C. LE DEVÉLOPPEMENT DES ACTIVITÉS ÉCONOMIQUES EN MER MET LE DROIT MARITIME INTERNATIONAL SOUS TENSION

« Animés du désir de régler, dans un esprit de compréhension et de coopération mutuelles, tous les problèmes concernant le droit de la mer et conscients de la portée historique de la Convention qui constitue une contribution importante au maintien de la paix, à la justice et au progrès pour tous les peuples du monde... »

La déclaration qui commence la Convention de Montego Bay, dont l'acte final a été signé par cent quarante-deux pays, et lie aujourd'hui 162 États illustre l'ambition de la Convention à peser sur les équilibres du monde.

Le développement des activités économiques en mer a depuis conduit à une application de plus en plus intense du droit maritime international pour résoudre, entre les différents acteurs présents en mer, qu'il s'agisse des Etats ou d'acteurs privés, ainsi qu'à des adaptations des règles en vigueur aux évolutions du monde maritime marqué notamment par le développement de la criminalité.

Or l'arsenal juridique, qui s'est développé depuis l'adoption de la Convention et qui constitue l'ensemble des règles auxquelles les États doivent se conformer lorsque des navires battant leur pavillon circulent dans les mers du globe, semble montrer aujourd'hui certaines limites pour assurer la sécurité maritime et la protection de l'environnement marin.

L'accroissement de la globalisation des échanges commerciaux a accentué les pressions sur les responsables des transports maritimes dont la motivation, compte tenu de la concurrence, est de maintenir le plus bas possible les coûts du transport en mer. D'autre part, le développement de la piraterie, du terrorisme et des trafics illicites a suscité de nouveaux défis pratiques et juridiques qui sont de nature à favoriser la remise en cause de certaines règles précédemment admises.

En outre, la concurrence des Etats pour l'accaparement des ressources maritimes conduit certains d'entre eux à remettre de facto en question certains fondements de la convention.

Le basculement de certaines activités de la terre vers les mers pousse certains États à vouloir apposer des frontières à l'élément marin à l'instar de ce qui est pratiqué sur la surface de la terre. Or l'application aux océans d'un mode de raisonnement terrestre, fondé sur la propriété privée, est porteuse de bouleversements d'une tradition maritime qui s'appuie sur des millénaires de liberté de navigation, excepté la mince frange des eaux territoriales.

La conjonction de ces phénomènes met le droit maritime international sous tension.

Le principe cardinal de la convention des Nations unies sur le droit de la mer reste la liberté de navigation, pierre angulaire du droit maritime avec son corollaire la primauté de l'État du pavillon.

Ainsi un navire commercial en haute mer relève exclusivement de la nation dont il porte le pavillon et ne peut par conséquent n'être sujet qu'au contrôle exercé par les navires de guerre de celui-ci.

Ce principe a cependant dû être tempéré en raison de l'érosion continue des pouvoirs de l'État du pavillon et leur défaillance à faire appliquer les règles du droit international.

L'essor des pavillons de complaisance qui a permis à de nombreux armateurs un dumping réglementaire permettant d'échapper aux normes nationales et internationales contraignantes et coûteuses a ainsi contraint la communauté internationale à accroître les pouvoirs des Etats côtiers.

Les grandes catastrophes pétrolières telles que celles de l'Erika, navire affrété par une société française, armé par une entreprise grecque, manoeuvré par un équipage indien, assuré par une société anglaise, enregistré aux Bermudes et naviguant sous pavillon maltais, ont contribué à l'adoption de réglementations limitant quelque peu le droit du pavillon.

Ainsi l'organisation maritime internationale tout comme l'Union européenne ont adopté les réglementations dédiées à la sécurité maritime qui viennent imposer des normes réglementaires aux bâtiments indépendamment de leur pavillon. Il en va ainsi, par exemple, de la convention MARPOL qui impose aux pétroliers une double coque.

Le récent procès de l'Erika a permis d'illustrer la nécessité pour la législation française de prendre en compte précisément le droit maritime international. C'est à ce prix que les Etats côtiers qui subissent les conséquences des catastrophes écologiques pourront continuer à revendiquer des compétences juridiques dans le traitement des affaires.

Les tensions suscitées par ces situations sont de nature à faire évoluer le droit maritime international dans le sens d'une nouvelle étape et d'un renforcement de la protection de l'environnement au bénéfice du littoral, mais également de la protection de la biodiversité en haute mer.

Le développement de la criminalité transnationale conduit également, on l'a vu, à remettre en question certains des aspects du droit maritime international.

La lutte contre le trafic de drogue a notamment souvent été pénalisée par les rigidités du droit maritime international. Car si l'article 108 de la Convention des Nations unies sur le droit de la mer consacre la nécessité de lutter contre le trafic illicite de stupéfiants, la convention elle-même se borne à consacrer la compétence exclusive de l'État du pavillon, laissant les Etats côtiers assez démunis devant le développement des trafics en mer.

Amendé en 1988 par la Convention de Vienne, la réglementation internationale demeure particulièrement contraignante sur ce point puisqu'elle n'autorise aucune intervention sur un bâtiment battant pavillon d'un État non partie au traité et sur un bâtiment n'arborant en apparence aucun pavillon.

C'est pourquoi des accords bilatéraux ou régionaux ont depuis essayé de contourner le principe de l'autorisation de l'État du pavillon pour intervenir et éviter ainsi le problème du droit de suite dans les eaux territoriales. C'est l'esprit de l'accord d'Aruba entre les Pays-Bas et les pays de la région des Caraïbes.

D'autres types de trafic ont suscité des adaptations de la convention des Nations unies sur le droit de la mer et apporté des nuances au principe de la liberté des mers, comme le protocole de Palerme contre le trafic illicite de migrants par terre, air et mer, signé le 15 novembre 2000, qui s'efforce de définir et de réprimer l'aide à l'entrée et au séjour irrégulier sur un territoire donné.

Il en va de même du développement de la piraterie et du recours croissant à des sociétés militaires privées.

Là encore, le droit maritime international, fruit d'un compromis entre les États côtiers et les États du pavillon, est aujourd'hui fortement sollicité par le développement de la piraterie et les difficultés à la fois pratiques mais aussi juridiques des États à assurer la protection des navires en mer et la répression des pirates.

Le droit maritime international limite en effet les capacités juridiques des Etats côtiers à lutter contre la piraterie et leur compétence pénale aux bâtiments naviguant sous leur pavillon.

Par ailleurs le recours à des sociétés militaires privées pose la question de leur responsabilité et n'a pas reçu jusqu'à présent de réponse très satisfaisante.

D'autres principes fondateurs du droit maritime international font l'objet de contestations de principe sinon de fait.

La volonté d'accaparement des ressources du sous-sol marin conduit certains Etats à contester le principe posé par la Convention de Montego Bay selon lequel les ressources situées au-delà des juridictions nationales appartiennent au patrimoine commun de l'humanité et sont à ce titre exploitées de manière collective.

Dans d'autres cas, c'est la liberté de circulation en mer et de libre passage dans les détroits qui est contestée dans des zones proches du littoral de certains Etats qui souhaiteraient exercer un contrôle absolu et pouvoir éventuellement opposer un déni d'accès à certains bâtiments commerciaux ou militaires.

Comme l'ensemble des ouvrages de droit, le droit maritime international est la résultante d'un compromis entre tradition juridique et rapports de force.

Or, précisément, ce qui frappe aujourd'hui les observateurs rencontrés par le groupe de travail c'est l'évolution du rapport de force sur les mers entre les pays occidentaux disposant d'une tradition marine établie et les pays émergents qui investissent massivement dans leur marine pour faire face à l'augmentation des menaces et des risques en mer, mais également pour affirmer leur nouvelle puissance sur les océans.

Page mise à jour le

Partager cette page