2. Protection du milieu aquatique versus protection des populations

Si la mission a rencontré des exemples d'ententes entre les responsables de la protection contre l'inondation et la police de l'eau, coopération aux résultats féconds, elle a noté aussi que parvenir à un accord demandait généralement beaucoup de temps et, du côté des EPCI en charge de la politique de prévention des inondations, des techniciens à la fois compétents et patients. Il faut dire qu'ils n'ont pas vraiment le choix.

Pour le reste, c'est surtout le conflit entre les élus et les agents de la police de l'eau qui domine, faute d'une clarification et d'une hiérarchisation des objectifs.

Comment est perçue la police de l'eau :

florilège de remarques et jugements recueillis par la mission

Var

Pour le maire de Trans-en-Provence, il faut recreuser le lit de la Nartuby de 20 cm car le moindre ruissellement fait déborder la rivière. « L'administration pointilleuse bloque pourtant les travaux par les multiples autorisations à solliciter. Le recreusement n'aurait rien changé en 2010 mais aurait eu un effet en 2011. »

Le maire de La Motte constate, elle, « que les particuliers ne sont pas sanctionnés pour les remblais qu'ils effectuent alors que les collectivités territoriales sont bloquées par l'autorité de police des eaux dans leurs travaux. Par exemple, les engins doivent intervenir depuis la berge et non dans le lit de la rivière », ce qui ralentit l'exécution des travaux et augmente leur coût.

Le maire de Barjols note que toute intervention sur le lit de la rivière qui traverse sa commune est « interdite en raison de la présence du gardon doré du Var. »

Les élus de la vallée du Gapeau signalent l'existence d'un problème « avec les gravières qui se répartissent en fonction de la crue. En application de la loi sur l'eau, on ne peut plus rien enlever sous peine de se voir dresser des contraventions de 5 000 à 10 000 euros. » Ainsi, bien que le lit de la rivière monte de 1 à 1,2 m à Solliès-Toucas, il est impossible de travailler dans les lits à cause de la préservation des espèces.

Les associations et les organisations professionnelles ne sont pas plus tendres.

Pour l'association des sinistrés de Draguignan, « la loi sur l'eau a imposé des cadres trop contraignants pour l'entretien des rivières. Il était auparavant possible d'aller chercher du gravier et du sable dans le lit des rivières, ce qui avait des effets vertueux. Non seulement on ne peut plus le faire, mais on doit laisser les arbres repousser, ce qui aggrave les crues en multipliant les phénomènes d'embâcles... »

Après avoir souligné le rôle extrêmement positif de l'armée et des services du conseil général des Alpes-Maritimes, venus se mettre à disposition des varois, l'association note que les engins sur place « auraient pu remettre la Nartuby dans son lit naturel dès le lendemain des inondations de juin 2010, mais l'ordre n'est jamais venu. C'est regrettable parce que la rivière s'est déplacée vers des zones friables, rabotant des terres agricoles dans la semaine qui a suivi, et il est désormais trop tard pour déplacer le lit nouvellement creusé. »

Pour les organismes agricoles que la mission a rencontrés à Fréjus « un des points les plus problématiques réside dans la police de l'eau. En effet, certains exploitants ont même été verbalisés pour avoir entretenu des berges, par exemple en taillant des arbres plongeants. Pourtant, leur seul but était d'éviter la formation d'embâcles. »

Pour le représentant de la chambre de commerce, la police de l'eau empêche de nettoyer les cours d'eau alors qu'il s'agit d'opérations coûteuses.

Gard

Le maire de Sommières s'étonne des « exigences surprenantes » de la police de l'eau qui impose la création de « passes à anguilles », au niveau des seuils - coût de 300 000 à 400 000 euros - alors que ces poissons passent par la terre pour remonter la rivière.

Seul le maire d'Anduze note que si des désaccords ponctuels persistent « une collaboration existe avec la police des eaux », rappelant que, par le passé, « des excès ont été commis. L'exploitation des gravières dans les cours d'eau a ainsi été excessive dans les Gardons, creusant le lit de plusieurs mètres de fond pour construire la Grande-Motte et Port-Camargue. »

Vaucluse

Le président du syndicat des digues et fossés de la Barthelasse appelle de ses voeux la reprise des travaux de dragage abandonnés depuis 25 ans afin de contrecarrer l'exhaussement du lit du Rhône et d'assurer le débroussaillage aux abords du fleuve, aujourd'hui envahis par la végétation. Ces travaux d'entretien, selon lui, limiteraient sensiblement le risque d'inondation.

En théorie pourtant, les objectifs des uns et des autres convergent. Comme le rappelait l'office national de l'eau et des milieux aquatiques (ONEMA), l'IRSTEA travaille actuellement sur le « ralentissement dynamique » des crues par des aménagements cherchant à freiner les écoulements avant leur arrivée dans le lit de la rivière, à mobiliser les capacités d'amortissement offertes par les débordements des crues dans le lit majeur et à stocker temporairement une partie des volumes de crue dans des ouvrages spécifiques. Dans ce cadre, les zones humides, outre leur valeur en termes de biodiversité, sont des écrêteurs de crues naturels.

Le syndicat mixte d'aménagement et de gestion équilibrée des Gardons (SMAGE) entend assurer une gestion globale des cours d'eau dont il a la charge. Il a ainsi, depuis 2005, assuré la maîtrise d'ouvrage du barrage de sur-stockage de Saint Geniès-de-Malgoirès, visité par la mission. La polyvalence de ses équipes lui permet aussi d'assurer l'entretien des deux Gardons, les missions de prévention des inondations, de protection du milieu aquatique et de gestion de la ressource en eau, sous un angle quantitatif et qualitatif.

Comme le notait aussi Mme Véronique Desagher, animatrice du réseau régional des gestionnaires des milieux aquatiques au sein de l'Agence régionale PACA pour l'environnement (ARPE), des syndicats mixtes, fondés à l'origine pour la gestion des crues, se sont progressivement ouverts aux problématiques environnementales qui y sont liées.

La gestion des Gardons : l'exemplarité du syndicat mixte

Affluent du Rhône, le Gardon prend sa source dans les hautes Cévennes. À l'amont de la commune de Ners, les deux Gardons - celui d'Alès et celui d'Anduze - se rejoignent pour former un seul cours d'eau jusqu'à la confluence au niveau de Vallabrègues. Son bassin versant, dans son ampleur maximale, couvre près de 170 communes, dont 130 sont directement dans le coeur du bassin.

Un syndicat mixte, regroupant le département du Gard, des communes et des groupements de communes (syndicats mixtes ou intercommunaux), assure la gestion du cours d'eau. Il compte actuellement 37 membres, représentant ainsi 118 communes, à l'exception notable de l'agglomération alésienne.

Le SMAGE a constitué une équipe administrative et technique qui lui permet de disposer, avec ses 16 agents, d'une expertise interne. Pour la prévention des inondations, pour laquelle il a compétence, une cellule a été constituée autour de 2 ingénieurs chargés de la gestion du PAPI et de la préparation des projets. Pour le suivi, ils sont alors relayés par une autre cellule dédiée aux travaux et aux études.

Le syndicat mixte a également mené une politique volontariste en matière d'entretien des cours d'eau. À cet effet, une brigade verte, pouvant compter sur 6,5 ETPT - soit un budget annuel de l'ordre de 290 000 euros -, assure le suivi des tronçons sensibles des cours d'eau et les entretiens légers. Au besoin, le syndicat mixte a recours à des prestataires privés pour des interventions mécaniques plus lourdes. Pour 2012, l'enveloppe financière des ces marchés publics s'élève ainsi à 160 000 euros auxquels il convient d'ajouter 80 000 euros pour le retrait d'embâcles (à la suite de crues) et 150 000 euros pour des interventions sur les atterrissements. Cet exemple montre une nouvelle fois que le coût financier est donc certain pour les collectivités territoriales alors même que l'entretien des cours d'eau relève, rappelons-le, juridiquement de la responsabilité des propriétaires riverains.

Le syndicat mixte dispose enfin d'un schéma d'aménagement et de gestion de l'eau (SAGE) - en cours de révision - et d'un contrat de rivière. Dans l'esprit d'une gestion intégrée du cours d'eau, le syndicat mixte s'est engagé dans une meilleure articulation des documents de planification et des organes de consultation. La commission locale de l'eau, instaurée dès 1994, dans la cadre du SAGE, fait désormais office de comité de rivière. De même, le nouveau SAGE devrait reprendre, dans son volet inondations, le PAPI (seconde génération) en cours d'élaboration.

Le SMAGE est ainsi l'exemple d'une gestion globale et réussie d'un cours d'eau avec des interventions conciliant protection de l'environnement et prévention des inondations avec, de surcroît, un périmètre géographique large et cohérent. Il marque une réussite grâce à l'engagement constant des collectivités gardoises.

Ceci rappelé par honnêteté intellectuelle, si des exemples de conciliation facile des objectifs de protection du milieu aquatique et de protection des populations, des exemples de coopération paisible de ceux qui en ont la charge, existent, dans la majorité des cas, c'est le conflit qui domine.

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