II. LE CRÉDIT À LA CONSOMMATION : UNE RESTRUCTURATION PROFONDE ENCORE INACHEVÉE

La mise en application des nouvelles règles relatives au crédit bouleverse peu à peu le paysage du crédit à la consommation. Aux chantiers de mise en conformité lancés par les établissements de crédit se sont ajoutées des évolutions de fond concernant la production de nouveaux crédits, entraînant une baisse de rentabilité et un renouvellement du modèle économique des établissements de crédit.

Si la loi a ainsi partiellement atteint son objectif de protection des consommateurs, le bilan de sa mise en application révèle cependant que certaines difficultés demeurent, aussi bien pour le crédit lui-même que pour certaines activités financières qui lui sont connexes.

A. DE NOUVELLES OBLIGATIONS IMPACTANT L'ENSEMBLE DU CYCLE DE VIE DU CONTRAT

1. Les grands chantiers de mise en conformité

De l'aveu unanime des établissements de crédit spécialisés auditionnés, la mise en conformité avec l'ensemble des obligations de la loi Lagarde a constitué un chantier plus lourd et plus coûteux que le passage à l'euro, ou que la préparation au « bug » de l'an 2000.

Ce chantie r a eu quatre volets principaux :

• Encadrement de la publicité

L'encadrement de la publicité a recouvert plusieurs éléments. Le premier a consisté à imposer la présentation d'un exemple représentatif du crédit proposé. Le deuxième élément d'encadrement a consisté à renforcer les mentions obligatoires (taux annuel effectif global [TAEG], mensualités, coût, etc.) en prévoyant qu'elles doivent figurer en taille plus importante que les autres éléments publicitaires. Par ailleurs, la loi a interdit les mentions laissant croire que le crédit améliore la situation financière de l'emprunteur. A cette fin, la loi a notamment imposé que toute publicité sur un crédit soit accompagnée de la mention obligatoire « Un crédit vous engage et doit être remboursé. Vérifiez vos capacités de remboursement avant de vous engager ».

Au total, l'ensemble de ces contraintes rend particulièrement difficile la diffusion d'un message commercial sur le crédit. En ce sens, la loi a rempli son objectif dans la mesure où le seul message commercial lisible ne peut que porter sur les informations obligatoires. Du fait de la complexité des obligations et, surtout, de la difficulté à porter un message commercial lisible , certains établissements ont indiqué, lors des auditions, avoir réduit leur présence publicitaire .

• Refonte des contrats

En remaniant profondément les conditions de formalisation du contrat, les obligations d'information mais aussi le fonctionnement même de certains crédits, en particulier les crédits renouvelables, la loi a entraîné une refonte des modèles de contrat diffusés par les établissements de crédit. Les contrats sont désormais intégrés dans des « liasses » contractuelles volumineuses . La liasse contractuelle comprend, outre les conditions générales du contrat, un document sur les conditions particulières, la fiche de renseignement sur le client (fiche de dialogue), ainsi que des documents supplémentaires en cas d'assurance-emprunteur. S'y ajoute la fiche d'information précontractuelle européenne normalisée (FIPEN), qui doit résumer en quelques pages les caractéristiques du crédit. Au total, certaines liasses contractuelles peuvent atteindre plus de trente pages .

Pour les plus grands établissements de crédit, disposant d'une offre de crédits diversifiée, l'application de la loi s'est donc traduite par la refonte de près de deux cents modèles contractuels .


• Formation des vendeurs

La formation de l'ensemble des vendeurs de crédit a constitué l'un des aspects les plus lourds et les plus coûteux pour les établissements de crédit. Bien que le décret précisant les exigences auxquelles doit répondre cette formation ne soit paru que le 13 décembre 2011, les établissements de crédit avaient anticipé cette obligation , la consultation sur le projet de décret ayant commencé dès juin 2011. La formation a concerné les responsables de vente, les vendeurs de crédit, mais aussi les vendeurs en magasins. Les programmes de formation sont encore en cours au moment de la rédaction du présent rapport. L'obligation de formation, confirmée par une attestation à présenter en cas de contrôle, entre en vigueur au 1 er juillet 2012.


• Chantier informatique

La souscription d'un contrat répond à plusieurs étapes, franchies par le client avec le vendeur de crédit au moyen d'un système informatique propre à chaque établissement de crédit. En fonction des différentes informations renseignées, par le vendeur, sur le client, le système informatique valide ou refuse l'octroi du crédit ; il peut également demander des pièces supplémentaires.

Le traitement de la vie du crédit est également informatisé ; les opérations informatiques sont particulièrement importantes et régulières pour un crédit renouvelable, où les échéances et la durée sont recalculées à chaque réutilisation.

La transformation des conditions de souscription et de vie du contrat de crédit, notamment du crédit renouvelable, a donc entraîné un important chantier informatique pour l'ensemble des établissements de crédit. Pour les crédits renouvelables, la restructuration des systèmes informatiques a été d'autant plus complexe et coûteuse que la loi imposait de traiter également le stock existant .

2. Le contrôle de l'application de la loi par les services de la DGCCRF

Face à l'ampleur des modifications apportées par la loi et des obligations pesant sur les établissements, le contrôle par les services d'inspection de l'État est un enjeu majeur de l'application de la loi du 1 er juillet 2010. Ce contrôle, qui est réalisé sur le terrain par les agents de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, doit cependant voir ses modalités élargies pour assurer sa pleine efficacité.

a) L'organisation du contrôle aux niveaux national et local

La question du contrôle des obligations issues de la loi a été au coeur des débats lors du vote définitif de la loi le 21 juin 2010 au Sénat. En réponse aux interrogations des sénateurs, la ministre avait souligné que deux institutions seraient particulièrement chargées du contrôle : l'Autorité de contrôle prudentiel (ACP) et la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) . A cet égard, la répartition des tâches entre les deux autorités est incertaine et mériterait d'être précisée.

L' ACP est chargée par l'article L. 612-1 du code monétaire et financier de « veiller au respect par les personnes soumises à son contrôle des règles destinées à assurer la protection de leur clientèle ». En pratique, le rôle de l'ACP consiste à opérer un contrôle du respect, par les établissements de crédit, de la réglementation en matière de commercialisation des produits financiers . Cette mission recouvre en particulier des contrôles portant sur la publicité, le crédit renouvelable, l'assurance-emprunteur et les obligations précontractuelles (documentation précontractuelle, vérification de la solvabilité, formation des vendeurs, contrôle interne). L'ACP est également chargée du contrôle du Fichier des incidents de remboursement des crédits aux particuliers (FICP).

Dans le cadre de sa mission de protection des consommateurs, la DGCCRF est, quant à elle, chargée, sur le terrain, de rechercher et de constater les manquements et les infractions aux règles de protection des consommateurs, dont celles relatives au crédit à la consommation. Ainsi que l'est chaque nouvelle loi de protection des consommateurs, l'entrée en vigueur de la loi du 1 er juillet 2010 a été suivie de la mise en place, par le Service national d'enquêtes, d'un programme d'enquêtes nationales , étalées sur deux ans, pour mesurer et accompagner l'effort d'application de la loi par les professionnels.

Au moment de l'audition de la Directrice générale, deux enquêtes avaient été effectuées, sur les règles en matière de publicité et sur l'assurance-emprunteur . D'autres enquêtes sont en cours ou en préparation pour l'année 2012. La direction centrale établit la méthodologie de ces enquêtes et fait la synthèse des résultats. Par ailleurs, la direction centrale est également service inspecteur pour les obligations en matière de vente par Internet.

Le contrôle tel que défini et programmé par les services centraux de la DGCCRF est mis en oeuvre à l'échelon départemental par les Directions départementales de la protection des populations (DDPP) ou les Directions départementales de la cohésion sociale et de la protection des populations (DDCSPP) . Dans ce cadre, les services départementaux de contrôle sont placés sous l'autorité de la Direction Régionale des Entreprises, de la Concurrence, de la Consommation, du Travail et de l'Emploi (DIRECCTE) 26 ( * ) .

En plus des enquêtes nationales, les services départementaux peuvent également initier des enquêtes locales , pour répondre à des problématiques spécifiques à un département ou une région. Ainsi dans le département du Nord, les inspecteurs ont organisé une enquête spécifique sur le démarchage en matière de crédit.

De façon générale, les enquêtes sont l'occasion pour la DGCCRF d'identifier les points sur lesquels l'application de la loi est la plus délicate et défaillante. La DGCCRF n'agit pas, dans ce premier temps « pédagogique » , dans l'objectif de verbaliser les professionnels, mais dans celui de les informer et de les accompagner vers une meilleure application. Cela se traduit par le faible nombre d'infractions , liées à des anomalies particulièrement graves : en 2011, il n'y a eu que quarante-cinq procédures contentieuses en matière de crédit à la consommation, principalement des contraventions de 5 e classe.

La mission est, du reste, d'autant plus pédagogique que la DGCCRF contrôle également des obligations dont certaines sont à peine entrées en vigueur, ou ne le seront que prochainement, comme l'obligation de formation des vendeurs.

b) Donner aux autorités de contrôle les moyens de leur objectif : permettre les contrôles anonymes

Certaines des obligations que la loi fait peser sur l'établissement de crédit et, plus encore, sur le vendeur de crédit, cherchent à orienter la relation de vente elle-même et à modifier le comportement du vendeur vis-à-vis du client . C'est le cas de l'ensemble des dispositions de la loi qui privilégient la vente du crédit amortissable plutôt que celle du crédit renouvelable. C'est également le cas en matière de déliaison de l'assurance-emprunteur, où la loi vise à faire en sorte que le consommateur soit informé de la possibilité qu'il a de contracter une assurance auprès d'un établissement concurrent.

Il apparaît que ce sont également ces obligations (déliaison de l'assurance-emprunteur, offre amortissable alternative au crédit renouvelable), qui sont d e nature orale ou quasi-comportementale , dont l'application est la plus sujette aux critiques, notamment de la part des associations de consommateurs.

Par ailleurs, la technicité et la longueur des informations obligatoires fournies par écrit à travers les liasses contractuelles renforcent, paradoxalement, le rôle de l'information orale véhiculée par le vendeur .

Pourtant, ces obligations d'information, dont le rôle est renforcé, sont difficiles à contrôler pour les services de la DGCCRF . En effet, les inspecteurs déclinent systématiquement leur identité avant de procéder à un contrôle, modifiant par là même le comportement du vendeur. Le contrôle se limite donc à un contrôle des documents et de l'écrit. Même si aucun texte n'interdit explicitement le contrôle anonyme, ce type de contrôle est très exceptionnel faute d'une autorisation législative claire .

C'est pourquoi, pour pallier la difficulté du contrôle de l'oralité, il convient de permettre aux agents de la DGCCRF de réaliser des contrôles anonymes, sans décliner leur identité, dans la mesure où la preuve de l'infraction ne peut être apportée par un autre moyen .

Cette mesure a fait partie des modifications apportées par l'Assemblée nationale au projet de loi renforçant les droits, la protection et l'information des consommateurs 27 ( * ) .

Proposition n°1

Permettre aux services de contrôle de réaliser des contrôles anonymes


* 26 Ces directions hétéroclites, issues de la révision générale des politiques publiques (RGPP), rassemblent ainsi des missions très variées, dont les équipes de direction elles-mêmes ne connaissent pas les différents ressorts. Cela nuit à la gestion des ressources humaines, mais aussi à leur supervision par le représentant de l'État dans le département.

* 27 Projet de loi voté par le Sénat le 22 décembre 2011, transmis à l'Assemblée nationale le 23 décembre 2011 ; article 10, VI, modifiant l'article L 141-1 du code de la consommation : « Lorsque la preuve de l'infraction ou du manquement ne peut être rapportée par un autre moyen, les agents habilités peuvent ne pas décliner leur qualité lorsqu'ils recherchent et constatent une infraction ou un manquement aux obligations mentionnées aux I à III, au plus tard jusqu'à la notification à la personne concernée de la constatation du manquement ou de l'infraction. »

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