C. LA DÉMOCRATIE EN DANGER : LE RÔLE DES CITOYENS ET DE L'ETAT L'ÉTAT AUJOURD'HUI

L'Assemblée organise chaque année un débat sur la situation de la démocratie en Europe. La crise économique et financière et ses incidences politiques ont servi de fil conducteur lors de cette partie de session à ce débat. Deux sujets ont été spécifiquement abordés : le rôle de l'État dans ce contexte et l'utilisation du thème de l'immigration, économique ou politique au cours des campagnes électorales. Un rapport sur la montée de l'extrémisme populiste sur le continent n'a pu être présenté, faute d'accord sur ses conclusions au sein de la commission des questions politiques et de la démocratie.

1. La crise de la démocratie et le rôle de l'État dans l'Europe d'aujourd'hui

La crise financière n'a pas été, selon la commission des questions politiques et de la démocratie, sans incidence sur le fonctionnement des démocraties européennes. La confiance des citoyens est mise à mal par la difficulté constatée des États à juguler la dépression économique qui les affectent depuis quatre ans. Les démocraties européennes font aujourd'hui figure, aux yeux du rapporteur M. Andreas Gross (Suisse - SOC), de « post-démocraties » dans la mesure où, si elles garantissent l'égalité politique des citoyens, elles se trouvent dans l'impossibilité d'accomplir cet objectif au niveau supranational.

L'affaiblissement des Parlements et la concentration des pouvoirs aux mains de l'exécutif illustrent, selon la commission, cette situation. La montée en puissance des partis populistes en est le corollaire.

M. Jean-Pierre Michel (Haute-Saône) , intervenant au nom du groupe socialiste, a tenu à souligner la double peur qui saisit aujourd'hui les citoyens européens : celle de l'avenir et celle de l'étranger :

« Il existe un paradoxe dans la crise qui frappe l'Europe aujourd'hui. La déflagration financière a permis aux États de reprendre en main le domaine économique, mais je note aussi que ceux-ci agissent exclusivement encore dans l'intérêt des marchés, sans qu'une remise en question globale du système ait été opérée.

Il s'agit là d'une des principales menaces qui pèsent sur la démocratie en Europe. Nos États ne peuvent continuer à recapitaliser des acteurs pour partie responsables du marasme dans lequel est plongée la zone euro. Rappelons tout de même que de telles opérations ne sont pas sans incidence sur l'endettement de nos États et pèsent donc, inévitablement, sur nos concitoyens.

Je comprends donc leur défiance croissante à l'égard de l'Union européenne, chargée de coordonner ces politiques de renflouement. Celles-ci débouchent inévitablement sur des programmes d'austérité qui affectent leurs quotidiens. Je conçois que l'on puisse dire que nous ne pouvons vivre comme il y a trente ou quarante ans, je ne peux me résoudre néanmoins à ce que nos gouvernements affichent comme seul objectif à long terme le respect de critères financiers : déficit public, endettement, inflation au détriment des politiques sociales et de niveaux de vie.

L'euro était censé incarner la prospérité et préparer un avenir radieux, il devient aujourd'hui le symbole du moins-disant social et d'un futur incertain. Comment dès lors ne pas comprendre la réaction des électeurs dans le choix de l'alternance, voire pour certains de candidats hors système.

Nos concitoyens sont en quête de sens, malmenés par la mondialisation au quotidien et perdus dans un projet européen qui ne répond absolument pas à ce qui avait été annoncé au moment où ils y ont adhéré. Cette inquiétude se traduit et se transforme en peur. Cette peur, c'est la peur de l'étranger, c'est la peur des migrants, des réfugiés qui viendraient prendre le travail ou vivre par l'assistance.

La première réponse à la crise est, bien sûr, la croissance mais c'est aussi le combat contre l'utilisation des étrangers pour le vote populiste.

Sans relance économique, la crise perdurera et nos démocraties seront encore fragilisées. Nous devons donc réagir avec efficacité sur la croissance et la relance, tout en apaisant les tensions nationalistes et en luttant contre le repli sur soi.

Nous devons inciter les États membres à mieux intégrer les étrangers qui vivent chez eux, notamment en leur donnant le droit de vote aux élections locales lorsqu'ils résident légalement dans le pays depuis cinq ans . »

Pour M. Bernard Fournier (Loire - UMP) , la crise économique incite à repenser en profondeur le rôle de l'État et à définir de nouvelles modalités d'intervention :

« L'Union européenne, plus particulièrement la zone euro, est confrontée à une crise économique et financière sans précédent. Celle-ci a débouché sur de profondes remises en question politiques dans les pays les plus sévèrement touchés. Les quatre pays qui bénéficient aujourd'hui d'une aide financière de l'Union européenne et du Fonds monétaire international - la Grèce, l'Irlande, le Portugal et l'Espagne - ont ainsi changé de gouvernement. La France, l'Italie ou la Slovaquie, dont la notation de la dette souveraine a été dégradée, ont également connu des changements à la tête du pouvoir.

Si la crise n'explique pas tout, elle apparaît néanmoins comme un facteur nettement déstabilisant, et cela en dépit des efforts, souvent méritoires, menés par lesdits gouvernements pour tenter de résister à cette tourmente économique et financière et gérer au mieux les conséquences sociales qui en découlent.

L'alternance politique est souvent envisagée comme la seule et unique réponse à la crise économique par nos concitoyens. La vérité est cependant tout autre. On le voit, les changements d'équipes ne se traduisent pas inévitablement par des bouleversements en matière de politique économique, tant les fondamentaux à respecter demeurent les mêmes : réduction des déficits publics et de l'endettement, amélioration de la compétitivité, ouverture à de nouveaux marchés et poursuites des réformes structurelles, souvent impopulaires.

Cette crise révèle surtout la difficulté qui est la nôtre, hommes politiques et représentants du peuple, à faire comprendre à nos électeurs que nous changeons d'ère et que cela implique à la fois de nouveaux sacrifices, mais aussi de nouveaux partages de compétence.

Par nouveaux sacrifices, j'entends une forme de rupture avec les acquis de l'après Seconde Guerre mondiale et notamment la foi en un État providence, échappant aux règles économiques de base.

Si l'État doit intervenir aujourd'hui, c'est dans le domaine de la régulation. Dans le cas européen, ce nouveau rôle de l'État se combine avec un partage nécessaire de compétences jusque-là régaliennes.

Je me refuse en tout état de cause à qualifier de non démocratique le pacte budgétaire qui s'impose aux États membres de la zone euro. Il est le fruit d'une réflexion concertée entre gouvernements légitimes des États membres concernés et est en cours de ratification devant nos parlements. La mue de nos systèmes politiques respecte donc bien les canons de la démocratie.

De fait, si je m'associe aux observations d'Andreas Gross contenues dans son rapport, j'insiste également sur l'impérieux devoir qui est le nôtre à l'égard de nos concitoyens : celui de la clarté et de la franchise. Cessons de donner l'illusion que nous pouvons repartir comme avant. Ce n'est pas le passé qu'il convient de mettre en avant, mais bien l'avenir. »

Mme Josette Durrieu (Hautes-Pyrénées - SOC) a insisté sur la nécessité de créer de nouvelles conditions d'expression pour la démocratie :

« Ces deux journées de débat honorent l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe et je remercie infiniment les rapporteurs qui nous permettent, grâce à leur travail important, de discuter aujourd'hui de questions de fond.

Nous avons parlé hier de la crise et de l'austérité, et chacun a reconnu que les défis sont mondiaux et que la domination des marchés financiers porte atteinte aux droits sociaux de nos sociétés. On pourrait dire, paraphrasant La Fontaine dans Les Animaux malades de la peste , au sujet de nos États : ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés.

La jeunesse, surtout, est touchée, et c'est sans doute ce qui nous attriste le plus profondément. Mais la démocratie aussi, et point n'est besoin de rappeler que de tout temps les forces populistes se sont nourries du terreau de la crise. Incontestablement, les extrêmes, à droite comme à gauche, nous confrontent au risque du totalitarisme. La bête immonde est toujours là...

En France, en 2002, l'extrême droite était présente au deuxième tour de l'élection présidentielle. Cela n'a pas été le cas en 2012, mais elle a enregistré un nombre de voix encore plus important... Tout cela, bien sûr, est inquiétant.

On ne peut que souligner l'impuissance du politique quand il est obligé de faire appel à la technocratie, fût-elle d'une très grande compétence. Que ce soit en Grèce ou en Italie, la démocratie semble atteinte en son coeur.

Les citoyens marquent leur défiance par l'abstention, c'est un fait. Mais la citoyenneté a muté, comme en témoigne la vitalité des réseaux sociaux. Le rapporteur a raison de déclarer que la démocratie représentative est confrontée à des limites, mais nous avons senti en France une volonté de participation des citoyens. Elle est désordonnée et il faut lui donner satisfaction, ce que nous avons fait avec la mise en place des primaires au Parti socialiste. La notion de responsabilité est la clé. Je reste optimiste : il est possible encore de réenchanter le rêve démocratique. »

Afin de répondre à cette crise de légitimité qui affecte les États européens, le texte adopté par l'Assemblée insiste sur la nécessité de renforcer le rôle de l'État dans la sphère économique et sociale. Les pouvoirs publics sont ainsi invités à participer efficacement à la régulation du secteur bancaire, à améliorer la levée de l'impôt, mais aussi à accompagner la croissance économique. La résolution insiste également sur la nécessité de répondre au plus vite aux défis sociaux auxquels sont confrontés les États européens.

Au point de vue institutionnel, afin de remédier à la crise de légitimité que traversent les démocraties, la commission des questions politiques et de la démocratie invite les États à modifier leur législation en vue de faire participer les étrangers aux élections locales. Elle incite également au recours au referendum.

Le texte insiste enfin sur une révision de l'architecture institutionnelle de l'Union européenne avec l'adoption d'une constitution, élaborée par les peuples eux-mêmes et destinée à mettre en avant une Europe solide et forte.

2. L'utilisation des migrants et des réfugiés pendant les campagnes électorales

La commission des migrations, des réfugiés et des personnes déplacées a observé, à l'occasion des scrutins organisés ces derniers mois sur le continent européen, une utilisation de plus en plus fréquente du thème des migrants et des réfugiés dans les campagnes électorales. Migrants et réfugiés y sont présentés comme des menaces pour les valeurs, le mode de vie et l'identité des peuples. Aux yeux de la commission, une telle évolution du discours politique s'inscrit dans un mouvement de radicalisation des politiques publiques en matière migratoire, dans un contexte de remontée de la xénophobie et du racisme.

Le rapport présenté devant l'Assemblée parlementaire cible plusieurs facteurs contribuant au développement de sentiments hostiles aux migrants : la peur de l'avenir, le sentiment de perte de contrôle, les attentats terroristes, mais aussi l'activisme des partis populaires xénophobes. L'effondrement du marché de l'emploi et un sentiment d'insécurité diffus ne sont pas, non plus, sans conséquence.

La commission pointe, en outre, le rôle des médias et des nouvelles technologies dans la construction de l'image des migrants et de leurs descendants. Elle attire également l'attention sur le caractère biaisé de certaines enquêtes d'opinion qui ne mesurent pas les enjeux dans ce domaine.

La résolution adoptée par l'Assemblée invite les États membres à mettre en place une politique de communication sur la réalité des flux migratoires. Elle insiste sur la nécessaire réduction des entrées irrégulières et la mise en oeuvre d'une véritable aide au retour des migrants en situation irrégulière. Elle promeut également le développement de politiques d'accueil permettant aux migrants d'apprendre la langue locale, les coutumes et les lois du pays hôte.

L'Assemblée encourage les responsables politiques à assumer leurs responsabilités à l'occasion des débats sur les questions des migrations. Elle appelle au renforcement du rôle des commissions électorales en vue de sanctionner toute formation dont la conduite n'est pas jugée appropriée. Elle invite enfin médias et sondeurs à formuler plus exactement positions et questions sur ce sujet.

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