III. LES DROITS DE L'HOMME EN EUROPE ET DANS LE MONDE

A. INTERVENTION DE M. MIKHEIL SAAKACHVILI, PRÉSIDENT DE LA GEORGIE

Les élections législatives organisées en Géorgie le 1 er octobre dernier ont été marquées par la victoire de la coalition « Rêve géorgien » de Bidzina Ivanishvili, issue de l'opposition au Président Mikheil Saakachvili. Le mandat de ce dernier devrait se terminer en octobre 2013. La Géorgie est donc confrontée à une situation inédite de cohabitation à la tête de l'État. Celle-ci est marquée par un certain nombre de tensions en raison de l'antagonisme entre le chef de l'État et son nouveau Premier ministre.

Cette nouvelle configuration politique a été au coeur de l'intervention du président géorgien devant l'Assemblée parlementaire, la quatrième depuis sa première élection en janvier 2004. Rappelant la nécessité pour toute démocratie de connaître l'alternance, il a néanmoins dénoncé certains excès depuis l'arrivée au pouvoir du nouveau gouvernement. Il a ainsi cité les poursuites judiciaires contre les anciens responsables gouvernementaux, les parlementaires de l'opposition, les autorités locales ou certains médias.

Le Président souhaite, par ailleurs, que le nouveau gouvernement poursuive l'intégration européenne et euro-atlantique de la Géorgie. Il a regretté que le nouveau Premier ministre entende placer le pays à équidistance entre l'Union européenne et la Russie, estimant même que le gouvernement semblait plus favorable à Moscou qu'à l'Occident. M. Saakachvili a, dans le même temps, dénoncé une présence militaire russe croissante en Abkhazie et en Ossétie du Sud et condamné l'épuration ethnique de fait qui y est organisée contre la population géorgienne.

A l'occasion du débat dans l'hémicycle, Mme Josette Durrieu (Hautes-Pyrénées - SOC) a souhaité apporter son soutien au président géorgien, par ailleurs ancien membre de l'Assemblée parlementaire :

« Je salue notre ancien collègue parlementaire du Conseil de l'Europe, avec lequel nous avons parcouru un long chemin.

Monsieur le Président, les avis dans cette enceinte sont partagés. Je souhaiterais que le Conseil de l'Europe conserve parmi ses principes le respect de la souveraineté et de l'intégrité des États. C'est un appel à une solution pacifique entre la Géorgie et la Fédération de Russie. »

B. LA SITUATION AU KOSOVO ET LE RÔLE DU CONSEIL DE L'EUROPE

Trois ans après l'adoption d'une résolution sur le même sujet et deux ans après le vote de textes concernant les allégations de trafic d'organes sur le territoire kosovar au moment de la guerre d'indépendance, la commission des questions politiques et de la démocratie a souhaité de nouveau débattre de la question du Kosovo, alors que des négociations entre Pristina et Belgrade ont débuté sous l'égide de l'Union européenne au printemps 2011. L'indépendance du Kosovo n'étant pas reconnu par la totalité des États membres du Conseil de l'Europe, la question du statut n'est pas abordée dans le rapport présenté devant l'Assemblée.

M. Jean-Pierre Michel (Haute-Saône - SOC) , intervenant au nom du groupe socialiste, a souhaité insister dans son propos sur la mise en oeuvre d'une véritable décentralisation dans le pays, destinée à favoriser la coexistence entre les communautés :

« Je remercie tout d'abord M. von Sydow, dont le rapport commence de façon très noire pour s'éclaircir à la fin.

Pour m'être moi-même rendu au Kosovo ainsi que dans tous les autres pays de la zone, j'ai pu constater que la situation évolue et s'améliore depuis deux ou trois ans, notamment grâce au dialogue renoué entre Pristina et Belgrade sous l'égide de l'Union européenne - dialogue qui, naguère, était totalement bloqué. Il est évident que la Serbie a tout intérêt à apaiser sa relation avec le Kosovo si elle veut intégrer l'Union européenne, car c'est aujourd'hui l'obstacle principal qui lui reste à franchir.

Passé ce constat diplomatique, je m'interroge cependant sur la réalité de ce dialogue sur le terrain.

Sur le terrain, le Kosovo tente de devenir un État moderne et de consolider son régime démocratique. Il vise à intégrer dans le même temps le concert des nations européennes. Son principal défi est celui de la coexistence pacifique entre deux communautés qui ont vécu des années de guerre civile et qui, pour certains, sont toujours dans une haine réciproque totale. Les violences ont cessé aujourd'hui et, même si elles reprennent sporadiquement, elles sont condamnées par le gouvernement central. Il appartient à ce dernier désormais de dépasser ce stade et de faire émerger un véritable vouloir vivre-ensemble. J'ai encore en tête les propos d'une jeune habitante de Mitrovica, qui travaillait pour une association pro-européenne et refusait de voyager avec un passeport kosovar, souhaitant simplement disposer d'un passeport serbe. Cela en dit long sur l'état de la société du Kosovo aujourd'hui !

La décentralisation que les autorités disent vouloir promouvoir doit être mise en place et donner lieu à de véritables péréquations en vue de diminuer le rôle des structures parallèles - financées aujourd'hui par la Serbie, comme chacun sait. Par ailleurs, le bilinguisme doit être encouragé car, aujourd'hui, les deux communautés ne se comprennent pas parce qu'elles ne parlent pas la même langue.

Le nord du pays reste un défi de taille. Ce territoire tient plus, à l'heure actuelle, du sud de la Serbie que de la partie septentrionale du Kosovo. Mais, pour ma part, je ne militerai pas en faveur d'une partition ou de la mise en place d'une Republika Srpska kosovare - on a vu le résultat en Bosnie -, tant une nouvelle division aurait une incidence considérable sur le devenir de la région et ouvrirait, à n'en pas douter, de nouvelles périodes d'instabilité non seulement au Kosovo, mais aussi en Serbie, en Macédoine et, bien sûr, en Bosnie-Herzégovine. Ces pays n'en ont vraiment pas besoin. De nombreux précédents montrent, à l'image de l'accord de Gasperi-Grüber de 1947 sur le Tyrol du Sud, qu'il existe des moyens pour permettre à toutes les parties de ce pays de s'intégrer pleinement.

En conclusion, Monsieur le Président, je voudrais suggérer que, lors d'une session, soit inscrit à l'ordre du jour un débat conjoint ou consécutif sur les quatre États issus de l'ex-Yougoslavie : le Monténégro, la Macédoine, la Bosnie-Herzégovine et le Kosovo. Ces quatre pays ne sont pas aujourd'hui de vrais États démocratiques. Ils peinent à le devenir pour des raisons différentes, certes, mais qui s'apparentent. Entendre des rapports successifs sur ces quatre États permettrait à l'Assemblée parlementaire d'avoir un éclairage bien plus complet sur la situation. »

M. Bernard Fournier (Loire - UMP) a, quant à lui, appelé le Conseil de l'Europe à jouer pleinement un rôle en faveur du dialogue entre Serbes et Kosovars :

« L'année qui vient de s'écouler a correspondu à une nouvelle étape pour le Kosovo, lequel semble enfin, à l'aube du quinzième anniversaire de la création du Groupe de contact, trouver sa place sur la scène régionale, mais aussi internationale, et cela en dépit des incertitudes qui entourent encore son statut.

Je tiens au préalable à saluer la clairvoyance des autorités serbes qui, depuis deux ans et malgré un changement de gouvernement, poursuivent les négociations avec leurs homologues kosovars sous l'égide de l'Union européenne, afin de régler un certain nombre de problèmes techniques mais aussi politiques. Sans cette ouverture, je ne doute pas que le rapport présenté aujourd'hui par la commission des questions politiques, mais aussi la communication de la Commission européenne sur le sujet publiée en octobre dernier, seraient moins positifs sur le développement des institutions démocratiques au Kosovo.

Mon propos liminaire ne doit pas pour autant laisser penser que tout va bien au Kosovo, car je mesure grandement les difficultés qui persistent. N'oublions pas que ce pays est confronté à un triple défi : celui de la reconstruction, après des années de guerre civile larvée ; celui de la démocratie, le peuple kosovar n'ayant pratiquement jamais connu ce régime ; et celui de l'affranchissement de la tutelle internationale. Ce dernier point n'est d'ailleurs pas sans conséquences sur un autre enjeu fondamental pour le Kosovo, celui du développement économique.

Face à ces défis, le Conseil de l'Europe a un rôle indéniable à jouer. Les instruments dont nous disposons sont à même de respecter les positions neutres adoptées par notre Organisation sur la question du statut. Je regrette néanmoins, comme l'indique le projet de recommandation, que notre Organisation n'ait pas été en mesure de mettre en place d'autres mécanismes de suivi, notamment en ce qui concerne la lutte contre la corruption. Le Conseil de l'Europe doit s'affranchir de toute logique diplomatique en ce qui concerne le Kosovo et viser surtout au respect, sur place, des valeurs qui nous unissent ici. Le renforcement de l'État de droit à Pristina ne saurait être envisagé comme une reconnaissance implicite de l'indépendance ; il doit plutôt constituer une priorité sur un territoire qui, quel que soit son statut, est du ressort géographique du Conseil de l'Europe. Ne nous trompons donc pas de débat.

Je remarque d'ailleurs que l'Union européenne avance de son côté en lançant une étude de faisabilité concernant un accord de stabilisation et d'association avec le Kosovo, quand bien même cinq États membres se refusent toujours à reconnaître son indépendance. Nous ne pouvons, une nouvelle fois, nous perdre dans des débats stériles sur l'opportunité politique d'une action et laisser d'autres organisations reprendre nos missions. La commission des questions politiques souhaite donc avec raison que soit améliorée la coopération avec les autres acteurs internationaux, afin notamment d'éviter de dupliquer les efforts. Le risque de duplication suppose néanmoins une implication pleine et entière de notre Organisation. Permettez-moi donc d'appeler le Comité des Ministres à courir ce risque. »

Rappelant les tensions permanentes au nord du pays, la résolution adoptée insiste sur la poursuite des négociations entre les autorités serbes et kosovares et le renforcement de l'autonomie des municipalités à majorité serbe situées dans cette région. Elle appelle également au renforcement de la stratégie adoptée par le gouvernement kosovar en faveur des minorités rom, ashkali et égyptienne vivant dans le pays.

Le texte insiste, en outre, sur la nécessaire amélioration du cadre juridique, institutionnel et politique de la lutte contre la corruption, les progrès réalisés en la matière étant considérés comme trop lents. Le rapport souligne que des retards équivalents sont enregistrés en ce qui concerne le combat contre le crime organisé, notamment dans le nord du pays. L'Union européenne est invitée, dans le même temps, à renforcer la mission EULEX qu'elle a déjà déployée sur le territoire kosovar.

La recommandation adoptée par l'Assemblée souligne de son côté la nécessité de consolider la coopération entre le Conseil de l'Europe et le Kosovo et invite le Comité des ministres à développer davantage ses actions de promotion de normes en faveur de l'indépendance et l'efficacité de la justice, de lutte contre la traite des êtres humains ou de promotion de l'égalité des sexes. L'Assemblée devrait dans le même temps renforcer ses liens avec l'Assemblée du Kosovo et permettre à ses représentants de participer aux travaux en commission, sans participation aux votes.

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