DES DISPARITÉS GRAVEMENT PRÉJUDICIABLES AUX ENTREPRISES FRANÇAISES

Un marché intérieur libéralisé quant à l'action des entreprises, mais dont l'harmonisation sociale se borne à limiter le temps de travail et le temps de conduite risque fort de se traduire par une concurrence exacerbée par les coûts salariaux, notion qui intègre les salaires à proprement parler, les primes et les indemnités de déplacement ainsi que les cotisations sociales.

Avant même que l'expression « la Chine en Europe » n'ait été proposée, le 23 avril 2013, par l'Institut syndical européen, il était manifeste que l'ouverture même incomplète à la concurrence intra-européenne opérée sans une harmonisation suffisante se traduirait par un recul du pavillon français.

Le résultat ne s'est pas fait attendre : l'activité internationale du pavillon français a vivement reculé , passant de 42,9 milliards de tonnes.kilomètres en 1995 à seulement 17,6 milliards en 2009, soit une chute de 58,9 % en quatorze ans .

Face à cette situation, l'emploi des chauffeurs routiers est d'autant plus menacé que l'activité du fret amplifie considérablement les variations de la conjoncture économique générale, aussi qui apparaît très clairement sur les deux graphiques ci-après.

Le fret et le transport de passagers amplifient les variations de la conjoncture économique


Source : Commission européenne(c)

Évolution :

- du PIB (en vert)

- du fret (en rose)

- du trafic de voyageurs (en bleu)

- au sein de l'Union européenne, de 1995 à 2009 (base 1995=100)

Ce graphique illustre la prépondérance du fret routier et la forte sensibilité des principaux modes de fret à la conjoncture économique.

L'offre de fret routier en France est caractérisée par la présence dominante de quelques grandes sociétés, dont les deux principales (Géodis et Norbert Dentressangle) réalisent environ un quart du chiffre d'affaires. Pour le reste, on dénombrait en 2008 quelque 40 056 entreprises de taille parfois très petite, qui peinent à se maintenir sur un marché intérieur où elles sont très fortement concurrencées. L'essentiel du marché international intracommunautaire leur est fermé. Fort heureusement pour ces entreprises, le marché international avec des pays tiers à l'Union européenne repose encore sur le principe de réciprocité, ce qui élimine la concurrence des entreprises installées dans d'autres États membres.

En définitive, seules sont à même de s'adapter les grandes entreprises pouvant créer des filiales en Europe centrale, où elles opèrent dans les conditions économiques, sociales et fiscales du pays d'établissement. Cette nouvelle base leur permet de maintenir leur activité économique globale, mais sans effet positif sensible pour l'emploi en France.

D'après les dernières statistiques disponibles, les entreprises françaises de fret routier employaient en 2008 quelque 337 000 personnes en 2008 et réalisaient un chiffre d'affaires total de 44 milliards d'euros.

Au même titre que les autres activités de réseau - comme la distribution de l'énergie ou les communications - le transport joue un rôle totalement irremplaçable pour l'ensemble de la vie économique. La part prédominante de la modalité routière est vivement contestée, notamment au nom du changement climatique, mais cela n'enlève rien au fait que cette situation impose d'accorder au fret routier une attention toute particulière, notamment dans les discussions engagées autour de la proposition de directive publiée le 15 avril 2013 par la Commission européenne.

Part des modalités du fret interne à l'Union européenne en 2010 (tonnes.kilomètres) :
la route représente 73 % du total, contre 16 % pour le rail,
6 % pour les voies navigables et 5 % pour les oléoducs et gazoducs


Source : Parlement européen(c)

Une meilleure performance du fret ferroviaire ne doit pas être confondue avec le sabordage du pavillon routier français. La substitution de camions espagnols, allemands ou polonais à des poids lourds français serait dénuée de tout bénéfice environnemental.

Notre pays n'a plus aucun fabricant de poids lourds, même indirectement depuis que Renault est totalement sorti du capital de Volvo AB, en décembre 2012. Un sort analogue ne doit pas attendre nos entreprises de fret routier, qui mènent un combat économique à la fois courageux et désespéré, car leurs prix de revient sont insupportablement plus élevés que ceux de leurs concurrents au sein de l'Union européenne.

D'où vient le manque flagrant de compétitivité du pavillon français ? Outre les incidences de la fiscalité des entreprises, trois traits majeur expliquent le fait que le coût horaire de conduite soit exceptionnellement élevé en France :

- alors que le salaire brut annuel compte parmi les plus élevés au sein de l'Union européenne , les frais de déplacement sont , eux aussi, dans la fourchette haute . En Allemagne (ce terme désigne ici les Länder de la partie occidentale), le salaire brut moyen annuel est supérieur d'environ 1 300 euros à ce qu'il est en France, mais les frais de déplacement y sont inférieurs de quelque 4 200 euros par an ! Hors cotisations patronales, le coût moyen annuel d'un chauffeur routier est donc supérieur de presque 3 000 euros en France au niveau d'outre-Rhin;

- les cotisations patronales françaises peuvent être bien plus élevées en pourcentage que dans certains autres États membres , notamment en Pologne où elles ne représentent que 8,13 % du salaire brut augmenté des frais de déplacement, contre 25,10 % en France. Dans d'autres pays, les cotisations patronales sont davantage comparables aux nôtres : 22,8 % en Allemagne, 19,3 % en Slovaquie et presque 30 % en Espagne par exemple - mais leur assiette est bien plus élevée en France, si bien que, par exemple, le coût annuel d'un chauffeur allemand est au total inférieur de 4 300 euros par an à ce qu'il est en France.

- enfin, le ratio temps de conduite/temps de travail est le plus faible en France , seul pays où le simple fait d'être à la disposition de son employeur sans pouvoir vaquer à ses occupations personnelles suffit pour être réputé travailler. Ce décompte plus large du temps de travail - applicable en France à tout chauffeur routier, qu'il soit français, ressortissant d'un autre État membre ou qu'il provienne d'un pays tiers - aboutit un coût horaire de conduite supérieure de 30 % à celui acquitté par les entreprises allemandes , et même de 110 % à celui payé par les entreprises situées sur le territoire de l'ancienne Allemagne de l'Est. L'écart dépasse 120 % par rapport aux entreprises espagnoles low cost et va au-delà de 190 % si l'on prend la Pologne comme élément de comparaison !

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