F. GARANTIR L'INTEROPÉRABILITÉ DES SYSTÈMES D'INFORMATION

Comme le rapport d'information précité sur le contrôle de la mise en oeuvre de la loi LRU, l'État, en sa qualité de responsable du pilotage national des établissements assurant une mission de service public d'enseignement supérieur et de recherche, devrait s'assurer que les services administratifs de tutelle, les opérateurs disposant d'une autonomie de gestion et les organismes chargés de l'évaluation communiquent entre eux sur la base de données et de systèmes d'information partagés. À ce titre, il revient au ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche de définir des référentiels de pilotage communs aux universités dès lors qu'elles étaient dotées d'une large autonomie budgétaire et financière, afin de les accompagner dans l'exercice de leurs nouvelles compétences en matière de gestion de leurs personnels et de leur patrimoine. Ce n'est qu'en établissant, au niveau national, des cadres de gestion fonctionnels communs à l'ensemble des opérateurs que peuvent intervenir la collecte, l'analyse, le partage et l'évaluation d'informations fiables et cohérentes.

Dans cette logique, l'inspection générale des finances (IGF) et l'inspection générale de l'administration de l'éducation nationale (IGAENR) avaient élaboré, en octobre 2007, un « Cahier des charges établi en vue de l'élargissement des compétences des universités prévue par la loi relative aux libertés et responsabilités des universités ». Ce document définissait les critères permettant d'apprécier la capacité d'une université à assumer les nouvelles compétences prévues par la loi et à en tirer le plus grand parti. Il a servi de référentiel d'évaluation aux audits conduits par l'IGAENR préalablement au passage de chaque université aux RCE (dits « audits pré-RCE »).

Les audits pré-RCE effectués par l'IGAENR n'ont pas conduit à la définition d'un référentiel de pilotage et de gestion qui aurait servi de dénominateur commun à l'ensemble des établissements. Les universités n'ont pas disposé, par conséquent, de la visibilité nécessaire sur les données nécessaires à l'élaboration régulière de diagnostics sur leur santé comptable et financière. De 2009 à 2012, aucun outil de suivi et de support n'a été mis en place au niveau national afin d'accompagner les établissements dans la gestion d'une masse salariale transférée qui, représentant parfois jusqu'à 80 % du total des moyens récurrents attribués, a largement contribué à une rigidification des budgets universitaires, sans que les équipes n'y aient été préparées.

Vos rapporteurs ont eu le sentiment que les services de tutelle n'avaient pas eux-mêmes anticipé avec précision les conséquences du transfert aux universités de l'autonomie de gestion, en particulier de la dévolution de la masse salariale. En ne définissant pas le contenu concret de l'autonomie en termes de gestion budgétaire et financière, l'État n'a pas assuré une normalisation des procédures de gestion qui auraient dû être partagées par l'ensemble des universités, tout autant que dans la construction d'une nouvelle culture de gestion et de responsabilité.

La masse de données réclamées par le ministère aux universités dans le cadre d'enquêtes régulières a, de façon assez paradoxale, considérablement augmenté au cours de ces cinq dernières années, ce qui atteste que l'État ne maîtrisait pas lui-même le concept d'autonomie des universités. Le nombre d'indicateurs a dépassé allègrement la centaine, diminuant d'autant la fiabilité des informations collectées et leur degré de comparabilité entre établissements. Certaines informations recueillies ont pu paraître obsolètes, voire en complète contradiction avec le principe même d'autonomie. À titre d'exemple, la direction générale des ressources humaines du MESR a maintenu l'obligation pour les universités, pourtant responsables de la gestion de leurs personnels et de leurs recrutements, de communiquer aux rectorats la numérotation de leurs postes.

Dans ces conditions, l'Agence de mutualisation des universités et des établissements d'enseignement supérieur et de recherche (AMUE) et les universités ont navigué à vue dans l'élaboration d'outils de gestion partagés. L'AMUE explique, en particulier, que l'insuffisante réactivité de son appui logistique auprès des universités, qui lui vaut de nombreuses critiques, tient en grande partie à l'absence d'identification par la tutelle d'un besoin clair d'informations fortes et fiables qui aurait justifié une mutualisation via la mise en place d'un outil de gestion partagé par l'ensemble des universités. Sans référentiel de gestion commun, chaque université a manifesté des besoins particuliers, largement influencés par leur contexte propre et leurs spécificités, auxquels l'AMUE n'a pas été en mesure de répondre.

Il n'est pas surprenant que nombre d'universités aient fait le choix de développer en interne leurs propres instruments de gestion, bien souvent en faisant appel à des prestataires extérieurs. L'université de Strasbourg a mis au point un système d'information lui permettant d'intégrer des éléments de trésorerie (paie) dans sa gestion des ressources humaines, afin de faire correspondre consommation de la masse salariale et volume d'activités de ses personnels. En effet, le logiciel national « POEMS » de gestion pluriannuelle de la masse salariale et des emplois 100 ( * ) , qui permet certes d'effectuer des simulations à partir de projections de paie, ne répondait pas aux besoins particuliers de l'université, en raison de son caractère jugé trop « macroscopique ». L'université travaille également, à l'heure actuelle, à la mise au point d'un système d'information permettant de gérer de façon intégrée l'ensemble des fonctions de scolarité : formations, dossier étudiant, orientation, examens, alumni (anciens élèves)...

L'université d'Avignon souligne, pour sa part, les coûts considérables de maintenance de l'outil SIFAC, évalués à 70 000 euros, ainsi que des dysfonctionnements notables dans l'utilisation des outils OREMS-RCE (outil de remontée des emplois de la masse salariale) et POEMS. L'université regrette les coûts de fourniture d'outils de gestion de l'AMUE (100 000 euros sur trois ans), qu'elle juge hors de proportion par rapport aux tarifs proposés par une entreprise privée pour un outil immédiat (7 000 euros). L'université de Picardie déplore, de son côté, l'impossibilité d'établir une interface entre les données de trésorerie et le suivi du volume d'activités, en particulier dans la gestion des personnels, à partir du logiciel SIFAC.

Les outils développés en interne à l'initiative propre des établissements sont généralement conçus dans une logique du moins impactant sur le personnel administratif tant des services financiers que des services chargés de la scolarité. Ils sont, par conséquent, difficilement mutualisables par l'AMUE qui se doit de viser les meilleures pratiques internationales. L'agence travaille, à l'heure actuelle, sur un projet dénommé « DÉCISIONNEL », mené en parallèle avec le projet « PRISME », d'intégration des différentes « briques » applicatives constituant les systèmes d'information des établissements, qui devrait être opérationnel à partir de 2014. Les premières fonctionnalités de ce projet concerneront en particulier le pilotage des emplois et de la masse salariale, ainsi que la mise à disposition de tableaux de bord stratégiques destinés au président, et la mobilisation des données destinées aux tutelles. L'objectif est d'établir un socle de gestion commun à l'ensemble des universités, dont l'interopérabilité devrait permettre à chacune des universités d'insérer ses propres applications (« briques »), et au ministre de bénéficier d'items comparables.

Le développement de portails tels que le portail « PapESR » 101 ( * ) , présentant les données statistiques de l'enseignement supérieur et de la recherche, l'outil relatif aux opérations de recrutement « GALAXIE », les échanges de type « COFISUP » ou plus récemment le développement de l'application nationale de gestion des personnels « PERSE » 102 ( * ) constituent des outils utiles au pilotage à la fois au ministère et aux universités, sans pour autant constituer des systèmes d'information partagés .

Vos rapporteurs ont pu constater que très peu d'outils communs de gestion ont été développés entre les établissements publics à caractère scientifique et technologique (EPST - organismes de recherche) et les universités. Cette mutualisation est quasi inexistante au niveau des pôles de recherche et d'enseignement supérieur (PRES), compte tenu du peu d'appétence des organismes de recherche pour ce mode de coopération. L'étanchéité de leurs systèmes d'information respectifs est telle que la gestion des personnels de recherche, de leurs promotions et de l'attribution des primes diffère au sein d'une même équipe de recherche ou d'un laboratoire universitaire, selon qu'il s'agit d'un enseignant-chercheur relevant de l'EPSCP ou d'un chercheur relevant de l'EPST. Cette séparation institutionnelle va jusqu'à la gestion des services de restauration, les cantines étant parfois distinctes pour les personnels des organismes de recherche et des universités sur un même site...

Les unités mixtes de recherche (UMR) se caractérisent par une très grande opacité des moyens mis à leur disposition respectivement par les organismes de recherche et les universités. La barrière technologique entre les universités et les organismes de recherche fait obstacle, encore aujourd'hui, à la fluidité des échanges s'agissant du grand nombre de conventions de recherche passées par les universités avec les organismes. En outre, les directeurs de laboratoire, seuls à disposer de l'information complète, sont peu moteurs dans l'échange d'informations financières , ce qui est facilité par la dualité des systèmes d'information financiers et comptables . Enfin, les équipes de direction des universités, bien qu'elles souffrent toujours de ce manque de visibilité, n'en ont pas fait une priorité du fait des nombreuses urgences qu'elles ont eu à traiter ces dernières années dans le cadre de leur passage aux RCE.

Il est particulièrement ardu pour les universités d'établir le coût consolidé des activités de ses laboratoires et de ses unités de recherche sous convention avec les organismes de recherche, compte tenu de leur incapacité à chiffrer les mises à disposition consenties par ces organismes et les frais environnants liés à l'accueil des personnels mis à disposition (hébergement des chercheurs et ingénieurs, services d'assistance...). Certaines directions des unités de recherche peuvent, en outre, se montrer réticentes à communiquer aux services centraux de l'université les moyens mis à leur disposition par les organismes de recherche, en redoutant que l'université diminue d'autant les moyens qu'elle lui affecte pour sa part.

Certains EPST, tels que le Centre national de la recherche scientifique (CNRS), ont fait, néanmoins, preuve de bonne volonté au travers de la mise en place de la délégation globale de gestion , qui suppose l'instauration d'un seul centre de gestion pour un laboratoire ou une unité mixte de recherche. Le renforcement de cette procédure est indispensable afin de garantir aux universités une vision consolidée des moyens humains et financiers de leurs structures de recherche.

Un système d'information partagé entre les différents financeurs des universités constitue un objectif louable, mais encore hors de portée en raison de la multiplicité des financeurs, de la variabilité des périmètres et des dispositifs de financement, de la diversité de la nature des moyens et des horizons variables de financement.

Pour l'heure, plutôt que d'envisager un système d'information commun à l'ensemble des financeurs, opération par nature complexe et coûteuse car nécessitant l'entretien de référentiels exhaustifs et des mises à jour permanentes, il convient de réfléchir à une sélection d'informations ciblées, représentatives sans pour autant être exhaustives , par nature plus évolutives. Cette sélection de données pourrait d'ailleurs être issue des systèmes informatiques « métiers » existants. Une approche « modulaire », privilégiant un infocentre , paraît mieux adaptée qu'une approche classique privilégiant un système d'information unique et partagé du type « CHORUS ».

Proposition n° 26 : Mettre en place, sous l'égide de l'AMUE, un référentiel d'informations comptables et financières commun aux universités et aux organismes de recherche. Développer la délégation globale de gestion, au sein des unités mixtes de recherche et des structures de recherche partenariales, et faire appliquer l'obligation de présentation consolidée de leurs recettes et dépenses.


* 100 L'AMUE a proposé ce logiciel, créé par le ministère des finances, à ses adhérents, après une expérimentation sur site pilote, et en a assuré le déploiement et l'assistance.

* 101 Portail d'aide au pilotage de l'enseignement supérieur et de la recherche

* 102 Prestations et échanges sur les ressources humaines de l'enseignement supérieur à l'usage des établissements

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