Audition de Me Daniel PICOTIN, avocat (mercredi 6 février 2013)

M. Alain Milon , président. - Mes chers collègues, nous recevons aujourd'hui Me Daniel Picotin, avocat. Je rappelle que Me Picotin a défendu récemment ceux que la presse a appelés les « reclus de Montflanquin » et qu'il est particulièrement engagé dans la lutte contre les dérives sectaires.

L'objet de notre audition de cet après-midi est de recevoir le témoignage de défenseur des victimes des dérives sectaires, en complément des auditions des associations de victimes auxquelles nous avons déjà procédé.

La commission d'enquête a souhaité que notre réunion d'aujourd'hui soit ouverte au public et à la presse ; un compte rendu en sera publié avec le rapport.

J'attire l'attention du public ici présent qu'il est tenu d'assister à cette audition en silence. Toute personne qui troublerait les débats, par exemple en donnant des marques d'approbation ou d'improbation, sera exclue sur le champ.

Je précise à l'attention de Me Daniel Picotin que notre commission d'enquête s'est constituée à l'initiative de M. Jacques Mézard, président du groupe RDSE, qui est donc notre rapporteur et qui s'excuse de ne pas être en mesure d'assister à notre audition de ce jour.

Je vais maintenant, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, demander à Me Picotin de prêter serment.

Je rappelle, pour la forme, qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.

Maître Picotin, veuillez prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : « Je le jure ».

Me Daniel Picotin . - Je le jure.

M. Alain Milon , président. - Je donne la parole à Me Picotin pour un exposé introductif ; puis j'inviterai mes collègues à vous poser des questions.

Me Daniel Picotin, avocat . - Avocat depuis trente-deux ans, j'ai participé quand j'étais député à la commission d'enquête de 1995 sur les sectes, dont la Miviludes est issue. En tant qu'avocat, je suis surtout un praticien, qui a « les mains dans le cambouis ». En 2012, j'ai plaidé dans cinq affaires d'emprise et de manipulation mentale qui ont toutes abouti à l'emprisonnement des gourous ou à leur condamnation à de la prison ferme. J'ai ainsi développé une véritable expertise dans le droit des dérives sectaires, matière que j'enseigne d'ailleurs en école d'avocats.

La question qui s'est posée à moi à l'occasion du dossier dit des reclus de Monflanquin est de savoir comment sortir quelqu'un de l'emprise mentale exercée par une secte. Cela m'a conduit à m'intéresser à la pratique des conseillers en sortie d'emprise mentale ( exit counselors ) développée aux Etats-Unis il y a une trentaine d'années par Steven Hassan. Ce dernier était sorti de dix ans d'emprise de la secte Moon après un deprogramming , une forme tout à fait interdite de lavage de cerveau. Bien que cette méthode ait fonctionné pour lui, il a souhaité développer une méthode plus douce, que pratiquent désormais des psychanalystes américains.

Je m'en suis inspiré lorsque j'ai été saisi en 2004 du dossier de la famille de Védrines - onze aristocrates de la région de Bordeaux et du Lot-et-Garonne maintenus sous emprise mentale durant dix ans. Les lenteurs de la justice pénale m'ont laissé le temps de monter, sur le modèle américain, une équipe pluridisciplinaire comprenant une psychanalyste, une criminologue victimologue qui avait pratiqué l' exit counseling antérieurement selon les méthodes américaines, un détective privé et une psychologue clinicienne. Fin 2009, nous avons réussi à sortir huit membres de la famille de Védrines de l'emprise mentale de son gourou et, fort de ce succès expérimental, je mène une quinzaine d'opérations comparables en France et en Europe. Nous avons également réussi à sortir plusieurs personnes d'emprise mentale dans des dossiers moins médiatiques.

Praticien du droit, je m'intéresse moins aux questions philosophiques liées à la définition des dérives sectaires qu'au plus petit dénominateur commun du phénomène, l'emprise et la manipulation mentales, perspective dans laquelle s'inscrit déjà la loi About-Picard sur l'abus de faiblesse qui stigmatise la sujétion psychologique.

A partir de cette expérience et de l'étude des travaux de l'ensemble des spécialistes - juristes, gendarmes et même hommes d'Eglise -, j'ai écrit un Manifeste pour une législation plus efficace , diffusé par le Centre contre les manipulations mentales (CCMM). Il se trouve que je préside son antenne régionale, Info Sectes Aquitaine.

Dans les cinq dossiers que j'ai plaidés en 2012, toutes les victimes présentaient de graves problèmes de santé puisque le gourou voulant exercer un contrôle total sur la vie de ses adeptes, il n'est pas question que ceux-ci accèdent librement aux soins : dans l'affaire des reclus de Montflanquin, Charles-Henri de Védrines, ancien candidat aux municipales à Bordeaux aux côtés d'Alain Juppé, s'est laissé priver de soins malgré vingt-cinq ans de pratique médicale comme gynécologue-obstétricien ; conformément aux décisions du gourou Thierry Tilly, aucun membre de cette famille n'a consulté de dentiste pendant dix ans, et la grand-mère n'a pas soigné sa cataracte.

Le gourou Tang, condamné à dix ans de réclusion criminelle, qui a eu comme adeptes vingt-cinq à cinquante personnes dans le Lot-et-Garonne et en Ariège, dont les époux Lorenzato (un greffier, un douanier : des gens instruits !), ne les autorisait à consulter un médecin qu'au bout de trois jours et après qu'il avait prescrit lui-même des méthodes alimentaires ou autres.

Une jeune fille, dont le compagnon prétendait venir de la Planète Sirius, par exemple, était restée pendant dix ans sous l'emprise d'un homme, qui a été condamné par la cour d'appel de Paris en janvier 2012. Non seulement elle ne recevait aucun soin mais encore il la battait, afin de « corriger son karma ». Elle s'en est sortie avec une incapacité permanente partielle (IPP) de 17 % et de graves problèmes de santé. Il lui a fallu cent vingt séances de thérapie pour se reconstruire. Elle a néanmoins à deux reprises pu livrer aux élèves de l'Ecole nationale de la magistrature un témoignage qui les a sidérés.

Enfin, Me Ilario, magnétiseur libertin, condamné en décembre dernier à Bordeaux pour exercice illégal de la médecine, prétendait soigner même le cancer par des méthodes de manipulation en même temps qu'il plaçait ses adeptes sous emprise mentale.

Bien que toutes les affaires sectaires ne concernent pas directement le sujet de la commission d'enquête, elles sont très souvent en lien avec la santé car dès qu'une personne est placée sous emprise mentale, elle n'accède plus aux soins, ou bien ils lui sont délivrés par le gourou.

Un autre problème, très choquant à mes yeux, est la déviation à laquelle on assiste chez les psychothérapeutes, notamment dans le cas des « faux souvenirs induits ». Les efforts du Parlement à l'initiative de M. Accoyer n'ont malheureusement rien résolu. J'approuve les déclarations de Guy Rouquet : le titre de psychothérapeute est certes protégé, mais il suffit de parcourir les Pages jaunes où l'on distingue entre les psychothérapeutes dans le cadre de la loi et les psychothérapeutes non agréés pour constater que les psychothérapeutes « non agréés » prospèrent. Les gens ne font pas la différence. Comment peut-on livrer la santé mentale des Français à des escrocs qui peuvent être particulièrement dangereux ? Cela me semble extravagant.

En 2004, j'avais comme Charlie Hebdo dénoncé le scandale des enfants Indigo, ces enfants hyperactifs livrés à de faux psychothérapeutes : il y en avait onze en Aquitaine. Au-delà du titre de psychothérapeute, le Parlement devrait règlementer l'activité des psychothérapeutes, comme le recommande Guy Rouquet. Après tout, la DGECRF exerce un contrôle très vigilant dès qu'une grande surface vend un produit périmé. Or, en matière de psychothérapie, on peut faire n'importe quoi. Cela n'a pas de sens !

Mes propositions législatives, que récapitule le Manifeste dont je vous ai parlé tout à l'heure, partent du constat que le monde des juristes ne comprend pas ce que c'est que le phénomène de l'emprise mentale. Lisez les travaux des juristes, à commencer par le doyen Carbonnier, ils n'ont jamais pas vu de victimes : ils en restent au consentement libre. Or l'emprise mentale procède d'un mécanisme très curieux de rencontre entre la pathologie du gourou - désir de puissance, ratage affectif ou professionnel - et ce que recherche son adepte. Celui-ci peut se faire prendre quel que soit son niveau d'intelligence, parce que le gourou, avec un remarquable sens psychologique, le séduit, anesthésie son intelligence en touchant dans son inconscient des points dont il n'a même pas conscience. Les onze membres de la famille de Védrines, âgés de seize à quatre-vingt-neuf ans, ont tous été ainsi « anesthésiés ». On ne sort de cette prison mentale que par un déclic qui peut survenir en quelques secondes, un « dessillement », pour reprendre le mot de Pauline dans Polyeucte . Avec les psys, nous cherchons à provoquer ce déclic.

De nombreux travaux ont été réalisés sur l'emprise et la manipulation mentales, tels ceux des professeurs Zagury et Parquet, des docteurs Dubec, Coutanceau et Dorey. Il appartient aux juristes de s'en saisir pour en tirer toutes les conséquences. Pourquoi ne pas créer une commission spécifique ?

Ma première proposition concerne le droit civil. Si les adeptes ne sont plus que des marionnettes dans les mains de leur gourou, il faut que le droit reconnaisse cet état d'emprise comme un vice du consentement. En cas de dol, de violence ou d'erreur, il autorise à annuler des contrats passés jusqu'à cinq ans auparavant. La même règle devrait s'appliquer par exemple à la vente, pour une bouchée de pain, du château des Védrines, le bien auquel ils tenaient le plus - des siècles d'histoire. Ajouter un mot au code civil suffirait.

Ma deuxième proposition concerne le droit pénal. M'inspirant des travaux du général Morin ou de M. Eric Doligé, le premier parlementaire à stigmatiser le délit de manipulation mentale, j'estime que transformer des personnes en « zombies » est un crime qui doit être reconnu de manière autonome. La loi About-Picard exige une sujétion psychologique et une altération du jugement. Cependant, comme la manipulation mentale n'est pas un délit autonome, cette loi ne permet pas de reconnaître le traumatisme que constitue le fait d'avoir vécu des années dans cet état. Mesurer ce préjudice-là n'a pas de sens pour la justice. Or il faut reconnaître l'« emprise mentale préjudiciable ».

Autre problème : lorsqu'ils ont voulu porter plainte pour abus de faiblesse, les parents de la jeune fille dont le compagnon venait de Planète Sirius se sont vu opposer un classement sans suite : ils n'étaient pas recevables à porter plainte. Même chose lorsque nous avons voulu attaquer le gourou de la famille de Védrines qui se ruinait au vu de tout Bordeaux ; il a fallu attendre qu'une victime sorte et porte plainte ; cela a pris cinq ans... Tout ce temps est perdu.

Je plaide donc pour que la manipulation mentale soit un délit ou un crime en soi, et que la famille puisse agir tout de suite.

Je suis également partisan de placer les personnes sous emprise sous le régime de majeur protégé. Pendant tout le temps où ces personnes se ruinent, il faut les protéger. C'est une proposition de bon sens. Or, en 2001, la Cour de cassation, qui admet ce régime pour les personnes atteintes de la maladie d'Alzheimer, l'a refusé aux victimes de dérives sectaires, au nom d'une bien théorique liberté du consentement. Pis encore, depuis une loi de 2007, la prodigalité n'est plus un motif de placement sous tutelle ou sous curatelle. Pourtant, Christine de Védrines, née Cornette de la Minière, assujettie à l'ISF quand elle a quitté Bordeaux, ne possédait plus qu'une brosse à dents lorsqu'elle est venue nous voir, et nous avons dû l'orienter vers une assistante sociale pour toucher le RMI. Pour éviter toute atteinte aux libertés, le placement pourrait être décidé par deux experts aux tutelles et curatelles inscrits sur la liste départementale. Dix années d'application de loi About-Picard conduisent d'ailleurs à ne pas être inquiet s'agissant d'éventuelles atteintes aux libertés.

M. Alain Milon , président. - Avez-vous aussi des exemples de personnes malades qui se rendent auprès d'un gourou en quête de guérison ?

Me Daniel Picotin . - La santé figure parmi les méthodes d'approche bien connues. Tang, qui disait être Jésus, a promis à une femme en fauteuil roulant qu'elle remarcherait. Quant à Ilario, il a conseillé à un malade du cancer d'arrêter le traitement conventionnel.

Mme Muguette Dini . - Avez-vous déjà fait l'objet d'intimidations ?

Me Daniel Picotin . - Non, en revanche, je me suis une fois demandé si un gourou n'avait pas pratiqué sur moi de l'hypnose sauvage...

Mme Muguette Dini . - Avez-vous connaissance, même hors de votre région, d'une augmentation du nombre de dossiers relatifs au domaine de la santé ?

Me Daniel Picotin . - Il est difficile pour un modeste praticien de province de porter une appréciation globale de ce phénomène. En revanche, je partage les idées sur la « société facilitatrice » exprimées l'an dernier par Marie-France Hirigoyen dans son ouvrage sur l'abus de faiblesse (Abus de faiblesse et autres manipulations) . Nos contemporains n'ont jamais été autant disposés à croire tout et n'importe quoi. Cela tient à divers influences, y compris celles des séries télévisées : l'histoire des enfants Indigo m'a rappelé Les envahisseurs.

Mme Catherine Deroche . - Quelle est la part de la conviction chez les gourous, et celle de l'appât du gain ou du désir sexuel ?

Me Daniel Picotin . - Au vu de mon expérience, les meilleurs éléments de réponse figurent dans la typologie des gourous établie par le docteur Jean-Marie Abgrall dans La mécanique des sectes . On repère des constantes, à commencer par les ratages, que les gourous taisent. Tang, qui ne communique aucun élément sur sa petite enfance, a porté jusqu'à l'âge de neuf ans des couches électriques ; Claude Vorilhon n'a décroché qu'un second prix dans un radio-crochet à Clermont-Ferrand... Aussi les gourous présentent-ils souvent de fausses biographies : entre ses trois étoiles de général des services secrets, son doctorat de droit et ses nombreux records sportifs, il a fallu une journée entière à Thierry Tilly pour détailler son curriculum vitae dans le cabinet du juge d'instruction. Or il s'est avéré que, de la sixième à la troisième, il avait été avant-dernier en sport !

Une autre caractéristique des gourous est de ne pas travailler : ils vivent comme des prédateurs ou des parasites, tel Tang surveillant de son rocking chair des hommes creusant un puits, des femmes s'activant au ménage, des enfants peignant la pelouse ou lustrant sa Mustang .

Enfin, ils sont eux-mêmes en proie à des pathologies. Au lieu de les soigner, ils trouvent chez leurs adeptes des points d'ancrage, et les renforcent par l'« emboîtage » que j'ai décrit entre eux et leurs adeptes.

M. Stéphane Mazars . - Les dossiers d'enquêtes préliminaires que vous trouvez sont-ils bien ficelés ? Les services d'enquête sont-ils à votre avis suffisamment qualifiés ?

Me Daniel Picotin . - Mon principal problème se situe au niveau des parquets. Je l'ai écrit dans mon manifeste, je le proclame, c'est la justice qui a le plus grand mal à appréhender les notions d'emprise et de manipulation mentales et à accepter la loi About-Picard. A Toulouse récemment, des juges ont même exprimé des réserves publiques sur ce texte.

Pendant les cinq, dix ou vingt années que dure l'emprise du gourou, la victime ne peut pas porter plainte. Les requêtes des familles sont classées sans suite ; « s'ils sont masochistes, c'est leur problème », m'a-t-on dit. Certes, ces familles présentent toutes une problématique particulière que le gourou a su exploiter, mais elles vivent dans l'angoisse, d'autant que le gourou a généralement fait en sorte d'isoler la victime de son entourage. Selon le docteur Zagury, le gourou Tilly a agi comme un psychanalyste, mais en dévoyant le transfert.

Les services d'enquête ont fait de grands progrès : la gendarmerie dispose d'officiers de renseignement s'intéressant à ces sujets et de grilles d'analyse spécialisées. La police a mis en place la Caimades, dont les enquêteurs sont particulièrement compétents.

Autre souci avec la justice, nombre de juges aux affaires familiales et d'experts passent, faute de formation, à côté des faux souvenirs induits. Plus jamais Outreau ? C'est si peu vrai que je fais chaque fois appel à des experts nationaux car au niveau local, la vigilance n'est pas toujours la même. Il faudrait donc au moins un expert compétent dans chaque cour d'appel.

Nous sommes aussi confrontés aux difficultés quotidiennes de fonctionnement de l'institution. Dans l'affaire du magnétiseur libertin, il a fallu que je renouvelle mes explications devant les quatre substituts qui se sont succédé, au gré des affectations successives des uns et des autres. Le temps passe alors qu'il y urgence. La jeune fille dont le compagnon prétendait venir de Planète Sirius était venue me voir en 2001, la cour d'appel de Paris a prononcé la condamnation pénale en janvier 2012. Onze ans plus tard ! Certes, une formation est dispensée à l'ENM, mais l'on forme sur trois jours 80 magistrats sur 6 000, qui sont loin d'être tous au point sur ce sujet. Pour peu que le parquetier n'y croie pas et que l'expert ne voie rien, la famille a intérêt à s'armer de patience...

M. Stéphane Mazars. - Faudrait-il un parquet et un pôle d'instruction spécialisés dans chaque cour d'appel ?

Me Daniel Picotin. - Absolument. Il y a un service spécialisé à Paris.

Mme Muguette Dini . - N'a-t-on pas déjà désigné des procureurs chargés de ces sujets ?

Me Daniel Picotin. - Sur le papier peut-être. On évoque parfois la circulaire Toubon...

Mme Muguette Dini . - J'ai été étonnée d'apprendre il y a quelques jours qu'au cours de l'année 2012, le procureur spécialisé de Lyon n'avait reçu qu'un dossier et son collège de Villefranche-sur-Saône, trois.

Me Daniel Picotin . - Les affaires ne remontent pas alors qu'elles devraient être rapidement confiées à des magistrats compétents et réactifs.

Dans l'affaire Tang ou dans celle du magnétiseur libertin, les gendarmes avaient travaillé merveilleusement. Cependant, les juges hésitent devant une notion qu'ils trouvent floue. Il faudrait que les critères de l'emprise mentale soient admis du monde juridique aussi bien que ceux d'une IPP due à un accident de la route. Cela appelle un travail d'élaboration et d'explication.

M. Stéphane Mazars . - Comment envisagez-vous de faire prospérer vos propositions ? Etes-vous en contact avec la Chancellerie ?

Me Daniel Picotin . - Vous êtes le législateur...

M. Stéphane Mazars . - Vous avez été député.

Me Daniel Picotin. - Je suis en relation avec quelques parlementaires, mais il ne revient pas à un petit avocat de province de s'adresser directement à la Chancellerie. Le manifeste a été mis sur la place publique par le CCMM, mon action s'arrête là. Messieurs les législateurs, c'est à vous de jouer.

M. Stéphane Mazars . - Préconisez-vous que l'infraction soit un crime dans tous les cas ou seulement en fonction du préjudice ?

Me Daniel Picotin . - Il ne m'appartient pas d'écrire la loi. Pour moi, l'emprise mentale est un crime ; elle mérite vingt ans. Ce qui importe surtout c'est que l'on reconnaisse une infraction autonome.

Vous me demandiez si les gourous y croient eux-mêmes. Je pense que non, même si comme l'indiquait sa femme, Claude Vorilhon, alias Raël, finissait par se prendre au jeu. Lorsque vous les interrogez, l'essentiel est de ne pas entrer dans leur logorrhée, de s'en tenir à des questions courtes et précises.

M. Stéphane Mazars . - Avez-vous eu connaissance de dossiers dans lesquels des personnes morales étaient poursuivies ?

Me Daniel Picotin . - Non, hormis l'Eglise de Scientologie à Paris. Plutôt qu'aux grandes structures, comme le Mandarom, la tendance est à l'éclatement en une multitude de gourous et de thérapeutes. Tilly est un « gourou de famille », Tang a manipulé une cinquantaine de personnes et Raël a 2 000 adeptes. De l'épicier de quartier à la PME ou à la multinationale, il y en a pour chacun selon son appétit et ses compétences.

M. Stéphane Mazars . - Peut-on établir un parallèle entre les victimes de sectes et celles d'abus sexuels ou de violences, notamment quant au sentiment de culpabilité ?

Me Daniel Picotin . - Oui, tout à fait. Dans une affaire de luminothérapie, les victimes, recrutées dans les milieux catholiques, éprouvent même de la honte à l'idée que les choses vont se savoir dans la paroisse, dans la ville. Le lien pathologique dont joue le gourou lui sert à ramener des victimes sur ce point d'accroche. Il a suffi à une victime de sentir de nouveau l'odeur de l'encens en entendant de la musique tibétaine pour être tentée de repartir. Il y a des bombes à retardement psychologiques placées par le gourou !

Mme Muguette Dini . - La reconnaissance juridique de la notion d'emprise mentale pourrait-elle aussi servir aux victimes de violences conjugales ?

Me Daniel Picotin . - Les problématiques sont tout à fait voisines. Là non plus, la victime d'un conjoint pervers narcissique ou manipulateur n'est pas crue par les experts.

Mme Muguette Dini . - Les juges ne prennent pas la situation en compte.

Me Daniel Picotin . - Ils se trompent. Lorsque j'ai dit au docteur Reichert-Pagnard, auteur de Crimes impunis ou Néonta : histoire d'un amour manipulé , qui travaille beaucoup sur ces sujets, que « nous étions cousins », elle m'a répondu : « Non, nous sommes frères » . Simplement le mari violent s'en tient à sa famille sans passer au stade commercial - je ne m'en suis rendu compte que très récemment.

Mme Muguette Dini . - Après avoir rencontré le docteur Reichert-Pagnard, j'ai vainement tenté de modifier la loi. Nous avons toutefois obtenu que les violences psychologiques puissent être reconnues sans certificat médical.

Me Daniel Picotin . - Je pense à un cas de manipulateur familial en Bretagne. On y retrouve tous les éléments constitutifs du gourou : la fausse biographie, le parasitisme, la violence et le sentiment de culpabilité de la victime.

M. Alain Milon , président. - En tant qu'avocat, quel système de défense prendriez-vous si vous aviez à défendre un gourou ?

Me Daniel Picotin. - Je ne l'ai fait qu'une fois, c'était en 1997. Il était atteint du syndrome de Rendu-Osler qui provoquait des hémorragies. Dès qu'il a eu huit ou neuf ans, les gens de son village, puis de toute la Corrèze venaient le consulter. Lui, qui voulait être chanteur, a progressivement endossé ce rôle jusqu'à en abuser, et devenir une sorte de gourou. Je lui ai conseillé de reconnaître la vérité. En manipulateur qu'il était, il m'a répondu que quoiqu'innocent, il était prêt à se déclarer coupable pour m'être agréable. J'y ai renoncé, et il n'a pu bénéficier de soins. Le procureur avait requis vingt ans, mon client en a pris dix-huit, il m'a remercié...

M. Alain Milon , président . - Des avocats célèbres prennent le parti des sectes. De tels avocats appartiennent-ils à des sectes ?

Me Daniel Picotin. - Chaque avocat est libre et chacun a droit à un avocat, même Hitler. Si certains confrères sont intellectuellement ouverts aux sectes, très peu à mon avis en sont membres.

M. Alain Milon , président . - Je vous remercie.

Me Daniel Picotin. - Mon approche est celle d'un praticien confronté à un problème juridique précis et à des drames humains. Si changement il y a, il viendra du terrain et des parlementaires, davantage que du Gouvernement.

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