IV. LES AMÉNAGEMENTS DE PEINE

Le volet consacré aux aménagements de peine, considéré comme la partie la plus aboutie du texte gouvernemental, a fait l'objet d'un nombre limité d'amendements. Ces dispositions ont également fait l'objet de mesures d'application -prises pour l'essentiel le 27 octobre 2010- dans des délais plus rapides que celles consacrées aux droits des personnes détenues et aux conditions de détention -décret n° 2010-1276 relatif aux procédures simplifiées d'aménagement des peines et à diverses dispositions concernant l'application des peines, décret n° 2010-1277 relatif à la libération conditionnelle, à la surveillance judiciaire et portant diverses dispositions de procédure pénale, décret n° 2010-1278 relatif aux modalités d'exécution des fins de peine d'emprisonnement en l'absence de tout aménagement de peine.

A. L'IMPACT ENCORE MESURÉ DE L'ASSOUPLISSEMENT DES CONDITIONS D'OCTROI DE CERTAINS AMÉNAGEMENTS DE PEINE OU DE LEUR MISE EN oeUVRE

La loi pénitentiaire, en son article 65 (art. 132-24 du code pénal), a posé deux principes fondamentaux :

- en matière correctionnelle et en dehors des condamnations en récidive légale, une peine d'emprisonnement ferme ne peut être prononcée « qu'en dernier recours » ;

- lorsqu'une telle peine est prononcée, elle doit, si la personnalité et la situation du condamné le permettent, et sauf impossibilité matérielle, faire l'objet d'un aménagement de peine (art. 132-44 du code pénal).

1. Le relèvement à deux ans du quantum de la peine d'emprisonnement aménageable ab initio

Dans ce cadre, le législateur a porté de 1 à 2 ans la durée des peines d'emprisonnement susceptible de faire l'objet d'un aménagement de peine ab initio par la juridiction de jugement (art. 132-25 du code pénal) ou par le juge de l'application des peines (art. 723-15 du code de procédure pénale). Ce quantum est ramené à un an lorsque la personne est condamnée en état de récidive légale.

Au 1 er janvier 2012, 2 849 condamnés écroués pour une peine comprise entre 1 et 2 ans bénéficiaient d'un aménagement de peine -soit 19,7 % de l'ensemble des personnes écrouées sous aménagement de peine (14,3 % de celles placées sous surveillance électronique, 3,8 % des bénéficiaires d'une semi-liberté et 1,7 % d'un placement à l'extérieur).

L'aménagement de peine par la juridiction de jugement demeure marginal en raison, selon les témoignages recueillis par vos co-rapporteurs, de l'absence d'éléments sur la personnalité de l'intéressé (le SPIP ne déposant de rapport que pour les comparutions immédiates) ainsi que du manque de temps à l'audience. Les avocats demandent exceptionnellement, à l'audience, un aménagement de peine pour leur client. Lorsque le tribunal décide néanmoins de l'aménagement, il se borne le plus souvent à en poser le principe et à laisser au juge de l'application des peines le soin d'en fixer les modalités. Beaucoup de magistrats restent réservés, par principe, sur un aménagement décidé à l'audience dans le prolongement immédiat du prononcé de la peine.

La mise en oeuvre ab initio des mesures d'aménagement de peine par le juge de l'application des peines sur le fondement de l'article 723-15 du code de procédure pénale semble en revanche donner satisfaction comme l'a observé Mme Michelle Lebrun, présidente de l'association nationale des juges de l'application des peines. Il appartient au ministère public préalablement à la mise à exécution des condamnations à ces peines d'emprisonnement d'informer le juge de l'application des peines de ces décisions.

2. Le travail d'intérêt général

Le législateur a souhaité renforcer le recours au travail d'intérêt général (TIG) par différentes mesures :

- extension de l'amplitude horaire du TIG prononcé à titre de peine alternative à l'emprisonnement (de 20 à 210 heures au lieu de 40 à 210) -art. 131-8 du code pénal ;

- possibilité d'exécuter un TIG pendant une assignation à résidence avec surveillance électronique -art. 137-22 du code pénal.

En 2011, 30 746 TIG étaient suivis par les SPIP contre 24 838 en 2009. Les données statistiques ne permettent ni de distinguer les postes de TIG en fonction de la structure d'accueil, ni d'évaluer la durée moyenne de la mesure. Une étude en cours à la sous-direction de la statistique et des études du secrétariat général du ministère de la justice devrait permettre de réunir des premiers éléments d'information.

Le ministère de la justice s'est mobilisé autour de l'objectif de développement des TIG : après le forum TIG du 14 juin 2011, une journée nationale du travail d'intérêt général, tenue le 11 octobre 2011 dans tous les départements, a réuni quelques 900 acteurs de la vie civile, du secteur associatif, de l'Etat ou des collectivités territoriales.

Un comité de pilotage a été institué, chargé de favoriser la signature de nouvelles conventions nationales à l'instar de celles signées avec la Poste le 14 Juin 2011 et la SNCF le 21 septembre 2011.

Plusieurs magistrats rencontrés par vos co-rapporteurs ont relevé le caractère « chronophage » du renouvellement des habilitations dans le secteur privé ce qui tend à tarir le nombre de places de TIG. Le décret n° 2011-1310 du 17 octobre 2011 relatif à l'habilitation d'organismes accueillant des personnes condamnées à la peine de travail d'intérêt général répond à cette préoccupation en facilitant les démarches concernant l'habilitation des associations.

En effet, lorsque les organismes privés exercent leur activité sur l'ensemble du territoire national, ils pourront être habilités par le garde des Sceaux. Cette habilitation nationale se substituera aux habilitations locales qui doivent aujourd'hui être données, dans chaque tribunal de grande instance, par le juge de l'application des peines.

3. L'assignation à résidence avec surveillance électronique

La loi pénitentiaire a institué l'assignation à résidence avec surveillance électronique (art. 71) afin de permettre une modalité de contrôle intermédiaire entre le contrôle judiciaire et la détention provisoire. Ce système, plus rigoureux que le contrôle judiciaire, vise à réduire le recours à la détention provisoire. La durée d'assignation à résidence est déduite de la peine éventuellement prononcée à l'exemple du mécanisme retenu pour la détention provisoire.

Ce dispositif d'application encore très limitée -au 1 er janvier 2012, on dénombre 186 assignations à résidence sous surveillance électronique (ARSE) dont 9 sous surveillance électronique mobile (ARSEM) 48 ( * ) - n'a pas encore « mordu » sur la détention provisoire.

Mme Marie-Blanche Régnier, secrétaire générale du Syndicat de la magistrature, a noté que l'ARSE intervient en fait après une détention provisoire mais non en substitution de cette mesure.

4. Le redéploiement de certaines compétences en matière d'aménagements de peine (art. 75 de la loi pénitentiaire ; art. 712-8 du code de procédure pénale)

L'article 75 de la loi pénitentiaire procède à un transfert aux chefs d'établissements pénitentiaires et aux directeurs des SPIP de certaines compétences précédemment dévolues au juge de l'application des peines afin d'alléger la charge incombant à ces derniers et d'adapter de manière plus rapide les mesures à l'évolution de la situation des intéressés. Il s'agit des décisions concernant les horaires d'entrée ou de sortie de l'établissement pénitentiaire ou de la présence du condamné en un lieu déterminé dès lors que ces modifications sont favorables à l'intéressé et qu'elles ne modifient pas l'équilibre de la mesure. En outre, à l'initiative de votre commission des lois, cette faculté nouvelle reconnue au chef d'établissement ou au directeur du SPIP est subordonnée à une autorisation préalable du juge de l'application des peines.

Si cette délégation de compétences ne fait toujours pas l'unanimité au sein des magistrats, les juges de l'application des peines y ont néanmoins largement recours soit qu'il existe de réelles relations de confiance avec le directeur du SPIP, soit plus simplement par manque de temps.

Comme l'a relevé Mme Virginie Valton, vice-présidente de l'Union syndicale des magistrats (USM), les demandes de modifications d'horaires se sont multipliées avec le développement du placement sous surveillance électronique et l'augmentation de sa durée. Elle a cité, pour l'anecdote, les adaptations nécessaires pour les marins pêcheurs en fonction des horaires des marées... Si la charge s'est alourdie pour les juges de l'application des peines, elle est devenue encore plus complexe pour ceux des juges de l'application des peines qui contribuent à d'autres services du tribunal parfois pour plus de la moitié de leur temps. Le magistrat n'a plus la réactivité nécessaire pour prendre en compte des modifications urgentes.

Certains dévoiements ont été signalés à vos co-rapporteurs -lorsque, par exemple, les décisions du DSPIP ne sont pas motivées interdisant en pratique un contrôle effectif par le juge de l'application des peines. Ils semblent cependant limités.

Certaines juridictions ont mis en place un dispositif systématique d'information du juge de l'application des peines et prévoient des réunions régulières avec le SPIP afin d'évoquer les difficultés éventuelles et de trouver des points d'entente.

5. L'indispensable assouplissement des mesures d'aménagement pour les personnes détenues âgées ou malades

• Les suspensions de peine pour raison médicale (art. 79 de la loi pénitentiaire ; art. 720-1-1 du code de procédure pénale)

Le législateur a autorisé la possibilité d'accorder, en cas d'urgence, une suspension de peine lorsque le pronostic vital du condamné est engagé au vu d'un seul certificat médical (au lieu de deux concordants).

• La libération conditionnelle (art. 82 de la loi pénitentiaire ; art. 729 du code de procédure pénale)

La loi a supprimé tout délai d'éligibilité à la libération conditionnelle pour les condamnés âgés de plus de 70 ans 49 ( * ) dès lors que la réinsertion de la personne est assurée « en particulier s'il fait l'objet d'une prise en charge adaptée à sa situation à sa sortie de l'établissement pénitentiaire ou s'il justifie d'un hébergement, sauf en cas de risque grave de renouvellement de l'infraction ou si cette libération est susceptible de causer un trouble grave à l'ordre public ».

Cependant, il semble que cette disposition rencontre des difficultés d'application, les juridictions considérant qu'elle ne peut s'appliquer tant que la peine exécutée est encore couverte par la période de sûreté prévue par l'article 720-2 du code de procédure pénale. Telle n'était pas l'intention du législateur. Aussi, vos co-rapporteurs proposent-ils d'écarter explicitement l'application de l'article 720-2 du code de procédure pénale -comme tel est déjà le cas en matière de suspension de peine pour motif médical (art. 720-1-1)- pour accorder le bénéfice de la libération conditionnelle pour les condamnés âgés de plus de 70 ans ( recommandation n° 16).

M. Etienne Noël, avocat pénaliste, a regretté que la faculté ouverte par la loi du 4 mars 2002 d'accorder également une suspension de peine pour les condamnés dont il est établi que leur état de santé est « durablement » incompatible avec le maintien en détention demeure peu appliquée. Il semble en effet que les experts ne prennent pas suffisamment en compte la perte d'autonomie des personnes détenues.

Par ailleurs, le dispositif de suspension de peine ne concerne pas les personnes placées en détention provisoire. Celles-ci sont donc dépourvues de tout recours en cas de grave dégradation de leur état de santé alors même que les conditions d'incarcération en maison d'arrêt sont souvent très pénibles. Vos co-rapporteurs estiment nécessaire de remédier à cette lacune de notre système d'aménagement de peine 50 ( * ) ( recommandation n° 17 ).


* 48 En 2010, 278 mesures dont 7 ARSEM avaient été prononcées, en 2011, ces chiffres s'élevaient respectivement à 381 et 7.

* 49 A l'initiative de votre commission des lois, le seuil de 75 ans prévu par le projet de loi initial a été ramené à 70 ans afin de tenir compte du vieillissement d'une partie de la population pénale.

* 50 Une proposition de loi sénatoriale relative à la création d'un dispositif de suspension de détention provisoire pour motif d'ordre médical déposée par Mme Alima Boumediene-Thiery et plusieurs de ses collègues, n° 400, 2010-2011, suggérait un tel dispositif.

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