B. UN PILOTAGE CONTRAINT PAR LE MONTAGE RETENU

a) Les retards de calendrier

En mai 2011, le ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l'Etat, François Baroin, dans le courrier adressé au président directeur général de la SOVAFIM par lequel il a accepté de faire appel à sa société pour mener ce projet, a également précisé que « l'échéance de remise des études préparatoires (audit ; programme fonctionnel) doit permettre une décision de l'Etat sur le projet dans son ensemble au premier trimestre 2012 en vue d'une livraison de l'immeuble à la fin de l'année 2015 ».

La comparaison entre le calendrier souhaité par le ministre en 2011 et le calendrier actualisé en juin 2013 fait apparaître un retard d'un an et demi.

Ce retard peut s'expliquer par le caractère novateur du montage choisi : le délai pour fixer le loyer, fruit d'une négociation entre l'Etat (le locataire) et la SOVAFIM, et pour déterminer les modalités juridiques et financières a été plus long que ce qui était initialement prévu.

Calendriers (2011 / 2013)

Source : commission des finances du Sénat à partir des données fournies par les services du Premier ministre

En particulier, après la remise des programmes technique et fonctionnel par la SOVAFIM à l'Etat, en février 2012, la réunion interministérielle du 16 mars 2012 a donné lieu à plusieurs orientations d'optimisation et d'économies : ces nouvelles orientations, qui sont liées au processus de négociation entre l'Etat et la SOVAFIM, ont été un facteur de ralentissement du projet - le retard peut être estimé à quatre mois, de février à mai - car la ministre du budget, Valérie Pécresse, a demandé, début mai 2012 à la SOVAFIM de fournir des études complémentaires, ce qui a été fait dès le 25 mai 2012.

Par ailleurs, une analyse détaillée du calendrier permet d'évaluer à six mois le retard qui peut être imputé à l'alternance politique en 2012 : entre le 25 mai et le 6 novembre 2012, aucun élément nouveau n'est intervenu. Consciente de ce risque, la SOVAFIM s'était pourtant attachée à répondre à la demande de Valérie Pécresse datée du 4 mai 2012 aussi rapidement que possible, afin que l'opération puisse débuter avant les élections législatives. Mais l'ampleur du projet, les services concernés et le caractère atypique du montage choisi ont nécessité un examen renouvelé du projet par le cabinet du nouveau Premier ministre et c'est seulement en novembre 2012, lors d'une nouvelle réunion interministérielle, que le cabinet du nouveau Premier ministre a donné son accord sur le projet, tel qu'issu des demandes de Valérie Pécresse, rendant possible la contractualisation entre l'Etat et la SOVAFIM.

Si le retard d'un an et demi n'est donc pas uniquement dû au montage juridique et financier choisi, celui-ci a sans doute été un facteur non négligeable de l'allongement des délais de prise de décision, propre à des situations de négociation.

Votre rapporteur spécial s'interroge sur les délais supplémentaires qui peuvent s'expliquer par une négociation entre l'Etat et « lui-même ». En effet, dans le cadre du projet « Ségur-Fontenoy », l'Etat est à la fois actionnaire et client de la SOVAFIM : le Conseil d'administration de la SOVAFIM comprend neuf membres dont six représentants de l'Etat, nommés par le Premier ministre auxquels s'ajoutent trois personnalités qualifiées publiques. Les représentants de l'Etat sont issus de la direction générale du Trésor, de la direction du budget et de France Domaine. A cet égard, on pourra noter que les dirigeants de la SOVAFIM ont fait part d'un taux de rotation particulièrement important des représentants de l'Etat, qui ne facilite pas les relations entre la société et son actionnaire.

b) Une répartition des rôles peu claire et aux conséquences dommageables

Dès 2011, dans une lettre adressée au ministre du budget, François Baroin, le président directeur général de la SOVAFIM, Olivier Debains, indiquait :

« Il ressort de l'expérience du dossier Bosquet qu'il est nécessaire que les services de l'Etat concernés désignent un chef de projet, qui serait notamment l'interlocuteur pivot de l'équipe projet de la SOVAFIM pour élaborer le programme immobilier adapté aux futurs occupants et s'assurer que leurs besoins et contraintes seront bien pris en compte ».

Ce chef de projet a bien été désigné au sein des services du Premier ministre, et il a effectivement assuré la coordination des besoins des futurs services utilisateurs.

Néanmoins, d'autres services de l'Etat ont été associés au projet, et une difficulté rencontrée par votre rapporteur spécial tient à l'identification d'un véritable responsable du projet et à la répartition des compétences entre chaque partie prenante.

Il faut en effet distinguer, au sein de l'Etat :

- France Domaine, qui représente l'Etat propriétaire et veille à ce que le projet respecte les règles en matière de politique immobilière de l'Etat ;

- les services et entités rattachés au Premier ministre, qui sont les futurs utilisateurs et locataires.

Par ailleurs, un autre acteur important du projet est la SOVAFIM, qui assure, à partir du transfert des droits de propriété, la maîtrise d'ouvrage du projet immobilier.

Chaque service ou organisme est donc responsable de la partie du projet le concernant.

Selon les dirigeants de la SOVAFIM, la pluralité des services de l'Etat concernés par le projet (à la fois s'agissant des futurs occupants mais aussi des services impliqués dans le projet comme France Domaine) justifie de faire appel à une société qui, une fois propriétaire, gère seule le projet dans les conditions définies préalablement avec l'Etat - en l'occurrence France Domaine et les futurs utilisateurs. Elle devient ainsi à la fois le responsable du projet, mais aussi son pilote.

Néanmoins, dans la phase initiale du projet et avant la contractualisation avec la SOVAFIM, cette pluralité d'acteurs a engendré des difficultés - délai de prise de décision, engagements contradictoires de différents services de l'Etat. Cette situation paraît d'autant plus dommageable que la SOVAFIM n'a pas semblé prendre en compte la dimension nécessairement sensible d'un projet concernant les services du Premier ministre, mais aussi des autorités indépendantes.

L'exemple du Défenseur des droits met en évidence les difficultés rencontrées et la manière dont elles ont été résolues. Le Défenseur des droits a été créé en 2011 par la fusion de quatre autorités administratives indépendantes, réparties sur quatre sites distincts. Il a cherché à regrouper ses services sur un site unique, mais face à l'impossibilité de résilier deux des baux, il a été décidé, dans un premier temps, de regrouper les personnels sur deux sites. Néanmoins, le Défenseur des droits, Dominique Baudis, n'était pas satisfait de cette situation qui engendre coûts et inefficiences - d'autant que ses loyers (privés) sont particulièrement élevés.

C'est pourquoi Dominique Baudis a considéré que la création d'un Centre de Gouvernement pourrait lui permettre à la fois de regrouper ses équipes et de résilier les deux baux qui grèvent son budget de façon conséquente (environ 10 % du budget total).

Dès 2011, il a dit être intéressé par le projet, à une réserve près : le calendrier. Ses baux arrivant à échéance fin 2014, il souhaitait vivement regrouper son équipe sur un site unique avant cette date. En 2012, le projet étant à l'arrêt ( cf . supra ) et voyant l'échéance ainsi repoussée de plusieurs mois, le Défenseur des droits a commandé une étude à un architecte indépendant pour savoir s'il était envisageable, techniquement, de livrer le seul immeuble situé place de Fontenoy avant fin 2014 (date du terme des baux) en « découplant » les deux bâtiments situés respectivement avenue de Ségur et place de Fontenoy. L'étude a conclu à la faisabilité de cette option.

En février 2013, sur la base de cette hypothèse, le Secrétaire général du Gouvernement a assuré au Défenseur des droits qu'il pourrait emménager à Fontenoy fin 2014.

Cependant, un courrier du Premier ministre, daté du 30 avril 2013, a informé le Défenseur des droits de l'impossibilité d'envisager un emménagement dès 2014. Entre le premier courrier du Défenseur des droits et cette réponse définitive du Premier ministre lui-même se sont écoulés cinq mois.

Il semble que cette situation résulte de l'approche spécifique, parfois partielle, du projet de chaque interlocuteur et de l'absence de responsable clairement désigné. Le délai de réponse au Défenseur des droits et le renoncement aux assurances qui lui avaient été données peuvent s'expliquer au moins en partie par le montage choisi : d'une part, au sein de l'Etat, des arbitrages ont dû être rendus entre France Domaine et les futurs utilisateurs -dont le Défenseur des droits fait partie ; d'autre part, l'Etat a dû négocier avec la SOVAFIM (c'est-à-dire lui-même) la possibilité de distinguer les deux sites (Ségur et Fontenoy).

Aussi, aujourd'hui, les baux privés du Défenseur des droits, qui arrivent à échéance en 2014, font l'objet d'une négociation avec les propriétaires afin que le Défenseur des droits puisse y demeurer jusqu'en 2017, date prévue de livraison de l'ensemble « Ségur-Fontenoy ».

A la fin de son mandat (prévue en juin 2017), le Défenseur des droits n'aura pas réuni ses équipes sur un site unique ; ce sera donc à son successeur de mener à bien cette entreprise. Votre rapporteur spécial espère néanmoins que les modalités pratiques et l'organisation du déménagement auront pu être réglées en amont de la prise de fonction du nouveau Défenseur des droits.

c) Une communication inexistante à ce jour
(1) Un projet peu connu

A ce jour, le projet de réhabilitation de « Ségur-Fontenoy » pour créer un « Centre de Gouvernement » n'a pas été médiatisé : alors même qu'il s'agit d'un projet emblématique pour l'Etat - du fait de sa localisation mais aussi en raison du prestige de ses futurs utilisateurs - il est mené dans la discrétion et n'est pas porté vis-à-vis de l'extérieur, c'est-à-dire des citoyens et notamment des riverains. L'appellation même de « Centre de Gouvernement » est à ce jour peu connue.

Ce ne sont pas les services de l'Etat eux-mêmes qui organisent les travaux, mais la SOVAFIM, désormais propriétaire du bien. C'est donc elle qui s'est adressée aux promoteurs, qui travaillent eux-mêmes avec des architectes. Ainsi, par exemple, l'Etat n'a plus la possibilité d'organiser un concours d'architecte. Votre rapporteur spécial regrette cette relative perte de contrôle de l'Etat sur le projet, qui résulte du montage retenu. Il aurait souhaité que pour un tel projet, l'Etat communique sur ses ambitions et sa politique immobilière. En particulier, dans ce cas, un concours d'architecte aurait pu être réalisé en amont, par l'Etat lui-même : la SOVAFIM mettra effectivement en concurrence des projets d'architectes, mais par l'intermédiaire des promoteurs et en fin de processus.

Par ailleurs, à ce jour, la coopération paraît insuffisante au niveau local. Votre rapporteur spécial a rencontré l'architecte des bâtiments de France responsable du secteur ainsi que la maire du VII e arrondissement de Paris. Il a également sollicité la mairie de Paris, sollicitation restée sans réponse à ce jour.

L'architecte des bâtiments de France (ABF) a visité l'îlot avec la SOVAFIM en 2011 et formulé des observations orales. Elle n'a pas été sollicitée depuis. Pourtant, s'agissant d'un projet de cette ampleur, il semble souhaitable de travailler de concert avec les architectes tout au long du projet afin d'identifier au plus tôt les contraintes et de prendre les décisions en connaissance de cause. Après ce contact initial, la SOVAFIM a au contraire travaillé de manière indépendante.

L'ABF a notamment exprimé la crainte que le projet s'attache à la seule sauvegarde de la façade, et que l'intérieur des bâtiments soit totalement modifié.

Par ailleurs, sollicitée par votre rapporteur spécial, la maire du VII e arrondissement a indiqué ne jamais avoir été informée de ce projet.

Recommandation : mettre en place un pilotage mieux assumé, pour une opération prestigieuse car concernant les services du Premier ministre, et veiller à ce que l'Etat reste attentif au déroulement du projet, bien qu'il soit désormais piloté par la SOVAFIM.

(2) Le risque non négligeable d'éventuels recours contentieux

Ce manque de coordination et de consultation en amont et alors qu'à ce jour, des promoteurs candidats s'investissent et travaillent sur des scénarios possibles est préoccupant : les habitants du quartier dans lequel est situé « Ségur-Fontenoy » sont considérés comme particulièrement sensibles à la préservation de leur environnement.

En effet, ils n'hésitent pas à engager des procédures contentieuses et la question des parcs de stationnement risque fort d'être soulevée.

Une exemplarité (à la fois juridique et fonctionnelle) et une véritable concertation en amont avec les riverains paraît donc d'autant plus indispensable que le projet est situé dans un secteur où les contentieux sont nombreux .

Selon la SOVAFIM, dans la mesure où les façades ne seront pas modifiées, où le projet vise à améliorer l'aspect notamment extérieur des bâtiments et où le cahier des charges prévoit un chantier protecteur de l'environnement immédiat, les recours devraient être évités.

Cette question est d'autant plus importante que, comme s'en étonnait le Conseil de l'immobilier de l'Etat dans son avis du 28 février 2012, le calendrier des travaux ne tient pas compte du délai de traitement d'éventuels recours. Il convient donc d'éviter tout risque de contentieux car il serait particulièrement regrettable que des retards, qui auraient pu être évités grâce à un dialogue plus approfondi au niveau local, ne viennent remettre en cause l'équilibre financier du projet.

Recommandation : inciter la SOVAFIM à mettre en place un plan de communication à destination des riverains pour compenser l'absence de dialogue, à ce stade, avec les autorités locales et architecturales .

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