B. VERS LA CONSTRUCTION DE STRATÉGIES COHÉRENTES DE DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE À L'ÉCHELLE DES RÉGIONS

1. Renforcer le rôle des régions
a) Confier aux régions la responsabilité de définir une stratégie de développement économique et de coordination des acteurs à l'échelle de leur territoire

La nécessité d'accroître le rôle des régions en matière de développement économique fait consensus, compte tenu des limites du dispositif retenu en 2004.

La place stratégique des régions en matière de développement économique est largement reconnue, en raison de leur expérience dans ce domaine, des compétences qu'elles assument en matière de formation et de soutien à la recherche et l'innovation ou d'aménagement du territoire, de leur vocation à préparer l'avenir, et de leur périmètre. En outre, comme l'a noté Alain Chatillon, « l'accent mis sur le rôle de stratège de la région en matière économique est cohérent avec la réorganisation au même niveau géographique des missions de l'Etat (création des directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi [...]) et des organismes consulaires (régionalisation des chambres de commerce et d'industrie et des chambres de métiers et de l'artisanat organisée par la loi du 23 juillet 2010 relative aux réseaux consulaires, au commerce, à l'artisanat et aux services 29 ( * ) ). »

Le projet de loi relatif à la banque publique d'investissement prend en compte ce rôle désormais majeur assumé par les régions. Outre la participation de représentants des régions aux instances de gouvernance de la banque, chaque comité régional d'orientation devra formuler un avis sur la cohérence des orientations stratégiques de la banque publique avec la stratégie régionale de développement économique.

Cet accroissement du rôle des régions ne saurait toutefois se traduire par l'octroi d'une compétence exclusive en la matière, dont les limites ont été exposées à de nombreuses reprises . Cette mesure priverait notamment les territoires de l'expérience et du savoir-faire développé par les autres collectivités, en lien avec leurs compétences. Elle induirait une perte de cohérence et du caractère intégré de certaines politiques menées, par exemple celles des départements en matière d'insertion sociale. Enfin, elle entraînerait une recentralisation de politiques de proximité.

C'est la raison pour laquelle le rôle des collectivités autres que la région en matière de développement économique a été réaffirmé ces derniers mois. L'engagement n°4 de la déclaration commune Etat-Départements signée le 22 octobre 2012 par le Premier ministre et par le Président de l'ADF prévoit que « les départements, souvent engagés dans le financement de contrats de territoires, soutiendront les projets de développement et d'équipements portés par les communes et intercommunalités, notamment en milieu rural, accompagnant ainsi l'activité de nombreuses entreprises locales et artisanales. » La déclaration commune Etat-Grandes villes et Agglomérations, signée le 30 octobre 2012 par le Premier ministre et les Présidents de l'Association des communautés urbaines de France (ACUF), de l'Association des maires de grandes villes de France (AMGVF) et de l'AdCF, annonce quant à elle que « les grandes villes et agglomérations orientent, en cohérence avec les stratégies nationale et régionale, leur action vers le soutien des PME et entreprises de taille intermédiaire implantées dans leur territoire. » L'engagement n°1 prévoit notamment qu' « elles s'engagent à renforcer leur soutien aux investissements universitaires, à développer le rapprochement recherche-entreprises, et à apporter aux PME et ETI des services et équipements publics adaptés à leurs nouveaux besoins (parcs technologiques, réseaux techniques, solutions de transport, très haut débit...) ».

Il s'agit dès lors de prévoir la meilleure articulation possible entre les interventions des uns et des autres. Comme le résume l'AdCF, c'est « une meilleure répartition des rôles entre les grandes fonctions régulatrices de l'Etat, le pouvoir de planification régional et les politiques locales d'animation économique et d'accueil des entreprises 30 ( * ) » qui doit être recherchée.

L'éclatement des dispositifs constaté au niveau des aides aux entreprises rend nécessaire l'affirmation d'un rôle prépondérant des régions dans ce domaine. Les autres collectivités pourraient continuer à compléter le financement des aides régionales, sous réserve de la signature d'une convention avec le conseil régional. La possibilité de signer une convention avec l'Etat prévue à l'article L. 1511-5 du CGCT serait supprimée. La région pourrait déléguer une partie des aides à d'autres collectivités.

Afin de répondre aux critiques de la Cour des comptes sur les aides à l'immobilier , que l'ensemble des collectivités peuvent aujourd'hui attribuer en vertu de l'article L. 1511-3 du CGCT, ces dernières pourraient être réservées aux EPCI, qui en assument aujourd'hui la majeure partie.

En complément, un effort de réduction du nombre d'aides devrait être opéré, comme l'y a invité la Cour des comptes dans son rapport de 2007. Il faciliterait notamment l'évaluation de leurs effets, et permettrait également de repérer plus aisément les risques d'infraction à la réglementation européenne en matière d'aides.

S'agissant des autres types d'intervention, le rôle des régions en matière de pilotage et de coordination des politiques économiques pourrait être renforcé , comme l'avait déjà proposé en 2009 le rapport de Jacqueline Gourault et Yves Krattinger sur l'organisation et l'évolution des collectivités territoriales 31 ( * ) . Cette mesure a été prévue par la déclaration commune Etat-Régions signée le 12 septembre 2012 entre le Premier ministre et le Président de l'ARF, puisque cette dernière indique que « les régions exerceront leur responsabilité de chef de file du développement économique et de l'innovation sur leur territoire, dans le cadre d'un schéma de développement économique et de l'innovation élaboré après une large concertation avec tous les acteurs concernés. » Vos rapporteurs saluent le rapprochement des politiques de développement économique et des politiques de l'innovation que cette mesure implique. Il correspond à une nécessité déjà prise en compte par un certain nombre de régions et dont témoigne par exemple l'adoption de stratégies régionales de développement économique et de l'innovation.

Le « rapport Gallois » sur la compétitivité de l'industrie française 32 ( * ) va dans le même sens, puisqu'il propose « qu'une compétence forte de coordination des actions de soutien public à l'industrie leur soit reconnue dans la troisième étape de la décentralisation. » Sa treizième proposition suggère ainsi de « donner aux Régions la responsabilité de coordonner l'action des différentes structures régionales en charge de promouvoir l'innovation et le développement de l'industrie, ainsi que d'animer le dialogue social. »

Dans son rapport sur l'état de la France en 2012, le CESE ne conclut pas autrement, en affirmant que « ce qui est essentiel pour favoriser le développement économique régional, avec croissance de l'emploi et profitabilité suffisante des entreprises, c'est l'existence d'un projet régional cohérent, élaboré après concertation avec toutes les parties prenantes, partagé donc et mis en oeuvre avec continuité par un chef de file identifié, qui assurera la coordination des acteurs. Cela peut être, par exemple, le choix d'un secteur industriel déjà doté d'une certaine force ou présentant un avenir prometteur, dont la liaison avec l'université est assurée via l'existence d'un pôle de compétitivité mais aussi l'élaboration d'une filière de formation à l'intention de ce secteur, la réalisation d'un habitat facilement accessible, doté de services et commerces de proximité et de réseaux de transports 33 ( * ) . »

Il s'agirait ainsi de donner une suite à l'expérimentation des SRDE initiée en 2004, en prévoyant l'adoption d'un schéma régional de développement économique et de l'innovation (SRDEI) dans l'ensemble des régions. Sa portée pourrait être renforcée de plusieurs façons.

Tout d'abord, la dimension stratégique de ces schémas devrait être réaffirmée , afin qu'ils ne soient plus seulement considérés, comme ils ont parfois pu l'être par le passé, comme un catalogue des aides régionales. En s'appuyant sur un diagnostic du territoire, les schémas devraient être le lieu d'une réflexion à moyen long terme sur les façons de valoriser au mieux les spécificités de chaque région, en lien avec les politiques d'aménagement, de formation, d'emploi et d'insertion menées à leur échelle. Une cohérence devrait ainsi être recherchée avec les différents schémas régionaux ou départementaux . A ce titre, l'AdCF a proposé un élargissement du SRDE aux questions de l'emploi et des politiques de qualification. Une articulation devra aussi être recherchée avec les stratégies nationale et européenne de développement économique. A cet égard, le projet de transfert de l'autorité de gestion des fonds européens aux régions pourrait faciliter une telle convergence.

Ce schéma aborderait plusieurs aspects. Il pourrait déterminer les orientations stratégiques relatives au régime des aides aux entreprises . S'agissant des autres actions déployées en matière de développement économique, le SRDEI pourrait déterminer des axes stratégiques d'intervention et prévoir une répartition des rôles et une coordination entre les différents acteurs.

Il n'est aujourd'hui ni possible, en l'état actuel de notre droit constitutionnel, ni souhaitable, que la région détermine unilatéralement la répartition des rôles en matière de développement économique entre les différentes collectivités présentes sur son territoire. La crainte d'une « recentralisation » des politiques locales a été exprimée à plusieurs reprises.

Comme le souligne par exemple le CNER, « alors que les agences [de développement] départementales reconnaissent l'opportunité de coordonner au niveau régional leurs actions en matière de prospection d'entreprises, une méfiance persiste chez elles sur la capacité des acteurs régionaux à garantir un développement équilibré sur l'ensemble du territoire régional dans un contexte de métropolisation de l'économie. »

Les collectivités autres que la région, le CESER, les chambres consulaires, les partenaires sociaux et les agences de développement économique doivent être effectivement associés à la démarche d'élaboration du SRDEI et à son suivi . Le schéma pourrait être débattu à l'occasion d'une réunion thématique de la conférence territoriale , et présenté devant les assemblées des départements, ainsi que des EPCI présents sur le territoire régional . Un suivi régulier de la mise en oeuvre de la stratégie régionale et de ses effets devrait également être prévu. Une meilleure appropriation du schéma régional par l'ensemble des acteurs concernés aura pour effet d'accroître leur portée. Le rôle de la région en matière d'animation revêt dès lors un caractère primordial.

L'ensemble de ces mesures devraient s'accompagner d'une réflexion sur les moyens dont les régions disposeraient dans ce cadre, alors que leur autonomie fiscale a été fortement réduite en raison de la réforme de la taxe professionnelle.

b) Opérer un véritable partage des rôles entre l'Etat et les régions

La question des doublons entre les actions des services de l'Etat déconcentré, qu'il s'agisse des DIRECCTE mais aussi des préfectures ou des sous-préfectures, et celles des collectivités a été évoquée à de nombreuses reprises. La pertinence d'un dédoublement entre les aides individuelles aux entreprises, accordées par les collectivités, et les aides collectives, accordées par l'Etat, a été remise en question. De même, l'action des services déconcentrés en matière d'animation et de coordination des acteurs, au niveau du service public de l'emploi régional (SPER) ou local (SPEL) notamment, n'aura plus lieu d'être si les régions voient leur responsabilité reconnue en la matière, comme l'avait souligné Patricia Schillinger dans son rapport.

Dans ce cadre, il pourrait être envisagé qu'un diagnostic détaillé des risques de redondances entre les actions de l'Etat et celles des collectivités soit dressé dans l'année suivant l'adoption de la loi de décentralisation , afin qu'une réponse y soit apportée. Par ailleurs, une articulation plus forte devrait être recherchée entre les interventions des collectivités et celles que l'Etat, ou ses opérateurs, conserveront dans le domaine de la politique économique, par une meilleure connaissance réciproque des actions de chacun . Si la conférence des territoires réunit des représentants de l'Etat et des collectivités comme il cela est actuellement envisagé, elle pourrait remplir ce rôle.

Les collectivités devraient en outre être davantage associées aux pôles de compétitivité . Annoncée dans la déclaration commune Etat-Régions du 12 septembre 2012, qui affirme que « l'Etat et les Régions garantiront au cours des trois prochaines années les financements nécessaires aux pôles de compétitivité dans le cadre de responsabilités redéfinies », cette mesure a été confirmée dans le pacte national pour la croissance, la compétitivité et l'emploi. Ce dernier prévoit que « l'implication des Régions sera amplifiée dans le cadre d'un véritable copilotage État-Région, pour mieux combiner stratégie industrielle et écosystèmes locaux. »

2. Développer la culture de l'évaluation

Lors des débats qui ont eu lieu au sujet du projet de loi relatif à la création de la banque publique d'investissement, certains intervenants ont exprimé des doutes au sujet de la capacité des collectivités à réaliser les interventions les plus efficaces en matière de développement économique. Ont été évoqués le risque de politisation des décisions, ou la tentation, pour les élus, de vouloir préserver les structures existantes, même non rentables, au détriment de l'innovation.

Ces critiques doivent être replacées dans le contexte actuel des débats suscités par la nouvelle étape de la décentralisation. Pour vos rapporteurs, l'une des réponses à ces arguments réside dans le renforcement d'une culture de l'évaluation. Cette dernière est déjà présente dans nos collectivités. Il s'agit de la généraliser, sans tomber dans ses excès.

Le renforcement de cette culture de l'évaluation mettra au jour l'impact des interventions économiques des collectivités, et permettra d'identifier les éventuelles sources d'amélioration de leur efficacité ou de leur efficience. Elle sera également un moyen de vérifier l'adéquation des actions menées aux enjeux auxquels sont confrontées les entreprises et la pertinence de la poursuite des politiques menées. Dès la conception du SRDE, les modalités de son évaluation devraient être prévues.

En outre, dans la mesure où chaque catégorie de collectivité préservera ses capacités d'intervention en la matière, les efforts constatés en matière de mutualisation des moyens, de simplification des procédures ou de coordination des actions doivent être poursuivis et généralisés à la lumière du résultat de ces évaluations.


* 29 « Réindustrialisons nos territoires », Rapport d'information n° 403 de M. Alain Chatillon fait au nom de la mission commune d'information sur les désindustrialisation des territoires, (Sénat, 2010-2011).

* 30 « Propositions pour une nouvelle gouvernance des territoires et des politiques publiques », AdCF, juin 2012.

* 31 « Faire confiance à l'intelligence territoriale », rapport d'information n°471 d'Yves Krattinger et de Jacqueline Gourault, (Sénat 2008-2009).

* 32 « Pacte pour la compétitivité de l'industrie française », rapport de Louis Gallois, commissaire général à l'investissement, au Premier ministre, novembre 2012.

* 33 Rapport annuel sur l'état de la France en 2012, CESE, Roger Mongereau, décembre 2012.

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