III. PROPOSITIONS POUR UNE NOUVELLE ARCHITECTURE TERRITORIALE DE L'INGÉNIERIE EN MATIÈRE D'URBANISME

Dans nos territoires, force est donc de constater la grande inquiétude des élus locaux sur leur capacité à exercer, demain, leurs compétences en matière d'urbanisme, de droit des sols et d'aménagement. Le problème est simple : nous avons, dans notre pays, transférer la gestion du droit des sols aux communes qui en ont la responsabilité, mais sans décentraliser les moyens , les services de l'État assurant cette mission pour le compte des collectivités territoriales. C'est une carence de la décentralisation, ou tout au moins un inachèvement, car il est aujourd'hui demandé aux élus locaux d'assurer l'opérationnel en matière d'urbanisme. Or, cela nécessite de disposer des bonnes informations et des moyens humains et financiers, surtout dans le contexte d'accroissement des contraintes techniques, notamment des normes environnementales.

Votre délégation identifie trois enjeux majeurs pour les territoires placés au coeur de la constitution d'une nouvelle architecture de l'ingénierie : rationaliser et explorer les gisements d'ingénierie existants en trouvant la bonne échelle de mutualisation, coordonner et développer des complémentarités entre structures afin d'éviter des doublons, et exprimer une solidarité entre territoires, notamment entre les territoires urbains et ruraux.

Pour répondre à ces défis, il convient d'imaginer des solutions diversifiées, à l'image de la diversité des territoires concernés . Votre délégation ne souhaite donc pas « décréter » qu'un niveau de collectivité serait plus légitime que les autres pour organiser l'ingénierie. Il lui parait essentiel de laisser les territoires libres de s'organiser en trouvant la souplesse nécessaire pour faire face à la diversité des situations. En clair, elle plaide pour une ingénierie de « projet » dans laquelle l'ingénierie publique de l'État doit être complétée, d'une part, par l'ingénierie privée et, d'autre part, par une nouvelle ingénierie publique, celle des collectivités territoriales, afin de créer des « bouquets d'ingénierie » correspondant le mieux aux besoins, et ce, à trois niveaux : la planification et les études en amont ; la gestion du droit des sols et les autorisations de construire ; l'aménagement opérationnel (action foncière, ZAC etc.).

L'architecture qu'elle préconise pour l'organisation des ces trois niveaux repose ainsi sur une chaîne d'ingénieries complémentaires :

- bien sûr l'ingénierie privée, qui est nécessaire et indispensable pour la conception et la réalisation des projets. Celle-ci ne peut toutefois répondre aux besoins actuels d'ingénierie dans tous les territoires, ce qui nécessite qu'elle soit complétée par une ingénierie publique de qualité ;

- l'échelle nationale pour la définition des grandes stratégies de l'État en matière d'urbanisme, d'environnement et de développement durable en s'appuyant notamment sur le CERTU pour cette ingénierie stratégique ;

- l'échelle régionale ou interrégionale pour la mise en oeuvre de ces grandes stratégies nationales, grâce à la mise en réseau de l'ensemble des acteurs de l'ingénierie au sein de « grandes délégations régionales » ;

- l'intercommunalité, ensuite, qui doit devenir centrale dans la planification (avec les SCOT intercommunautaires et les PLU intercommunaux), l'aménagement opérationnel (notamment pour les opérations les plus significatives) et l'administration du droit des sols dans une logique de mutualisation pour le compte des communes. L'intercommunalité doit constituer le premier échelon de base de l'ingénierie ;

- les départements, enfin, qui peuvent apporter un appui dans les zones les plus rurales là où les intercommunalités sont de trop petite taille. Mais cet appui a vocation à s'inscrire dans une coopération avec les intercommunalités. Les outils d'ingénierie publique mutualisés comme les agences d'urbanisme, les établissements publics fonciers lorsqu'ils existent, les sociétés publiques locales et les CAUE peuvent ainsi être mobilisés. Mais il ne doit pas être envisagé une quelconque « tutelle » de la part des départements en la matière.

A. UN RECOURS À L'INGÉNIERIE DU SECTEUR PRIVÉ POUR LA CONCEPTION ET LA RÉALISATION DES PROJETS

1. Le recours à l'ingénierie du secteur privé en tant que de besoin et dans les limites des attributions de puissance publique

En raison du désengagement de l'État de toutes les prestations de maîtrise d'oeuvre s'inscrivant dans le cadre concurrentiel, les collectivités territoriales devront faire appel au secteur privé pour la conception et la réalisation des projets urbanistiques.

Le recours à ce secteur est déjà très répandu, voire quasi général, pour l'élaboration des documents d'urbanisme et ne pose pas de difficultés particulières . Cependant, cette sous-traitance ne permet pas de faire l'économie d'un service d'urbanisme car l'expérience montre que le travail des bureaux d'études est d'autant plus pertinent qu'il est précisément encadré. L'ingénierie privée nécessite donc un suivi et une évaluation des actions dans une logique cohérente et coordonnée. Il n'y a pas de compétition, entre l'ingénierie publique et l'ingénierie privée mais un équilibre à trouver. L'ingénierie publique n'a pas vocation à tout faire. Mêmes les grosses collectivités très structurées font appel à des bureaux d'étude et des équipes de maîtrise d'oeuvre.

Le recours au secteur privé n'est toutefois pas transposable à l'instruction des autorisations , qui est une attribution de puissance publique intéressant au plus près et au plus concret les droits du citoyen. Cela implique donc une ingénierie publique complémentaire.

2. Les difficultés du recours au secteur privé

Les collectivités territoriales sont malheureusement confrontées à trois difficultés majeures lorsqu'elles recourent au secteur privé.

Tout d'abord, celui-ci ne dispose pas toujours des ressources ou de la compétence nécessaire pour assumer les missions délaissées par l'État , en raison de la complexité de la réglementation. En matière d'aménagement de l'espace public ou de voirie, la présence, pendant de longues décennies, de l'ingénierie publique, n'a pas permis à l'ingénierie privée de développer des compétences particulières dans ces domaines, celle-ci se caractérisant ainsi par une moindre connaissance du terrain. Par ailleurs, le fait de recourir à des prestations privées pour des travaux d'ingénierie publique fait reposer la connaissance et l'historique des réseaux sur les élus et non plus, sur « les hommes de l'art ». Or de nombreux élus font état d'une perte progressive de savoir-faire et d'expertise en ce qui concerne la maîtrise des règles de l'art (voirie, réseaux, etc.) que possédaient les anciennes DDE, l'enjeu étant de préserver la « mémoire » de ces services.

Ensuite, les entreprises privées peuvent ne pas être motivées pour assumer certaines missions d'ingénierie publique demandées par les collectivités territoriales de petite taille, en raison de leur faible enjeu pour le secteur. Mme Pascale Poirot, présidente du Syndicat national des aménageurs lotisseurs (SNAL), auditionnée par votre délégation, formule d'ailleurs un constat implacable : « les professionnels n'iront pas là où il n'y a pas de marché. Donc le privé n'est pas forcément adapté pour répondre aux besoins d'ingénierie des petites collectivités rurales par exemple ». À cet égard, votre délégation a pu relever, durant ses auditions, que la sous-traitance de l'ingénierie publique à des bureaux d'étude privés étant généralement rémunérée à un prix plus élevé, le risque est de voir des bureaux revendre partout la même étude, légèrement adaptée au contexte local.

Enfin, le recours au secteur privé n'est pas toujours efficient , en raison du coût élevé des prestations, parfois aussi élevé que les travaux à effectuer, ce qui pénalise en particulier les petites collectivités confrontées à un manque de moyens financiers.

C'est pourquoi l'ingénierie privée n'a pas vocation à se substituer à l'ingénierie publique . Les relations doivent être complémentaires.

L'ingénierie de proximité doit justement associer des compétences professionnelles internes aux collectivités territoriales et celles relevant des prestataires privés.

Recommandation 1 : Assurer la complémentarité des prestataires privés et publics en matière d'ingénierie territoriale, tant pour le conseil en amont et l'aide à la décision, que pour la conception et la réalisation des projets dans le domaine de l'aménagement et de l'urbanisme.

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