B. VERS UNE CONVENTION EUROPÉENNE DU CONSEIL DE L'EUROPE POUR LUTTER CONTRE LE TRAFIC D'ORGANES, DE TISSUS ET DE CELLULES D'ORIGINE HUMAINE

La Convention sur les droits de l'Homme et la biomédecine, dite Convention d'Oviedo, a repris, en 1997, le principe, inscrit au coeur d'une résolution du Comité des ministres adoptée en 1978, selon lequel le corps humain et ses parties ne doivent pas être source de profits. Le trafic d'organes a été interdit, de son côté, par le Protocole additionnel relatif à la transplantation d'organes et de tissus d'origine humaine.

Le Conseil de l'Europe et les Nations unies ont décidé en 2008 de travailler conjointement sur le trafic d'organes, de tissus et de cellules et la traite des êtres humains aux fins de prélèvement d'organes. Ils ont publié à cette fin en octobre 2009 une étude qui invitait à l'adoption d'un instrument juridique international établissant une définition du trafic d'organes, de tissus et de cellules d'origine humaine, protégeant les victimes et présentant des mesures de prévention et de répression. Le Comité des Ministres a, à ce titre, décidé de mettre en place un Comité d'experts chargé de l'élaboration d'un projet de convention contre le trafic d'organes humains. Un avant-projet a été adopté en octobre 2012. Il consiste en une convention de droit pénal classique, consacrée à la définition des actes constituant le trafic et des règles relatives à la poursuite des trafiquants.

M. Jean-Yves Le Déaut (Meurthe-et-Moselle - SRC) a souligné dans son intervention l'intérêt d'un tel texte :

« La pénurie d'organes au plan mondial est dramatique. En France, moins de 3 000 greffes sont réalisées par an pour plus de 10 000 insuffisants rénaux. On estime à plusieurs centaines de patients le nombre de ceux qui décèderont faute d'organes disponibles. Une telle situation a entraîné l'augmentation d'opérations clandestines dans le monde, rendue possible par une forme abjecte de marchandisation du corps humain : le trafic d'organes, vendus à des prix pouvant atteindre des dizaines de milliers d'euros.

Je salue l'initiative du Conseil de l'Europe et l'excellent travail du rapporteur, M. Bernard Marquet, car le don d'organes est le symbole de la solidarité humaine.

Il convient par contre de condamner avec fermeté ce tourisme de transplantation, des patients n'hésitant pas à acheter des organes à de personnes qui les vendent pour survivre.

Cette convention est un support indispensable à la mise en place de sanctions pénales contre le trafic d'organes. Cette convention, toutefois, n'aborde pas, comme nous en avons débattu en commission, la question des tissus et des cellules d'origine humaine. Lorsque nous l'aborderons, il faudra envisager de manière spécifique la question des cordons ombilicaux ou des tissus présents dans les déchets hospitaliers.

La convention qui nous est proposée revêt une importance majeure, car elle propose de mener une politique conduisant à la multiplicité des sources légales d'approvisionnement en organes. Cet aspect de la question a été mentionné dans la déclaration du Sommet d'Istanbul de mai 2008, lequel avait réuni tous les plus grands spécialistes mondiaux de 150 pays.

En France, moi-même, je présiderai le 7 mars 2013 une réunion qui étudiera la possibilité d'une collecte, non plus seulement sur des personnes dont le coeur s'est arrêté, mais sur des personnes dont l'arrêt cardiaque est contrôlé. Cela, bien sûr, ne peut concerner que des cas de mort encéphalique. Ce serait un alignement sur la pratique en vigueur aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne, en Belgique, aux Pays-Bas.

L'effort pour lutter contre la pénurie doit également concerner la recherche sur les xénogreffes et toutes les formes de recherche clinique ou fondamentale sur la mise au point d'organes artificiels. Je songe au coeur artificiel du professeur Carpentier. J'ai proposé des amendements à ce sujet, adoptés à l'unanimité par la commission.

Par tous ces moyens, nous lutterons plus efficacement contre le commerce de la transplantation qui conduit à accroître les injustices et les inégalités sur des populations vulnérables.

Mes chers collègues, le Conseil de l'Europe s'honorerait d'adopter ce rapport à l'unanimité. »

M. André Schneider (Bas-Rhin - UMP) a, de son côté, salué l'avancée que constituait ce projet de convention :

« Je voudrais tout d'abord souligner le travail remarquable réalisé par notre rapporteur. Ce projet de convention est essentiel, car il touche aux droits les plus élémentaires de l'être humain.

Le trafic d'organes traduit une marchandisation de l'être humain et obéit souvent à une loi abjecte de l'offre et de la demande appliquée aux personnes les plus fragiles.

Les progrès de la médecine ont conduit à une demande sociale légitime, à but thérapeutique, de transplantation. Rappelons que 15 à 30 % des personnes inscrites sur des listes d'attente meurent avant d'avoir été transplantées.

Malheureusement, la pénurie d'organes a généré un trafic lucratif organisé par des réseaux mafieux, souvent en connexion avec le trafic de drogues et la traite d'êtres humains. Ce trafic répugnant, c'est celui de « pièces détachées » humaines !

Exploitant la misère humaine la plus extrême, il engendre une série d'horreurs que les médias relatent de plus en plus fréquemment.

Comme le rapporteur, il me semble de la plus haute importance que la convention protège plus particulièrement les personnes vulnérables, notamment les enfants. En Afrique du Sud notamment, le rapt et l'exploitation des enfants afin de vendre leurs organes ont même supplanté le trafic d'armes. Cela n'est pas tolérable !

Une autre pratique, le tourisme de transplantation, doit être condamnée. Il n'est pas admissible que, profitant des pays pauvres, de riches malades aillent s'acheter un rein comme ils le feraient pour une pièce détachée de voiture !

Si l'on peut comprendre la détresse du malade en attente d'une transplantation, parfois pour une question de vie ou de mort, cela ne peut toutefois justifier une telle négation de la dignité humaine !

Cette convention représente un progrès essentiel, car elle est le premier instrument international juridiquement contraignant contre de tels agissements.

Nous ne pouvions plus laisser les pays touchés par ces trafics - en Afrique, en Asie, mais aussi au sein de pays membres de notre Assemblée - lutter seuls contre ce fléau. Il nous appartient d'ailleurs de bien réfléchir aux conséquences des lois que nous adoptons et des contrôles que nous exerçons dans nos pays riches dans le domaine du don d'organes.

Si nous voulons vraiment lutter contre ceux qui abandonnent le domaine du don d'organes licite pour avoir un organe à tout prix, même celui de la vie d'un enfant des rues de Bogota ou de Maputo, il nous faudra contrôler plus sévèrement certains faits, comme la disparition inopinée de certains patients de listes d'attente ou la prescription et la vente des médicaments anti-rejets.

En définissant des infractions pénales, en permettant une meilleure coopération judiciaire, cette nouvelle convention du Conseil de l'Europe nous donnera les moyens de mieux protéger ceux dont on veut nier l'humanité. »

La commission des questions sociales, de la santé et du développement durable estime que les questions relatives à la prévention de ce type de trafic, à la protection des victimes et à la coopération nationale et internationale ne sont pas suffisamment développées dans cet avant-projet. Il lui apparaît notamment important de mieux protéger les enfants, les personnes ne disposant plus de leur pleine capacité juridique et les personnes privées de liberté. Elle souhaite également que la future convention vise expressément le tourisme de transplantation. Elle plaide enfin pour un champ d'application géographique le plus large possible, incluant de fait les États non membres du Conseil de l'Europe. La commission souhaite enfin que la convention dépasse le seul trafic d'organes pour aborder, par l'intermédiaire d'un protocole additionnel, la question des tissus et des cellules humains.

Le trafic des tissus a d'ailleurs constitué le coeur de l'intervention de M. Jean-Claude Frécon (Loire - SOC) :

« Le commerce de tissus humains a connu une expansion rapide ces dernières années sans toutefois qu'un véritable contrôle ne soit effectué. Un réseau de journalistes indépendants, l'International Consortium of Investigative Journalists (ICIJ), a mené pendant huit mois une enquête sur le fonctionnement de ce qui s'apparente à une véritable industrie. Rappelons ainsi que la société américaine RTI Biologics qui a produit plus de 500 000 implants en 2011 est cotée en bourse. Elle a réalisé 11,6 millions de bénéfices avant impôts au cours du même exercice. Son chiffre d'affaires est estimé à 169 millions d'euros.

Il ressort clairement du travail approfondi de ces journalistes indépendants que les mesures de précaution adoptées ne s'avèrent pas totalement suffisantes pour garantir une collecte des tissus entièrement légale, respectant également un certain nombre de principes éthiques.

La question sanitaire est également posée. Faute de réglementation, il existe un risque que les bénéficiaires de greffons soient contaminés par une hépatite ou le virus VIH pour ne citer qu'eux. Il existe un écart conséquent en termes de traçabilité entre les greffes d'organes - poumons, coeur notamment - et celles de peaux ou de tissus. Les dispositions législatives destinées à protéger les défunts et leurs familles sont, quant à elles, généralement inadaptées à la réalité et laissent une grande latitude aux entreprises commerciales pour déterminer les informations qu'elles entendent fournir sur ces transplantations mais aussi sur la provenance des tissus. Le trafic de tissus dans les morgues est, dans le même temps, devenu une réalité y compris sur notre continent.

Les patients ignorent, de leur côté, que des tissus utilisés pour des implants proviennent de personnes décédées. Comme l'a relevé récemment un médecin américain : il existe des codes-barres pour les céréales du petit-déjeuner, mais pas pour les tissus d'origine humaine. De telles lacunes ne sont pas sans conséquence dès lors qu'il s'agit de rappeler des tissus humains potentiellement infectés par une bactérie ou un virus. Rappelons qu'en dix ans, 1 352 infections résultant de greffes de tissus humains ont été diagnostiquées aux États-Unis, 40 d'entre elles débouchant sur la mort du patient.

La France a créé en 2003 une Commission nationale de biovigilance. 500 personnes travaillent ainsi sur ce dossier en liaison notamment avec l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé. La biovigilance a ainsi permis de surveiller plus étroitement l'utilisation de ce que l'on doit bien aujourd'hui appeler des « produits »  conçus à base de tissus humains. De fait, sur les 25 300 greffes de tissus réalisées en 2010, seules 16 ont posé problème. L'inspection mise en place vise à la fois les établissements d'implantation mais également les banques étrangères de tissus, auprès desquelles ces établissements s'approvisionnent. La Commission travaille dans le même temps à former des inspecteurs originaires d'autres pays européens.

Une convention du Conseil de l'Europe permettrait, j'en suis convaincu, d'étendre, à moyen terme, ce type de mécanisme à l'ensemble du continent et représenterait à n'en pas douter un signal pour les autres États de la planète. C'est en ce sens qu'il faut oeuvrer en tout cas. Faute de quoi, ce texte ne serait qu'une coquille vide. »

La recommandation adoptée par l'Assemblée reprend ces observations. Le texte intègre un amendement proposé par MM. Jean-Yves Le Déaut (Meurthe-et-Moselle - SRC) et Gérard Bapt (Haute-Garonne - SRC) incitant les parties à contribuer, par tous les moyens à leur disposition, à l'augmentation de l'offre d'organes pouvant être greffés, notamment par la recherche sur des méthodes alternatives.

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