CONCLUSION

Qu'attend-on d'un investissement ? Tout d'abord, qu'il prépare l'avenir. Sous cet angle, la sécurité civile paraît relativement bien armée. Confrontée à une grande diversité de risques et de situations, elle dispose aujourd'hui d'équipements modernes ou en cours de modernisation. L'effort d'adaptation est continu et il a jusqu'à présent porté ses fruits. La contrainte budgétaire se fera certes sentir de manière croissante dans les années à venir, mais le socle existant comme la culture des personnels dans leur ensemble (Etat et SDIS) doivent permettre d'y faire face.

Que demande-t-on à la dépense d'investissement ? D'être ciblée au plus juste, pour assurer une allocation optimale des crédits. De ce point de vue, des marges de progression existent incontestablement dans le domaine de la sécurité civile. Un pilotage trop distendu, un équilibre précaire entre le financement d'Etat et celui assumé par les collectivités territoriales (notamment les départements), des habitudes d'achat insuffisamment tournées vers la mutualisation des moyens... Autant de facteurs freinant la recherche d'économies. Dans un souci de préservation de la ressource budgétaire, il convient aujourd'hui de conforter au coeur de la logique d'investissement un principe simple de responsabilisation : « le payeur doit aussi être (au moins en partie) le décideur ».

EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le 10 octobre 2012, sous la présidence de M. Jean-Pierre Caffet, vice-président, la commission a entendu une communication de M. Dominique de Legge, rapporteur spécial, sur les investissements de la sécurité civile.

M. Dominique de Legge , rapporteur spécial . - La mission « Sécurité civile » fait partie des missions régaliennes de l'Etat. On peut toutefois s'interroger sur la réalité de son engagement par rapport aux différents acteurs pour mener à bien cet objectif au coeur de la vie de nos concitoyens. Les autorisations de dépenses d'investissement pour la mission sécurité civile s'élèvent, dans la loi de finances pour 2012, à 45,8 millions d'euros. Ce montant doit être mis en perspective des budgets prévisionnels des SDIS pour 2011 qui faisaient apparaitre une dépense totale de 1,216 milliard d'euros en section d'investissement (sur un total de 5,5 milliards d'euros). Comme vous le savez, la loi du 3 mai 1996 relative aux services d'incendie et de secours (les SDIS) a constitué une étape clé dans l'évolution de l'organisation de ces services. Au terme de maintenant un peu plus de dix ans d'application de ce texte, il m'est apparu nécessaire de tirer un bilan. Quel est le processus de pilotage de cet investissement ? Qui décide ? Qui paye ? Et quels sont les grands axes de cette politique ?

A première vue l'on pourrait penser que la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC) occupe une position centrale dans le processus d'élaboration des investissements et leur orientation. Pour autant, au regard des moyens dont elle dispose, elle pèse peu et son rôle d'animation, de conseil ou d'orientation se trouve considérablement réduit. A défaut de moyens financiers, la DGSCGC pourrait utilement s'investir dans un travail d'incitation à la mutualisation et s'intéresser de plus près à la norme, qui devient souvent un prétexte pour justifier l'explosion des dépenses.

Le schéma départemental d'analyse et de couverture des risques (SDACR) est insuffisamment exploité. En théorie largement à la main du préfet, il devrait orienter les choix d'investissement. En pratique, le représentant de l'Etat ne dispose pas de l'ingénierie nécessaire pour orienter utilement la conception de ce document. Par ailleurs les investissements étant assurés par les SDIS, c'est-à-dire par les conseils généraux, le Préfet est mal à l'aise pour peser sur les choix. Après une période de fortes dépenses dans les années 2000, les directeurs des SDIS sont désormais conscients des contraintes pesant sur les conseils généraux. D'une façon générale, il apparaît que la DGSCGC, en liaison avec les préfets de région, pourrait utilement servir de lien et de relais entre les départements d'une même région afin de rationaliser les choix et de s'assurer tout à la fois de la mutualisation d'équipements dont la pertinence au niveau départemental ne se justifie pas et de l'adéquation des moyens aux objectifs. La consolidation des SDACR au niveau régional sous l'autorité du préfet de région permettrait d'atteindre cet objectif.

Le rôle du fonds d'aide à l'investissement (FAI), levier principal de l'Etat dans ce domaine, tend à s'amenuiser depuis sa création. Initialement fixée à 45 millions d'euros en 2003 et ayant connu un pic en 2005, la dotation de ce fonds pour 2012 n'est plus que de 18,36 millions d'euros, soit une division par trois en cinq ans. Par comparaison avec les 1,2 milliard d'investissement des SDIS, cette somme représente à peine 1,5 % de leurs dépenses d'investissement et invite à s'interroger sur son effet levier et par voie de conséquence sur le devenir de ce fonds. Les critères d'attribution méritent aussi d'être précisés. Je propose dans cette perspective de repenser l'emploi de ces crédits avec un objectif de plus grande efficacité. Il s'agirait notamment d'utiliser l'effet de levier pour encourager des redéploiements en faveur d'une plus grande mutualisation des achats réalisés par les SDIS et de projets interdépartementaux. La mise en place d'une consolidation régionale des SDACR, évoquée plus haut, y contribuerait.

Parmi les projets financés par le FAI, Antares demeure un sujet problématique. Ce système d'information et de communication dédié aux forces concourant à la sécurité civile sur le territoire renvoie à une ambition nationale, mais aussi à un projet en réalité non pleinement partagé par les acteurs locaux : police, gendarmerie, SDIS, SAMU. Au final, la charge d'investissement (147,5 millions d'euros), comme celle du fonctionnement (estimée à 54,9 millions d'euros), pèse majoritairement sur les seuls SDIS, et par contrecoup, sur les collectivités (notamment le département) tandis que la police et le SAMU ne sont pas ou peu sollicités. Je souligne en outre le problème posé par l'inadaptation actuelle de ce matériel aux avions de la sécurité civile : Antares ne fonctionne pas dans les airs ! Le ministère doit impérativement prendre les mesures qui s'imposent pour remédier à cette impasse opérationnelle difficilement compréhensible.

En elle-même d'ailleurs, la flotte aérienne de la sécurité civile représente un enjeu budgétaire majeur. Axée sur une stratégie dite de « guet aérien » afin de lutter contre les feux de forêt, cette flotte doit connaître un renouvellement à court terme de l'une de ses composantes : les Trackers. Ces appareils vont arriver en fin de vie à partir de 2016. Les scénarios envisagés font apparaitre un besoin de financement variant de 60 millions d'euros à 160 millions d'euros. La solution apparemment privilégiée aujourd'hui par le ministère s'oriente vers un remplacement des Trackers par une flottille de petits appareils, des Air Tractors, pour un coût de renouvellement de l'ordre de 60 à 80 millions d'euros. A cet égard, je veux insister sur la nécessité de procéder à une évaluation pragmatique du rapport entre le coût de l'investissement, la dangerosité du risque « feu de forêt » et l'intérêt économique. Faut-il nécessairement attaquer tous les feux de forêt naissant, alors que certains d'entre eux ne présentent qu'un faible risque dont l'origine est bien souvent l'absence d'entretien de la garrigue... En tout état de cause l'appréciation sur l'opportunité d'intervenir ne peut se faire indépendamment des acteurs locaux. L'autre question, s'agissant des moyens aériens de la sécurité civile, réside dans le projet de délocalisation de la base de Marignane. Ici, l'enjeu renvoie à une couverture optimale de la zone des feux dans un contexte d'évolution climatique à moyen et long terme. Un déménagement de la base aérienne de la sécurité civile vers Nîmes est aujourd'hui privilégié.

L'investissement en matière de sécurité civile est aussi un investissement dans les personnels. La départementalisation des SDIS s'est accompagnée d'ouvertures d'écoles départementales. Ces écoles répondent à un besoin qui, pour les sapeurs-pompiers volontaires, appelle une réponse de proximité. Pour autant, la politique de formation des personnels doit s'orienter vers un effort accru de rationalisation et de mutualisation des moyens entre les écoles départementales et avec l'école nationale supérieure des officiers sapeurs-pompiers (ENSOSP). Il s'agit là d'un enjeu important en vue de contenir la charge d'investissement et d'éviter d'éventuelles surcapacités de formation.

La sécurité civile ne doit par ailleurs plus faire l'économie d'une réflexion sur un recentrage nécessaire de ses missions, afin de desserrer la contrainte d'investissement. Je pense en particulier à la notion de secours à personne, qui recouvre aujourd'hui des réalités très diversifiées allant du feu aux accidents sur la voie publique en passant par des missions sanitaires et sociales. Une meilleure répartition des tâches doit être imaginée entre les SDIS et les SAMU, notamment dans les cas de carence hospitalière. Revient-il véritablement aux pompiers de jouer le rôle d'un « SAMU social bis » auprès de sans domicile fixe par exemple ? L'augmentation considérable (+ 36,2 % entre 2002 et 2010) du secours à personne impacte significativement l'orientation et les besoins d'investissement des SDIS. Parmi ces dépenses, la mise en place de centres d'appels communs aux SDIS et aux SAMU constitue assurément une source de gains potentiels importants.

Plus généralement, les efforts de mutualisation des achats des SDIS commencent à porter leurs fruits. Progressivement se diffuse un « réflexe mutualisation », notamment sous l'impulsion de l'Union des groupements d'achats publics (UGAP). La DGSCGC gagnerait à développer son rôle de prescription et de conseil dans ce domaine qui doit être encore approfondi par les SDIS.

En conclusion, la sécurité civile dispose aujourd'hui d'équipements modernes, ou en cours de modernisation, pour faire face à une grande diversité de risques et de situations. L'effort d'adaptation est continu et il a jusqu'à présent porté ses fruits. Pour autant, la contrainte budgétaire se fait sentir de manière croissante, que ce soit pour l'Etat ou les collectivités territoriales. Aussi, dans un souci de préservation de la ressource budgétaire, me parait-il nécessaire de conforter aujourd'hui, au coeur de la logique d'investissement, un principe simple de responsabilisation : « le prescripteur doit aussi être (au moins en partie) le financeur ».

M. Jean-Pierre Caffet , président. - Merci, M. le rapporteur spécial, pour ce contrôle budgétaire qui intéresse, j'en suis certain, tous nos collègues au plus haut point.

M. Philippe Adnot . - Je partage l'avis de Dominique de Legge : toutes les sorties des pompiers ne sont en effet peut-être pas toujours bien calibrées. Par ailleurs, le prescripteur de la dépense doit en être le payeur, sinon la demande tend à un maximum. Pour ce qui est du SDACR, ses objectifs doivent être considérés comme un optimum et non comme un impératif absolu. J'insiste sur le fait que le payeur doit être le décideur. Antares a contribué à augmenter la dépense alors qu'il ne fonctionne ni dans les airs, ni au coeur des feux.

La mutualisation est aussi à l'origine de dépenses supplémentaires car chacun est en demande de particularités propres lors de l'achat d'équipement. Afin d'éviter cette dérive, il convient de définir en amont le matériel et ensuite d'en proposer l'achat aux SDIS concernés.

La maîtrise de la dépense n'existe pas et pour y parvenir il faudrait intégrer d'avantage les services des SDIS dans ceux du département. Je pense en particulier aux services informatiques et immobiliers. Les pompiers expriment en effet toujours un besoin maximal, parfois loin de l'optimum.

M. Jean-Paul Emorine . - A propos des écoles de formation, je veux insister sur le caractère incontournable de la formation, en particulier pour les jeunes sapeurs-pompiers. Mais on n'est pas obligé de construire de nouveaux bâtiments pour y accueillir les modules : on peut utiliser à moindre frais les collèges, le samedi par exemple. Les directeurs de SDIS sont pragmatiques.

Actuellement, la dotation d'Etat transite par les communes pour aller vers les SDIS. Ce circuit responsabilise le maire, mais on pourrait le simplifier.

M. Dominique de Legge . - Je suis d'accord avec Philippe Adnot en ce qui concerne la mutualisation : on est plutôt dans du groupement d'achats. S'agissant de la maîtrise des dépenses, les colonels des SDIS sont conscients de cet impératif et ils ont désormais atteint un niveau d'équipement élevé pour leurs services. Certains exemples doivent être mis en avant. Je pense en particulier au SDIS de l'Aveyron qui, plutôt que d'acheter un équipement neuf, a préféré se tourner vers l'acquisition de la citerne d'une coopérative laitière.

La DGSCGC devrait jouer un rôle de régulateur en matière de normes par rapport aux SDIS, qui font pression sur le conseil général. Dans le domaine de la formation, il me semble important de distinguer la nécessité de former les personnels et l'équipement des plateaux techniques (qui permettent par exemple l'entraînement à la lutte contre le feu). Ces équipements sont nécessaires mais ils ne doivent pas forcément s'accompagner de lieux de restauration et de couchage.

S'agissant du financement des SDIS par les communes et les départements, la charge s'est inversée entre ces collectivités au cours de la décennie passée. Désormais, les départements financent majoritairement les SDIS.

M. Philippe Adnot . - Sur ce point, il faut rappeler que ce financement s'opère à partir d'une enveloppe et qu'à l'intérieur de celle-ci, il est possible de faire varier la participation de la commune, en fonction par exemple de l'évolution de sa richesse.

Mme Catherine Troendle . - En tant que rapporteure pour avis de la mission « Sécurité civile » pour la commission des Lois, j'ai fait un point plus particulier l'an dernier sur les dépenses de fonctionnement de la sécurité civile, et notamment celles de l'ENSOSP. On se concentre de plus en plus sur l'investissement au sein de cette mission et le fonctionnement tend à devenir portion congrue. On parvient à sanctuariser les dépenses de fonctionnement actuelles grâce à ce que verse l'Etat, mais on n'arrivera pas à aller au-delà.

M. Jean-Pierre Caffet , président . - Je remercie Dominique de Legge pour ce rapport particulièrement intéressant et éclairant sur les enjeux de l'investissement dans le domaine de la sécurité civile. Peut-être votre prochaine mission de contrôle pourrait-elle porter l'année prochaine sur les dépenses de fonctionnement des SDIS ?

A l'issue de ce débat, la commission, à l'unanimité, a donné acte de sa communication à M. Dominique de Legge, rapporteur spécial, et en a autorisé la publication sous la forme d'un rapport d'information.

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