F. LA CRISE DE LA TRANSITION DÉMOCRATIQUE EN ÉGYPTE

La dissolution du parlement égyptien par le Conseil suprême des forces armées (CSFA) et l'élection à la présidence de la République du candidat des Frères musulmans a conduit la commission des questions politiques et de la démocratie à organiser un débat d'urgence sur la situation politique au sein de ce pays.

Le rapport présenté devant l'Assemblée rappelle au préalable l'importance de l'élection présidentielle qui vient de se dérouler, le nouveau chef de l'État étant le premier Président civil démocratiquement élu en Égypte. L'organisation du scrutin ne souffre, par ailleurs, d'aucune contestation d'envergure.

La victoire de Mohamed Morsi, représentant les Frères musulmans, vient confirmer la poussée islamiste enregistrée lors des élections des deux Chambres l'hiver dernier. La Cour constitutionnelle a néanmoins remis en cause la légitimité de ces scrutins le 14 juin 2012 en déclarant inconstitutionnelle l'élection d'un tiers des nouveaux députés. Compte tenu de ce jugement, le CSFA a décidé de dissoudre le Parlement, empêchant militairement l'accès à son bâtiment. L'armée s'est accordée, par l'intermédiaire d'un décret du CSFA, de larges pouvoirs jusqu'à l'adoption d'une nouvelle Constitution, processus auquel elle entend être partie prenante. Elle a réduit dans le même temps les prérogatives du nouveau Président. Le CSFA devra notamment approuver les choix qu'il effectuera pour composer son nouveau gouvernement.

Aux yeux de la commission des questions politiques, le nouveau chef de l'État est confronté à un double défi : rassurer d'un côté le mouvement révolutionnaire qui craint une transformation de l'Égypte en une République islamique et de l'autre tempérer les ambitions de l'armée qui tend à confisquer les objectifs de la révolution. Il s'agira de trouver rapidement un nouvel équilibre des pouvoirs. La résolution adoptée par l'Assemblée invite d'ailleurs la Commission européenne pour la démocratie par le droit, dite Commission de Venise, à apporter son expertise dans ce domaine.

Cet équilibre délicat à trouver entre l'armée et les Frères musulmans était au coeur des inquiétudes exprimées par M. Bernard Fournier (Loire -UMP) dans son intervention :

« Le scrutin présidentiel qui vient de prendre fin en Égypte n'a fait que confirmer les craintes qui se sont levées depuis quelques mois quant à l'avenir du pays. Ces derniers temps, la place Tahrir est de moins en moins le symbole de la rébellion et de l'espoir, et de plus en plus celui des illusions perdues et de la répression. Le deuxième tour des élections confirme cette impression d'un délitement de l'espérance révolutionnaire. Il opposait, d'un côté, un représentant des Frères musulmans, dont la doctrine politico-religieuse peut sembler à rebours des valeurs que nous défendons ici, et, de l'autre, un candidat conservateur, dont les références tiennent plus aux idéaux de l'ancien régime qu'à ceux des hérauts du printemps arabe en Égypte.

Mon pays connaît bien les réactions qui peuvent succéder aux révolutions. Entre la première et la deuxième République, un empereur et trois rois ont détenu le pouvoir. La démocratie s'impose rarement immédiatement. Je pensais cependant, un peu naïvement, qu'à l'heure de la mondialisation, la transition pourrait être un peu plus rapide. Il n'en est finalement rien.

L'Égypte dispose, en effet, aujourd'hui d'un chef d'État qui a multiplié, au cours de sa campagne, les références religieuses, souhaitant même la mise en place de la Charia. Une de ses premières déclarations a consisté à annoncer un changement d'alliance et un rétablissement des relations diplomatiques avec l'Iran, rompant ainsi avec une position conciliante à l'égard d'Israël. Le pouvoir législatif est, quant à lui, aux mains de l'armée depuis la dissolution du Parlement à la mi-juin. Le pouvoir judiciaire, de son côté, est encore exercé par des héritiers de l'époque Moubarak.

En résumant froidement la situation, les trois pouvoirs sont exercés par des hommes et femmes peu en phase avec les motivations initiales des révoltés de la place Tahrir. Nous pouvions craindre une forme d'anarchie et une certaine instabilité à la suite du départ de l'ancien président Moubarak. L'effervescence révolutionnaire a finalement débouché sur l'élection à la fonction suprême du numéro deux du parti dévot, mais dont le pouvoir sera forcément limité par le poids maintenu, pour ne pas dire consolidé, de l'armée et des juges de l'ancien régime.

Les inquiétudes à l'égard de la minorité copte, déjà fortes avant la chute de l'ancien régime, n'ont quant à elles pas disparu. Les coptes ne peuvent tirer aucun avantage de la tournure de la situation politique sur place. La crispation religieuse peut être tolérée par l'armée, qui y voit sans doute une menace moins dangereuse que l'arrivée au pouvoir de véritables démocrates.

Il n'y aurait rien de pire que de ne pas rester vigilants sur ce qui se passe au Caire. Notre Assemblée est extrêmement active en Tunisie et au Maroc. Nous devons également l'être en Égypte. Nous ne pouvons tolérer que les autorités de ce pays fassent taire le cri du peuple entendu en janvier 2011 et mène une purification religieuse - terme qui peut apparaître exagéré aujourd'hui, mais qui ne le sera peut-être plus dans quelques mois. »

Par ailleurs, le nouveau pouvoir doit impérativement adopter des réformes économiques de grande ampleur dans un contexte marqué par l'effondrement du tourisme, l'épuisement des réserves de change et la dérive des finances publiques.

Mme Maryvonne Blondin (Finistère - SOC) a d'ailleurs insisté sur le décalage entre les aspirations sociales des révoltés de la place Tahrir et leur traduction politique :

« Il y a un peu plus d'un an, le peuple égyptien et en particulier la jeunesse de ce pays, sont massivement descendus dans la rue pour demander la libéralisation du régime et la mise en place d'une véritable démocratie. La crise économique n'était pas seule à l'origine des manifestations. Au contraire, la révolution égyptienne a parfaitement révélé l'ampleur de la crise sociale et sociétale que traversait le pays : bref, une véritable crise d'avenir !

Mais, alors même que l'Égypte vient de porter pour la première fois à sa tête un civil au terme d'élections démocratiques, le bilan de la révolution apparaît mitigé. Nombreux sont ceux qui évoquent aujourd'hui en Europe l'idée d'une « révolution avortée ». Certes, Hosni Moubarak a quitté le pouvoir, mais l'armée reste, aujourd'hui encore, omniprésente dans la vie politique. Les militaires, par le truchement du Conseil suprême des forces armées, le CSFA, ont pris ces derniers mois des décisions politiques majeures, qui laissent planer des doutes sur la volonté d'instaurer un réel État de droit. La Constitution française, par exemple, interdit, en cas de vacance de la Présidence, de dissoudre le Parlement ou de prendre des mesures qui iraient au-delà de la simple expédition des affaires courantes ou du rétablissement du fonctionnement normal des pouvoirs publics.

On ne peut pas vraiment dire que les décisions du Conseil suprême des forces armées, ces dernières semaines, s'inscrivent dans un tel cadre !

Le résultat de l'élection présidentielle elle-même alimente de nouvelles inquiétudes. Le président élu est-il réellement représentatif ? S'il est vrai que les anciens occupants de la place Tahrir ne voulaient pas d'Ahmed Chafik, qui incarnait à leurs yeux le retour à la dictature, Mohamed Morsi n'est-il pas, de son côté, un choix par défaut ? C'est, à mon sens, ce que révèlent les appels au boycott avant le deuxième tour et l'abstention massive. Le triste enseignement de ce scrutin, c'est que seuls les candidats qui disposaient d'une machine électorale solide pouvaient réussir. Les héritiers de la révolution, peu organisés et expérimentés, n'avaient donc aucune chance.

L'Égypte est aujourd'hui à la croisée des chemins. Face à l'espoir d'ouvrir une nouvelle page de l'histoire égyptienne subsistent encore de nombreux doutes. Mohamed Morsi saura-t-il être le « Président de tous les Égyptiens » ? Quel poids auront les salafistes dans la définition du programme politique et social des Frères musulmans, qui pèsera probablement sur l'élaboration de la prochaine Constitution ? Un accord pourra-t-il être trouvé entre les Frères et l'armée, qui ne porte pas préjudice au peuple ?

Le Président a promis, au cours de sa campagne, de désigner trois vice-présidents : un copte, une femme et un jeune révolutionnaire. Le respect de cette promesse permettrait, à coup sûr, de dissiper certains doutes.

Quoi qu'il en soit, il est évident que la transition démocratique en Égypte sera encore longue. En effet, la démocratie peut, elle aussi, être considérée comme un « plébiscite de tous les jours ». Elle nécessite un engagement politique quotidien et une vigilance constante du peuple et de la communauté internationale. Ce n'est d'ailleurs pas pour rien que l'Assemblée parlementaire a mis en place la procédure de suivi. Aussi me paraît-il important que nous mettions à la disposition des Égyptiens la boîte à outils du Conseil de l'Europe, comme le suggère Jean-Charles Gardetto. Mais, l'engagement de notre Organisation auprès de l'Égypte ne devra pas s'arrêter une fois la nouvelle Constitution rédigée. A mon sens, notre action ne sera efficace et utile à l'Égypte que sur le long terme. »

Enfin, la question religieuse n'est pas non plus à mésestimer, tant il importe de savoir quelle place entend accorder le nouveau pouvoir exécutif à la Charia. Une attention particulière devra, en outre, être accordée à la situation des chrétiens résidant dans ce pays.

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