C. MIGRATIONS ET ASILE : MONTÉE DES TENSIONS À L'EST DE LA MÉDITERRANNÉE

La Grèce est devenue, selon la commission des migrations, des réfugiés et des personnes déplacées, le principal point d'entrée dans l'Union européenne pour les migrants en situation irrégulière, la Turquie constituant le premier pays de transit. 56 % des entrées irrégulières au sein de l'Union européenne ont ainsi lieu à la frontière entre la Grèce et la Turquie. La guerre civile en Syrie a contribué à tendre un peu plus la situation, avec l'arrivée de 150 000 réfugiés sur le territoire turc. La commission a souhaité que l'Assemblée se saisisse de ce sujet au lendemain de son déplacement en Grèce du 14 au 16 janvier derniers.

La commission estime que les droits de l'Homme des migrants, des demandeurs d'asile et des réfugiés sont violés en Grèce, en raison de la mise en place d'un dispositif de rétention systématique dans des conditions jugées non conformes aux normes internationales en la matière. Le Plan d'action sur la gestion de l'asile et des migrations lancé par la Grèce en octobre 2010, dans un contexte extraordinairement économique et social extrêmement difficile, n'a pas encore été pleinement mis en oeuvre. La fermeture annoncée des centres de rétention non conformes et la fin du placement des femmes et des enfants constituent de réelles avancées. Dans la résolution qu'elle a adoptée, l'Assemblée parlementaire invite Athènes à aller plus loin et à réfléchir à la mise en place d'alternatives à la rétention. Le gouvernement grec doit également garantir l'accès à une procédure d'asile équitable et effective, 55 000 dossiers de demandes d'asile étant actuellement pendantes. Il doit également être vigilant face à la montée de la xénophobie et combattre les manifestations de racisme dans le discours politique.

M. René Rouquet (Val-de-Marne - SRC) , président de la délégation française, a tenu à rappeler le contexte délicat dans lequel la Grèce devait faire face à cet afflux de migrants :

« Madame la rapporteure, je veux tout d'abord vous féliciter pour votre rapport, très complet, et pour vos propositions, qui me semblent particulièrement pertinentes.

J'ai eu l'occasion de me rendre en Grèce, il y a quinze jours, en compagnie de notre Président. J'ai constaté que dans certains lieux, les conditions de vie sont difficiles, voire intolérables. Nous garderons tous en mémoire le regard de ces femmes, de ces jeunes enfants, de ces hommes, enfermés. Mais soyons honnêtes : quel pays européen pourrait faire face seul à un tel afflux de migrants ?

La Grèce est confrontée à une crise économique et sociale sans précédent, qui handicape tout à la fois les politiques d'accueil des migrants et leurs possibilités d'insertion. La crise qui installe les Grecs dans la précarité frappe aussi les migrants.

N'oublions pas non plus que, pour beaucoup, la Grèce est une porte d'entrée en Europe - pour des raisons en premier lieu géographiques. Ces migrants, souvent en transit ou demandeurs d'asile, ne sont pas le problème de la seule Grèce, mais de l'Europe tout entière. Monsieur le Président, vous avez d'ailleurs souligné, lors de votre visite à Athènes, que la solidarité européenne devait impérativement se manifester pour éviter que la situation autour de la Méditerranée ne devienne une catastrophe humanitaire.

Des milliers de migrants entrent irrégulièrement en Grèce chaque année ; la plupart d'entre eux passent par la Turquie. Pour gérer au mieux cet afflux massif de personnes fuyant la guerre ou la misère, des mesures doivent être prises de chaque côté de la frontière. Chaque protagoniste - la Grèce, mais aussi la Turquie - doit fournir une part de l'effort ; mais l'Union européenne, elle aussi, notamment avec Frontex et avec les garde-côtes européens, a un rôle important à jouer.

Le nombre très élevé de demandes d'asile et le manque criant de personnel et de moyens alloués à l'Agence nationale d'asile censée instruire ces demandes créent une situation intenable, tout particulièrement lorsque des mineurs sont concernés - et ils ne sont pas rares, ces mineurs isolés, sans famille, perdus à l'issue d'un périple qui les a coupés de tout !

Les autorités grecques sont résolues à résorber l'arriéré des demandes d'asile - qui serait de quelque 50 000 - et à améliorer les conditions de rétention. Je m'en réjouis. Plusieurs centres qui ne répondaient pas aux standards européens ont d'ores et déjà été fermés. C'est un pas positif, mais je crains que, sans une aide concrète de l'Union européenne et des pays membres de l'Union, la Grèce n'éprouve des difficultés croissantes à poursuivre ces efforts.

Chers collègues grecs, soyez persuadés que nous avons conscience des difficultés auxquelles vous êtes confrontés et que j'ai pu constater, avec de nombreux collègues, lors de notre visite. Toutefois, dans la pénombre de la crise, les valeurs du Conseil de l'Europe doivent rester notre lumière et notre guide. Nous vous accompagnerons dans cette voie. »

La Turquie est, de son côté, invitée à garder ses frontières ouvertes aux réfugiés syriens tout en prenant des mesures pour améliorer les conditions de rétention des migrants. La réforme du droit d'asile actuellement en débat au Parlement doit également être accomplie.

Mme Marie-Louise Fort (Yonne - UMP) a tenu à saluer, dans son intervention, les efforts accomplis par la Turquie pour accueillir les réfugiés syriens :

« Je voudrais, pour ma part, revenir sur la situation des migrants et des demandeurs d'asile en Turquie.

Hier encore, le ministre des Affaires étrangères turc, M. Davutoglu, a déclaré que la Turquie « ne fermera jamais ses frontières » aux réfugiés syriens.

Madame la rapporteure, je crois que, comme vous le rappelez dans votre projet de résolution, nous ne pouvons que saluer la politique généreuse de la Turquie vis-à-vis des Syriens fuyant la guerre civile et les massacres.

En effet, ce pays accueille déjà plus de 200 000 réfugiés et il est aujourd'hui légitime de se demander combien de réfugiés vont encore arriver et si la Turquie pourra, seule, supporter cet afflux massif. Cela d'autant plus que, comme vous le savez, tous les camps de réfugiés situés à proximité de la frontière syrienne sont régulièrement victimes de tirs d'obus des partisans du pouvoir syrien. Plus de 10 000 réfugiés syriens attendent encore à la frontière turque.

Le 16 janvier dernier, la directrice exécutive du programme alimentaire mondial, M me Ertharin Cousin, s'est rendue dans les camps de réfugiés syriens. Elle a déclaré : « La crise continue, mais nous ne devons pas laisser un seul bébé avoir faim. Nous demandons aux donateurs du monde entier de se joindre aux efforts de la Turquie et de ceux qui aident déjà pour subvenir aux besoins alimentaires de tous ceux qui souffrent de la crise syrienne. »

La Turquie a déjà dépensé 360 millions de dollars, dont 30 millions sont issus de la solidarité internationale.

Un rapport récent du Haut-Commissariat aux réfugiés de l'ONU indique que le manque d'espace dans les camps reste un défi majeur pour les autorités locales, alors que l'hiver fait son apparition. Il est prévu l'ouverture d'un nouveau camp à Nizip, pouvant accueillir jusqu'à 5 000 personnes. Cependant, la multiplication de camps de réfugiés ne peut être une solution.

Madame la rapporteure, je pense qu'il faut également réfléchir aux actions à mener pour qu'après la fin de la guerre, les réfugiés syriens puissent retourner dans de bonnes conditions dans leur pays.

De manière plus générale, pour les autres migrants et demandeurs d'asile, il est clair qu'aujourd'hui, la situation économique et sociale de l'Europe ne lui permet plus d'accueillir toutes les personnes qui croient à une vie meilleure dans un Eldorado européen qui n'existe pas.

La situation en Grèce est symptomatique des limites de cette politique d'accueil. J'ai été particulièrement touchée par les interventions de nos collègues grecques. Il est de notre devoir de décrire la situation, de dénoncer ce qui ne va pas, mais ne jetons la pierre à aucun pays européen. Au contraire, soyons solidaires. Il faut que la Turquie contrôle mieux sa frontière avec l'Europe, et le déploiement de Frontex sur le territoire turc pourrait être une ébauche de solution.

Si ce matin, au cours du débat selon la procédure d'urgence, nous faisons le constat du présent, il est indispensable de préparer également l'avenir ; pour ce faire, nous devons réfléchir ensemble à une politique plus cohérente à l'égard des pays d'origine des migrants. Le codéveloppement devrait être une priorité pour permettre à ces hommes et ces femmes désespérés de garder toute leur dignité et de croire en leur devenir ».

L'Union européenne est, quant à elle, incitée, à apporter une assistance supplémentaire à ces pays et à assumer la responsabilité des réfugiés et demandeurs d'asile syriens en les relocalisant à l'intérieur de l'Union européenne. Elle pourrait également participer au financement d'initiatives menées par le Haut-commissariat aux réfugiés des Nations unies ou de l'Office international des migrations. L'Assemblée souhaite, en outre, que le règlement dit Dublin, qui coordonne sur son territoire les politiques nationales d'accueil des migrants, soit révisé. Ce texte assigne au premier État membre traversé la seule responsabilité des demandeurs d'asile. Aucun mécanisme de suspension des renvois vers les pays de l'Union européenne qui, à l'image de la Grèce, ne parviennent pas à gérer l'afflux de demandeurs d'asile sur leur territoire n'est ainsi prévu.

M. Philippe Bies (Bas-Rhin - SRC) a souhaité, dans son intervention, qu'une véritable politique migratoire européenne puisse voir le jour à l'occasion de cette crise :

« Je voudrais tout d'abord remercier M me Strik pour son rapport, que nous devons entendre comme un message d'alerte.

D'un côté, une population qui subit violemment et durement une crise économique, de l'autre, des migrants, des réfugiés et une organisation politique qui n'a pour unique programme que l'agitation et la haine : il s'agit d'un cocktail que nous ne connaissons, hélas !, que trop bien sur notre continent.

Jamais une réponse nationale n'a pu relever un tel défi, et pourtant, à chaque fois, le réflexe, c'est le nationalisme ! Pour l'observer, nul besoin d'aller jusqu'en Méditerranée. Nous sommes tous concernés : chacun dans nos pays, nous avons des exemples précis en tête. Pour ma part, je me souviens d'un Président de la République qui, il y a quelques mois, envisageait de suspendre la participation de la France aux accords de Schengen. C'est pourtant l'inverse qu'il convient de faire.

Quoi qu'on puisse penser dans nos pays respectifs, pour nos voisins, l'Europe est attractive. Cette attractivité, nous la voulons, nous la revendiquons même, mais nous refusons de l'assumer.

Face à la crise économique et financière qui a failli faire sortir la Grèce de la zone euro, il n'y avait qu'une réponse possible : la solidarité européenne. Face à la pression migratoire que connaissent l'ensemble des pays européens situés sur les rives de la Méditerranée, et principalement la Grèce et la Turquie, une seule réponse est là encore possible : la solidarité européenne. Cette solidarité, nous devons la construire avec ambition, mais aussi au regard des évolutions démographiques que connaîtra l'Europe au cours des prochaines décennies.

Je partage le point de vue selon lequel, si l'on n'envisage la politique migratoire qu'à travers le prisme des contrôles des frontières, cela ne nous amènera qu'à déplacer la pression migratoire d'une frontière à l'autre. Répartir l'accueil et le traitement des flux migratoires arrivant aux frontières extérieures de l'Europe entre les États européens peut paraître ambitieux ; c'est pourtant une nécessité.

Face à ce constat, le Conseil de l'Europe, et plus précisément notre Assemblée, a un rôle majeur à jouer : favoriser la prise de conscience des États membres et de l'Union Européenne afin qu'une véritable politique migratoire européenne voie le jour. Tel est le sens de ce projet de résolution et de ce projet de recommandation. Mais face aux évolutions démographiques, il me semblerait pertinent de valoriser également les aspects bénéfiques des migrations pour l'Europe, tant du point de vue économique que du point de vue culturel. »

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