N° 378

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2012-2013

Enregistré à la Présidence du Sénat le 20 février 2013

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des affaires européennes (1) sur les politiques de l' Union européenne dans les régions ultrapériphériques : la Guyane en quête de sa singularité ,

Par MM. Georges PATIENT et Simon SUTOUR,

Sénateurs.

(1) Cette commission est composée de : M. Simon Sutour, président ; MM.  Alain Bertrand, Michel Billout, Jean Bizet, Mme Bernadette Bourzai, M. Jean-Paul Emorine, Mme Fabienne Keller, M. Philippe Leroy, Mme Catherine Morin-Desailly, MM. Georges Patient, Roland Ries, vice-présidents ; MM. Christophe Béchu, Yannick Botrel, André Gattolin, Richard Yung, secrétaires ; MM. Nicolas Alfonsi, Dominique Bailly, Pierre Bernard-Reymond, Éric Bocquet, Gérard César, Mme Karine Claireaux, MM. Robert del Picchia, Michel Delebarre, Yann Gaillard, Mme Joëlle Garriaud-Maylam, MM. Joël Guerriau, Jean-François Humbert, Mme Sophie Joissains, MM. Jean-René Lecerf, Jean-Louis Lorrain, Jean-Jacques Lozach, Mme Colette Mélot, MM. Aymeri de Montesquiou, Bernard Piras, Alain Richard, Mme Catherine Tasca.

AVANT-PROPOS

Madame, Monsieur,

Le Sénat s'est engagé dans une dynamique nouvelle pour mieux assurer la représentation des collectivités locales d'outre-mer au son sein.

À l'initiative de son président, Monsieur Jean-Pierre Bel, une Délégation sénatoriale à l'outre-mer, chargée d'informer le Sénat sur l'état de la situation de ces collectivités, a été créée. Elle ne doit cependant pas être la seule, car le Sénat se doit, dans chacune de ses instances, de représenter et de défendre l'ensemble de nos collectivités territoriales.

L'Union européenne classe les régions d'outre-mer dans deux catégories distinctes : les régions ultrapériphériques (les RUP), qui font partie de l'Union et participent pleinement à toutes les politiques communautaires, d'une part, et les pays et territoires d'outre-mer qui ont un statut d'associé, d'autre part. Seuls trois pays en Europe comprennent des RUP : l'Espagne avec les Canaries ; le Portugal avec Madère et les Açores ; enfin et surtout, le France avec cinq départements d'outre-mer qui sont la Guyane, la Guadeloupe, la Martinique, la Réunion et désormais Mayotte.

Dans une Union à 27 pays, bientôt 28, la défense de sept régions éloignées du continent et différentes à maints égards du reste de l'Europe n'est pas chose facile. Pour la France, dont les RUP sont les plus éloignées et qui, en raison de leurs particularités souffrent à la fois d'un retard de développement par rapport aux régions d'Europe et de difficultés à appliquer la législation européenne, c'est pourtant un devoir. Et pour le Sénat qui représente les collectivités territoriales, c'est une obligation.

C'est la raison pour laquelle, j'ai souhaité que la commission des affaires européennes du Sénat, dans le cadre des missions qui sont les siennes, renforce sa prise en compte des problématiques des outre-mer dans leur appartenance à l'Union européenne. C'est notre rôle de rendre compte des difficultés d'être une région ultrapériphérique de l'Union et de contribuer ainsi à améliorer une dimension toute particulière des politiques européennes.

Les travaux de notre commission se sont portés sur la région ultrapériphérique la plus singulière, la Guyane. Georges Patient et moi-même y avons effectué une mission du 11 au 16 novembre 2012, juste avant l'adoption par le Sénat de deux résolutions européennes particulièrement importantes pour la défense de nos régions d'outre-mer.

Simon Sutour
Président de la commission des affaires européennes du Sénat

La Guyane est une région singulière en France et en Europe. Elle est loin de l'image que se fait un européen d'une région d'outre-mer : elle n'est pas une île au milieu de l'océan, elle n'est pas petite, elle n'est pas recouverte uniquement de plages de sable blanc et sa population ne vit pas recluse sur elle-même.

Avec près de 84 000 km², la Guyane est la plus grande région de France. Sa surface représente près de 15 % de celle de l'hexagone. C'est en Guyane que l'on trouve les deux plus grandes frontières naturelles: le fleuve Oyapock à l'est la sépare du Brésil sur 580 km et le Maroni à l'ouest la coupe du Suriname sur 520 km. Elle est recouverte à 90 % par la jungle. C'est la seule région européenne sur le continent sud-américain. Elle a toujours été une terre d'accueil et mélange près de 40 ethnies différentes. La Guyane présente une biodiversité d'une richesse rare. Sa forêt concentre des milliers d'espèces naturelles et son sous-sol est riche d'or. Ses eaux regorgent de poissons et on vient d'y trouver du pétrole.

Région ultrapériphérique de l'Union européenne, la Guyane participe à ses grandes politiques : Politique agricole commune, politique commune de la pêche, politique de cohésion, etc...

Aujourd'hui, la Guyane est face à des échéances importantes tant au plan européen, qu'au plan national. L'Union européenne est en train d'adopter son cadre financier pluriannuel pour les sept prochaines années. En parallèle, elle réforme ses principales politiques pour leur donner une orientation nouvelle.

Le Président de la République française, François Hollande, a annoncé vouloir transférer aux régions la gestion des fonds européens. Un projet de loi de décentralisation visant à mettre en oeuvre cette promesse doit prochainement être présenté devant le Parlement.

Pour la Guyane, cette annonce revêt une importance particulière. Lors du référendum du 24 janvier 2010, une majorité d'électeurs guyanais s'est prononcée pour une collectivité unique, regroupant les attributions actuelles du Conseil régional et du Conseil général. La modification du calendrier électoral a repoussé sa création à 2015, mais elle se verra cependant dotée d'une nouvelle dimension « européenne ».

Pour toutes ces raisons, il était important que la commission des affaires européennes du Sénat s'interroge sur l'application des politiques européennes en Guyane.

Georges Patient
Vice-Président de la commission des affaires européennes du Sénat

I. LA GUYANE : UN NIVEAU DE VIE LOIN DE LA BASE EUROPÉENNE ET EN-DEÇÀ DE CELUI DES AUTRES RUP

A. UNE SITUATION QUI RESTE DIFFICILE

Alors que la politique européenne à l'égard des RUP présente des résultats encourageants pour un certain nombre d'entre elles, la Guyane, en raison de handicaps structurels et d'une situation démographique exceptionnelle, reste parmi les régions les moins riches d'Europe. Cette situation difficile implique, plus que jamais, que les soutiens européens soient maintenus au nom de la cohésion entre les régions.

Selon les données d'Eurostat pour 2009, avec un PIB par habitant de 53 % de la base européenne, la Guyane témoigne d'une création de richesse parmi les plus faibles d'Europe . De fait, elle se retrouve en-deçà des performances des autres départements d'outre-mer français (67 % pour la Réunion, 66 % pour la Guadeloupe et 73 % pour la Martinique) et bien loin derrière les autres régions ultrapériphériques que sont Les Açores avec 75 % du PIB communautaire, Madère avec 105 % et les Canaries avec 87 %.

À l'échelle de l'Union européenne, la situation de la Guyane est comparable à celle des 22 régions de Roumanie, Bulgarie et Pologne dont le PIB se situe aux environs des 50% . Fort de ce constat, il faut donc regarder la Guyane comme une région en retard de développement. Malgré les progrès réalisés durant les dernières décennies, la Guyane manque encore de certains équipements structurants. Sa géographie particulière et sa démographie en augmentation constante sont des freins à son développement.

La Guyane présente un territoire unique dans l'Union européenne. Dans son diagnostic territorial stratégique pour l'élaboration des programmes européens 2014-2020, la préfecture de Guyane fait le constat d'un territoire triplement enclavé :

- une région européenne participant au marché commun, mais handicapée par les surcoûts liés à l'éloignement ;

- un territoire recouvert à plus de 90 % par la forêt, rendant l'accès aux communes de l'intérieur difficile et les besoins en infrastructures de transport énormes ;

- l'unique territoire européen sur le continent sud-américain, mais séparé de lui par deux fleuves et sur lequel s'applique une réglementation plus contraignante que celle de ses voisins.

Données de contexte


• D'une superficie de 83 846 km² , la Guyane occupe seulement 0,5 % du continent sud-américain mais représente 16 % du territoire de l'Hexagone , la plaçant en tête des régions en superficie.


• Située à plus de 7000 km de Paris, la Guyane bénéficie du statut de région ultrapériphérique de l'Union européenne soulignant ses difficultés de développement à mettre en lien avec son éloignement du marché commun, son isolement et sa dépendance vis-à-vis de quelques productions.


• La Guyane dispose de 320 km de côtes bordant l'Atlantique, 520 km de frontière commune avec le Surinam dont la délimitation est marquée par le fleuve Maroni et 580 km avec le Brésil au Sud et à l'Est par le fleuve Oyapock.


La forêt couvre plus de 90% de la surface du territoire guyanais


• La densité de la population est estimée à 3 habitants/km², faisant de la Guyane le département le plus faiblement peuplé de France .


• La région est marquée par deux territoires distincts : la bande littorale interconnectée accueillant l'essentiel de la population et l'intérieur très enclavé et faiblement peuplé.


• Le territoire est desservi par un cordon routier le long du littoral mais la desserte de l'intérieur nécessite de passer par le transport fluvial vétuste ou le transport aérien beaucoup plus cher (quatre compagnies aériennes, six aérodromes départementaux, un aérodrome municipal, un aéroport).


• La surface agricole utilisée totale atteint en 2011 25 133 ha (contre 23 195 ha en 2000), soit 0,3 % du territoire guyanais .

Source : Préfecture de la région de Guyane

Ces caractéristiques fondent les handicaps structurels de la Guyane, que les politiques européennes ne sont pas parvenues à compenser. Les investissements en infrastructures de transports, bien que constants, sont restés insuffisants. Comme le pointe la préfecture, « l'insuffisance et le mauvais état général des infrastructures routières ne permettent pas d'assurer une réelle continuité territoriale, et accompagner le développement de la population . L'importance du territoire à couvrir, combinée à la faible densité de la population (3 hab/km 2 ) et la vulnérabilité des infrastructures au climat tropical rend les projets d'investissements particulièrement couteux et peu rentables » .

Le désenclavement de l'intérieur du pays reste un chantier immense et difficile à mettre en oeuvre. A titre d'exemple, lors de leur déplacement dans le Haut Maroni avec le Président de région, les rapporteurs ont pu constater que des travaux avaient été entrepris pour réparer la piste en béton de l'aérodrome de Maripasoula, avec l'appui du FEDER à hauteur de 380 214 euros. Néanmoins, les villages de Twenké et Taluen dans le haut Maroni offrent un exemple frappant de la situation dans cette région. Grâce, en partie, aux financements européens, ils disposent désormais de l'eau potable. Mais des habitants ont fait part des difficultés pour les populations habitant le long du fleuve de se rendre à Maripasoula, uniquement en pirogue, pour se faire soigner.

Par ailleurs, la Guyane connaît une croissance démographique exceptionnelle depuis 60 ans . Sa population a été multipliée par huit sur cette période, passant de 33 505 habitants en 1961 à 230 000 en 2010. On peut parler d'explosion démographique, semblable à celle de certains pays en développement. La Guyane est avec Mayotte la région française qui présente, et de loin, le plus fort taux de croissance démographique. En 20 ans, sa population a été multipliée par deux, ce qui la place au 7 e rang mondial ! Enfin, ce phénomène d'accroissement n'est pas terminé : les projections effectuées laissent entrevoir que la population de la Guyane pourrait atteindre 424 000 personnes en 2030 .

Cette situation est principalement due à l'immigration. La Guyane est une terre historique d'accueil et elle a toujours été et demeure un îlot de prospérité dans son environnement géographique immédiat. Le nord du Brésil et l'est du Surinam voisins sont parmi les régions les plus pauvres de leur pays respectif. Des populations ont fui les difficultés politiques et économiques également à Haïti et au Guyana pour se réfugier en Guyane. Aujourd'hui, les Surinamais et les Haïtiens forment les deux premières communautés immigrées depuis leur arrivée en nombre dans les années 80.

Et cette population contribue fortement à la croissance naturelle de la population, car la fécondité est plus élevée chez les immigrants. Aussi, les enfants des personnes arrivées dans les années 80 contribuent à la part de la population étrangère en Guyane. Au total, les étrangers représentaient 36,5 % de la population en 2009, répartis en près de 30 groupes ethniques et culturels.

Cet afflux massif et constant d'immigrés atténue fortement les performances économiques de la Guyane, bien meilleure qu'elles ne paraissent. En effet, entre 1999 et 2007, le PIB régional a progressé de 4,3 % par an en moyenne en termes réels, alors que la moyenne nationale sur la même période n'était que de 2,2 %. Mais ces résultats sont demeurés insuffisants par rapport à la croissance de la population et n'ont pas permis de maintenir la richesse individuelle. Cette tendance est visible sur 20 ans : alors que le PIB de la Guyane était de 62 % du niveau national en 1993, il est aujourd'hui proche des 50 %.

Données clés


• 236 250 habitants au 1 er janvier 2011, dont 100 300 jeunes de moins de 20 ans et 14 000 personnes de plus de 60 ans


• En 60 ans, la population guyanaise a été multipliée par huit


• 44,4 % des habitants ont moins de 20 ans


• Les plus de 60 ans ne représentent que 6,6 % de la population


• Un taux de croissance de + 3,5 % /an en moyenne depuis les années 50 avec un pic dans la décennie 1980 atteignant une rythme annuel moyen de + 5,7 %


• Une croissance démographique portée à 60 % par l'excédent naturel et 40 % par le solde migratoire


• 7 e rang mondial pour le taux d'accroissement naturel


• Une fécondité élevée : 3,6 enfants par femme


• Une espérance de vie de 74,8 ans pour les hommes (77,6 en métropole) et de 81,2 pour les femmes (contre 84,4)


• L'âge moyen d'un Guyanais est de 26,6 ans (chiffre 2005)


• 424 000 habitants à l'horizon 2030


• 36,5 % de la population est étrangère en 2009


• Près de 30 groupes ethniques et culturels


• + 4 % par an d'immigrés sur la période 1999-2005


• 8 immigrés sur 10 sont d'âges actifs


• Seuls 21 % des Guyanais résidants dans leur département d'origine en 2010 ont effectué un long séjour de plus de 6 mois en-dehors de la Guyane


• Près de 32 % des jeunes guyanais âgés de 20 à 34 ans vivent en métropole et 38,7 % de la tranche d'âge y étudient


• Parmi l'ensemble de la population guyanaise âgée de 20 à 34 ans, il apparaît que plus de 50 % des diplômés du supérieur réside en métropole

Source : Préfecture de la région de Guyane

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