balligand et Gilles Carrez, alors rapporteur général du budget, demandant qu'il soit « procédé à une révision générale des valeurs locatives des immeubles bâtis retenus pour l'assiette des impositions directes locales ». Cette ultime incitation parlementaire a précédé de peu la reprise de concertations visant à mettre en place de nouveaux mécanismes et une méthode de révision qui recueilleraient l'unanimité.


* 3 Rapport annuel 2009, « L'assiette des impôts locaux : la détermination des bases cadastrales et leur gestion par les services de l'Etat ».

* 4 Conseil des prélèvements obligatoires. La fiscalité locale. Mai 2010.

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