III. LA PRÉVENTION, ROUE DE SECOURS DE LA PROTECTION

Face au risque d'inondation, l'État se veut d'abord protecteur actif, des personnes et des biens, d'où l'importance, comme on vient de le voir, accordée à la prévision et la gestion de crise où il joue le premier rôle, les collectivités territoriales ayant surtout la fonction de financeurs et de supplétifs sur le terrain.

En matière de prévention, c'est l'inverse, l'essentiel de ce volet de la protection étant sous-traité, sous haute surveillance, il est vrai, aux collectivités territoriales. Une politique a minima , vise surtout à « empêcher » afin de réduire les dégâts, plutôt qu'à limiter l'occurrence des inondations par l'entretien des cours d'eau ou la construction d'ouvrages de protection. L'État se limite à fixer les contraintes urbanistiques, à inciter - en mobilisant une partie du fonds « Barnier » - à la réalisation d'aménagements, et laisse aux collectivités territoriales le soin de pallier les carences d'entretien des cours d'eau par les propriétaires riverains qui normalement en ont la charge.

A. L'ARME DE L'URBANISME

1. Identifier et mesurer le risque

La connaissance du risque relève historiquement de la responsabilité de l'État, qui dispose de l'ingénierie et de la légitimité lui permettant de remplir cette mission. Même tempérée pour cause de révision générale des politiques publiques (RGPP), cette affirmation reste vraie.

La directive européenne « inondations » de 2007 va dans ce sens en imposant aux États membres, à échéance du 22 décembre 2013, la réalisation d'une cartographie des zones inondables ainsi que des dommages potentiels. Ces cartes devront prévoir trois scénarii d'inondation (décennale, centennale et extrême) et indiquer les niveaux d'eau anticipés et la vitesse du courant. Les dommages seront exprimés selon trois indicateurs : le nombre d'habitants potentiellement touchés, les dommages économiques et patrimoniaux prévisibles et les conséquences sur l'environnement. Ces deux types de cartes feront l'objet d'un nouvel examen et, éventuellement, d'une redéfinition avant le 22 décembre 2019, puis tous les 6 ans.

On aura remarqué l'approche strictement technocratique du problème, toute possibilité de débat étant évacuée à ce niveau. L'État s'abrite derrière le caractère technique pour éluder la question. Pour lui et ses services « le risque et l'aléa ne se négocient pas ».

a) Le « porter à connaissance »

Cette question du partage de l'information en matière de risques prend tout son sens lors de l'élaboration des documents d'urbanisme par les collectivités territoriales puisque c'est l'État qui à la charge de mettre à disposition des autorités locales les connaissances techniques préalables à toute prise de décision. L'article L. 121-2 du code de l'urbanisme précise ainsi que « le préfet porte à la connaissance des communes ou de leurs groupements compétents les informations nécessaires à l'exercice de leurs compétences en matière d'urbanisme » et qu'il « fournit notamment les études techniques dont dispose l'État en matière de prévention des risques [...]. »

Cependant, comme le soulignait notre collègue, M. Alain Anziani, dans son rapport sur les conséquences de la tempête Xynthia 81 ( * ) , si cette obligation de « porter à connaissance » est, depuis 2007, devenue permanente, l'État étant tenu de communiquer tous les éléments dont il dispose dès qu'il en dispose sous peine d'engager sa responsabilité 82 ( * ) , dans la réalité cette obligation est loin d'être toujours respectée.

Exemple, l'absence de communication aux communes varoises avant la catastrophe de 2010 des atlas de zones inondables élaborés, à la demande de l'État, par le bureau d'études IPSEAU d'Aix-en-Provence ; les élus rencontrés par la mission en 2012, à une exception notable, ne connaissaient même pas leur existence. Ceci dit, s'ils les avaient connus, cela n'aurait pas changé grand-chose ! Mais l'anecdote vaut surtout comme témoignage du caractère « décalé » du terrain des procédures.

b) Partager la connaissance du risque et fixer clairement le niveau d'exigence en matière de protection

La mise à disposition des données sur le risque recueillies par les administrations demeure fondamentale, comme l'indique la circulaire du 20 juin 1988 portant sur la protection contre les risques naturels : c'est « l'État qui a pour mission de dire le risque. » Pour cela, toutes les sources sont à prendre.

D'apparence technique et neutre, l'appréciation du risque commande le choix de l'aléa de référence et donc les dispositions en matière d'urbanisme qui suivront. L'administration française fixe comme aléa de référence la plus forte crue connue ou la crue centennale si la première devait lui être inférieure. On verra que les Pays-Bas ont fait d'autres choix.

À partir de cet aléa de référence, le risque est apprécié en fonction de plusieurs paramètres : vitesse d'écoulement des eaux, débit du cours d'eau, hauteur des eaux, durée de la submersion, facteurs dont l'évaluation n'a pas la même évidence L'intensité et la conjonction de ces facteurs renforcent évidemment le risque encouru pour la population. Se pose donc la question du niveau de protection que la puissance publique veut assurer à la population et des aménagements qu'elle est prête à financer pour réaliser l'objectif qu'elle s'est ainsi fixé. Contrairement aux Pays-Bas, là encore, cet arbitrage relève d'une décision technique prise par les services administratifs et non d'un débat politique et démocratique devant les assemblées parlementaires, encore moins locales, comme dans d'autres pays. Il est pour le moins fâcheux, quoiqu'habituel, de substituer une décision bureaucratique, même de haut niveau, à ce qui relève fondamentalement du politique. D'autant plus qu'au final, il n'est pas certain que le niveau d'exigence en matière de protection en serait abaissé. Peut-être serait-il simplement mieux accepté.


* 81 Sénat - Rapport d'information n° 647 tome I (2009-2010) de M. Alain Anziani , « Xynthia : une culture du risque pour éviter de nouveaux drames », fait au nom de la mission commune d'information sur les conséquences de la tempête Xynthia, du 7 juillet 2010.

* 82 CE, 21 juin 2000, Commune de Roquebrune-Cap-Martin, n° 202058.

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