II. UNE SOLUTION JURIDIQUE ET FINANCIÈRE ACROBATIQUE POUR UN PROJET SANS PILOTE

A. UNE PROCÉDURE « SUR MESURE » SUSCITANT DES INTERROGATIONS

1. Un « partenariat public-public » avec la SOVAFIM
a) Le choix de recourir à la SOVAFIM
(1) Le sous-dimensionnement des services pour une maîtrise d'ouvrage publique (MOP)

Dès l'étude de France Domaine en 2009, la possibilité d'une maîtrise d'ouvrage publique prise en charge par les services du Premier ministre (ou ceux de la préfecture de la région Ile-de-France ou du ministère de la santé) a été exclue, en raison du sous-dimensionnement de ces services pour mener un tel projet, compte tenu de l'ampleur et de la complexité des travaux nécessaires.

De plus, s'agissant du projet d'emménagement des services du Premier ministre, pour atteindre le seuil « plancher » de 2 300 postes de travail à « Ségur-Fontenoy » fixé par France Domaine, d'autres ministères devraient être associés au projet, ce qui complique encore la tâche de coordination en raison de la segmentation des fonctions de maîtrise d'ouvrage des travaux entre les ministères.

Enfin, dans son étude d'avril 2009 sur le devenir du site, France Domaine souligne l'absence de crédits budgétaires disponibles pour financer la rénovation, estimée à environ 140 millions d'euros en 2009.

C'est dans ce contexte qu'a émergé, dès 2009, le nom de la SOVAFIM.

(2) Les avantages de recourir à la SOVAFIM
(a) Le maintien du bien dans le patrimoine de l'Etat

Le choix de faire appel à la SOVAFIM (acté lors d'une réunion interministérielle du 13 janvier 2011), société anonyme dont l'unique actionnaire est l'Etat , dans le cadre d'une sorte de « partenariat public-public », permet d'allier les avantages d'un « partenariat public-privé » (PPP) - et notamment le contournement de l'absence de crédits immédiatement disponibles - sans devoir associer un partenaire privé.

Les « partenariats public-privé »

Les contrats de partenariat, également appelés « partenariats public-privé », permettent à une personne publique de confier à un tiers, pour une longue période, le soin de concevoir, de financer, en tout ou partie, de construire ou de transformer, entretenir, maintenir, exploiter ou gérer des ouvrages ou équipements publics en contrepartie d'une rémunération publique étalée dans le temps. Le mode de rémunération est particulier : elle est étalée (d'où le versement de loyers) et dépend de la réalisation d'objectifs (des pénalités sont souvent prévues).

Le meilleur respect des délais et des coûts grâce au versement différé de la rémunération et des éventuelles pénalités financières est un des avantages principaux des PPP.

Quant aux critiques, elles sont de plusieurs ordres :

- l'engagement financier en faveur du partenaire privé peut être considéré comme particulièrement long et rigide ;

- le PPP permet de « masquer » une dette puisque la personne publique n'a pas à recourir directement à l'emprunt ;

- le coût final est supérieur à celui issu d'une commande publique « classique » ;

- la personne publique ne dispose plus du pouvoir de pilotage et de contrôle .

Par rapport à un PPP, le recours à la SOVAFIM permet donc de maintenir le bien dans le périmètre de l'Etat, celui-ci étant l'actionnaire unique de la SOVAFIM.

Dans son plan de développement 2011-2015, la SOVAFIM insiste sur une spécificité de son statut :

« La SOVAFIM n'est ni un service administratif, ni une entreprise privée : la SOVAFIM doit donc se positionner sur les opérations de valorisation que les clients publics n'ont pas de vocation naturelle à réaliser eux-mêmes et sur lesquelles l'intervention d'entreprises privées n'apparaît pas opportune, notamment parce qu'elles sont susceptibles de capter l'essentiel de la valeur. (...) Dans les opérations de restructuration, la SOVAFIM représente une solution alternative aux solutions de maîtrise d'ouvrage directe ou de contrats de partenariat en offrant les avantages de l'externalisation (maîtrise des délais et des budgets, capacité à résister aux changements d'exigences des utilisateurs, gouvernance d'une société anonyme, équipe de professionnels) sans en présenter les inconvénients (pas de captation de profit, retour négocié des actifs immobiliers à l'Etat envisageable .. .) ».

C'est notamment pour cette raison que, dès 2009, France Domaine s'était prononcé plutôt en faveur d'une cession à cette société foncière publique.

La SOVAFIM

La SOVAFIM a été créée initialement pour « assurer la valorisation » des biens immobiliers propriétés de Réseau ferré de France (RFF), inutiles à ses missions de service public ferroviaire.

Cette mission a été étendue grâce à un amendement du rapporteur général de la commission des finances du Sénat, notre collègue Philippe Marini, en loi de finances rectificative pour 2006. L'article 141 de la loi n° 2006-1771 du 30 décembre 2006 de finances rectificative pour 2006 prévoit que « des ensembles d'actifs immobiliers appartenant à l'Etat ou à ses établissements publics peuvent être transférés en pleine propriété à une société détenue par l'Etat chargée d'en assurer la valorisation dans des conditions adaptées à leurs caractéristiques particulières ».

L'ambition de la SOVAFIM est la valorisation de biens immobiliers publics : « valoriser, c'est « créer de la valeur » à partir d'actifs immobiliers acquis, portés le cas échéant et transformés de manière plus ou moins importante par la SOVAFIM suivant la nature des biens concernés et l'état des marchés immobiliers. Cette création de valeur doit bénéficier au propriétaire historique et/ou l'occupant public, tout en dégageant une rentabilité acceptable de l'opération pour la SOVAFIM, compte tenu des risques pris et de l'objectif de rentabilité fixé par l'Etat actionnaire » 8 ( * ) .

Malgré ces missions ambitieuses, dans son rapport public annuel de 2011, la Cour des comptes « recommande de mettre un terme à l'existence de cette société inutile » 9 ( * ) , et considère que si le recours à des structures spécialisées a tendance à être présenté comme un gage de professionnalisme, il n'en demeure pas moins que « leur création ne peut se passer d'une vision de long terme, fondée sur une valeur ajoutée tangible ».

(b) Le professionnalisme de la SOVAFIM : l'opération réussie de l'avenue Bosquet

Suite aux craintes exprimées par notre collègue Adrien Gouteyron à propos de la Maison de la Francophonie ( cf . supra ), un rapport issu d'une mission conjointe de l'Inspection générale des finances, du Conseil général des Ponts et chaussées et de l'Inspection générale des affaires étrangères a proposé, fin 2007, que l'immeuble situé au 19-21, avenue Bosquet, dans le VII e arrondissement de Paris, accueille la Maison de la Francophonie.

Une convention entre la France et l'Organisation internationale de la francophonie (OIF), signée en 2008, prévoit la mise à disposition, à titre gratuit, de cet ensemble immobilier. Afin de réaliser les travaux nécessaires, l'Etat a cédé l'immeuble à la SOVAFIM , le 15 septembre 2008, pour la somme de 59 millions d'euros . La SOVAFIM le loue au ministère des affaires étrangères et européennes pour un loyer annuel de 5,3 millions d'euros.

Cette solution a notamment permis de surmonter la difficulté née de la coexistence de deux propriétaires : si l'immeuble situé au numéro 19 était directement propriété de l'Etat, ce n'était pas le cas de l'immeuble du 21 dont le propriétaire était l'Office des grandes céréales.

Notre collègue Catherine Tasca, « qui s'est rendu[e] sur le site pour visiter le bâtiment, peut témoigner de la qualité et du sérieux de l'entreprise réalisant les travaux » et elle considère que « cette solution - assez curieuse à première vue - s'explique en réalité par le souci de l'Etat de maîtriser les coûts et les délais des travaux » 10 ( * ) .

Cette opération a fait l'unanimité : la SOVAFIM a tenu à la fois les délais et les coûts, et elle a montré qu'il était possible de lui transférer des biens non seulement à des fins de cession mais aussi de valorisation .

Cette réussite et le professionnalisme de la SOVAFIM ont été soulignés dans l'étude de France Domaine de 2009.

b) L'hypothèse initiale : la cession du bien à la SOVAFIM

S'agissant du projet « Ségur-Fontenoy », dès le mois de mars 2009 et dans le cadre de l'étude confiée à France Domaine, la SOVAFIM a fourni une « maquette Ségur » précisant les modalités économiques et financières qui pourraient être retenues dans le cadre de l'acquisition et de la rénovation du site avec une installation de services de l'Etat ; en fonction du prix d'acquisition de l'ensemble immobilier, était également estimé le montant du loyer que la SOVAFIM serait susceptible de demander à l'Etat locataire de verser.

Les hypothèses retenues par la SOVAFIM en mars 2009, s'agissant du prix d'acquisition et du coût des travaux, intéressantes par comparaison avec le choix finalement effectué, étaient les suivantes :

- acquisition de l'immeuble pour 350 millions d'euros ;

- coût des travaux estimés à 167,4 millions d'euros toutes charges comprises (TTC).

La SOVAFIM n'accepte de mener un projet que si son Conseil d'administration considère que l'investissement est susceptible de procurer un rendement, correspondant au risque associé au projet. En l'occurrence, pour cette opération, le taux de rendement locatif a été fixé à 6 %.

Ainsi, en mars 2009, il était déduit de ces hypothèses « un niveau de loyer à la livraison de l'immeuble (soit en décembre 2012) de 848 euros (TTC) le m 2 de surface utile, ce qui correspond à une valeur de 778 euros le m 2 valeur juin 2009 ».

Le loyer, de 41,6 millions d'euros au total selon cette hypothèse, avait vocation à équilibrer l'opération pour la SOVAFIM.

C'est à partir de ces estimations que France Domaine a considéré, dans son étude d'avril 2009, que le scénario proposé par les services du Premier ministre n'était pas équilibré financièrement, puisque les économies provenant de la libération des emprises (cession ou restitution de baux) n'étaient pas suffisantes pour couvrir les loyers à verser à la SOVAFIM ( cf . supra ).

Equilibre du projet en 2009

(en millions d'euros)

Loyers « économisés »

Nouveau loyer Ségur-Fontenoy

Rapport (en %)

8,8

42

21 %

Produit des cessions

Coûts d'acquisition et de rénovation

144,5

440

33 %

Source : étude 2009 de France Domaine

c) L'hypothèse retenue : la cession à la SOVAFIM des seuls droits de superficie pour une période déterminée

En 2011, après que la décision de recourir à la SOVAFIM a été prise (lors de la réunion interministérielle du 13 janvier 2011), le cadre juridique, économique et financier envisagé est précisé en annexe à un courrier daté du 6 mai 2011 de François Baroin, alors ministre du budget, au président directeur général de la SOVAFIM :

« Le cadre juridique de l'opération repose sur l'hypothèse, qu'il conviendra d'affiner en liaison avec les services compétents de l'Etat :

« (i) d'un transfert à la SOVAFIM, pour une durée de vingt ans, de droits réels immobiliers (propriété des volumes utiles à la réalisation de l'opération) attachés à l'immeuble Ségur-Fontenoy ; paiement différé par la SOVAFIM en contrepartie du transfert des droits réels (montant et échéancier de règlement à déterminer) ;

« (ii) du versement par l'Etat d'un loyer, payable entre la livraison de l'immeuble et l'extinction des droits réels (à cette date, l'Etat souhaite récupérer la propriété pleine et entière du bâtiment) ».

Par suite, certaines des modalités précises ont été modifiées, mais la logique est demeurée identique : il ne s'agit pas véritablement de vendre le bien à la SOVAFIM, mais de lui transférer, pour une période déterminée, les seuls droits de superficie . La durée des études et travaux - menés et financés par la SOVAFIM - est estimée à quatre ans. A l'issue de cette période, c'est-à-dire en 2017, les services de l'Etat, considérés comme les locataires, pourront emménager et verseront un loyer à la SOVAFIM.

Selon les informations fournies à votre rapporteur spécial, après les élections de 2012 et une réunion interministérielle, le cabinet du Premier ministre « a fait part de son accord pour l'engagement de l'Etat avec la SOVAFIM sur un bail ferme de douze années à compter de la livraison . Son renouvellement est possible (sans indemnité si ce n'est pas le cas), jusqu'à la trentième année à l'issue de laquelle l'ensemble immobilier revient dans le patrimoine de l'Etat ». Ces dispositions sont celles effectivement retenues.

Les droits de superficie transférés pour trente ans ont été estimés à hauteur de 32,8 millions d'euros ; cette estimation résulte du recours à la méthode par actualisation des flux financiers ou « cash flow », qui a été considérée par les services de France Domaine comme la plus appropriée au cas atypique du transfert des droits de superficie pour une période donnée.

La méthode par actualisation des flux financiers ou « cash flow »

« L'approche pour la valorisation d'un droit de superficie est du ressort des mathématiques financières. En effet, un acheteur de ce droit aura pour raisonnement de rémunérer sur une longue période son investissement, soit l'acquisition des droits à construire et les coûts de restructuration de l'immeuble. Il actualisera donc à un taux à définir (sa rémunération et son coût de financement) l'ensemble des flux sur la période prévue .

« Un flux de trésorerie ( cash-flow au sens anglo-saxon) est la différence des encaissements (recettes) et des décaissements (dépenses) générées par un immeuble. Le revenu brut correspond à la somme des cash-flow positifs générés par un actif immobilier. Le revenu net correspond au revenu brut déduction faite des cash-flows négatifs supportés par le propriétaire : frais de remise en état et de commercialisation, charges non récupérées sur les locataires, impôts et taxes attachés à l'immeuble, assurances de l'immeuble, grosses réparations, frais de gestion directs. Ces revenus sont calculés généralement selon une périodicité annuelle.

« Ces flux financiers sont actualisés (...), le taux d'actualisation prend en compte le taux d'inflation, le coût du temps et une prime de risque est un taux « calculé » plus que constaté. Il traduit à la fois la situation des taux sur le marché de l'investissement en général et le degré de risque attaché à l'immeuble qui fait l'objet de l'évaluation. Dans la pratique, la prime de risque habituellement retenue par les investisseurs varie entre 0,2 et 3 % et les taux d'actualisation varient entre 5 et 7 % ».

Source : France Domaine

Cette méthode est, selon les informations recueillies par votre rapporteur spécial, inhabituelle pour les services de France Domaine, qui ont eu recours à une aide extérieure afin d'appliquer cette méthode de valorisation à « Ségur-Fontenoy ».

Ainsi, pour chacune des années pendant lesquelles la SOVAFIM est propriétaire des droits de superficie, sont calculés :

- le coût des travaux (flux négatif) ;

- les loyers versés (flux positif) ;

- les provisions pour gros travaux - à partir de la fin de la garantie décennale (flux négatif).

La somme ainsi calculée pour chaque année est actualisée, et le montant de 32,8 millions d'euros s'obtient donc en additionnant le montant actualisé pour toutes les années.

La conduite des travaux par la SOVAFIM

Avant la signature de l'arrêté de transfert entre l'Etat et la SOVAFIM, celle-ci a étudié l'opération, afin de disposer d'un dossier complet du projet, comprenant l'audit technique, le programme fonctionnel et celui des travaux. C'est sur la base de ce dossier que les arbitrages ont ensuite pu être rendus.

En février 2013, la SOVAFIM a lancé l'avis d'appel public à candidature auprès de promoteurs-concepteurs immobiliers.

Devenue propriétaire, par la signature de l'arrêté de transfert du 24 mai 2013, la SOVAFIM a lancé, dès le 27 mai 2013, la mise en concurrence des candidats au travers du « dialogue compétitif », qui devra aboutir, en février 2014, à la signature d'un contrat de promotion immobilière (CPI) avec le promoteur-exploitant choisi (comprenant à la fois le promoteur, le bureau d'études et les architectes).

A l'issue de ce « dialogue compétitif », mi-2014, un contrat sera signé entre la SOVAFIM et le promoteur lauréat, qui pourra ensuite déposer les autorisations administratives.

Seront ensuite mises en concurrence les entreprises pour effectuer les travaux, qui devraient donc débuter à la fin de l'année 2014 et se terminer en juillet 2017 selon le protocole locatif conclu entre l'Etat et la SOVAFIM.

Ainsi, comme l'indique le Gouvernement dans la réponse au questionnaire adressé par votre rapporteur spécial, « à partir du transfert des droits de l'Etat vers la SOVAFIM, celle-ci devient maître d'ouvrage, propriétaire de l'ensemble immobilier mais pas du tréfonds qui reste propriété de l'Etat. Elle est donc responsable du montage, du suivi et de l'organisation de la restructuration ».

Le bail en état futur d'achèvement (BEFA), dont la signature doit intervenir douze mois après celle du transfert des droits, concrétisera les conditions juridiques, financières, qualitatives de location de l'ensemble immobilier.

2. Les interrogations suscitées par le montage retenu
a) Un projet d'ampleur assurant la pérennité de la SOVAFIM

Le seul succès de l'opération Bosquet menée par la SOVAFIM ne saurait constituer le gage de la réussite de l'opération « Ségur-Fontenoy » : l'ampleur de cette dernière est différente, tout comme le régime juridique choisi.

L'opération « Ségur-Fontenoy » s'avère particulièrement importante pour la SOVAFIM car, à ce jour, ses activités de valorisation sont modestes. Par son ampleur, elle aura donc une valeur de test, d'autant plus importante pour la pérennité d'une structure dont l'intérêt a été mis en cause par la Cour des comptes ( cf . supra ).

De plus, selon son rapport de gestion 2011, les recettes de la SOVAFIM proviennent principalement des produits de cession. Ainsi, la SOVAFIM, « qui a réalisé des cessions pour un montant total de 18,9 millions d'euros, a dégagé une plus-value de 16,8 millions d'euros. Elle a enregistré 1,8 million d'euros de produits de gestion locative ». Au 1 er janvier 2011, les fonds propres de la SOVAFIM s'élevaient à 149,1 millions d'euros, et son endettement à terme à 69 millions d'euros.

Certes, grâce à l'opération « Bosquet », les recettes provenant des loyers ont nettement augmenté, l'activité de valorisation connaissant ainsi une montée en puissance. Cependant, le projet de Centre de Gouvernement est d'une toute autre nature : le seul loyer de « Ségur-Fontenoy » est quatre fois supérieur à celui de l'immeuble situé avenue Bosquet .

Le projet arrive donc à point nommé pour la SOVAFIM qui, dans son plan de développement 2011-2015, indique que « la société doit corrélativement rechercher l'équilibre entre les opérations génératrices de plus-values et les actifs à revenu récurrent , à la fois pour couvrir, au minimum, ses charges récurrentes et pour atténuer la volatilité du compte de résultat générée par la nature de l'activité de « valorisation-cession » ».

Aussi, sans avoir à acquérir en tant que tel le bâtiment « Ségur-Fontenoy » - et donc à acquitter entre 195 et 300 millions d'euros ( cf . supra ) - la SOVAFIM est chargée de financer des travaux estimés à environ 200 millions d'euros, financés par des loyers, versés par l'Etat, pendant au minimum douze années, voire trente. Grâce à ce projet, elle voit donc sa pérennité assurée.

Convaincu par les avantages du recours à la SOVAFIM, l'Etat accepte, par cette opération, de pérenniser cette structure légère, dont les équipes, que votre rapporteur spécial a rencontrées, paraissent motivées.

b) Un montage et un projet dictés par des motifs financiers
(1) Un choix contraint pour des raisons financières

Selon le rapport d'activité 2011 de la SOVAFIM, son activité « consiste à valoriser, soit pour les céder, soit pour les transformer, des actifs immobiliers publics, acquis à un prix de marché ». Dans le cas présent, même si la SOVAFIM est propriétaire, pendant une durée limitée, du bâtiment, l'actif immobilier n'est pas véritablement acquis puisqu'il s'agit d'un transfert de droits pour une durée déterminée, et le prix d'acquisition ne peut donc pas être le prix de marché.

Le montage juridique et financier choisi semble surtout avoir permis de pallier des difficultés d'ordre financier, ce qui fait craindre à votre rapporteur spécial qu'un tel projet soit mené a minima .

La proposition initiale de la SOVAFIM (en 2009), dans le cas envisagé d'une cession, a été écartée, à cette date, car l'équilibre financier de l'opération proposée par la SOVAFIM n'était pas satisfaisant :

Equilibre financier proposé par la SOVAFIM en 2009

(en millions d'euros)

2009

SOVAFIM

Acquisition (cession)

350

Travaux (TTC)

192

Provisions (certification surfaces)

10

Sous-total Acquisition et travaux

552

Gestion du projet (évaluation SOVAFIM 2009)

146

Prix de revient

698

Loyer demandé

41,6

soit loyer au m 2

848 €/m 2

Source : étude de France Domaine, 2009

Ainsi, selon cette version, le loyer demandé par la SOVAFIM était manifestement trop élevé.

En effet, chacun des acteurs impliqués doit faire face à des contraintes propres s'agissant de la fixation du loyer :

- la SOVAFIM a fixé un taux de rendement de l'opération à 6 % ;

- France Domaine souhaite d'une part, une opération globalement « à coût constant » s'agissant des loyers des services concernés, et d'autre part, que les loyers ne dépassent pas un certain montant.

Le dispositif imaginé en 2011, confirmé et précisé en 2012, prévoit que les bâtiments de « Ségur-Fontenoy » ne soient pas cédés pour un prix qu'il était par ailleurs difficile de déterminer, mais qu'une soulte de 32,8 millions d'euros soit versée par la SOVAFIM à l'Etat en échange du transfert des droits de superficie pour une période donnée (trente ans à partir de la livraison du bien). Cela rend possible à la fois un taux de rendement acceptable pour la SOVAFIM (6 %) et un niveau de loyer convenable pour les services de l'Etat, c'est-à-dire d'un ordre de grandeur équivalant aux loyers versés en 2013.

Equilibre financier du projet (version 2012)

(en millions d'euros)

2012

SOVAFIM

Acquisition (soulte)

32,8

Travaux (TTC)

233

Sous-total Acquisition et travaux

265,8

Gestion du projet (évaluation SOVAFIM 2009)

150

Prix de revient

415,8

Loyer demandé (2013)

20,1

Source : commission des finances du Sénat à partir des données fournies par les services du Premier ministre

Ainsi, le choix du montage juridique a permis une diminution mécanique du loyer exigé par la SOVAFIM par rapport à l'hypothèse initiale, en échange de quoi le bien n'est certes pas cédé à la SOVAFIM mais transféré pour une période déterminée, pour une somme relativement faible au regard des estimations du prix de cession de l'ensemble - 32,8 millions d'euros au lieu de 195 à 300 millions d'euros (valeur estimée en 2009).

Selon les informations fournies à votre rapporteur spécial, la situation actuelle des services susceptibles d'être concernés par un emménagement à « Ségur-Fontenoy » représente une dépense en loyers budgétaires et privés de 22,54 millions d'euros (hors charges et taxes) - elle s'établit à 24,47 millions d'euros, en prenant en compte le gros entretien-renouvellement.

A titre de comparaison, le loyer « fictif » (valeur 2013) sur lequel est basée l'ouverture, en 2012, des autorisations d'engagement correspondant au projet s'élève à 20,1 millions d'euros (hors charges). La prise en compte des charges (notamment la taxe foncière) et du gros entretien porte la somme à 24,4 millions d'euros. Il s'agit d'un loyer « fictif » dans la mesure où l'Etat ne versera de loyer à la SOVAFIM qu'à partir de la livraison du bien réhabilité, prévue en 2017.

En 2017, en raison de son indexation, le premier loyer effectivement versé par l'Etat à la SOVAFIM sera d'environ 3 millions d'euros supérieur à celui actuellement versé par les services concernés par le regroupement (en prenant en compte les taxes, assurance et provision pour le gros entretien).

Ainsi, entre les hypothèses étudiées par France Domaine dans son étude de 2009 et le dispositif finalement retenu en 2012, les modalités juridiques et financières de l'opération ont été modifiées de façon substantielle pour permettre une opération à « coûts constants » pour les services de l'Etat concernés par l'emménagement à « Ségur-Fontenoy ». Le choix de ne pas céder le bien, mais d'en transférer les droits de superficie pour une période définie a permis de réduire le loyer exigé par la SOVAFIM aux services occupants.

Différences entre le projet initial (2009) et le projet retenu en 2012

2009

2012

Projet

Cession

Transfert des droits de superficie (30 ans + 4 ans de travaux)

Prix de cession / soulte

350 millions d'euros

32,8 millions d'euros

Nombre de postes de travail

2 500 à 2 800

2 300 (minimum)

Loyer annuel

778 euros/m 2

375 euros/m 2

Loyer annuel (TTC)

41,6 millions d'euros

20,1 millions d'euros

Source : commission des finances du Sénat d'après les données fournies par les services du Premier ministre

Pour autant, d'éventuels dérapages pèseraient in fine sur l'Etat, actionnaire unique de la SOVAFIM.

En effet, la SOVAFIM finance l'opération sur ses fonds propres, complétés par un recours à l'emprunt.

Le Conseil d'administration de la SOVAFIM a retenu, pour cette opération et compte tenu des coûts de financement et du risque pris, un taux de rentabilité de 6 %. Les profits dégagés reviendront à son actionnaire unique, l'Etat. Si les coûts ne sont pas maîtrisés, la rentabilité des fonds propres de la SOVAFIM diminue.

C'est pourquoi, le Conseil de l'immobilier de l'Etat (CIE) a, dans son avis du 28 février 2012, appelé « particulièrement l'attention des services du Premier ministre sur la nécessité d'un contrat équilibré avec la SOVAFIM et donc sur une rédaction très précise des droits et obligations de celle-ci. Il importe que la SOVAFIM voie sa responsabilité engagée s'agissant du respect des coûts et délais prévisionnels - d'autant que tout dépassement pèserait in fine , sur l'Etat, unique actionnaire de la SOVAFIM ».

Or, en cas de retard de livraison, la SOVAFIM prend en charge les surcoûts, correspondant aux montants des loyers dus par l'Etat pendant cette période. Selon les informations recueillies par votre rapporteur, « à ce stade, les modalités ne sont pas indiquées dans le protocole, elles seront portées dans le bail civil en état futur d'achèvement (BEFA), comme il est d'usage. En effet, à l'issue de la mise en concurrence des promoteurs-exploitants, les contours du projet seront plus précis avec des conditions qui devront être étudiées avant de trouver le meilleur équilibre dans les clauses du bail ».

(2) Le renoncement à la construction d'un parking souterrain

Si, en février 2012, le Conseil de l'immobilier de l'Etat a émis un avis favorable sur le projet présenté par la SOVAFIM, il a néanmoins formulé plusieurs réserves ( cf . infra ). Il s'inquiétait notamment de ce que la création d'un parking puisse être facteur de surcoûts supplémentaires, soulignant que « certains éléments (notamment le nombre de niveaux de parking souterrain) sont à l'évidence des facteurs de risque opérationnel et de surcoûts ».

Au début de l'année 2012, le projet prévoyait en effet 150 places de stationnement et la création d'un parking souterrain de cinq niveaux, dont le coût était évalué à 10 millions d'euros.

En mars 2012, lors d'une réunion interministérielle, a été évoquée la possibilité de modifier certains axes du projet, afin de réaliser des économies notamment en supprimant le parking souterrain. Ces orientations se sont traduites par un courrier de la ministre du budget, Valérie Pécresse, daté du 4 mai 2012, demandant à la SOVAFIM de modifier le projet en ce sens.

Interrogé par votre rapporteur spécial, Jean-Paul Faugère, alors directeur de cabinet du Premier ministre François Fillon, a assuré ne pas avoir été informé de cette décision de supprimer le parking souterrain prévu pour un site ayant vocation à accueillir quotidiennement 2 300 agents, en plus des éventuels visiteurs, et situé au coeur de Paris, où les stationnements sont déjà rares. Comme votre rapporteur spécial, Jean-Paul Faugère s'interroge sur la pertinence de cette décision de réduire le nombre de places de stationnement initialement prévues.

Ainsi, dans le projet tel que présenté à votre rapporteur spécial en mars 2013, seules 38  places de stationnement étaient prévus (au lieu de 150) ; en mai 2012, et après que votre rapporteur spécial a exprimé sa surprise et son inquiétude face à cette décision, le nombre de places aurait été porté à 50.

Une comparaison avec le projet « Balard » - pas totalement pertinente dans la mesure où, dans ce dernier cas, il s'agit d'un site nouveau - permet néanmoins de mettre en regard des ordres de grandeur. 9 300 militaires et civils travailleront à Balard, et 900 places de parking ont été prévues pour remplacer des stationnements à l'air libre, en plus des 450 places en souterrain existantes. Si l'accès par les transports en commun est privilégié, il n'en demeure pas moins qu'au total, une place est prévue pour sept personnes, contre une place pour 46 ou 60 personnes à « Ségur-Fontenoy », correspondant respectivement aux 50 ou 38 places prévues.

De plus, lors des réunions avec les futurs utilisateurs, ceux-ci ont indiqué le nombre de places de stationnement qu'ils utilisent à ce jour et ont fait part de leurs besoins : au moins 24 emplacements, correspondant aux véhicules permanents pour des « personnalités » ont été identifiés.

S'agissant des seules voitures de fonction des futurs utilisateurs, il a été indiqué à votre rapporteur spécial qu'il était possible de mutualiser ces véhicules, qui pourraient stationner dans les cours des immeubles utilisés par les services du Premier ministre non concernés par l'emménagement à « Ségur-Fontenoy ». En cas de besoin, ces véhicules pourraient être utilisés par des services localisés à « Ségur-Fontenoy », même s'ils n'y stationnent pas (ou du moins pas tous).

Votre rapporteur spécial n'est pas convaincu de l'efficacité d'un tel mode de gestion du parc automobile, et il s'inquiète pour les personnes - personnels et riverains - qui chercheront à stationner dans le quartier.

Les dirigeants de la SOVAFIM, en tant qu'investisseurs, se sont également interrogés sur la pertinence d'exiger des promoteurs en compétition un scénario complémentaire, qui prévoit des places de stationnement supplémentaires. Pour décider de travailler sur un scénario comprenant la construction de places de parking non prévues initialement, la SOVAFIM doit néanmoins trouver l'équivalent de 10 millions d'euros de recettes pour compenser les coûts de construction d'un parking souterrain. De telles recettes pourraient provenir :

- de l'Etat, si celui-ci réalise, ex post , qu'il a besoin de places supplémentaires qu'il sera peut-être contraint de louer à un prix élevé ;

- des riverains intéressés par un parc de stationnement payant, s'il est possible de différencier l'accès aux places de stationnement de l'accès à l'immeuble lui-même.

Car en effet, le quartier autour du site de « Ségur-Fontenoy » est doté d'un nombre insuffisant de places de stationnement par rapport aux besoins des habitants : des tensions sont déjà apparues, les riverains se plaignant en particulier du fait que les véhicules de police disposent de places réservées dans une partie de la contre-allée au 20 avenue de Ségur.

Votre rapporteur spécial exprime sa plus vive inquiétude concernant l'absence de parc de stationnement dont la taille correspond à celle du site. La suppression du parking semble avoir été dictée par des considérations financières, alors même que son coût (10 millions d'euros) est négligeable au regard des coûts des travaux (233 millions d'euros TTC), et alors que la réhabilitation d'un tel ensemble immobilier, pour y installer des services rattachés au Premier ministre, doit être exemplaire.

Recommandation : construire un parking, la décision de suppression étant faussement économe.

A ce jour, aucune action de communication ou d'information n'a été menée à destination des riverains, qui ne sont donc pas informés de ce projet ( cf . infra ) : l'absence d'un parking suffisant par rapport au nombre d'occupants du site pourrait provoquer des tensions avec les riverains.

Si la SOVAFIM décidait, de son propre chef, de créer un parking, elle devrait facturer la location des places ; les services hébergés à « Ségur-Fontenoy », intéressés par des places supplémentaires, pourraient alors les louer. Mais les services, captifs, ne seront sans doute pas en mesure de négocier aussi facilement le prix de la location que si le parking avait été intégré dans le coût du projet (et donc dans le loyer).

c) La difficile estimation du coût de l'opération

Comme pour tout projet immobilier, il est difficile d'en estimer, ex ante , le coût. Néanmoins, ce calcul s'avère particulièrement complexe, en raison du montage choisi et des relations étroites entre l'Etat et la SOVAFIM. Si le montant des travaux est évalué par la SOVAFIM à 233 millions d'euros (TTC), ce montant ne reflète pas le coût supporté par l'Etat.

Grâce aux données fournies à votre rapporteur spécial, il est néanmoins possible de dresser un bilan dégageant des ordres de grandeur quant aux coûts et économies susceptibles de résulter d'un tel projet.

Estimation du coût du projet

(en millions d'euros)

2012

Dépenses

Moindres dépenses

Dépenses nettes (A)

Recettes (B)

Coût : (B) - (A)

Soulte

32,8

32,8

Loyers (TTC) 2017-2029

370

294*

76

-76

Déménagement

0,6

0,6

-0,6

Mobilier neuf et divers équipements

4

4

-4

Produit des cessions

0

164

164

TOTAL fin 2029

374,6

294

80,6

196,8

116,2

TOTAL fin 2029 hors cessions

374,6

294

80,6

32,8

-47,8

*Hypothèse de loyers inchangés

Source : commission des finances du Sénat à partir des données fournies par les services du Premier ministre

Le coût « certain » pour l'Etat serait, à ce jour, de l'ordre de 40 millions d'euros à horizon 2029 : il ne prend pas en compte l'éventuel produit des cessions, ni le risque de devoir payer un « double loyer » pendant une période, il intègre uniquement les loyers à verser pendant les douze premières années du bail, et suppose également que les loyers actuellement versés ne soient pas modifiés sur la période 2017 à 2029, ce qui n'est qu'une hypothèse.

Il conviendrait également d'ajouter, à moyen terme :

- les dividendes que la SOVAFIM pourrait être amenée à verser à l'Etat, son unique actionnaire - si le coût des travaux dérapait, au contraire, ce sont des pertes éventuelles que devrait supporter l'Etat ;

- les gains liés à la mutualisation des services ainsi regroupés ;

- la valeur du site désormais réhabilité et aménagé dont l'Etat redevient propriétaire (à partir de 2047).

Il convient également de nuancer l'estimation de ce coût de 40 millions d'euros : le produit des cessions est sans doute ambitieux, et, dès 2009, France Domaine indiquait que leur montant « n'entre pas dans la budgétisation de l'opération de restructuration ».

La direction du budget a estimé à 30 % le surcoût résultant d'un tel montage juridique et financier par rapport à une maîtrise d'ouvrage publique. Le surcoût correspond à la fois au coût financier de l'opération et à la valorisation de l'expertise de la SOVAFIM.

Le Conseil de l'immobilier de l'Etat s'est d'ailleurs interrogé à cet égard, estimant ce surcoût « particulièrement élevé ». Il a été indiqué à votre rapporteur spécial par France Domaine qu'il s'agissait du « prix à payer » pour transférer la maîtrise d'ouvrage et les risques afférents à un prestataire extérieur.

L'intérêt budgétaire de cette opération réside donc en tout premier lieu dans la possibilité de ne pas débloquer immédiatement des crédits pour financer le coût des travaux . Ainsi, c'est la SOVAFIM qui porte, dans son budget, le coût (estimé à plus de 230 millions d'euros) des travaux.

Si un montant de 370 millions d'euros en autorisations d'engagement a été inscrit au budget de la mission « Direction de l'action du Gouvernement » en 2012, correspondant aux loyers des douze premières années (car il s'agit d'un bail de douze ans à compter de la livraison, dont le renouvellement est possible jusqu'à la trentième année), il n'en demeure pas moins que, comme l'indique l'avis du CIE du 28 février 2012, « le montage proposé n'aura pas pour effet d'intégrer le financement des investissements réalisés par la SOVAFIM dans le calcul de la dette publique au sens de Maastricht et [la] perspective d'une évolution des normes (...) qui assimilera à une dette les loyers futurs des baux en cours n'est pas actuellement à l'étude ».


* 8 « SOVAFIM - Un objectif : la création de valeur au profit de l'Etat », business immo, édition spéciale, 2010.

* 9 « La SOVAFIM : un intervenant sans utilité réelle », Cour des comptes, rapport public annuel 2011 - février 2011.

* 10 Rapport fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées sur le projet de loi autorisant l'approbation de la convention entre le Gouvernement de la République française et l'Organisation internationale de la Francophonie relative à la mise à disposition de locaux pour installer la Maison de la Francophonie à Paris, par Mme Catherine Tasca, n° 540 (2008-2009).

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