C. RESTAURER LE RÔLE CENTRAL DE L'OFPRA EN CONFORTANT L'AUTORITÉ DE SES DÉCISIONS

Vos rapporteurs ont pu constater au cours de leurs travaux que, pour un ensemble de raisons tenant notamment à un taux d'accord modeste combiné à l'exercice d'une tutelle par le ministère de l'Intérieur, les décisions prises par l'OFPRA souffraient d'un déficit de légitimité et de crédibilité qui permettait d'expliquer en partie le fort taux de recours devant la CNDA. Ce constat donnerait même lieu, de la part de certains demandeurs d'asile, à des stratégies d'évitement de l'OFPRA, les conduisant à produire l'ensemble des éléments relatifs à leur demande au seul stade de la CNDA.

Vos rapporteurs considèrent que cet état de fait est dommageable : le système d'examen des demandes d'asile en France doit reposer avant tout sur l'OFPRA, établissement public spécialisé et doté de compétences et d'une expertise reconnues. S'il est nécessaire que les décisions prises par ce dernier puissent être contestées devant une juridiction, celle-ci ne saurait se substituer à l'organe administratif auquel incombe, en premier lieu, la charge de se prononcer sur les demandes d'asile formulées sur notre territoire.

C'est la raison pour laquelle, au-delà du changement de tutelle de l'établissement (voir supra ), vos rapporteurs ont souhaité formuler un ensemble de propositions propres à conforter la légitimité et la crédibilité des décisions de l'OFPRA.

A cet égard, ils observent que les Britanniques se sont lancés dans une démarche similaire tendant à renforcer la qualité et la légitimité des décisions de l'UK Border Agency (UKBA) et, ainsi, à faire diminuer le taux de recours et le taux d'annulation de ces décisions, qui, comme en France, est élevé (autour de 26% d'après les informations recueillies par vos rapporteurs). Un dispositif appelé « early legal advice » est ainsi actuellement expérimenté dans deux régions de ce pays et se traduit, pour l'essentiel, par une plus grande place accordée à l'avocat dès les premiers stades de la procédure.

En France, une telle démarche passerait, avant tout, par une redéfinition des modalités de l'entretien.

1. Permettre à un tiers habilité d'assister à l'entretien

Vos rapporteurs ont pu le constater lors de leur visite dans les locaux de l'OFPRA, l'entretien peut être un moment déroutant, voire éprouvant, pour les demandeurs d'asile.

Seul face à l'officier de protection et l'interprète, le demandeur peut être intimidé, ne pas comprendre les questions qui lui sont posées ou craindre de donner certaines informations - même si l'officier de protection est tenu de lui rappeler en début d'entretien le caractère confidentiel de celui-ci.

Pour briser cette solitude et mettre le demandeur en confiance, vos rapporteurs proposent de permettre à un tiers habilité d'assister à l'entretien aux côtés du demandeur .

Une telle présence devrait être conçue comme une aide bienveillante pour le demandeur, non comme un élément essentiel du contradictoire qui, s'agissant d'une procédure administrative, ne se justifie pas. Il s'agirait, comme l'indique la Cimade dans son rapport précité « Voyage au coeur de l'asile », de diminuer l'anxiété du demandeur et de permettre de s'assurer du bon déroulement des entretiens 33 ( * ) .

Dès lors, une telle présence n'aurait rien de comparable à l'assistance d'un avocat au cours d'une procédure contentieuse et devrait, afin de ne pas déstabiliser le travail de l'officier de protection, être soumise un certain nombre de conditions.

Tout d'abord, vos rapporteurs estiment que le tiers présent ne devrait pas intervenir ; sa présence devrait être « taisante », si possible en léger retrait par rapport au demandeur, afin de préserver les conditions du dialogue entre le demandeur et l'officier de protection. Ce tiers aurait toutefois la possibilité de formuler des observations à l'issue de l'entretien. Écrites, ces observations pourraient être annexées au compte-rendu d'entretien.

Par ailleurs, ce tiers ne pourrait être qu'une personne habilitée - représentant d'une association ou avocat. En effet, il serait délicat, au regard de certains types de demandes (demandeurs d'asile pris dans des réseaux, femmes victimes de violences familiales ou conjugales, etc.), de permettre à toute personne se réclamant d'une certaine proximité avec le demandeur d'asile d'assister à l'entretien.

Les personnes susceptibles d'assister aux entretiens devraient ainsi faire l'objet d'une habilitation et devraient être astreints à un certain nombre d'obligations (neutralité, confidentialité, etc.).

Vos rapporteurs estiment que, ainsi encadrée, la présence d'un tiers constituerait non seulement un soutien moral important pour le demandeur, mais également une garantie du bon déroulé de l'entretien dont les conditions, de ce fait, ne pourraient être contestées avec succès devant la CNDA.

Du reste, vos rapporteurs observent que la directive 2005/85/CE du 1 er décembre 2005 précitée autorise expressément une telle présence (article 13, §4 de la directive).

Proposition n°8 : Autoriser un tiers habilité à assister à l'entretien. Ce tiers ne devrait pas intervenir au cours de l'entretien mais il aurait la possibilité de formuler des observations écrites à son issue, lesquelles, le cas échéant, pourraient être annexées au compte-rendu d'entretien.

2. Épauler les officiers de protection dans l'établissement du compte-rendu

Vos rapporteurs ont déjà souligné à quel point il leur paraissait insolite de demander à l'officier de protection de dialoguer avec le demandeur d'asile tout en transcrivant instantanément les propos tenus par ce dernier sur ordinateur. Une telle contrainte donne un caractère artificiel à l'entretien et oriente le type de questions susceptibles d'être posées (voir infra ).

C'est la raison pour laquelle, sans méconnaître le coût qu'une telle mesure engendrerait, vos rapporteurs souhaitent que soit réexaminée sérieusement la possibilité de permettre à un secrétaire dactylographe ou sténotypiste d'être présent aux côtés de l'officier de protection pour établir le compte-rendu d'entretien .

Comme l'indique la Cimade dans son rapport précité, cette solution pourrait permettre à l'officier de protection de se concentrer sur l'écoute du demandeur. En outre, le compte-rendu serait plus fidèle au déroulé même de l'entretien.

Proposition n°9 : Prévoir qu'un secrétaire doit être présent aux côtés de l'officier de protection pour établir le compte-rendu d'entretien.

Cette question, tout comme celle de la présence d'un tiers à l'entretien, soulève celle du caractère systématique du recours à un interprète lorsque le demandeur n'est pas francophone.

A l'heure actuelle, 18% des entretiens se déroulent sans interprète. Parfois, le demandeur est francophone. Parfois aussi, l'officier de protection parle la langue du demandeur, ce qui permet à l'entretien de se dérouler directement dans cette langue, à charge ensuite pour l'officier de protection de retranscrire en français les propos tenus.

Cette pratique a été contestée par plusieurs interlocuteurs de vos rapporteurs, notamment M. Jean-Michel Belorgey, président de section à la CNDA, qui considèrent qu'il n'est pas acceptable que la demande d'asile formulée par une personne victime de persécutions de la part des autorités du pays dont elle est la ressortissante puisse être directement instruite par une personne parlant la même langue que lesdites autorités.

En tout état de cause, la présence d'un tiers habilité et d'un secrétaire dactylo aux côtés du demandeur et de l'officier de protection rendraient inévitable le recours à un interprète, dès lors que l'entretien ne se déroule pas en français.

Proposition n°10 : Recourir systématiquement aux services d'un interprète lorsque le demandeur d'asile n'est pas francophone.

Vos rapporteurs relèvent qu'en tout état de cause, les conditions d'établissement de l'entretien seront probablement amenées à évoluer à l'avenir, la proposition de refonte de la directive « procédure », actuellement en cours de discussion, prévoyant en l'état, d'une part, que le compte-rendu peut faire l'objet d'un enregistrement audio ou vidéo, et, d'autre part, qu'il doit être approuvé expressément par le demandeur.

3. Repenser la méthode de l'entretien

Comme l'indique la Cimade dans son rapport précité, « on constate une grande diversité des méthodes d'entretien. Des officiers de protection posent une question ouverte de type « pourquoi craignez-vous d'être persécuté dans votre pays ? » afin que le demandeur puisse s'exprimer longuement sur les motifs de la demande d'asile. La majorité est plus directive, en posant des questions précises dès le début de l'audition. Ces questions peuvent porter sur les évènements relatés dans le récit du demandeur (demande de précision sur une arrestation, sur un fait peu clair, etc.) mais également sur la monnaie utilisée dans le pays ou sur la description de la ville où vivait la personne. Les questions peuvent être posées dans l'ordre chronologique du récit mais il arrive régulièrement qu'un officier revienne sur un point déjà abordé et repose une question qui a été posée au préalable sans que l'on sache si c'est un problème de méthode dans l'entretien ou si c'est volontaire. Dans certains cas, cette méthode vise à déstabiliser un discours préconstruit du demandeur [...].

« Cette méthode principalement directive peut être guidée par deux impératifs. Le premier est la maîtrise de la durée de l'audition : si un officier de protection a programmé trois auditions dans la demi-journée, il ne pourra consacrer qu'une heure à une heure et demie pour chaque audition et devra donc poser des questions fermées. Le deuxième est la saisie sur ordinateur des questions-réponses. Si certains officiers de protection peuvent taper très vite tout en regardant le demandeur d'asile, la plupart maintiennent leur attention sur leur clavier ou sur leur écran, tapent lentement ou font des fautes de frappe ou de sens, ce qui les amènent à corriger constamment le compte-rendu pour qu'il soit lisible et fidèle aux déclarations. Dans ces conditions, prendre in extenso un long récit paraît difficile. En posant des questions semi-ouvertes ou fermées, l'officier de protection peut taper en même temps que le demandeur lui répond brièvement ou que l'interprète traduit ses déclarations » 34 ( * ) .

Ainsi les contraintes pesant actuellement sur les officiers de protection ne leur permettent-elles pas de se conformer pleinement aux normes posées par le HCR s'agissant des procédures de détermination du statut de réfugié. Cet organisme recommande notamment que « les questions posées par l'agent chargé de l'éligibilité pendant l'entretien [facilitent] la description la plus complète et la plus précise possible des faits invoqués à l'appui de la demande de statut. L'agent chargé de l'éligibilité doit si possible poser des questions ouvertes pour permettre au demandeur d'utiliser ses propres mots pour décrire les éléments qu'il juge les plus importants pour sa demande de statut. Les agents chargés de l'éligibilité doivent éviter d'interrompre le demandeur inutilement » 35 ( * ) .

Vos rapporteurs estiment que de telles préconisations seront d'autant plus simples à mettre en oeuvre de façon systématique que les officiers de protection pourront recevoir l'appui d'un secrétaire dactylographe pour les aider à établir le compte-rendu d'audition (voir supra ).

En outre, les représentants du Comité médical pour les exilés (COMEDE) ont regretté que les officiers de protection ne tiennent pas davantage compte des conditions dans lesquelles le demandeur est arrivé en France et y séjourne. Sans doute ces éléments sont-ils sans incidence sur l'appréciation du bien-fondé de la demande d'asile. Toutefois, l'exil et la précarité conduisent bien souvent à une altération de la santé, notamment psychique, du demandeur qui vient « parasiter » sa capacité à tenir un discours cohérent sur les circonstances qui l'ont conduit à quitter son pays et peut être source d'incompréhensions avec l'officier de protection. Au regard de ces éléments, il apparaît clairement que l'entretien ne devrait pas totalement faire l'impasse sur les conditions de vie de l'étranger en France .

Enfin, un certain nombre de personnes entendues par vos rapporteurs se sont émues du recours de plus en plus fréquent aux certificats médicaux pour accréditer le bien-fondé d'une demande d'asile, dénonçant ce que les représentants du COMEDE ont qualifié de « prime à la torture ». Sans doute de tels certificats peuvent-ils compléter utilement certaines demandes d'asile. Mais, comme l'a rappelé M. Jean-Michel Belorgey, président de section à la CNDA, nos engagements internationaux nous invitent à accorder l'asile, non pas nécessairement à une personne qui est en mesure de prouver qu'elle a effectivement été persécutée, mais à une personne qui est en mesure de fournir suffisamment d'éléments permettant de penser qu'elle risque d'être persécutée en cas de retour dans son pays.

Proposition n°11 : Engager une réflexion sur la mise en oeuvre de méthodes d'entretien qui privilégient les questions ouvertes et tiennent compte des conditions dans lesquelles le demandeur d'asile est arrivé en France et y séjourne.

4. Tenir compte de la fragilité particulière de certains demandeurs d'asile

Selon plusieurs personnes entendues, notre système d'examen des procédures d'asile ne tient pas encore suffisamment compte de la spécificité de certaines demandes, notamment celles liées aux violences intrafamiliales (mariages forcés, excision) et celles tenant à l'appartenance à un certain groupe social.

Outre un effort de formation portant sur ces problématiques spécifiques, vos rapporteurs estiment qu'il serait intéressant, dans la mesure permise par les ressources de l'Office, de faire en sorte que les femmes demandeurs d'asile présentant certaines fragilités puissent être entendues par une femme officier de protection, assistée d'une femme interprète.

Cette configuration serait mise en oeuvre lorsque la demande d'asile fait état de certaines problématiques identifiées ou sur signalement de l'association accompagnant la personne dans ses démarches.

Il s'agit, du reste, d'une préconisation figurant dans la proposition de refonte de la directive « procédure » en cours de discussion, qui inviterait les États membres à faire en sorte, « dans la mesure du possible, que l'entretien avec le demandeur soit mené par une personne du même sexe si le demandeur concerné en fait la demande ».

Proposition n°12 : Permettre, dans certains cas précisément identifiés, que l'entretien avec le demandeur soit mené par une personne du même sexe.

5. Améliorer la connaissance de l'OFPRA par les formations de jugement de la CNDA

Enfin, il est apparu à vos rapporteurs qu'une des raisons permettant d'expliquer le taux élevé d'annulations des décisions de l'OFPRA par certaines formations de jugement de la CNDA pouvait être une relative méconnaissance par ces dernières des conditions dans lesquelles l'Office travaille et prend ses décisions.

Comme l'ont indiqué les personnels de la CNDA lors de la visite de vos rapporteurs, la plupart des magistrats et des assesseurs siégeant à la Cour n'ont jamais assisté à des entretiens à l'OFPRA. Ils n'ont pas non plus connaissance de l'ensemble des demandes qui font l'objet d'un accord de la part de l'Office. Il en résulterait un regard biaisé , qu'accentue encore la quasi-absence de représentant de l'OFPRA pendant les audiences de la CNDA (voir infra ).

Vos rapporteurs estiment pour leur part qu'une meilleure connaissance du fonctionnement de l'OFPRA - et notamment des conditions dans lesquelles se déroulent les entretiens - serait de nature à permettre aux formations de jugement de mieux mettre en perspective les recours dont elles sont saisies.

En conséquence, il leur paraîtrait utile que l'OFPRA organise de façon régulière des sessions de présentation de son activité à destination des magistrats et des assesseurs de la Cour, incluant si possible l'assistance à des entretiens et un temps de dialogue avec des officiers de protection en charge de l'instruction.

Proposition n°13 : Permettre aux membres des formations de jugement de la CNDA de participer à des sessions de présentation de l'activité de l'OFPRA, incluant si possible l'assistance à des entretiens et un temps de dialogue avec des officiers de protection en charge de l'instruction.


* 33 Rapport précité, page 27.

* 34 Rapport précité, pages 24-25.

* 35 HCR, normes relatives aux procédures de détermination du statut de réfugié relevant du mandat du HCR, point 4.3.6 : http://www.unhcr.org/refworld/pdfid/42d66eff4.pdf .

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