2. Le renforcement des missions répressives et des pouvoirs judiciaires

Au-delà du renforcement des actions de « tranquillité publique », les missions des agents de polices municipales ont tendance à se rapprocher de celles des forces nationales , en se « judiciarisant ». Comme le souligne l'un des maires ayant répondu à la consultation : « Dans le domaine judiciaire, l'évolution a été exponentielle ces dernières années ».

Les pouvoirs de police judiciaires des agents de police municipale

Les agents de police municipale possèdent un ensemble de prérogatives définies par les articles 21 et 21-2 du code de procédure pénale et qui les placent, dans la chaîne judiciaire, sous l'autorité des officiers de police judiciaires (OPJ) (et à un rang inférieur aux agents de police judiciaire ou APJ) des forces de sécurité nationales. Ils doivent ainsi :

- seconder, dans l'exercice de leurs fonctions, les officiers de police judiciaire ;

- rendre compte à leurs chefs hiérarchiques de tous crimes, délits ou contraventions dont ils ont connaissance ;

- constater, en se conformant aux ordres de leurs chefs, les infractions à la loi pénale et recueillir tous les renseignements en vue de découvrir les auteurs de ces infractions, le tout dans le cadre et dans les formes prévues par les lois organiques ou spéciales qui leur sont propres ;

- constater par procès-verbal les contraventions aux dispositions du code de la route dont la liste est fixée par décret en Conseil d'État. Lorsqu'ils constatent une infraction par procès-verbal, les agents de police judiciaire adjoints peuvent recueillir les éventuelles observations du contrevenant.

Sans préjudice de l'obligation de rendre compte au maire qu'ils tiennent de l'article 21, les agents de police municipale rendent compte immédiatement à tout officier de police judiciaire de la police nationale ou de la gendarmerie nationale territorialement compétent de tous crimes, délits ou contraventions dont ils ont connaissance. Ils adressent sans délai leurs rapports et procès-verbaux simultanément au maire et, par l'intermédiaire des officiers de police judiciaire mentionnés à l'alinéa précédent, au procureur de la République.

Enfin, les agents de police municipale ont, comme tout citoyen, qualité pour appréhender l'auteur « de crime flagrant ou de délit flagrant puni d'une peine d'emprisonnement » (article 73 du code de procédure pénale). Ils ne peuvent cependant retenir la personne prise en flagrant délit que le temps nécessaire pour la présenter à un officier de police judiciaire de la police ou de la gendarmerie nationales.

Ainsi, les agents de police municipale ne peuvent en principe mener des investigations ni des enquêtes, prérogative des agents des forces nationales . Les procès-verbaux qu'ils peuvent dresser ne concernent qu'un nombre limité de contraventions prévues par décret : ordinairement (et obligatoirement en matière de crime et délits), les écrits des policiers municipaux doivent prendre la forme moins solennelle du rapport. Les policiers municipaux ne peuvent pas non plus recueillir par procès-verbal les déclarations des personnes pouvant leur fournir des indices, preuves et renseignements sur les auteurs et complices des infractions. Le cas échéant, ils doivent transmettre leur rapport à l'officier du ministère public ou au procureur, qui l'envoie à la gendarmerie ou à la police nationale pour audition du contrevenant, avant le retour au parquet qui classe ou poursuit.

Ainsi, s'il arrive souvent aux policiers municipaux d'être à l'origine d'enquêtes lorsqu'ils constatent des infractions à la loi pénale, ils doivent toujours « passer le témoin » aux forces de sécurité nationale lorsque la répression de ces infractions suppose des actes d'investigation.

Dans la même logique, les pouvoirs d'interpellation dont disposent les policiers municipaux se limitent à ceux que possèdent tous les citoyens en vertu de l'article 73 du code de procédure pénale. Ils doivent immédiatement avertir un OPJ de toute interpellation et perdent toute compétence dès lors que la personne interpellée a été remise aux forces de sécurité de l'Etat.

Cette évolution accompagne un infléchissement des missions vers davantage d'interventions et de répression . Au sein de certaines polices municipales, l'accent est ainsi mis de manière croissante sur la verbalisation, les flagrants délits, les interpellations suivies de mises à disposition de la police nationale ou de la gendarmerie. Il s'agit avant tout de faire appliquer les lois et de combattre vigoureusement la délinquance de voie publique :

-Les policiers municipaux sont incités à constater les infractions qu'ils peuvent être amenés à remarquer « lors de leurs missions d'îlotage ou de surveillance générale de la voie publique » 15 ( * ) , afin de mettre à disposition de la police nationale et de la gendarmerie leurs auteurs : il s'agit en particulier des nouveaux délits créés par le législateur pour atteindre indirectement des faits difficiles à incriminer en eux-mêmes: racolage passif, mendicité agressive, occupation de halls d'immeuble et de terrains, ou encore lutte contre les chiens dangereux. Les policiers municipaux sont ainsi amenés, dans certaines communes, à effectuer de nombreuses interpellations suivies de mises à dispositions de la police nationale ;

- En matière d'infractions routières, les policiers municipaux ont progressivement acquis une palette très large de prérogatives : ils peuvent retirer des points de permis, immobiliser un véhicule, le faire mettre en fourrière, effectuer un relevé d'identité (pour les contraventions de leur champ de compétence), demander aux agents des forces nationales la consultation de certains fichiers, dépister l'imprégnation alcoolique, suspendre le permis de conduire et, bien entendu, infliger une amende. Ces missions étaient auparavant celles des forces de sécurité nationales et les représentants des policiers municipaux insistent sur les dangers qu'elles peuvent présenter, par exemple lorsqu'une infraction routière est commise par une personne recherchée pour des faits de délinquance grave. Il est d'ailleurs paradoxal que, dans ce domaine, les forces nationales se déchargent parfois sur les policiers municipaux de missions jugées peu valorisantes, tout en étant réticentes à mettre à leur disposition certains outils au motif, précisément, que leur utilisation suppose davantage de pouvoirs judiciaires (cf. ci-dessous la question des fichiers) ;

- Dans le cadre des conventions de coordinations, certaines polices municipales interviennent fréquemment en soutien des forces de sécurité nationale ;

- L'accent mis sur la vidéosurveillance (cf. ci-dessous) peut également avoir pour conséquence de « judiciariser » les missions de la police municipale .

La vidéosurveillance, pivot de la coopération
entre les polices municipales et les forces nationales

Vos rapporteurs ont pu constater à quel point la vidéosurveillance était devenue un passage quasi obligé pour une politique de sécurité locale se voulant dynamique . Parmi les communes ayant une police municipale, 40 % se sont dotées ou bien ont le projet de se doter de vidéosurveillance 16 ( * ) .

Lorsque sa mise en place a été soigneusement élaborée, que des outils complémentaires (cartographie de la délinquance, géolocalisation) on été mis en place et que son efficacité fait l'objet d'évaluations, la vidéosurveillance peut constituer un élément structurant de la « coproduction de sécurité » entre les polices municipales et la police nationale , en particulier dans certaines zones urbaines connaissant un taux élevé de délinquance. La présence d'un agent de la police nationale au sein du centre de supervision urbaine ou l'établissement d'une liaison directe avec le commissariat permettent alors d'assurer une bonne communication entre les polices municipales et les forces nationales, et d'adapter au mieux les interventions des unes et des autres au type de délinquance le plus fréquemment rencontrée sur un territoire donné.

D'ailleurs, les responsables de police municipale interrogés par vos rapporteurs lors de leur déplacement, autant que ceux des forces nationales, ont tous insisté sur le fait que les enquêtes menées par la police et par la gendarmerie débutaient désormais quasi systématiquement par la réquisition des éventuelles images de la voie publique tournées par les caméras susceptibles d'avoir filmé l'infraction. Dans ce contexte, il est nécessaire que les responsables de la police municipale s'attachent à bien définir la coopération avec les forces nationales afin que la vidéosurveillance ne devienne pas une simple prestation offerte par la commune à l'Etat.

Parallèlement, force est de constater que l'extension de la vidéosurveillance contribue à la « judiciarisation » des polices municipales . En effet, l'installation d'un système de vidéosurveillance comporte deux objectifs principaux : d'une part la prévention des infractions, d'autre part l'élucidation de celles qui sont commises dans le champ des caméras. Si le premier aspect renvoie à la dimension préventive de la police municipale, le second suppose en principe la réalisation d'une enquête policière et judiciaire menée après que les faits ont été constatés, et donc l'intervention des forces nationales. Mais le simple fait que des actes de délinquance se déroulent sous le regard des caméras de la police municipale implique davantage celle-ci dans le traitement judiciaire de la délinquance.

Certes, les responsables interrogés tiennent à souligner que la vidéosurveillance n'est qu'un moyen parmi d'autres pour assurer la tranquillité publique, dans une logique de complémentarité plus que de substitution. Toutefois, sans qu'il soit possible d'établir une corrélation rigoureuse entre ces deux évolutions, il semble aussi que le développement de cette technologie puisse être l'occasion de diminuer les effectifs présents sur la voie publique.

Cette évolution vers davantage d'intervention, de répression et de travail judiciaire n'est pas toujours voulue . Elle semble en effet souvent résulter de ce que de nombreux maires perçoivent comme une volonté des forces nationales de se décharger de plus en plus sur les polices municipales de certaines de leurs missions. Ainsi, selon le maire de ville moyenne, les agents de la police nationale demandent désormais souvent aux personnes qui les contactent pour des troubles de voisinage, dont il est difficile d'évaluer la gravité a priori , de contacter la police municipale. En outre, les policiers nationaux demandent aux agents municipaux de compléter leur dispositif lorsqu'ils interviennent à l'aube pour effectuer des interpellations dans certains quartiers.

Il arrive enfin que le procureur de la République réquisitionne les policiers municipaux pour des missions proches de celles des forces nationales, allant jusqu'à des saisies de produits stupéfiants.


* 15 Circulaire du ministère de l'intérieur du 26 mai 2003 relative aux compétences des polices municipales.

* 16 Réponses au questionnaire envoyé aux maires des communes dotées d'une police municipale.

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