B. UNE ÉCONOMIE TOUJOURS SOUMISE À UN RISQUE DE CRISE FINANCIÈRE

Alors que les autorités transitoires n'ont pas la légitimité suffisante pour conduire des réformes, les incertitudes politiques pèsent sur une situation économique toujours précaire, pénalisant le tourisme, qui a baissé de 30 % sur un an - même si cette évolution doit être relativisée, après une année 2010 qui avait été particulièrement favorable.

En janvier-février 2011, les usines et les banques ont été temporairement fermées, provoquant de graves perturbations du circuit économique (pour des opérations de base comme le paiement des salaires), et les entreprises ont également été affectées par des grèves des ouvriers et employés obtenant des hausses de salaire. Les activités boursières ont été interrompues pendant 25 jours (cf. encadré ci-dessous sur les activités de la Bourse du Caire, décrites par son directeur) .

Les activités de la Bourse du Caire

L'indice de la Bourse du Caire a enregistré une reprise de 40 % entre janvier et mars 2012, après un recul de 42 % des valeurs capitalisées pendant la révolution.

Les valeurs capitalisées, qui avaient atteint 130 milliards de dollars (soit 75 % à 80 % du PIB égyptien) avant 2008 (et 100 milliards de dollars avant la révolution, dans le contexte de crise financière), s'élevaient en mars 2012 à plus de 60 milliards de dollars, après avoir reculé jusqu'à 40 milliards de dollars.

Les Egyptiens détiennent plus de la moitié du capital des valeurs capitalisées.

Le volume quotidien des transactions, qui était compris entre 200 et 300 millions de dollars avant la révolution, est actuellement de 100 millions de dollars, après avoir connu un point bas à 40 millions de dollars après la révolution.

Le directeur de la Bourse du Caire a estimé les investisseurs trop sensibles aux questions politique et de sécurité, et pas suffisamment aux fondamentaux des sociétés cotées.

Source : entretien de la délégation de la commission des finances avec Mohamed Omran, directeur de la Bourse du Caire

Le taux de chômage , officiellement estimé entre 12 % et 13 %, pourrait toucher jusqu'à 20 % de la population active en incluant le sous-emploi.

Les secteurs les plus affectés par la situation politique ont été, par ordre d'importance dans le PIB égyptien, l'industrie manufacturière (15,6 % du PIB), le commerce de gros et de détail (10,8 %), le tourisme (5,4 %), la construction (5,1 %) et les communications (3,9 %). En revanche, d'autres secteurs ont été peu impactés : l'agriculture (13,7 %), les industries extractives (13,7 %) et l'immobilier. Par ailleurs, les activités du canal de Suez (qui représentent 3,3 % du PIB égyptien) ont augmenté.

L'appréciation des entreprises françaises en Egypte est toutefois positive, et elles estiment que les plus grandes difficultés relèvent du passé. S'agissant du tourisme, sa reprise ne dépend pas tant de l'insécurité dans le pays (bien moindre, par exemple, qu'en Libye), mais de sa perception par l'opinion publique occidentale, et telle qu'elle pourra également être appréhendée par les agences de voyage dans leur offre de destinations et leurs discussions avec les touristes potentiels.

Malgré le contexte politique incertain, plusieurs arguments plaident pour le renforcement de la présence française et l'essor des échanges commerciaux bilatéraux. Tout d'abord, il convient d'apprécier le poids de l'économie égyptienne, forte d'un marché de plus de 80 millions d'habitants, et dont le PIB (en parité de pouvoir d'achat) a été estimé à 188,4 milliards de dollars américains en 2008-2009 8 ( * ) , soit un PIB moyen par habitant de 5 349 dollars 9 ( * ) , même si cette moyenne recouvre de très fortes inégalités. Par ailleurs, il faut prendre en compte les perspectives de consolidation à moyen et long terme d'une économie qui, longtemps dépendante des hydrocarbures et des recettes du canal de Suez, a réussi le pari de sa diversification en ayant développé les secteurs du tourisme, du commerce et des industries de transformation.

1. Une dynamique de croissance interrompue

Avant le printemps arabe, l'Egypte s'était engagée, depuis 2004, dans des réformes visant à moderniser l'économie nationale. Elle avait enregistré des taux de croissance annuels de l'ordre de 7 % entre 2005 et 2007, et avait plutôt bien résisté à la crise en maintenant des taux de croissance de 5,1 % sur l'année fiscale 2009-2010 et 4,7 % en 2008-2009.

Cette dynamique de croissance avait été portée par des flux croissants d'investissements directs étrangers (IDE), auparavant limités au secteur des hydrocarbures (qui reste le plus attractif pour les investisseurs extérieurs), et qui ont atteint un niveau record de 13,2 milliards de dollars durant l'année fiscale 2007-2008. Ces données ont placé l'Egypte au deuxième rang pour l'accueil des IDE au Proche-Orient (après Israël), et au troisième rang dans le monde arabe (après l'Arabie Saoudite et les Emirats Arabes Unis). Mais la crise mondiale avait entraîné, dès 2008, un net ralentissement des flux d'IDE (8,1 milliards de dollars pour l'année fiscale 2008-2009 ; 6,8 milliards de dollars en 2009-2010 ; 2,2 milliards de dollars en 2010-2011).

Pour l'année fiscale 2010-2011, la croissance de l'économie a atteint 1,8 %, la référence à l'année fiscale, et non à l'année civile, masquant toutefois une contre-performance au premier semestre de l'année 2011 : entre janvier et février 2011, l'économie égyptienne a enregistré une récession de 4,2 %, avant un début de reprise dès le deuxième trimestre (avril-juin), au cours duquel elle a enregistré une croissance de 0,4 %.

La crise libyenne a entraîné un retour des ressortissants égyptiens. Les IDE se sont interrompus, les flux nets devenant négatifs au premier semestre de l'année 2011 (de 64 millions de dollars). Les hausses de salaires accordées aux fonctionnaires au lendemain de la révolution ont toutefois permis d'éviter un effondrement de la demande intérieure.

Estimées à 3,2 % par le gouvernement égyptien lors de l'élaboration du budget, les prévisions de croissance du FMI et des experts étrangers pour l'année fiscale 2011-2012 sont comprises entre 1,5 % et 2 %, soit un niveau proche de la croissance démographique (1,6 %), et nettement inférieur au taux de l'ordre de 5,5 % jugé nécessaire pour le décollage économique du pays. La prévision de croissance économique a été révisée par le gouvernement égyptien à 1,9 %.

Toutefois, de nombreuses difficultés préexistaient au printemps arabe , comme l'existence de déficits budgétaires structurels alimentés par un généreux dispositif de subventions aux hydrocarbures, un système fiscal non performant ou le creusement des inégalités sociales. Ces problèmes ont d'ailleurs été des facteurs déclencheurs du soulèvement populaire. La situation actuelle a pleinement révélé ces déséquilibres, examinés ci-après, dont l'ensemble des interlocuteurs s'accordent à reconnaître qu'ils nécessitent des réformes de fond.


* 8 L'année fiscale égyptienne, retenue pour les statistiques, commence en juillet de l'année n et s'achève en juin de l'année n+1.

* 9 Ces données n'incluent pas l'économie informelle, qui pourrait représenter jusqu'à 40 % de l'économie nationale, selon les informations recueillies par la délégation de la commission auprès de ses interlocuteurs égyptiens.

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