3. Les ségrégations internes aux établissements et la persistance de classes homogènes

L'évitement de l'établissement par la dérogation ou le recours au privé n'est pas la seule réponse possible des parents mécontents d'une affectation. Outre la résignation, la prise de parole et l'intervention dans l'établissement constituent un recours à la disposition des classes moyennes. Dans certains cas, cette prise de parole peut être vertueuse en convainquant d'autres parents de rester dans l'établissement, en s'investissant dans la vie de l'école ou encore en faisant du soutien scolaire.

D'après les recherches d'Agnès van Zanten, inspirées des travaux d'Albert Hirschman, 35 ( * ) il est plus fréquent que la prise de parole des parents laissant leurs enfants dans l'établissement de secteur présente un visage moins vertueux. Elle vise alors à trouver les moyens de maintenir des scolarités séparées pour leurs enfants au sein de l'établissement de secteur. Il peut s'agir d'une forme de « deal collectif » où l'on échange le maintien dans l'établissement des enfants contre l'organisation de classes de niveau homogène. Le choix des options est un instrument privilégié. Les chefs d'établissement acceptent alors une forte ségrégation des classes pour maintenir la mixité sociale à l'échelle de l'établissement. Les enseignants sont plus partagés, mais certains apprécient de pouvoir retrouver chaque semaine ce qu'ils nomment leur classe « oasis ». Globalement, cette solution arrangerait plutôt tout le monde.

L'exacerbation de la concurrence entre les établissements pour attirer les élèves et les familles grâce à l'offre d'options et de parcours spécifiques contribue à favoriser une séparation entre classes sociales et entre groupe de niveaux homogènes au sein des établissements, de classe en classe. Au-delà de la mixité sociale statistique au niveau de l'établissement, votre rapporteure recommande donc de veiller également à la mixité sociale et à l'hétérogénéité des niveaux scolaires au sein des classes.

Toutes les études montrent, en effet, que la mixité dans les classes est essentielle aux apprentissages et que la ségrégation des classes au sein des établissements est cognitivement néfaste pour les élèves les plus faibles. On a notamment pu repérer des effets Pygmalion inversés tels que les enseignants s'adaptaient à leur public et pouvaient être amenés à abaisser leurs exigences et leur niveau d'enseignement dans des classes homogènes peuplées d'élèves faibles.

En outre, les problèmes de climat scolaire et de violence viennent aussi souvent de la ségrégation des classes ou de la mise en place de sections spéciales distinctes. Ainsi, dans certains collèges étudiés par Agnès Van Zanten, les tensions entre élèves sont telles qu'il a été décidé de mettre en place deux services au déjeuner, l'un pour les CHAM (section spécialisée en musique) et l'autre pour le reste des élèves.

Votre rapporteure déplore que la mixité sociale et l'hétérogénéité scolaire n'aient pas été des priorités du ministère de l'éducation nationale, alors qu'elles constituent des moteurs de réussite pédagogique. La mixité n'est restée qu'une figure rhétorique, sans que l'on se soit donné les moyens de la construire politiquement et pédagogiquement. En outre, confondre trop rapidement la mixité arithmétique et la mixité sociale représente un des écueils essentiels que tout politique ambitieuse de mixité doit éviter. Le mélange pur et simple des élèves n'est pas en lui-même porteur de mixité. La confrontation de groupes d'élèves séparés sur telle ou telle base ne conduit pas spontanément au dialogue et à la coopération mais renforce en réalité les stéréotypes de part et d'autre. Il faut donc construire, proposer, expliquer aux parents et aux élèves un modèle d'interaction sociale susceptible de transformer le mélange physique en mixité sociale. C'est la tâche qui incombe proprement au politique.

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La mission a souhaité apprécier directement sur le terrain la diversité des problématiques territoriales pour comprendre comment dans des cas concrets se mettaient en oeuvre les mécanismes et les dynamiques décrits par les sociologues, les économistes et les spécialistes de sciences de l'éducation qu'elle a auditionnés. C'est pourquoi elle a mené une série de déplacements dans cinq académies (Bordeaux, Créteil, Dijon, Lyon et Nancy-Metz) qui lui ont permis de saisir un large éventail de situations locales. Partout, bien que sous des formes différentes, la mixité sociale et la régulation des choix d'établissement sont apparues comme des enjeux cruciaux. Ces questions sont tellement centrales pour l'avenir du système scolaire qu'à partir d'un simple examen de la carte scolaire, la mission a été amenée à évoquer la plupart des chantiers de l'éducation nationale.


* 35 Audition du 8 février 2012.

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