IV. MISER SUR L'ÉCHELON EUROPÉEN COMME LEVIER DANS LA LUTTE INTERNATIONALE CONTRE L'ÉVASION FISCALE

A. POUR RENFORCER LA TRANSPARENCE ET LA COORDINATION, CLÉS DE L'EFFICACITÉ DE LA LUTTE CONTRE L'ÉVASION FISCALE

1. Systématiser l'information sur les revenus de l'épargne des personnes physiques, une conquête indispensable

Proposition n° 42 : Mobiliser les opinions publiques européennes pour débloquer le processus de révision de la directive « Epargne » et consacrer dans l'UE le modèle d'échange automatique d'informations

Le Conseil européen des 28 et 29 juin 2012, dont l'ordre du jour était particulièrement chargé, n'a pas donné l'impulsion espérée au processus double de négociation de la révision de la directive Epargne et d'élaboration d'un mandat européen de négociation d'une nouvelle convention fiscale avec la Suisse.

La crise donne pourtant aux États membres les raisons pour agir en commun : sécuriser les recettes fiscales des États est assurément un élément de réponse à la crise. Il faut donc saisir ce moment pour consacrer dans l'UE le modèle d'échange automatique d'information, garantie d'une juste fiscalisation par chaque État de ses résidents sur leurs avoirs détenus à l'étranger. Votre rapporteur entend contribuer à la mobilisation des opinions publiques européennes pour faire pression ensemble sur les gouvernements européens. 25 États membres de l'UE ne doivent pas être empêchés par deux États d'avancer dans la lutte contre l'évasion fiscale : ces deux États ont bénéficié d'une période transitoire de près de dix ans pour se préparer à la levée du secret bancaire. Ils doivent aujourd'hui accepter que l'appartenance à l'UE apporte des avantages, mais également des contraintes.

La consécration européenne du modèle d'échange automatique d'informations est d'autant plus importante qu'elle permettrait ensuite à l'UE d'être plus crédible dans la promotion de ce modèle à l'échelle internationale.

2. Sortir les trusts, notamment européens, de l'ombre

Proposition n° 43 : Établir un registre européen des trusts répondant à certains critères en termes de seuils d'actifs sous-jacents et d'objet du trust

Parallèlement, de nouvelles pistes en matière de transparence des avoirs détenus par les personnes physiques doivent être approfondies. En effet, la proposition de révision de la directive Epargne a notamment mis au jour le recours croissant à des structures offshore non taxées interposées entre le payeur des revenus de l'épargne et le bénéficiaire final. Selon la Commission européenne 526 ( * ) , 35 % des dépôts non bancaires dans les États membres seraient détenus par de telles structures, situées dans les juridictions offshore . Notamment, l'opacité des trusts constitue un obstacle à une juste fiscalisation de leurs bénéficiaires effectifs.

En 2011 527 ( * ) , la France a décidé d'imposer des obligations déclaratives à la charge de l'administrateur d'un trust dont le constituant, le bénéficiaire ou l'actif est domicilié ou situé en France. L'article 1649 AB du CGI exige notamment que soient déclarés le contenu des termes du trust et l'ensemble des biens valorisés au 1 er janvier de l'année. Cette disposition n'est évidemment pas suffisante tant que la France reste isolée dans sa démarche.

Instaurer une telle obligation de déclaration des trusts à l'échelon européen aurait du sens. Le Parlement européen 528 ( * ) considère précisément que « le renforcement de la réglementation relative aux registres des sociétés et à l'enregistrement des trusts ainsi que leur transparence sont une condition préalable pour faire face à l'évasion fiscale ». Il s'agirait que chaque État membre de l'UE s'engage à tenir un registre des trusts et/ou autres structures juridiques opaques existant dans son droit national, registre qui préciserait le nom des bénéficiaires réels, des opérateurs et des donneurs d'ordre, et à mettre cette information à la disposition des autorités fiscales, douanières et judiciaires des autres États. Ce registre devrait être assez large pour concerner les structures impliquant des bénéficiaires européens où que le trust soit « inscrit ».

Etablir un registre des trusts peut effectivement sembler pertinent, mais il est difficile d'imaginer l'inscription à ce registre de tous les trusts, tant est large le spectre des finalités qu'ils poursuivent. Néanmoins, il est indéniable que seule une centralisation de l'information permettrait à l'administration fiscale de démonter les schémas d'évasion fiscale tirant profit du secret entourant encore les trusts dans plusieurs États membres.

Votre rapporteur propose donc de considérer la possibilité d'établir un registre européen des trusts répondant à certains critères en termes de seuils d'actifs sous-jacents et d'objet du trust : ceci permettrait de cibler les nouvelles obligations de déclaration et d'enregistrement sur les trusts les plus importants qui servent de rideau de fumée à l'évasion fiscale, et d'épargner la multitude de trusts de faible montant à simple visée patrimoniale.

3. Centraliser l'information sur les comptes bancaires dans l'UE

Proposition n° 44 : Créer un fichier européen des comptes bancaires du type du FICOBA français

Répondant à la même ambition d'une mise en commun de l'information détenue sur les contribuables européens, la création d'un fichier européen des comptes bancaires dans l'Union Européenne représenterait une grande avancée. Ce fichier pourrait être constitué sur le modèle du Fichier national des comptes bancaires et assimilés (FICOBA) qui, en France, recense les comptes de toute nature (bancaires, postaux, d'épargne ...) et fournit aux personnes habilitées des informations sur les comptes détenus par une personne ou une société. FICOBA enregistre à ce jour plus de 80 millions de personnes physiques c'est-à-dire toutes les personnes, françaises ou non, qui ont un compte bancaire ou assimilé en France. Il traite chaque année 100 millions de déclarations de comptes mais ne fournit aucune information sur les opérations effectuées sur le compte ou sur son solde.

D'autres États membres dont l'Espagne et l'Allemagne disposent déjà d'un équivalent du FICOBA, d'autres sont en train de le constituer : c'est le cas de la Belgique, dont le secrétaire d'État à la lutte contre la fraude fiscale, M. John Crombez, a indiqué à votre rapporteur qu'un prochain arrêté royal allait créer un « point de contact » inspiré du FICOBA.

Un tel fichier à l'échelle européenne pourrait inclure non seulement les comptes bancaires mais aussi les contrats d'assurance-vie pour être encore plus opérant dans la lutte contre l'évasion fiscale.

4. Imposer aux multinationales une transparence comptable pays par pays

Proposition n° 45 : Obtenir la création d'une obligation de transparence comptable pays par pays pour les multinationales, à l'échelon communautaire mais aussi international

La transparence des flux financiers et des opérations économiques des sociétés pays par pays est un élément décisif de la réponse à l'évasion fiscale. La publicité de ces informations est de nature à révéler la réalité de l'optimisation fiscale internationale à laquelle s'adonnent les entreprises.

Comme votre rapporteur l'a déjà relevé, cette obligation pourrait figurer dans la prochaine directive européenne sur la transparence comptable ; néanmoins, elle y serait cantonnée aux entreprises du secteur des industries extractives et forestières et se limiterait à demander un rapport annuel sur les sommes versées par les sociétés aux États. Votre rapporteur insiste sur la nécessité que soient également comptabilisés la masse salariale et le nombre d'employés dans chaque pays, ainsi que le résultat avant impôt et le montant des achats et ventes intragroupes et extérieurs au groupe effectués dans ce pays. Les informations diffusées sur cette base, selon des modalités à préciser, pourraient répondre aux besoins des nombreux acteurs concernés par l'activité des multinationales : les administrations fiscales, douanières et judiciaires mais aussi les citoyens, les salariés, les consommateurs et les actionnaires. Elles permettront surtout de détecter l'évasion fiscale internationale : le transfert des bénéfices vers des paradis fiscaux, les manipulations de prix de transfert, l'existence ou non d'une activité économique réelle de la filiale située dans un pays... Il faut envisager que la seule publication de ces données puisse avoir un effet dissuasif sur l'évasion fiscale.

Votre rapporteur se félicite que le Parlement européen propose déjà d'étendre cette obligation de publicité au secteur bancaire. Il défend, pour sa part, la généralisation de ce principe de transparence comptable à l'ensemble des secteurs d'activité économique.

La France devrait tenir le rôle de fer de lance de cette ambition dans la négociation qui s'annonce au Conseil. Mais l'Union européenne devrait aussi peser de tout son poids pour promouvoir cette exigence au sein des instances privées qui établissent les normes comptables : le Bureau international des normes comptables (IASB) travaille déjà sur de telles exigences de reporting comptable pays par pays.

5. Approfondir la coopération entre les administrations fiscales européennes

Proposition n° 46 : Elargir EUROFISC, mécanisme d'alerte précoce en matière de TVA, à d'autres impôts pour structurer la coopération entre les administrations fiscales européennes et avec les autorités chargées de la lutte anti-blanchiment

Les administrations fiscales de l'Union européenne doivent poursuivre les efforts engagés pour approfondir leur coopération, sur la base des nombreuses et importantes normes légales récemment adoptées, tant en matière d'impôts directs qu'indirects. Notamment, le réseau EUROFISC, système d'échange de signaux précoce, opérationnel depuis 2011, est alimenté par chaque État membre qui y rentre en temps réel toute information susceptible d'être pertinente pour prévenir la fraude souvent complexe à la TVA. Ainsi, chaque État de l'UE fait bénéficier de son travail tous les autres. La Commission européenne a annoncé qu'elle allait proposer de compléter ce mécanisme d'alerte par un mécanisme de réaction rapide à la fraude à la TVA, permettant à un État membre de réagir de manière plus souple face à une fraude soudaine et massive, en prenant des mesures nationales immédiates.

Le mécanisme d'alerte précoce que représente EUROFISC pourrait être étendu à d'autres champs que la TVA, pour partager au plus vite les informations sur les schémas de fraude et d'évasion fiscales ou sur les fraudeurs individuels et développer des techniques d'analyse de risques à l'échelle de l'UE. Le cabinet du commissaire européen en charge de la fiscalité, que votre rapporteur a rencontré, évoque la possibilité de créer des chambres au sein d'EUROFISC, organisées par thèmes : TVA, épargne, régime mère-fille et intérêts-redevances... EUROFISC pourrait ainsi devenir une structure permanente permettant de faire dialoguer les administrations, échanger les bonnes pratiques et, plus généralement, mettre en oeuvre une effective coopération administrative dans le domaine fiscal. Une telle approche, moins cloisonnée entre impôts directs et indirects, est d'autant plus importante qu'il n'est pas rare qu'un fraudeur à la TVA pratique aussi l'évasion fiscale en matière d'impôt sur le revenu ou sur les sociétés.

Cette coopération entre administrations fiscales gagnerait à se doubler d'une coopération renforcée avec les autorités judiciaires chargées de la lutte anti-blanchiment. A ce titre, un rapprochement devrait s'effectuer entre EUROFISC et Eurojust, agence européenne chargée de renforcer la coopération judiciaire entre les États membres et de promouvoir une coordination optimale des actions d'enquête et de poursuites débordant le cadre d'un seul territoire national, ainsi qu'entre EUROFISC et Europol, agence européenne chargée de gérer l'échange et l'analyse des renseignements relatifs aux activités criminelles et de lutter contre la criminalité organisée. La révision à venir de la troisième directive sur le blanchiment consolidera la base légale d'un tel rapprochement, puisque la Commission européenne envisage, dans cette prochaine directive destinée à transposer les nouveaux standards du GAFI, de considérer les infractions fiscales comme une infraction principale du blanchiment de capitaux. L'élaboration de ce prochain texte nécessitera d'ailleurs que l'UE s'accorde sur une définition de l'infraction fiscale, définition que le GAFI n'a pas pu faire adopter.

Proposition n° 47 : Attribuer un numéro d'identification fiscale commun aux contribuables européens effectuant des opérations transfrontières

Cet échange d'informations serait facilité par la standardisation, au sein de l'UE, de l'identification des contribuables. Dans sa communication du 27 juin 2012 sur les moyens concrets de mieux lutter contre l'évasion fiscale, la Commission européenne envisage à cette fin de proposer d'assigner à chaque contribuable engagé dans des opérations transfrontières un numéro d'identification fiscal européen, ce qui permettrait de croiser les informations plus facilement.

6. Développer le contrôle fiscal à l'échelle de l'UE

Proposition n° 48 : Favoriser les contrôles fiscaux multilatéraux pour mieux appréhender la fraude et l'évasion fiscales transfrontières dans l'UE

En complément de l'approfondissement du dialogue entre administrations fiscales européennes, votre commission d'enquête estime nécessaire de mieux coordonner les contrôles fiscaux. Des contrôles conjoints et simultanés devraient plus régulièrement être initiés par les États membres ; ils permettraient notamment de mieux appréhender la notion de groupe, qui échappe aujourd'hui largement aux administrations nationales, et de démonter les schémas de fraude reposant sur des structures écrans situées dans plusieurs pays, comme les carrousels de TVA.

Les contrôles multilatéraux entre les autorités fiscales des États membres de l'UE restent extrêmement rares : selon la Cour des comptes 529 ( * ) , 3 seulement ont eu lieu au plan communautaire entre 2007 et 2011. Ils constituent pourtant souvent le moyen approprié pour démanteler les réseaux.

Proposition n° 49 : Envisager la création, à plus long terme, d'une brigade européenne de contrôle fiscal rattachée à EUROFISC

Cette coordination pourrait même conduire à long terme à mettre sur pied une forme de brigade européenne de contrôle, rattachée à EUROFISC ; cette équipe serait composée d'experts nationaux et dédiée à la fraude et à l'évasion transfrontières dans l'UE. La Commission européenne entend explorer cette piste avec les États membres, comme elle l'a indiqué dans sa récente communication déjà citée 530 ( * ) .


* 526 Dans sa communication du 27 juin 2012 sur les moyens concrets de renforcer la lutte contre la fraude et l'évasion fiscales en relation avec les pays tiers.

* 527 Loi n° 2011-900 du 29 juillet 2011 de finances rectificative pour 2011.

* 528 Résolution du Parlement européen du 17 avril 2012 sur l'appel visant à trouver des moyens concrets de lutter contre la fraude et l'évasion fiscales (2012/2599).

* 529 Cf. page 121 du rapport d'information n° 4467 relatif à la gestion et au contrôle de la TVA, présenté par MM. Jérôme Cahuzac et Thierry Carcenac au nom de la commission des finances de l'Assemblée nationale (XIIIème législature).

* 530 Communication du 27 juin 2012 sur les moyens concrets de renforcer la lutte contre la fraude et l'évasion fiscales en relation avec les pays tiers.

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