Rapport d'information n° 852 (2012-2013) de MM. André GATTOLIN et Bruno RETAILLEAU , fait au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication et de la commission des affaires économiques, déposé le 18 septembre 2013

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N° 852

SÉNAT

SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2012-2013

Enregistré à la Présidence du Sénat le 18 septembre 2013

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des affaires économiques (1) et de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication (2) par le groupe de travail sur les jeux vidéo ,

Par MM. André GATTOLIN et Bruno RETAILLEAU,

Sénateurs.

(1) Cette commission est composée de : M. Raymond Vall , président ; MM. Gérard Cornu, Ronan Dantec, Mme Évelyne Didier, MM. Philippe Esnol, Alain Houpert, Hervé Maurey, Rémy Pointereau, Mmes Laurence Rossignol, Esther Sittler, M. Michel Teston , vice-présidents ; MM. Pierre Camani, Jacques Cornano, Louis Nègre , secrétaires ; MM. Joël Billard, Jean Bizet, Vincent Capo-Canellas, Yves Chastan, Philippe Darniche, Marcel Deneux, Michel Doublet, Jean-Luc Fichet, Jean-Jacques Filleul, Alain Fouché, Francis Grignon, Mme Odette Herviaux, MM. Benoît Huré, Daniel Laurent, Alain Le Vern, Mme Hélène Masson-Maret, MM. Jean-François Mayet, Stéphane Mazars, Robert Navarro, Charles Revet, Roland Ries, Yves Rome, Henri Tandonnet, André Vairetto, Paul Vergès .

(2) Cette commission est composée de : Mme Marie-Christine Blandin , présidente ; MM. Jean-Étienne Antoinette, David Assouline, Mme Françoise Cartron, M. Ambroise Dupont, Mme Brigitte Gonthier-Maurin, M. Jacques Legendre, Mmes Colette Mélot, Catherine Morin-Desailly, M. Jean-Pierre Plancade , vice-présidents ; Mme Maryvonne Blondin, M. Louis Duvernois, Mme Claudine Lepage, M. Pierre Martin, Mme Sophie Primas , secrétaires ; MM. Serge Andreoni, Maurice Antiste, Dominique Bailly, Pierre Bordier, Mme Corinne Bouchoux, MM. Jean Boyer, Jean-Claude Carle, Jean-Pierre Chauveau, Jacques Chiron, Mme Marie-Annick Duchêne, MM. Alain Dufaut, Jean-Léonce Dupont, Vincent Eblé, Mmes Jacqueline Farreyrol, Françoise Férat, MM. Gaston Flosse, Bernard Fournier, André Gattolin, Jean-Claude Gaudin, Mmes Samia Ghali, Dominique Gillot, Sylvie Goy-Chavent, MM. François Grosdidier, Jean-François Humbert, Mmes Bariza Khiari, Françoise Laborde, M. Pierre Laurent, Mme Françoise Laurent-Perrigot, MM. Jean-Pierre Leleux, Michel Le Scouarnec, Jean-Jacques Lozach, Philippe Madrelle, Jacques-Bernard Magner, Mme Danielle Michel, MM. Philippe Nachbar, Daniel Percheron, Marcel Rainaud, Michel Savin, Abdourahamane Soilihi, Alex Türk, Hilarion Vendegou, Maurice Vincent .

PRÉSENTATION SYNTHÉTIQUE DES PISTES DE TRAVAIL

1/ Créer une plateforme de distribution en ligne française de jeux vidéo

2/ Mettre en place un fonds d'octroi de prêts participatifs géré par l'IFCIC et financé par la BPI

3/ Instaurer un système de guichet unique pour le dépôt par les entreprises de demandes de soutien

4/ Relever le plafond des financements accordés au titre du FAJV et clarifier la place accordée au critère de violence dans leur octroi

5/ Assouplir le seuil minimum d'allocation du CIJV, revoir ses critères d'octroi - notamment culturels - à l'aune de la diversité de la production française, reconsidérer la question de son allocation aux jeux classés « PEGI 18 », simplifier ses procédures et allonger son éligibilité dans le temps

6/ Préciser la nature des dépenses ouvrant droit au CIR pour le secteur du jeu vidéo et élargir son assiette.

7/ Étendre le dispositif de la JEI à de nouvelles activités d'innovation et relever son plafonnement.

8/ Instaurer une taxe d'un taux très réduit sur les ventes de jeux vidéo neufs afin d'alimenter un fonds soutenant la production française.

9/ Enrichir l'offre de formation à la création et à la gestion d'entreprises dans le secteur du jeu vidéo

10/ Promouvoir, notamment par le biais des collectivités territoriales, le rapprochement entre les écoles de formation aux jeux vidéo et les pépinières d'entreprises dans une approche territorialisée.

AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

Au mois de février 2013, les commissions de la culture et des affaires économiques du Sénat ont décidé d'inscrire les jeux vidéo à leur programme de contrôle et, à cette fin, ont créé un groupe de travail conjoint confié à André Gattolin (Ecolo - Hauts-de-Seine) pour la commission de la culture, de l'éducation et de la communication et à Bruno Retailleau (UMP - Vendée) pour la commission des affaires économiques.

Les jeux vidéo ont en effet la particularité de pouvoir être définis tant comme un objet culturel et artistique que comme un produit technologique . « Personne ne doute que ce soit une industrie, mais on oublie souvent qu'il s'agit d'un art » dit d'eux Olivier Séguret, chroniqueur et critique de cinéma et de jeux vidéo à Libération.

André Malraux, dans son « Esquisse d'une psychologie du cinéma » , donnait la même signification duale au septième art, longtemps considéré comme une prouesse technologique avant de conquérir ses lettres de noblesse dans le milieu culturel.

Si tel n'est pas le cas, à ce jour, des jeux vidéo, malgré la qualité et la créativité du scénario et du graphisme de certaines productions , c'est qu'ils souffrent en réalité d' une image encore peu flatteuse , associée à un risque addictif et à des comportements asociaux et agressifs.

Certes, la généralisation des pratiques entraîne indéniablement une évolution des mentalités en faveur du jeu , mais le changement est craintif à l'heure où l'industrie française du jeu vidéo, concurrencée à l'extrême, et notamment par le Canada, a plus que jamais besoin de considération institutionnelle pour se développer et attirer les investisseurs . Fragilisés et bien que loués pour la qualité de leurs jeux, les studios français, qui emploient 5 000 personnes, ne doivent pas être laissés au bord du chemin.

La France, qui comptait dans les années 1990 jusqu'à 15 000 emplois directs dans le jeu vidéo et qui forme toujours des professionnels mondialement reconnus et recherchés, n'a que trop tardé à soutenir cette industrie et à freiner sa délocalisation.

Le jeu vidéo constitue en effet un moteur de croissance qu'il serait imprudent de ne pas considérer, notamment en raison de l' interaction de ce secteur avec celui des nouvelles technologies , comme le rappelait la revue Hermès en introduction de son numéro spécial sur le jeu 1 ( * ) : « Les jeux vidéo, informatisés depuis près de quarante ans, [dépendent des nouvelles technologies] pour leur développement et leur diffusion. Cette dépendance [...] est caractérisée par une suite de cycles : intégration d'une technologie innovante, développement de nouveaux contenus, mutation du processus de production, enfin conquête d'un nouveau marché jusqu'à saturation et démarrage d'un nouveau cycle. Mais l'attractivité du jeu vidéo a, à son tour, largement contribué à populariser les nouvelles technologies, l'Internet et les réseaux sociaux. Aujourd'hui, on se connecte autant, voire davantage, pour jouer que pour s'informer. »

Aujourd'hui, le jeu vidéo comme les nouvelles technologies, sont ancrés dans nos vies quotidiennes : le temps de jeu s'allonge sans cesse, tandis que les techniques et technologies du jeu sont utilisées pour un nombre croissant d'usages. Qu'on s'en réjouisse ou qu'on la déplore, la « gamification » de la société constitue un enjeu économique de premier ordre pour l'industrie française du jeu vidéo , enjeu que pouvoirs publics, studios et investisseurs privés se doivent de relever.

Le présent rapport, après avoir rappelé les grands débats qui existent autour du jeu vidéo et tenté de tracer les frontières de cette industrie à plusieurs visages, dresse un bilan de la politique économique de la France en faveur de ce secteur, avant de proposer des pistes de travail qui permettront de « jouer français » demain.

EXPOSÉ GÉNÉRAL

I. JOUEURS ET JEUX : ÉTAT DES LIEUX D'UNE PRATIQUE CULTURELLE GÉNÉRALISÉE

A. UNE INDUSTRIE EN MUTATION CONSTANTE

1. Une industrie récente

La majorité des auteurs, comme Sébastien Genvo 2 ( * ) , maître de conférences à l'Université Paul Verlaine de Metz, ou Erwan Cario, journaliste à Libération et auteur de « Start ! La grande histoire des jeux vidéo » , datent la genèse du jeu vidéo à 1962 lorsque qu'un étudiant du club de modélisme du Massachusetts Institute of Technology (MIT), Steve Russel, détourne un super calculateur de l'université, le PDP-1, pour programmer Space War , qui connaît rapidement un vif succès auprès des étudiants. D'autres considèrent toutefois qu'Alexander Douglas et son jeu de morpions Oxo (1952) ou Willy Higinbotham avec Tennis for Two (1958) en seraient le véritable inventeur.

Puis, en 1972, est mis en service dans un bar de Californie le jeu Pong . « Le soir du premier jour, le téléphone sonna chez lui pour une mauvaise nouvelle : la machine était en panne. Accouru sur les lieux, Bushnell découvrit vite que la cause de la panne était le trop grand nombre de pièces coincées dans la machine. Le succès fut fulgurant. » 3 ( * ) Cette mésaventure est arrivée à Nolan Bushnell, le créateur de Pong et fondateur d'Atari en 1973 avec un capital de 500 dollars. Un an plus tard, Atari affiche un chiffre d'affaires de 3,2 millions de dollars et produit, dès 1975, une console pour téléviseur. La console est vendue avec un jeu unique et engendre, en 1976, un chiffre d'affaires de 40 millions de dollars. Le jeu vidéo est devenu grand public et sort des seules salles d'arcade 4 ( * ) .

En 1977, le nouveau modèle de console Atari offre la possibilité de jouer sur d'autres jeux, puisqu'à un jeu correspond désormais une cartouche distincte du support de lecture. Des classifications de genres pérennes apparaissent (jeux d'aventure, de simulation, de stratégie, etc.).

En 1978, le Japon entre dans l'industrie du jeu vidéo avec Space Invaders , qui rencontre un succès mitigé.

Dès lors, la production de jeux s'industrialise : en 1980, Pac-Man est le fruit d'une équipe de 800 personnes pour un coût de plus de trois millions de dollars. Le succès est immédiat aux États-Unis où 350 000 bornes de jeu sont installées dans les cafés, les bars et les salles de jeux. Vêtements, gadgets, boîtes de céréales sont édités au symbole de Pac-Man : le titre devient une franchise et fait même l'objet d'une série télévisée.

Pour autant, les éditeurs peinent à élaborer des standards et les jeux produits ne sont pas de bonne qualité. En 1983, un krach du marché du jeu aux États-Unis laisse croire à la fin de cette industrie naissante .

D'autres pays vont alors se lancer dans la production de jeux. Ainsi, c'est dans l'URSS de l'époque, à l'Académie des sciences soviétiques de Moscou, que Tetris , chef d'oeuvre absolu du « puzzle game » encore vendu aujourd'hui, voit le jour en 1984. En 1985, le japonais Nintendo sort Mario , dont la mascotte était apparue dès 1981, puis en 1989, Super Mario en concomitance avec la mise sur le marché d'un support révolutionnaire, la Game Boy . Sega, son concurrent historique, réplique avec la Game Gear en 1990. La pratique du jeu devient mobile .

Sony sort sa console de salon Playstation en 1995. Le jeu vidéo n'est plus seulement un loisir pour enfants et adolescents. Il devient un produit destiné aux adultes et une pratique à la mode.

À la fin des années 90, on assiste ainsi au succès des premiers jeux de guerre, d'action et de course extrêmement réalistes avec l' apparition de la 3D ( Tomb Raider en 1996 et Gran Turismo en 1997 sur Playstation , qui, avec dix millions d'exemplaires, est le jeu le plus vendu de l'histoire de la console).

En 1999, Les Sims (jeu de « poupées » virtuelles) marque le début des jeux de vie artificielle mettant en place un système social cohérent. Il devient, jusqu'en 2003, le jeu sur PC le plus vendu au monde.

Avec l'arrivée d'Internet, le joueur devient contributeur et co-créateur du jeu . L'interactivité modifie les formes de jeux et les façons de jouer . Dans Call of Duty (2003), le joueur contrôle lui-même la caméra et a constamment l'impression de progresser à l'intérieur d'un film de guerre. World of Warcraft symbolise, quant à lui, le succès des jeux à univers persistant (le monde virtuel et ses personnages continuent à évoluer en l'absence du joueur) et multi-joueurs. Le jeu a réuni jusqu'à douze millions de joueurs à travers le monde. L'industrie américaine, Electronic Arts et Blizzard en tête, reviennent en force sur un marché longtemps dominé par les éditeurs japonais.

Enfin, depuis 2006, on assiste à un développement protéiforme des jeux vidéo, parallèlement à la multiplication des supports ( Angry Birds sur mobile a été téléchargé 700 millions de fois). De plus petits studios, grâce aux coûts de production moins élevés des jeux en ligne et des jeux sur mobile, entrent sur le marché, tandis que d'autres collaborent avec de grands éditeurs. En France, on rappellera ainsi les succès d'Ankama ( Dofus en 2004 puis Wakfu en 2012), de Quantic Dream ( Fahrenheit en 2005, Heavy Rain en 2010, Beyong en 2013), d'Arkane Studios ( Dishonored en 2012) et de DontNod ( Remember Me en 2013).

2013 représente une nouvelle année charnière avec la sortie des nouvelles consoles, très attendues, de Sony ( Playstation 4 ) et de Microsoft ( Xbox One ).

2. Une industrie multiforme

Les jeux vidéo appartiennent, en fonction de leur « gameplay », c'est-à-dire de leur jouabilité (règles du jeu, prise en main, univers, expérience vécue par le joueur, etc.), à des catégories différentes, même si certains jeux ont des caractéristiques transversales. La classification proposée ci-après est opérée tant par les joueurs que par les éditeurs de jeux, sans constituer pour autant une nomenclature officielle . Elle varie corrélativement à l'apparition de nouvelles formes de jeux.

Les différentes catégories de jeux vidéo

La diversité des jeux vidéo disponibles et la segmentation du marché ont conduit les professionnels à regrouper les jeux vidéo selon une typologie de genre :

Aventure : l'intérêt prédominant des jeux d'aventure se focalise sur la recherche et l'exploration, les dialogues, la résolution d'énigmes, plutôt que sur les réflexes et l'action. Le joueur peut agir sur l'histoire : certains jeux d'aventures offrent ainsi plusieurs embranchements scénaristiques ;

Course : les jeux de course placent le joueur aux commandes d'un véhicule. Le joueur doit effectuer un nombre déterminé de tours de piste et lutter contre d'autres pilotes, en vue d'obtenir une place sur le podium. Deux sous-genres sont distingués : le jeu de course d'arcade et le jeu de course de simulation ;

FPS ( First-Person Shooter ) : les jeux de tir subjectif sont basés sur une visée et des déplacements où l'environnement est vu à travers les « yeux » du personnage joué. Ils font appel à l'habileté et à la rapidité du joueur. Cette perspective génère une forte identification, accentuée par des graphismes en trois dimensions ;

Gestion/ Wargames : dans les jeux de gestion et de guerre, dits aussi jeux de stratégie, le joueur endosse le rôle d'un personnage devant construire et gérer un espace de vie (une ville), de loisir (un parc d'attraction), ou gagner un combat ;

MMORPG ( Massively Multiplayer Online Role Playing Game ) ou MMO ( Massively Multiplayer Online ) : jeux de rôle en ligne massivement multi-joueurs. Il s'agit de la transposition numérique du jeu de rôle traditionnel « sur table ». Le joueur incarne un personnage qui doit effectuer une quête et évolue au cours du jeu. Ce type de jeux innove par la mise en place d'univers fonctionnant 24 heures sur 24 appelés « mondes persistants » ;

Plateformes : les jeux de plateformes sont caractérisés par des sauts d'une plateforme suspendue à l'autre ou au-dessus d'obstacles, ainsi que divers « pièges » tendus au personnage contrôlé par le joueur ;

RPG ( Role Playing game ) : les jeux vidéo de rôle s'inspirent des jeux de rôle traditionnels tels que Donjons & Dragons . Le joueur incarne un ou plusieurs « aventuriers » qui se spécialisent dans un domaine spécifique (combat, magie, etc.) et qui progressent à l'intérieur d'une intrigue linéaire. Ce type de jeu est aujourd'hui largement concurrencé par les MMORPG ;

Simulation : les jeux de simulation visent à reproduire de manière réaliste les sensations ressenties aux commandes d'une voiture ou de tout autre véhicule. Ils tiennent compte des lois de la physique et des limites de la réalité, ainsi que d'un certain nombre de paramètres du comportement propres aux engins pilotés ;

Sport : les jeux de sport regroupent diverses disciplines. Ils placent le joueur directement dans l'action ou lui proposent de diriger une équipe ;

ARG ( Alternate reality games ) : produits hybrides entre jeu vidéo, cinéma et série télévisée, les ARG impliquent directement le joueur via des SMS et des sites Internet dans une histoire qui s'écrit progressivement. En France, la référence dans ce domaine sont les jeux d'Éric Viennot (que le groupe de travail sénatorial a rencontré sur le « Tweet Camp » lors de son déplacement à Bordeaux) In memoriam et Alt-Minds , qui plongent pendant plusieurs semaines le joueur dans une enquête avec l'aide de 500 sites Internet créés spécialement, d'e-mails personnalisés, d'appels téléphoniques et de rencontres réelles avec des acteurs ;

Réflexion : il s'agit des jeux de labyrinthes, de puzzles, de casse-tête et, plus largement, de tous les jeux faisant appel à la logique et à la réflexion du joueur ;

Serious games : cette catégorie de jeux permet l'accompagnement d'un apprentissage dans un contexte ludique ;

Jouet vidéo : cette catégorie de jeu récente, commercialisée pour la première fois en 2011 par Activision-Blizzard ( Skylanders ) puis par Disney en 2013 ( Infinity ), consiste en l'association d'un jeu vidéo à une figurine physique équipée d'une puce sans contact (RFID) en vue d'intégrer le personnage à l'histoire du jeu ;

Nouveaux genres : il s'agit des jeux appartenant aux catégories de dressage, élevage, musique, chant, danse, rythme (généralement des jeux d'arcade), simulation de métier, « party game ». Ces jeux requièrent l'utilisation d'un clavier, d'une manette, d'un tapie de danse, de la réplique d'un instrument de musique, etc.

Selon les derniers chiffres diffusés par le Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC) pour l'année 2011 sur les ventes de jeux vidéo sur support physique 5 ( * ) , les jeux d'action et d'aventure dominent le marché français avec huit millions de boîtes vendues, suivis des FPS (5,1 millions d'unités), des jeux de sport (4,5 millions), des jeux appartenant à la catégorie « nouveaux genres » (trois millions), des jeux de course (2,8 millions), des RPG (2,7 millions), enfin des jeux de gestion et wargames (2,3 millions). Avec des ventes annuelles inférieures à deux millions de boîtes, se placent les jeux de plateforme, les jeux de société, les jeux de simulation et les logiciels éducatifs.

Les jeux sur support physique fonctionnent sur différents types de plateformes : les consoles de salon ( Wii de Nintendo, Playstation de Sony et Xbox de Microsoft), qui représentent environ 73 % des parts de marché, les consoles portables ( DS et 3DS de Nintendo et PSP de Sony) avec environ 17 % de parts de marché, et les ordinateurs (10 % de parts de marché).

Au côté des jeux sur support physique se développent les jeux en ligne. Si l'ordinateur représente la principale plateforme de lecture des joueurs avec un taux de pénétration de près de 75 %, ce n'est pas tant grâce aux jeux physiques sur PC (dont on a vu précédemment qu'ils ne représentaient que 10 % des parts de marché), qu'en raison de la pratique massive des jeux en ligne.

De fait, les jeux en ligne dominent largement les pratiques des joueurs , puisque 80 % en font usage. Si 77 % des joueurs consomment des jeux gratuits, on observe une augmentation des pratiques en faveur du jeu payant, mais également du jeu gratuit à options payantes (modèle du « Freemium » ). Ainsi, 18 % des utilisateurs de jeu gratuit déclarent acheter des options pour passer des étapes supplémentaires ou accélérer le cours de la partie. Le paiement se fait par des microachats (carte bancaire, téléphone ou Paypal ) ou en acceptant de visionner des publicités. Plus le jeu avance, plus les options payantes se multiplient. Le budget moyen dépensé dans ce type de jeux ne cesse d'augmenter (7,8 euros par mois en moyenne), certains joueurs pouvant dépenser près de 80 euros par mois, montant qui excède largement le prix d'un jeu classique (environ 40 euros).

Ce type de jeux se développe également sur les réseaux sociaux . Pour Facebook , ils représentent 15 % du chiffre d'affaires (soit environ 500 millions de dollars) avec près de 55 % des utilisateurs du réseau inscrits à un jeu. Le CNC indique sur ce point que « les développeurs de ces applications s'inspirent d'un modèle économique basé sur des coûts de développement faibles pour des revenus générés potentiellement très élevés, grâce d'une part à la publicité et d'autre part à la possibilité de fidéliser les joueurs avec le système de micro-transactions de crédits virtuels (principe du « Free-to-play ») ».

Pénétration des jeux vidéo selon le mode d'accès et le type de jeu 1 (% des joueurs)

juil-déc 2009

juil-déc 2010

juil-déc 2011

jeux en ligne totalement gratuits

49,9

50,4

46,9

jeux en ligne gratuits avec options payantes non achetées

35,9

38,0

45,2

jeux en ligne gratuits avec options payantes achetées

10,4

9,4

17,9

jeux en ligne avec accès payant

12,0

10,1

20,7

jeux achetés dans le commerce et connectés à Internet

16,0

16,0

14,9

jeux achetés dans le commerce et non connectés à Internet

39,4

35,2

43,6

1 Plusieurs réponses possibles.

Lecture : Au deuxième semestre 2011, 43,6 % des joueurs de 10 ans et plus jouent à des jeux achetés dans le commerce et non connectés à Internet.

Source : CNC - GfK.

On notera également que de plus en plus d'éditeurs, à l'instar d'Ankama, que le groupe de travail est allé visiter à Roubaix, pour son jeu en ligne payant Dofus , mettent en place des systèmes d'abonnement uniques, au détriment des abonnements à des portails de jeux.

Le jeu sur support physique constitue toutefois encore un marché plus lucratif puisque, s'agissant de la France, il s'est établi à 1,3 milliard d'euros en 2011 (contre 640 millions d'euros pour les jeux en ligne payants), même si les évolutions récentes pourraient conduire, dans les prochaines années, à une inversion de la situation.

3. Une industrie à mi-chemin entre culture et technologie

Le jeu vidéo, plus encore que les autres industries culturelles, a la particularité d'être considéré tant comme un bien culturel que comme un produit technologique. À ce titre, il constitue un objet conjoint de politique industrielle et culturelle. De fait, ministères de la culture et de l'industrie (ou de l'économie numérique) s'en partagent historiquement la responsabilité. Cette situation, outre le manque de reconnaissance institutionnelle qu'elle symbolise, conduit à ce qu'aucune de ses tutelles ne considère finalement l'industrie du jeu vidéo comme une priorité.

Ainsi, au sein du ministère de la culture et de la communication, le Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC) contribue au financement de jeux vidéo, dont la qualité narrative est jugée suffisante, et la direction générale des médias et des industries culturelles (DGMIC) constitue, pour les professionnels du jeu vidéo, un interlocuteur privilégié. Pour autant, il apparaît qu' aucune de ces instances auditionnées par le groupe de travail sénatorial, n'envisage en réalité le jeu vidéo au même niveau que les autres industries culturelles.

Philippe Chantepie, dans son étude sur « La création dans l'industrie du jeu vidéo » réalisée pour le ministère de la culture et de la communication en 2009 6 ( * ) , remarquait ainsi le contraste « entre la maturité économique du jeu vidéo, la croissance de ses marchés mondiaux et la méconnaissance dont il souffre au plan culturel. »

Certains pays européens, comme le Royaume-Uni ou la Finlande, limitent le jeu vidéo à sa définition industrielle. De même, le nouveau programme « Europe créative » de la Commission européenne pour la période 2014-2020 ne prévoit pas à son égard une politique spécifique. Il l'inclut en effet dans les actions prévues en faveur du secteur audiovisuel. Les 1,8 milliard d'euros dont il sera doté seront destinés essentiellement aux secteurs du cinéma et de l'audiovisuel (900 millions d'euros), ainsi qu'à celui de la culture (500 millions d'euros). Les 210 millions d'euros restants abonderont un nouveau fonds de garantie géré par le Fonds européen d'investissement, aux fins de couvrir l'octroi de prêts bancaires à de petits opérateurs, et financeront des études et analyses.

Du point de vue politique, le jeu vidéo n'a longtemps été traité que sous l'angle de ses éventuelles conséquences en matière d'addiction ou de violence chez ses usagers . L'appel à projet lancé en 2009 par Nathalie Kosciusko-Morizet, alors secrétaire d'État chargée de la prospective et du développement de l'économie numérique, sur le thème des « serious games », ainsi que la création, l'année suivante, de l'Observatoire du jeu vidéo, témoignent cependant d'un intérêt nouveau des politiques en faveur du jeu vidéo.

Le positionnement délicat du jeu vidéo à la frontière entre industrie et culture s'explique par la nature intrinsèquement duale du produit . D'ailleurs, pour les instituts de recherche, les jeux vidéo sont des « logiciels de loisirs » ou « loisirs interactifs », tandis que le grand public parle de « jeux vidéo ».

Pour Erwan Cario, auditionné par le groupe de travail, si le jeu vidéo est issu de l'imagination et du travail de ses auteurs, il est aussi le résultat d'une conception très encadrée. Le jeu vidéo serait donc un secteur créatif sous contraintes : contrainte technologique bien-sûr (puissance de calcul, possibilités graphiques du support choisi), mais également contrainte d'interface (moyens pour interagir avec l'univers créé) et contrainte économique et commerciale (nécessité d'être édité et distribué pour être vendu).

Cette analyse est partagée par Philippe Chantepie, dans son étude précitée, qui estime que « dans sa conception même, le jeu vidéo entretient un rapport originel aux technologies et à l'interactivité ». La particularité de la création vidéo-ludique dans son lien entre le jeu et son interactivité a pour conséquence de rendre le jeu vidéo intrinsèquement différent des formes d'art connues jusqu'alors.

Cette originalité du jeu vidéo a été reconnue par la jurisprudence après plusieurs décisions contradictoires quant à la définition à donner à ce produit (logiciel, oeuvre audiovisuelle, base de données, etc.). Dans son arrêt Cryo du 25 juin 2009, la Cour de cassation a considéré que le jeu vidéo « est une oeuvre complexe, qui ne saurait être réduite à sa seule dimension logicielle, quelle que soit l'importance de celle-ci » et a reconnu, à cette occasion, la dimension graphique, narrative et musicale - c'est-à-dire artistique - du produit.

La reconnaissance institutionnelle du jeu vidéo comme produit culturel est en revanche une réalité établie de longue date dans bien d'autres pays où, devenus obsolètes, les jeux et les supports accèdent au statut d'objets de musée . Ainsi, le Museum of Modern Art (MoMA) de New York a-t-il récemment acquis Pac-Man , Tetris, Super Mario Bros et Donkey Kong , entre autres jeux vidéo mythiques, destinés à une nouvelle collection permanente de son département design. Sur fond musical d'origine, les visiteurs sont invités à jouer à certains d'entre eux. Outre l'aspect artistique de la démarche, l'initiative du MoMA permet de conserver des oeuvres, dont les supports de visionnage deviennent rapidement hors d'usage. Au-delà de l'objet, c'est également la pratique du jeu qui devient patrimoine. Les jeux vidéo possèdent même leur musée à Londres et à Berlin.

En raison des hésitations des instances culturelles sur l'intérêt qu'il convenait de porter au jeu vidéo, la France entame à peine une démarche de patrimonialisation des jeux , malgré le travail de recueil effectué par des associations de passionnés depuis les années 1990. La première démarche muséale officielle est à porter au crédit du musée des Arts et Métiers en 2010, avec son exposition Museogames . On citera également Game Story au Grand Palais entre novembre 2011 et janvier 2012, qui a retracé quarante ans d'histoire du jeu vidéo en développant une approche « esthétique et culturelle » . Le festival GamerZ se présente quant à lui comme un événement « consacré au jeu et au détournement dans la création contemporaine » .

À l'automne 2013 ouvrira une nouvelle exposition à la Cité des Sciences et de l'Industrie, dont la mise en oeuvre a été confiée conjointement à Olivier Lejade, fondateur du studio Mekensleep, et Mathieu Triclot, maître de conférences en philosophe à l'Université de technologie de Belfort-Montbéliard et auteur de « La philosophie des jeux vidéo » .

Lors de son audition par le groupe de travail, Mathieu Triclot a estimé qu' un changement important était à l'oeuvre en France en matière de légitimité culturelle du jeu vidéo , qui devient progressivement un sujet de recherche universitaire. Ainsi, deux recrutements universitaires d'enseignants-chercheurs, dont celui d'Alexis Blanchet à la Sorbonne Nouvelle (Paris III), ont été réalisés en 2012, en raison d'un nombre croissant de doctorants dans le domaine du jeu vidéo. Par ailleurs, l'Agence nationale de la recherche (ANR) contribue actuellement au financement d'une étude sociologique sur les joueurs de jeux vidéo, ce qui aurait été inenvisageable il y a encore quelques années. Cette évolution des mentalités s'inscrit à la suite de la généralisation de la pratique, qui conduit à sa légitimation.

Pour Olivier Lejade, également auditionné, ce basculement en faveur du jeu vidéo comme objet culturel est inexorable . Le jeu devient en effet lui-même un élément de culture à part entière pour des générations de joueurs, au même titre que le cinéma ou la musique dont on partage le souvenir et les références.

Il est ainsi particulièrement symbolique que, à l'été 2013, des étudiants de l'École nationale supérieure des Beaux-Arts de Paris aient choisi de peindre une fresque monumentale inspirée du jeu vidéo vedette d'Ubisoft  - Assassin's Creed- qui, dans son quatrième épisode, dont la sortie est attendue en octobre 2013, met en scène les Caraïbes du XVIII e siècle à l'âge d'or de la piraterie. Commandée par Ubisoft, l'oeuvre, qui inclut même des portraits de joueurs, sera exposée au Musée de la Marine, puis dans divers musées d'Europe.

B. UN MONDE DE JOUEURS

1. Des pratiques variées pour un public élargi

Selon l'étude commandée par le CNC à l'institut GfK 7 ( * ) , on estime à environ 60 % la proportion de joueurs , occasionnels et assidus confondus, parmi la population française, parmi lesquels 54 % sont des hommes. De fait, le jeu vidéo, autrefois réservé à un public d'initiés et des passionnés, se place en tête des pratiques culturelles des Français : 48 % des foyers sont équipés d'une console, 65 % d'un ordinateur et 84 % d'un téléphone portable. A l'échelle de la planète, on compterait près d'un milliard de joueurs.

Pénétration du jeu vidéo au sein de la population française selon l'âge (%)

juil-déc 2009

juil-déc 2010

juil-déc 2011

10-14 ans

95,7

100,0

98,6

15-17 ans

90,7

94,3

92,4

18-24 ans

84,5

87,1

79,1

25-34 ans

80,7

88,4

82,7

35-49 ans

69,9

61,3

56,6

50 ans et plus

38,3

32,6

33,8

total

63,3

61,1

58,3

Lecture : Au deuxième semestre 2011, 98,6 % de la population française des 10-14 ans jouent à des jeux vidéo.

Source : CNC - GfK.

L'âge moyen des joueurs français s'établit à 34,7 ans , mais près de 23 % d'entre eux ont plus de cinquante ans. Enfin, 45 % des joueurs se déclarent inactifs. 72,6 % des joueurs déclarent jouer au moins une fois par semaine, par session de une à trois heures en moyenne.

Répartition des joueurs selon le sexe (%)

joueurs

ensemble de la population

juil-déc 2009

juil-déc 2010

juil-déc 2011

juil-déc 2009

juil-déc 2010

juil-déc 2011

homme

47,9

52,4

54,1

49,3

48,3

48,3

femme

52,1

47,6

45,9

50,7

51,7

51,7

Lecture : Au deuxième semestre 2011, 45,9 % des joueurs de sexe féminin.

Source : CNC - GfK.

À l'opposé des idées reçues sur des joueurs qui seraient majoritairement des adolescents et de jeunes hommes à la pratique chronophage, cette étude montre combien la pratique du jeu vidéo s'est élargie et démocratisée, grâce au développement de nouveaux modes de jeux (les jeux de mémoire destinés aux seniors ou les jeux de la catégorie « nouveaux genres » particulièrement prisés des femmes), mais aussi en raison de l'apparition de jeux courts sur tablettes et mobiles, facilitant leur accès hors du domicile, notamment dans les transports, même si le moment privilégié pour joueur demeure les soirées et les fins de semaine.

Ainsi, 15,5 % des joueurs jouent sur tablette et 42,5% sur mobiles à des jeux préinstallés, avec, de facto , des durées de session inférieures (environ 50 minutes). La vie du joueur et son activité ludique tendent à fusionner , favorisant parfois le jeu compulsif et la dépendance. Les jeux prisés sur ces nouveaux supports sont des jeux de stratégie, de cartes mais également de plateformes, le plus souvent gratuits. Ils représentent 49 % du temps passé sur ces supports, selon les chiffres fournis par le Syndicat national du jeu vidéo (SNJV) 8 ( * ) .

Pénétration des jeux vidéo sur tablette et téléphone mobile selon le lieu de jeu
au deuxième semestre 2011 1 (% des joueurs)

jeux vidéo sur tablette

jeux vidéo sur téléphone mobile

à domicile

72,7

62,9

dans les transports

18,1

44,5

lors de longs trajets

18,2

31,9

à l'extérieur

7,9

23,7

sur le lieu de travail

4,4

20,0

chez des amis ou en famille

20,3

16,4

1 Plusieurs réponses possibles.

Lecture : Au deuxième semestre 2011, 72,7 % des joueurs de 10 ans et plus ont joué à des jeux vidéo sur tablette à domicile.

Source : CNC - GfK.

Le développement des pratiques féminines du jeu vidéo s'explique en partie par celui des jeux sur réseaux sociaux, dits « social gaming », popularisés par Facebook et le succès de l'iPhone. Comme le constate le CNC dans son étude précitée : « À l'instar de FarmVille , les jeux sociaux bénéficient d'une très forte viralité grâce à leur principe de communauté de joueurs et d'une audience considérable ». Ainsi, plus de 40 % des joueurs déclarent avoir participé à ce type de jeux en 2011.

La féminisation de la pratique de jeux vidéo est cependant variable selon le type de jeux. Ainsi, les jeux de sport, de simulation, de voiture, de FPS, de combat et d'action, ainsi que les MMORPG sont-ils encore majoritairement pratiqués par des hommes. De même, l'élargissement du spectre générationnel doit-il être nuancé par catégorie de jeux : les jeux de combat, de musique et de sport ont les faveurs des adolescents, tandis que les adultes préfèrent les jeux de course et de simulation et les seniors les jeux de cartes. Il existe toutefois des constats étonnants : les seniors constituent la plus importante catégorie de joueurs des FPS.

Enfin, la pratique solitaire demeure majoritaire , hormis pour les jeux en ligne payants (le plus souvent des MMORPG), où de véritables communautés virtuelles se constituent (près de 15 % des joueurs en réseaux déclarent avoir des relations suivies avec leurs partenaires de jeux, notamment via des forums ou les réseaux sociaux). Mis à part cet exemple, l'usage, lorsqu'il est collectif, appartient au cercle familial (près de 55 % des joueurs jouent en famille régulièrement) et amical.

Dans le cas particulier des MMORPG, les partenaires de jeu, jusqu'alors inconnus, entrent parfois eux-mêmes dans le cercle amical. Les joueurs sont, en effet, pour la plupart organisés en guildes hiérarchisées et disciplinées.

Une guilde compte en général quelques dizaines de membres mais peuvent parfois dépasser la centaine. Elles sont gérées comme de petites entreprises, l'aspect financier en moins, autour d'un responsable et d'un règlement intérieur. Elles font leur promotion dans des forums spécialisés pour tenter d'attirer les meilleurs joueurs. Chacun y a son rôle et sa spécialité et obéit au scénario fixé par le chef, notamment lors des actions menées par la guilde dans le jeu.

La communication entre les membres est organisée sur des logiciels de « chat » vocal, sur le site de la guilde ou sur un agenda partagé. Les membres s'y échangent des conseils mais peuvent également nouer des relations plus personnelles. Existent par ailleurs des rencontres dites IRL ( in real life ), voire des réunions destinées à jouer ensemble en réseau ( LAN party ) ou à rencontrer d'autres guildes ( get together ).

2. « Serious games », aliénation et jeux dangereux : le jeu vidéo en débat
a) Une classification autorégulée

Les jeux vidéo font l'objet d'une classification de leur contenu, selon l'âge des publics auxquels ils sont destinés. Plusieurs systèmes fonctionnent parallèlement.

Au Japon, le Computer Entertainment Rating Organization (CERO), est fondé sur l'âge des joueurs et met en garde en cas de contenu inapproprié (sexe, violence, drogue, etc.). L' Entertainment Software Rating Board (ESRB) est, quant à lui, en vigueur aux États-Unis et au Canada depuis 1994. Il prend en compte une trentaine de critères et préconise une utilisation par tranche d'âge.

Le Brésil, l'Australie, la Nouvelle-Zélande, la Grande-Bretagne et l'Allemagne disposent de leur propre système d'évaluation, qui fonctionne, s'agissant de ce dernier pays, en parallèle de la nomenclature européenne.

La classification européenne, créée en 2003, est baptisée PEGI ( Pan European Game Information ) . Elle permet un étiquetage clair des contenus proposés (3+, 7+, 12+, 16+, 18+), qui a pour objet d'informer les acheteurs potentiels, notamment les parents, et d'encadrer l'accès des mineurs aux jeux inadaptés à leur âge. Pour plus de précision, le système PEGI prévoit également une description des contenus du jeu (langage, discrimination, drogue, peur, sexe, violence, etc.).

Cette classification, bâtie par le Syndicat des éditeurs de logiciels de loisirs (SELL) et adoptée par une trentaine de pays, est opérée par les éditeurs eux-mêmes et non par une instance indépendante, a contrario de ce qui existe pour les programmes audiovisuels ou radiophoniques avec le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) ou pour les oeuvres cinématographiques avec la commission de classification du CNC.

Il existe une corrélation entre le prix des jeux et leur classification par le système PEGI . Ainsi, les jeux vidéo étiquetés 18+ sont-ils les plus coûteux avec un prix moyen approchant les cinquante euros.

En 2011, les jeux « tout public » sur support physique ont représenté 12,8 millions d'unités vendues. Les jeux pour adultes arrivent en deuxième position avec 7,2 millions d'unités, grâce notamment au succès de Call of Duty.

Il convient, en outre, de ne pas méconnaître l'attrait de ce type de jeux auprès de publics auxquels ils ne sont pas destinés. Il s'agit d'ailleurs de la principale critique émise par les détracteurs du système PEGI, qui demandent une réforme de la labellisation en préférant l'apposition de symbole aux logos d'âge et la limitation de la vente de jeux violents ou pornographiques à des magasins agréés. Ils réclament également l'intervention de l'État en la matière, à l'instar des systèmes de classification en vigueur au Royaume-Uni et en Australie.

b) Une pratique à risque ?

En effet, et ce depuis les débuts du jeu vidéo, un débat existe sur le risque d'aliénation de l'homme par la machine, c'est-à-dire la dépendance aux jeux et aux écrans , risque auquel les enfants et les adolescents seraient particulièrement exposés.

La critique visant le risque de dépendance aux jeux est renforcée par l'idée selon laquelle la pratique de certains jeux vidéo engendrerait un comportement asocial, voire dangereux . Les premières actions en justice, dans les années 90, visant à ce que certains jeux, jugés violents, soient interdits de vente aux mineurs, furent d'ailleurs le fait d'associations familiales.

Certains pays ont adopté une législation particulièrement protectrice des mineurs. Ainsi, en Allemagne, les jeux vidéo violents sont interdits à la vente, tandis qu'en Corée du Sud, où pourtant le jeu vidéo est reconnu officiellement comme un sport avec son championnat et ses joueurs professionnels, les « gosu », le temps de jeu est limité pour les jeux en ligne de type MMORPG, dont l'univers persistant et artificiel et l'absence de fin au jeu sont considérés comme particulièrement addictifs et, de fait, désocialisants.

Pourtant, la science est loin d'être unanime sur la véracité de la corrélation entre usage intensif des jeux vidéo et comportement violent et/ou asocial. Ainsi, l'Académie nationale de médecine, dans une recommandation publiée en mars 2012, a-t-elle proposé d'abandonner le terme d' « addiction aux jeux vidéo », lui préférant l'emploi de « pratiques excessives », en raison de l'absence de consensus scientifique sur ce sujet. L'Académie conseille cependant aux parents d'établir des limites en ce qui concerne le temps passé devant un écran, quel qu'il soit, et de s'assurer que le jeu est bien adapté à l'âge du joueur selon la classification PEGI.

L'Académie des sciences, pour sa part, dans son avis du 17 janvier 2013 intitulé « L'enfant et les écrans », a estimé que l'influence des jeux vidéo violents sur les comportements agressifs ne constituait « qu'un facteur parmi des centaines d'autres » et a jugé, en revanche , que les jeux, même violents, pouvaient améliorer certaines capacités périphériques d'attention et de sélection visuelle.

Il est également intéressant de citer, sur ce point, l'étude réalisée en 2007 par le ministère de la culture et de la communication sur les loisirs culturels des 6-14 ans 9 ( * ) , qui part du constat que « les discours sur l'éducation opposent souvent, et quasiment terme à terme, goût pour les jeux vidéo et goût pour le sport. D'un côté, des activités d'intérieur, supposées peu propices à la socialisation, de l'autre, des activités où l'on se dépense physiquement, de plein air pour certaines, bonnes pour la santé et le développement social. (...) Le sujet devient question de morale quand, à cette opposition, s'ajoute un clivage de sexe - les garçons seraient les plus touchés par le monde virtuel, par ailleurs décrit comme violent - et que l'on considère les plus jeunes comme une tranche d'âge à protéger. Le sujet devient enfin question de politique dès lors que l'on oppose consommation des jeux vidéo et « vraies » pratiques culturelles. »

Les résultats de cette étude tendent à remettre en cause une telle opposition, voire à inverser les termes du débat. Il apparaît que près de sept adolescents sur dix pratiquant un sport au moins une fois par semaine s'adonnent, selon la même fréquence, aux jeux vidéo, contre seulement un peu plus de la moitié de ceux qui n'en pratiquent pas : il existerait donc une relation positive entre pratique sportive et pratique vidéoludique en termes de fréquence, puisque la probabilité qu'un adolescent sportif joue aux jeux vidéo est multiplié par 1,2 (1,3 chez les filles) par rapport à un non-sportif.

Le débat est cependant loin d'être clos et plusieurs chercheurs se sont insurgés contre les conclusions de l'Académie des sciences minimisant les effets des écrans, jeux vidéo compris, sur les jeunes. Le 8 février 2013, trois d'entre eux - Michel Desmurget, directeur de recherche en neurosciences à l'Inserm, Laurent Bègue, professeur de psychologie sociale, et Bruno Harlé, pédopsychiatre - ont co-signé sur ce sujet une tribune dans Le Monde , critiquant la qualité du travail d'expertise produit. On peut ainsi y lire que « les recommandations avancées sont si surprenantes, au regard des données d'ensemble de la littérature scientifique et des prises de position récentes de plusieurs institutions sanitaires majeures, que l'on peut s'interroger sur le soin apporté à la rédaction de ce travail. »

Ces chercheurs critiquent notamment l'absence de mention, dans l'avis de l'Académie des sciences, des études critiques sur les jeux vidéo comme celle du Programme for International Student Assessment (PISA), qui lie la consommation numérique (interactive ou non) des enfants et des adolescents à l'existence de troubles de l'attention et de difficultés scolaires, ou celle de l'Académie américaine de pédiatrie, qui associe la pratique de jeux violents à une variété de problèmes physiques et mentaux.

Ils rappellent ainsi que, selon de nombreuses recherches, les jeux vidéo ont des conséquences sur le comportement des jeunes joueurs intensifs, mais également sur leur santé.

Les résultats des travaux du Professeur Laurent Bègue, auditionné par le groupe de travail sénatorial, ont unanimement montré une corrélation entre les comportements agressifs et l'usage intensif de certains jeux violents 10 ( * ) .

Se basant sur les résultats recueillis, il estime que la pratique intensive des jeux vidéo induit des risques certains pour la santé, citant à cet égard l'épilepsie (1 000 cas diagnostiqués en France), l'obésité et les pathologies musculo-squelettiques dues à l'usage du clavier et de la manette. Selon lui, les risques sont également sociaux, scolaires et comportementaux (prise de risques au volant en raison de la pratique de jeux de course où les comportements routiers transgressifs sont encouragés, mais également agressivité), même si l'apparition de ce type de difficultés ne peut être imputée aux seuls jeux.

Ses études montrent également que les jeux violents sont à l'origine de comportements agressifs chez certains joueurs. Quatre explications se dégagent : les jeux violents seraient source de stress, créeraient des sentiments agressifs envers l'« ennemi », permettraient d'acquérir de nouvelles formes de réponses violentes (le tir par exemple) et encourageraient la désensibilisation. Ainsi, les expériences réalisées sur les joueurs intensifs ont-elles montré une diminution du temps de réactivité des individus devant une scène de violence entraînant la souffrance d'une victime.

En outre, les recherches du Professeur Laurent Bègue et de ses collègues font apparaître que le risque de générer un comportement agressif hors du temps de jeu est multiplié lorsque le joueur s'identifie à un avatar personnalisé et lorsque le graphisme du jeu est particulièrement réaliste . Ainsi, le risque serait inférieur chez un sujet « spectateur » d'un jeu ou d'un film violent. D'autres études ont également mis en évidence l'influence des caractéristiques de l'avatar sur le comportement du joueur dans le monde virtuel comme dans le monde réel. Un avatar portant des signes distinctifs agressifs pourrait susciter un comportement du même type 11 ( * ) , le joueur devenant alors l'objet de son propre avatar, selon la théorie de l'« effet Protée » 12 ( * ) .

Son analyse est moins sévère s'agissant des autres formes de jeux, notamment les logiciels ludo-éducatifs, même s'il juge insuffisantes les évaluations aujourd'hui réalisées quant à leur intérêt effectif en matière d'apprentissage. Olivier Lejade et Mathieu Triclot, qui ne partagent guère les thèses du Professeur Laurent Bègue concernant la dangerosité des jeux vidéo, ont en revanche soutenu, lors de leur audition par le groupe de travail, la même analyse sur l'insuffisante évaluation de l'efficacité des « serious games ».

c) Le jeu comme médium éducatif ?

L'autre débat qui agite le monde de la recherche vidéo concerne le rôle des jeux vidéo dans l'apprentissage et, singulièrement, leur place à l'école.

Sylvain Genevois, dans son article « Les jeux vidéo ont-ils droit de cité à l'école ? » 13 ( * ) , rappelle à cet égard que le jeu n'a été que tardivement considéré comme un outil pédagogique : « Du latin jocus (badinage, plaisanterie), le jeu est étymologiquement tout sauf sérieux. Il n'a donc pas droit de cité à l'école avant le XIX e siècle, où des philosophes et des psychologues commencent à s'y intéresser, montrant son utilité dans la société et dans l'enseignement. D'Aristote aux philosophes de l'Encyclopédie, le jeu est dévalorisé, tout juste considéré comme une ruse pédagogique qui aide l'enfant à travailler. Le jeu entre vraiment à l'école avec les pédagogues de l'Education nouvelle (John Dewey, Maria Montessori). (...) Le jeu (devient) un prétexte pour apprendre, un détour utile pour amener l'apprenant à s'intéresser à une question et à résoudre - souvent collectivement - un problème. »

À l'heure actuelle, un nombre croissant d'enseignants, eux-mêmes « digital natives » pour les plus jeunes d'entre eux, réfléchissent à la place du jeu à l'école sous l'angle des nouvelles technologies, même si les usages scolaires des jeux électroniques sont encore largement minoritaires en France (ils occupent en revanche une place de choix dans les programmes dans les pays scandinaves et anglo-saxons). Sylvain Genevois explique le retard français en la matière par le fait que « la violence, les valeurs idéologiques et les codes sociaux véhiculés par certains jeux vidéo ne contribuent pas à améliorer la confiance des pédagogues vis-à-vis des jeux, tout juste tolérés à l'école sous la forme de « serious games ». »

Un exemple, cité par Sébastien Genvo dans son ouvrage précité 14 ( * ) , illustre bien l'image négative des jeux vidéo « non sérieux » en milieu scolaire : « Depuis que le collège d'enseignement secondaire Albert Camus de Moulins-les-Metz s'est pourvu, en février 2001, d'une connexion Internet accessible aux élèves ; deux types de sites ont été censurés : les sites pornographiques et les sites portant sur les jeux vidéo. »

Certains auteurs considèrent, plus théoriquement, que le jeu d'apprentissage est une notion inepte par essence. Se basant sur la définition du jeu issue des travaux de Roger Caillois 15 ( * ) qui considère le jeu comme « une action libre, sentie comme fictive et située en dehors de la vie courante, capable néanmoins d'absorber totalement le joueur ; une action dénuée de tout intérêt matériel et de toute utilité », ils estiment que l'activité du joueur est fondamentalement superflue. Elle se distingue des activités utiles auxquelles appartient en revanche l'apprentissage.

La définition des jeux selon Roger Caillois

Le jeu est une activité :

- Libre : elle doit être choisie pour conserver son caractère ludique ;

- Séparée : c'est-à-dire circonscrite dans des limites d'espace et de temps ;

- Incertaine : l'issue n'est pas connue à l'avance ;

- Improductive : le jeu ne produit ni biens, ni richesses ;

- Réglée ;

- Fictive : c'est-à-dire appartenant à une autre réalité.

Pour Roger Caillois, les jeux, quels qu'ils soient répondent à ces critères, mais ils se décomposent en quatre catégories , selon l'objectif majeur poursuivi par le joueur :

- l'ambition de triompher grâce au seul mérite dans une compétition réglée ( agôn ) ;

- la démission de la volonté au profit de l'attente passive d'un arrêt du sort ( alea ) ;

- le goût de revêtir une personnalité étrangère ( mimicry ) ;

- enfin, la poursuite du vertige ( ilinx ).

Pour Mathieu Triclot, s'il existe actuellement une vogue du « serious game » , l'attitude ludique n'est pas compatible avec une injonction à jouer pour apprendre . Le contenu sérieux d'apprentissage et le jeu restent deux notions étrangères et l'on échoue à réunir les deux dimensions. Si tous les jeux développent une part d'apprentissage, ils peuvent donc difficilement n'être conçus qu'en vue de cet unique objectif, sauf à perdre leur intérêt ludique.

De fait, le débat n'est pas tranché entre les tenants d'un apprentissage basé sur le travail, pour lesquels le concept même de jeu est étranger à l'école et qui nient de ce fait tout intérêt pédagogique de l'utilisation des jeux vidéo quels qu'ils soient, et les défenseurs d'un usage pédagogique de la pratique largement installée des jeux par leurs élèves (les jeux vidéo permettraient de développer la rapidité, la flexibilité, la perception visuo-spaciale, l'anticipation d'action et l'intuition). En conséquence, la culture numérique des élèves se développe aujourd'hui en dehors du système éducatif et, parallèlement, celui-ci n'en tire pas parti comme outil d'apprentissage.

Par ailleurs, il est également exact que le développement des apprentissages via les jeux sérieux nécessite un matériel coûteux dont toutes les écoles ne sont pas aujourd'hui dotées.

3. Un élément de la « gamification » de la société ?

La « gamification » peut être définie comme l'utilisation des techniques (récompenses, défis, progression) et des technologies du jeu vidéo dans des activités traditionnelles . Cette évolution remet en cause la définition du jeu comme activité séparée de la réalité, telle que l'écrivait Roger Caillois.

Certains auteurs vont d'ailleurs jusqu'à considérer la « gamification » comme le signe d'une société accordant une place croissante et essentielle au loisir et au plaisir : le jeu ne devient alors qu'un élément d'un changement sociétal, dont il ne constitue pas la cause mais la conséquence.

De fait, les jeux ont investi progressivement de nombreux espaces sociaux et économiques . Pour Stéphane Hugon, docteur en sociologie à l'Université Paris V (René Descartes-Sorbonne), le jeu « s'est imposé aussi bien dans le domaine de la recherche que dans celui de l'industrie, du service ou dans les milieux bancaires. Autant de lieux dans lesquels le sérieux a été de mise pendant très longtemps et pour lesquels le jeu devient aujourd'hui une stratégie de contact avec les citoyens, les consommateurs et les collaborateurs. » 16 ( * )

Le jeu est donc utilisé pour capter l'attention sur une information donnée : il devient alors outil de marketing, de communication et de publicité pour atteindre un public de plus en plus volage. Des « advergames » se développent , ayant pour but de promouvoir une marque ou un produit, mais également des « newsgames » proposés par des organes de presse en ligne, à l'instar du jeu « Primaire à gauche » sur lemonde.fr au moment des primaires socialistes ou le jeu Investigate your MP's expenses sur The Guardian .

Cette évolution concerne également les entreprises, à l'instar de Be Tomorrow, que le groupe de travail sénatorial a rencontré lors de son déplacement à Bordeaux le 14 juin 2013. La société détourne des technologies développées pour les jeux qu'elle produit pour les destiner à d'autres créations. Le groupe de travail a pu observer à cette occasion un outil de comptage d'une foule à partir d'une borne, un répondeur pour Orange ou encore un GPS en temps réel pour les courses de bateaux. Le Louvre s'est, quant à lui, associé à Nintendo et transforme la DS en un audioguide de nouvelle génération.

Le SNJV estime que le marché de la « gamification » représente environ 50 millions d'euros, en croissance de 15 % par an, sur un marché que se partage un peu moins d'une centaine d'entreprises.

II. ORIGINALITÉ ET DIFFICULTÉS DE L'ÉCONOMIE DU JEU VIDÉO

A. LA FRANCE ET LES JEUX VIDÉO

1. Une histoire industrielle alternant phases de développement intense et crises récurrentes

Parmi les tout premiers pays à développer des jeux vidéo, la France a connu une évolution « en dents de scie » dans ce secteur, de phases d'expansion en crises chroniques, jusqu'à une période actuelle « à deux vitesses » selon la taille des acteurs considérés.

a) La « préhistoire » des jeux vidéo : des entrepreneurs français précurseurs

Pays de consommation de jeux vidéo, la France a également toujours été un territoire de production. Elle a même figuré parmi les pays précurseurs sur ce marché, dans les années 70 , durant lesquelles elle a commercialisé ses premiers jeux vidéo. Le marché reposait jusqu'alors essentiellement sur l'importation ou la production sous licence de produits américains.

Les années 80 ont vu la notoriété des jeux français s'accroître, certains connaissant un véritable succès international. Est alors né un embryon d'industrie territorialisée , bénéficiant de l'engouement croissant de la population pour la micro-informatique. Créé en 1986, Ubisoft commence à s'internationaliser en 1989 en ouvrant des filiales de commercialisation en Allemagne, au Royaume-Uni et aux États-Unis.

Pour autant, l'édition française de jeux vidéo reste due, « dans sa quasi-totalité, à des hobbyistes passionnés qui s'étaient investis dans un secteur neuf auxquels ils croyaient, et qui ont appris leur métier d'éditeur sur le tas » 17 ( * ) .

b) Les années 1990-2000 : un âge d'or traversé par des crises récurrentes

Les années 90 , marquées par l'industrialisation de la phase de développement, ont connu « l'âge d'or » du jeu vidéo français. En 1991, le chiffre d'affaires du secteur représentait déjà le quart de celui du jouet dans son ensemble, tandis que la vente de consoles décuplait en trois ans. Le début de la décennie marquait donc le commencement de l'expansion du marché du jeu vidéo dans notre pays ; en 1992, il se hissait au troisième rang mondial en termes de chiffre d'affaires.

Durant cette décennie, la domination de la filière, quoique assurée par les grands consoliers mondiaux que sont Sega et Nintendo, puis Nintendo et Sony, auquel s'ajoutera Microsoft au cours de la décennie suivante, sera contestée par de grands éditeurs indépendants déjà solidement implantés sur le marché libre des ordinateurs personnels (PC). Parmi eux, le français Ubisoft, aux côtés des américains Electronics Arts et Blizzard.

L'industrie française est alors tournée vers l'international , notamment vers le monde anglo-saxon, et sa croissance est externe. C'est ainsi qu'en 1998, Havas fait l'acquisition de Blizzard et de Sierra (aujourd'hui Vivendi Universal Games).

Des genres spécifiques , tels que le « survival horror », sont alors créés par des studios français. Le jeu Alone in the dark , édité par Infogrames, se classe dans les 20 meilleures ventes de la première moitié de la décennie 90.

L'explosion de la bulle Internet, au début des années 2000 , a marqué la fin de l'âge d'or du jeu vidéo pour nos entreprises. Assimilé sur les marchés financiers à la « nouvelle économie » du début du millénaire, le secteur a ainsi vu la valeur boursière de ses principales sociétés s'écrouler.

La faillite de Kalisto début 2002, suivie de celles du groupe Cryo et de sa filiale Cryo Networks, et les difficultés rencontrées par Infogrames ne représentent que la « partie émergée de l'iceberg », toutes les entreprises françaises du secteur étant alors à l'agonie. En deux ans, se produisent autant de dépôts de bilan que dans la décennie précédente, et la moitié des 15 000 emplois que compte alors la filière sont supprimés. Un rapport publié au début du millénaire 18 ( * ) souligne que « le segment de la création, qui fait la force de l'industrie française, est en concurrence brutale avec de nouveaux studios étrangers (Chine, Inde, Russie, République tchèque...) ».

S'en suit une reprise d'activité intense de 2002 à 2007 , des sociétés comme Ubisoft atteignant le record de leur valeur boursière à l'été 2007. La crise, dite des « subprimes », provoque cependant la stagnation, puis une baisse extrêmement forte de la valeur de ces sociétés, à l'instar de l'ensemble des valeurs cotées.

En effet, la crise de 2008 n'est pas propre au modèle français ni au secteur des jeux vidéo en tant que tels, mais relève d'un phénomène macro-économique beaucoup plus large. Le secteur connaît même alors une situation relativement satisfaisante, comparativement du moins à d'autres comme le livre ou le disque, certaines de ses composantes (jeux sur téléphones portables, sur tablette, en ligne, etc.) étant même en croissance.

c) La période actuelle : entre faillites en chaîne et réussites mondiales

Depuis le début de la décennie 2010 , l'industrie française du jeu vidéo connaît une évolution à deux vitesses .

Si l'ensemble de la filière connaît une situation extrêmement tendue , les petites maisons d'édition sont tout particulièrement fragilisées.

En 2011, c'est une véritable hécatombe parmi les petits studios : disparaissent ainsi, entre autres, Darkworks, Beyond the Pillars, Load Inc, Mad Monkey Studio (SC2X), Mindscape, Punchers Impact, Zallag...

Les difficultés du secteur touchent également les magazines spécialisés . Au mois de novembre 2012, l'éditeur de presse M.E.R 7, qui publiait des titres comme Jeux Video magazine, PC Jeux, Console + et Joystick , est placé en liquidation judiciaire, marquant le transfert de cette activité vers des supports dématérialisés.

L'aval de la filière souffre tout autant que l'amont. Au tout début de l'année 2013, le distributeur de jeux vidéo Game, qui emploie 750 salariés et totalise 200 boutiques, dépose le bilan, après avoir été placé en redressement judiciaire en septembre 2012. Cette faillite pose plus largement, elle aussi, la question de l'avenir de la distribution physique à l'heure où l'offre dématérialisée n'a jamais été aussi présente.

L'année 2013 s'annonce également difficile pour les éditeurs de jeux vidéo. Selon Julien Villedieu, délégué général du SNJV, quinze entreprises françaises ont déposé le bilan durant le premier trimestre de l'année, soit un peu plus d'une par semaine.

Après quarante ans d'existence, l'entreprise Atari, pionnière outre-Atlantique dans l'industrie du jeu vidéo, avant son rachat en 2001 par la société française Infogrames, se déclare officiellement en faillite, ses filiales américaines étant placées sous la protection du chapitre 11 de la loi américaine sur les faillites et du Livre VI du code des sociétés en France. En mars 2013, c'est au tour du studio de développement WizarBox d'être placé en liquidation judiciaire, tout comme l'éditeur Nobilis.

En dépit de cette conjoncture morose pour le « gros du peloton » des éditeurs français, les « poids lourds » du secteur conservent des résultats relativement satisfaisants . Alors que la France représente seulement 5 % à 7 % du marché mondial des jeux vidéo, avec un chiffre d'affaires de 2,7 milliards d'euros en 2011, elle est le deuxième producteur en volume derrière les États-Unis. Le secteur emploie directement 5 000 personnes dans 250 entreprises, dont un tiers déclarent un chiffre d'affaires supérieur à un million d'euros.

Ubisoft, Gameloft ou encore Activision-Blizzard, détenu jusqu'à l'été 2013 à 66 % par Vivendi, constituent aujourd'hui des « géants » nationaux du secteur, mais figurent également parmi les plus grands éditeurs européens et mondiaux. Activision-Blizzard et Ubisoft, font partie des cinq premiers éditeurs de jeux vidéo de la planète. Le premier a édité le célèbre jeu de guerre Call of Duty , dont le dernier volet, Black Ops , est numéro un des ventes en France et aux États-Unis début 2013. Le deuxième a produit Just Dance et Rayman Origins , qui se sont vendus à plusieurs dizaines de millions d'exemplaires en quelques mois. Enfin, Dishonored , produit par Arkane Studios, a battu des records de vente lors de sa sortie en octobre 2012.

2. Une industrie aujourd'hui confrontée à d'importants défis

Si l'industrie française du jeu vidéo reste globalement parmi les toutes meilleures au monde, elle affronte aujourd'hui d'importants obstacles annonçant des changements de paradigmes dans l'économie du secteur.

a) La fin du modèle du « hit AAA »

Notre pays, comme toutes les autres grandes nations du jeu vidéo, fait face à un essoufflement du modèle d'affaire ayant dominé le secteur de 1990 à 2007, le modèle du « hit AAA ». Basé sur une économie du risque, il repose sur le succès de quelques jeux ambitieux, au coût de production substantiel, destinés à être en tête des ventes dès leur sortie et à rapporter des bénéfices conséquents pouvant financer plusieurs échecs passés ou à venir : « un très petit nombre de très gros succès, un petit nombre de succès moyens, un grand nombre d'échecs » 19 ( * ) .

Ce modèle, qui ne fonctionne que pour un petit nombre d'entreprises présentant une taille critique suffisante, aptes à financer des équipes de production elles-mêmes très étoffées, est désormais en crise, et ce pour plusieurs raisons.

Tout d'abord, les coûts de production , c'est-à-dire de développement et de promotion, ont cru de façon déraisonnable jusqu'à rendre la prise de risque maximale et le taux de retour sur investissement minimal. L'apparition de hits non rentables n'est pas compatible avec un modèle reposant sur le financement d'un grand nombre d'échecs par de rares succès. Les marges dégagées par ces derniers, en outre, se sont réduites du fait d'un envol des charges de production.

Ensuite, la créativité et le renouvellement de l'offre se sont taris , et avec eux l'incitation des consommateurs à investir dans de nouveaux titres. En 2008, pour la première fois, les dix premières places du classement des jeux vidéo ont été occupées par des suites - ou « sequels » - de titres déjà existants. Cette relative stérilité du monde de l'édition ne pose pas de problèmes aux passionnés de jeux vidéo, qui continuent d'attendre avec impatience le dernier opus de tel ou tel hit . Mais elle empêche un élargissement du public, qui a été constaté au cours des années 2000 grâce à d'autres secteurs que celui des jeux « AAA » (jeu en ligne, jeu occasionnel, etc.).

En outre, le matériel n'a pas suivi les progrès réalisés par les jeux . Alors que chaque nouvelle génération de console, de 1974 à 2000, engendrait un véritable « saut qualitatif », les derniers modèles - Xbox 360 et PS3 - n'ont pas apporté d'améliorations d'ampleur par rapport aux précédents aux yeux de leurs utilisateurs, de même que les gammes actuelles de PC. Dès lors, s'est tarie l'incitation qu'avaient nombre de joueurs à renouveler leur hardware pour profiter au mieux des derniers jeux édités.

Enfin, la maîtrise des lieux de distribution s'est avérée plus difficile pour les éditeurs. Contrairement au cinéma où, dans la période faste des studios, qui appartenaient aux majors, la rentabilité des salles compensait le coût croissant des films, l'aval du secteur des jeux vidéo est resté entre les mains d'acteurs indépendants des grandes maisons d'édition : grandes surfaces généralistes ou dédiées (Darty, Toys' R' Us ...), ou spécialistes des produits culturels (Fnac, Virgin ...).

b) La menace des délocalisations

L'industrie française du jeu vidéo est aujourd'hui directement menacée par une « fuite des cerveaux » ( brain drain ) dans des pays concurrents dans le secteur de l'édition. En quelques années, son nombre d'emplois a été divisé par deux, passant de 10 000 à 5 000, là où un pays comme le Canada a réussi à faire passer de 500 à 15 000 les effectifs de son industrie vidéoludique grâce à une politique fiscale attrayante pour les acteurs du secteur, à laquelle s'ajoutent une prime à l'embauche et des exemptions de charges patronales, ainsi que des mesures de soutien personnelles (exonération d'impôts, aides immobilières, etc.).

Beaucoup d'éditeurs français ont ainsi décidé de quitter le territoire et de s'installer à l'étranger, et en premier lieu au Canada qui, en plus d'un environnement économique et fiscal très intéressant, offre une proximité linguistique aux francophones. Ubisoft, un des leaders du secteur, compte par exemple 1 200 salariés en France, mais près de 3 000 en Amérique du Nord.

Les régimes d'imposition et de subvention proposés par les pouvoirs publics sont déterminants dans la décision des acteurs de demeurer sur le sol français ou de se délocaliser. À cet égard, notre dispositif de soutien spécifique au secteur à travers le crédit d'impôt jeu vidéo (CIJV) peut à lui seul « faire la différence » pour les éditeurs. Arrivé à expiration en décembre 2011, sa pérennisation avait été contestée par les instances européennes, ce qui avait aussitôt entraîné des menaces de délocalisation de « champions nationaux », avant finalement d'être reconduit.

Ainsi que s'en expliquait Guillaume de Fondaumière, co-directeur de Quantic Dream, en mars 2012 20 ( * ) : le CIJV « correspond à près de 3 millions d'euros par projet, sachant que le coût de production d'un titre est de l'ordre de 20 millions d'euros. C'est considérable pour une entreprise de notre taille. Si nous ne pouvions pas en bénéficier, ce serait autant de manque à gagner, et nous serions obligés d'aller dans un pays plus fiscalement clément ».

Devant ce danger grandissant, les pouvoirs publics ont fini par réagir. En 2012 a été signée une charte export du jeu vidéo entre le syndicat national du jeu vidéo (SNJV) et le précédent gouvernement. Ce plan visait à soutenir la vente à l'international de la production française, sous l'action concertée et coordonnée des différentes administrations intéressées - ministères des affaires étrangères, de la culture et de la communication, de l'industrie, du commerce extérieur -, des opérateurs publics - Institut français, CNC, Ubifrance, OSÉO, Coface, etc. - et des entreprises. Les actions menées sous cette bannière ont été fédérées sous une nouvelle marque créée pour l'occasion. Baptisée Le Game, elle a été déployée pour la première fois dans le cadre de la Game Developers Conference , qui s'est tenu à San Francisco du 5 au 9 mars 2012.

Le Gouvernement actuel semble également avoir pris conscience de ces risques de délocalisation. L'un des objectifs du groupe de travail mis en place début avril par Aurélie Filippetti, ministre de la culture et de la communication, et Fleur Pellerin, ministre déléguée à l'économie numérique, consiste en effet à garantir l'innovation et la compétitivité des entreprises de jeux, ainsi qu'à rendre le territoire français attractif pour les acteurs étrangers.

c) Une concurrence extrêmement forte à l'échelle mondiale

En matière de jeux vidéo, comme plus généralement dans le secteur du numérique, la concurrence est particulièrement vive et les hiérarchies se modifient très rapidement : des pays il y a peu absents de la scène mondiale peuvent y tenir une place prépondérante en quelques années seulement.

Le marché est aujourd'hui totalement mondialisé, au sens où sa production et sa consommation sont réparties de façon relativement équilibrée entre trois grandes zones géographiques : les États-Unis, l'Europe et le Japon. Une telle pondération induit naturellement une compétition acharnée entre ces différents pôles pour capter un marché particulièrement séduisant : ses revenus (53,3 milliards de dollars en 2012) ont dépassé depuis une demi-douzaine d'années déjà ceux du cinéma et de l'industrie musicale, et sa croissance devrait revenir à deux chiffres en 2013 et 2014.

Cette orientation favorable de la demande incite les développeurs et les éditeurs à multiplier l'offre, du moins sur les supports en croissance : pour n'évoquer que les jeux en ligne, 400 nouveaux jeux et applications sont ainsi mis en ligne chaque jour sur IOS.

Dans ce contexte extrêmement concurrentiel, la France, qui occupait la première place au début de la décennie 2000 et était encore en 2010 le deuxième pays de production occidental de jeux mobiles et sociaux derrière les États-Unis, a vu depuis ses positions s'éroder. Si notre pays brille sur des créneaux nouveaux et en forte croissance comme les jeux sociaux et les jeux sur téléphone mobile, il a vu l'essentiel du marché (les jeux sur console), lui échapper en grande partie.

L'Allemagne, marginale sur le marché mondial des jeux vidéo au début du millénaire, est aujourd'hui leader dans le domaine des jeux web et sociaux, tandis que la Grande-Bretagne excelle dans le domaine des jeux sur console.

L'international reste toutefois un marché naturel et obligatoire pour notre pays, puisque la France, qui ne représente que 5 à 7 % du marché global, destine plus de 80 % de ses créations à l'exportation.

3. Des tentatives de soutien public

L'action des pouvoirs publics en faveur de l'industrie des jeux vidéo a lieu essentiellement à travers un fonds spécialisé et un dispositif fiscal dédié. Mais des mesures plus transversales profitent également, dans une moindre mesure, au secteur.

a) Le Fonds d'aide aux jeux vidéo

Créé en 1989, le Fonds d'aide à l'édition multimédia (FAEM), cofinancé par le ministère en charge de l'industrie et le CNC, accompagnait à l'origine les sociétés françaises spécialisées dans la création d'un catalogue original de titres interactifs. Il a été orienté dès 2003 sur le soutien aux jeux vidéo, en particulier sur les projets innovants sur le plan de la conception graphique et du design .

Rebaptisé fonds d'aide aux jeux vidéo (FAJV) en 2008, il est alors exclusivement dédié aux jeux vidéo. Cofinancé par le ministère de l'économie, de l'industrie et de l'emploi et le CNC, il est géré par ce dernier et doté de trois millions d'euros en moyenne chaque année .

Les projets déposés par les professionnels sont examinés par une commission constituée par le CNC et composée d'experts, qui statue sur l'attribution ou non des aides par son président. Les projets éligibles doivent répondre à plusieurs critères d'appréciation, notamment le fait de ne pas être financés majoritairement par des fonds publics.

Trois types d'aides différentes sont prévus :

- l'aide à la pré-production . C'est une avance remboursable plafonnée à 35 % des dépenses de recherche et développement (R&D). Elle porte sur l'ensemble des dépenses de pré-production du jeu jusqu'à la réalisation d'un prototype non commercialisable. L'entreprise dispose de douze mois à compter de la signature de la convention qui lui accorde l'aide pour réaliser son prototype et de trente mois à compter de cette même date pour signer un contrat d'édition. Si elle ne parvient pas à contractualiser dans ce délai, elle peut demander une exonération de remboursement au directeur général du CNC, dans la limite de 85 % du montant de l'aide ;

- l'aide à la maquette . C'est une subvention plafonnée à 50 % du coût du projet et devant être comprise dans une fourchette de 4 000 à 20 000 euros par projet ;

- l'aide aux opérations à caractère collectif . Elle est constituée d'une subvention plafonnée à 50 % du budget de l'opération.

Au cours de la période 2003-2011, le fonds a accompagné deux cents projets de jeux, développés par cent studios de création. Les aides octroyées représentent un montant total de 23,6 millions d'euros, couvrant 29 % du total des devis. Elles sont très peu concentrées, puisque 12 % seulement des entreprises ayant bénéficié d'un soutien à la pré-production ont été accompagnées sur plus de quatre projets.

En 2012, cent dix-sept projets ont été examinés par le CNC, cinquante retenus et trois millions d'aides octroyées au titre du FAJV. 80 % l'ont été sous forme de subventions, ce qui correspond bien aux modes de jeux les plus innovants (tablette, smartphone ...).

b) Le crédit d'impôt jeux vidéo

Instauré par la loi du 5 mars 2007 relative à la modernisation de la diffusion audiovisuelle et à la télévision du futur complétée par un décret du 7 novembre 2007 21 ( * ) , le crédit d'impôt jeux vidéo (CIJV) conforte la productivité des entreprises réalisant et produisant des jeux vidéo.

La Commission européenne l'a autorisé à la fin de cette même année 2007, avant de renouveler cette autorisation pour six années supplémentaires le 25 avril 2012, en concluant que son régime, qui respecte la législation européenne relative aux aides d'État, oriente la production de jeux vidéo vers la production de projets à contenu culturel .

Peuvent y prétendre les entreprises assurant la réalisation artistique et technique de jeux ayant fait l'objet d'un agrément de la part du CNC , et ayant initié et engagé les dépenses nécessaires à leur création. Sont éligibles les dépenses affectées directement à la création de ces jeux, effectuées en France où dans un État membre de la Communauté européenne, qui peuvent être déduites à hauteur de 20 % de l'impôt dû pour la production desdits jeux dans la limite de 3 millions d'euros par exercice.

Trois dispositifs sont proposés : une aide à la préproduction de jeux vidéo ; une aide à la maquette pour les projets de jeux vidéo aux contenus éditoriaux innovants, sur tous supports ; et un soutien transversal pour des opérations collectives de type colloques ou journées d'étude.

Le « cahier des charges » de ce dispositif est relativement strict : les jeux doivent avoir un coût de développement supérieur ou égal à 150 000 euros ; ils doivent être destinés à une commercialisation effective auprès du public ; ils doivent être réalisés principalement avec le concours d'auteurs et de collaborateurs de création qui soient français, ressortissants d'un autre État membre de l'Union ou d'un autre État partie à l'accord sur l'Espace économique européen ayant conclu avec la France une convention fiscale ; ils doivent contribuer au développement de la création française et européenne en matière de jeux vidéo ainsi qu'à sa diversité en se distinguant notamment par la qualité, l'originalité ou le caractère innovant du concept et le niveau des dépenses artistiques ; enfin, ils ne doivent pas comporter de séquences à caractère pornographique ou de très grande violence.

Sur la période 2008-2011, 95 dossiers ont été agréés sur 211 demandes. Le coût total de production des projets de jeux ayant reçu un agrément provisoire d'élève à 333,7 millions d'euros. Près de 50 % de ces projets présentaient des budgets supérieurs à 5 millions d'euros. Ils concernaient des jeux développés pour consoles Wii ou DS (30 %), Xbox 360 (20 %) e PS3 (18 %), ainsi que des jeux pour PC (27,3 %).

c) Les dispositifs d'aide plus généralistes

D'autres dispositifs fiscaux, qui ne concernent pas spécifiquement les jeux vidéo, lui sont cependant applicables.

• Le crédit d'impôt recherche et le crédit d'impôt innovation

Réduction d'impôt (sur le revenu ou sur les sociétés) calculée en fonction des dépenses de R&D déclarées par les entreprises, le crédit d'impôt recherche s'élève à 30 % de ces dépenses dans une première tranche jusqu'à 100 millions d'euros, puis 5 % au-delà.

L'entreprise entrant pour la première fois dans le dispositif bénéficie, sous certaines conditions, d'un taux majoré de 40 % la première année, puis de 35 % la deuxième année. Les entreprises du secteur des jeux vidéo peuvent potentiellement en bénéficier car elles donnent lieu à d'importantes activités de R&D dans les phases de pré-production.

Au crédit d'impôt recherche « classique » s'ajoute, depuis cette année, le « crédit d'impôt innovation ». Créé par la loi de finances pour 2013, il est calculé sur les dépenses (de personnel, d'achat d'immobilisations, de prise de brevets ou dépôt de dessin) engagées par les PME en vue de la « conception de prototypes ou installations pilotes de nouveaux produits ».

Son taux est de 20% des dépenses engagées par les entreprises concernées, ces dépenses étant plafonnées à 400 000 euros ; il ne peut donc pas excéder 80 000 euros. Il est parfaitement susceptible de bénéficier aux studios de jeux vidéo, dont les dépenses d'innovation peuvent être substantielles.

• Le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi

En vigueur depuis le 1er janvier 2013 , le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) est un avantage fiscal consenti à des entreprises employant des salariés soumises à un régime réel d'imposition (ce qui exclut les micro-entreprises et les auto-entrepreneurs), quels que soient leur forme et le régime d'imposition de leur résultat (impôt sur le revenu ou impôt sur les sociétés).

Il équivaut à une baisse de leurs charges sociales . L'assiette de ce crédit d'impôt est constituée par les rémunérations brutes soumises aux cotisations sociales, versées par les entreprises dans la limite de 2,5 fois le Smic. Son taux est de 4 % pour les rémunérations versées au titre de 2013 et 6 % pour les rémunérations versées les années suivantes.

• Le dispositif « jeunes entreprises innovantes »

Les entreprises réalisant des projets de R&D et placées sous le régime de la « jeune entreprise innovante » (JEI) peuvent bénéficier d'une réduction de leur fiscalité et des charges sociales relatives à des emplois hautement qualifiés tels que les ingénieurs et les chercheurs .

Pour bénéficier de ce statut, introduit en 2004, elles doivent avoir le statut de PME, avoir moins de huit ans d'existence, réaliser des dépenses de recherche représentant au moins 15 % des charges fiscalement déductibles au titre d'un exercice et être indépendantes du point de vue de la détention du capital.

Un certain nombre d'avantages sont reconnus aux entreprises respectant ces conditions :

- une exonération d'impôt sur les bénéfices et d'impôt forfaitaire annuel (IFA) ;

- une exonération d'impôt sur les plus-values de cession de titres pour les associés de la JEI ;

- un allègement des cotisations sociales patronales sur les salaires versés aux personnels participant à la recherche. Cet avantage a toutefois été drastiquement revu à la baisse en 2011.

• Les dispositifs du CNC

Certains dispositifs gérés par le CNC, autres que le FAJV et le CIJV, ne concernent pas directement ou spécifiquement le marché des jeux vidéo, mais établissent des passerelles entre médias traditionnels et nouveaux médias, et peuvent être mobilisés par les entreprises de ce secteur.

• L'aide aux projets pour les nouveaux médias

Créée en 2007 et dotée d'un budget annuel d'environ trois millions d'euros, cette mesure propose des aides sélectives à l'écriture et au développement pour les contenus multisupports ou destinés spécifiquement à Internet et aux écrans mobiles, ainsi que des aides sélectives à la production pour les contenus ayant la même destination.

Tous les univers créatifs y sont représentés, le jeu vidéo y côtoyant le cinéma, la télévision, les arts numériques, la musique, ou encore la bande dessinée. Plus de trois cents projets ont été accompagnés depuis sa mise en place, dont une centaine en production.

• Le réseau Recherche et développement en audiovisuel et multimédia (RIAM)

Créé en 2001, ce partenariat entre le CNC et OSÉO est doté d'un budget de quatre millions d'euros. Il a vocation à soutenir les projets d'innovation des entreprises dans les domaines de la production, du traitement, de la distribution et de la publication d'images et de sons, qui débouchent sur de nouveaux services ou produits. Ce dispositif a été spécifiquement conçu pour les secteurs du cinéma, de l'audiovisuel, du multimedia et du jeu vidéo.

Deux volets d'aide sont proposés :

- l'aide à la faisabilité permet d'explorer les obstacles (technologiques, juridiques, économiques ...) dont la levée est un préalable à la mise en place d'un projet de R&D de plus grande envergure ;

- l'aide à la R&D finance le coeur du programme de R&D et aboutit soit à la commercialisation d'une nouvelle offre ou d'un nouveau produit, soit à une amélioration notable du processus de production interne.

Les projets retenus reçoivent un financement mixte sous la forme d'une part d'avances remboursables et d'autre part de subventions. OSÉO peut accorder une aide pouvant couvrir jusqu'à 60 % du devis retenu d'un programme.

d) Les aides européennes

Le jeu vidéo constitue la première industrie culturelle en Europe, et la zone EMEA (Europe, Moyen-Orient, Afrique) la plus importante au monde sur ce marché, avec près de 40 % du chiffre d'affaires réalisé. La Commission européenne en a consacré le caractère culturel dans une décision de 2007 relative aux aides d'État . À ce titre, il représente le secteur culturel le plus dynamique et avec le plus fort taux de croissance de toute l'industrie européenne des contenus.

Le financement de la production est un aspect essentiel du soutien que l'Europe peut apporter à cette filière, qui est au coeur des processus d'innovation de l'économie numérique. Or, l'Union européenne ne s'est pas investie dans ce secteur de façon suffisante, au regard des enjeux économiques, financiers et culturels.

L'appel à propositions EACEA 21/2009 pour le soutien à la réalisation d'oeuvres interactives, lancé en 2007 dans le cadre du programme MEDIA 2007 , a été pensé pour le soutien de projets de productions destinées aux marchés européens et internationaux par des sociétés européennes indépendantes. Il représentait à ce titre une réelle opportunité pour la filière du jeu vidéo. Plus de 335 projets ont été proposés au soutien de cet appel sur le volet « oeuvres interactives ».

Or, les critères d'éligibilité ont été modifiés en 2009, de sorte que les productions de jeux vidéo n'y sont plus éligibles , à la différence des productions accompagnant ou complétant une oeuvre audiovisuelle préexistante (animation, documentaire, fiction). La nouvelle formulation prive les studios de développement du bénéfice de ce dispositif, désormais accessible aux seuls détenteurs de propriétés intellectuelles audiovisuelles.

Le futur programme MEDIA portera sur la période 2014-2020 . Il importe qu'une part significative soit consacrée au soutien des oeuvres interactives, dont fait partie le jeu vidéo. Les entreprises françaises de la filière revendiquent qu'au moins 50 % de son budget soit affecté au soutien du secteur 22 ( * ) .

Or, les orientations qu'il semble prendre paraissent aller dans la bonne voie. Le volet « médias » du programme « Europe créative » 2014-2020, prolongement du programme MEDIA 2007-2013 23 ( * ) , a fait l'objet d'une note de la direction générale des politiques internes du Parlement européen, à l'attention de la commission de la culture et de l'éducation. Plusieurs éléments de progrès sont ainsi mis en avant :

- le secteur des jeux vidéo sera explicitement inclus dans le secteur audiovisuel ;

- le nouvel instrument financier couvrira tous les secteurs de la culture et de la création, y compris les jeux vidéo ;

- le volet médias bénéficiera d'un budget en hausse de près de 30 %, à 998 millions d'euros.

La note mentionne que le programme MEDIA 2007 « limitait ces dernières années l'éligibilité aux jeux qui étaient des adaptations de films ou de productions télévisuelles et réservait le budget alloué au soutien des « oeuvres interactives ». Elle souligne par ailleurs qu'il « convient d'interpréter la mention explicite des jeux vidéo dans le règlement relatif au programme « Europe créative » comme une reconnaissance du fait que les jeux vidéo sont des produits audiovisuels à prendre au sérieux ainsi que comme un engagement en faveur du soutien de cette branche hautement novatrice ».

Le secteur des jeux est présenté comme « l'un des plus prometteurs des secteurs de la culture et de la création européens et nécessitant un soutien public, surtout en ce qui concerne le stade hautement risqué de la conception de produits ». Ce secteur est perçu comme « extrêmement novateur » et présentant « un fort potentiel dans la mesure où il utilise toute la gamme des technologies numériques et atteint de vastes publics de jeunes ».

La Fédération européenne des développeurs de jeux vidéo ( European games developer federation - EGDF) s'est certes félicitée de cette inclusion des jeux vidéo dans le programme MEDIA, mais elle a regretté que la proposition reste majoritairement centrée sur le cinéma. Elle a par ailleurs demandé que les mesures de soutien à ce dernier soient également ouvertes à d'autres oeuvres audiovisuelles, et notamment les jeux vidéo.

Il conviendra donc de suivre avec attention l'évolution de ce nouveau programme, et la place qu'il accorde au financement de l'industrie des jeux vidéo. La pénurie de ressources au niveau national fait du recours à ces fonds européens, aujourd'hui sous-utilisés par notre pays, un enjeu d'une particulière importance.

B. UN MODÈLE ÉCONOMIQUE À PART

1. Au niveau économique

Le modèle économique du secteur des jeux vidéo ne ressemble à aucun autre, que ce soit celui du cinéma, de l'audiovisuel ou des communications électroniques. Entièrement globalisé et mettant en scène des acteurs extrêmement hétérogènes, il requiert des investissements colossaux pour la réalisation de produits phares dont un nombre très réduit sera susceptible de rapporter des bénéfices.

a) Un marché mondialisé et ultra-concurrentiel

Ainsi que le soulignait un article d'analyse économique de ParisTech Review il y a quelques mois 24 ( * ) , « le secteur des jeux vidéo offre un des rares exemples de marché hyperconcurrentiel ». Il y est fait état d'« univers instables hantés par le fantôme de Schumpeter , où la compétition est si vive et la visibilité si faible que les règles habituelles de l'économie industrielle ne s'appliquent plus ».

De nombreux facteurs, rappelés dans l'article, expliquent cet état de fait : la vitesse des changements technologiques, l'intensité de la concurrence, la faiblesse de la réglementation, la fragmentation des goûts des consommateurs... Ces éléments conduisent à une situation « marquée par un déséquilibre structurel, où un avantage concurrentiel ne dure jamais très longtemps et où une position dominante peut être un handicap ».

Le marché des jeux vidéo n'est pas encore stabilisé et se caractérise par une certaine forme d'exubérance créative, que la loi de l'offre et de la demande vient réguler sévèrement . Comme le note le cabinet de conseil Zalis 25 ( * ) , sont lancés chaque année, sur les plateformes consoles et PC, « environ 5 000 titres de jeux vidéo (...) . Parmi ces 5 000 titres, seuls environ 200 permettront un retour sur investissement. Sur ces 200 titres, une vingtaine de titres seulement enrichira vraiment les éditeurs : ce sont les blockbusters ».

Excepté le continent africain, toutes les régions du monde se positionnent aujourd'hui sur un marché hyperconcurrentiel, mais appelé à croître dans les années à venir. Selon l'IDATE, s'élevant à 53,3 milliards d'euros en 2012, contre 51,1 milliards l'année précédente, il devrait enregistrer une croissance à deux chiffres en 2013 et 2014, grâce à la commercialisation des consoles de salon nouvelle génération.

b) Un secteur atomisé entre une myriade de petits acteurs et quelques poids lourds

Le secteur des jeux vidéo se caractérise par un grand dynamisme, allant de pair avec une dissémination de ses multiples acteurs, ainsi que l'a montré une étude réalisée en 2012 sur la structuration du secteur 26 ( * ) , dont sont issus les données et graphiques suivants.

Il comprend un grand nombre de petites entreprises réparties sur l'ensemble du territoire. 52 % d'entre elles seulement comptent plus de 10 salariés dans leur effectif.

EFFECTIFS DES ENTREPRISES DU SECTEUR DES JEUX VIDÉO

Source : SNJV/Opcalia

Ces entreprises sont jeunes pour beaucoup, puisque 32 % ont moins de deux ans d'ancienneté, et 55 % moins de cinq ans d'existence.

ANCIENNETÉ DES ENTREPRISES DU SECTEUR DES JEUX VIDÉO

Source : SNJV/Opcalia

À l'opposée, le secteur est structuré par quelques « poids lourds » , entreprises de taille moyenne et intermédiaire déjà bien « assises », qui font l'image de la France à l'international. Ainsi, 33 % des entreprises déclarent un chiffre d'affaires supérieur à 1 million d'euros, 8 % étant même au-delà de 10 millions. Et 27 % des sociétés ont plus de dix ans d'ancienneté, dont 4 % ont même plus de quinze ans d'âge.

CHIFFRE D'AFFAIRES DES ENTREPRISES DU SECTEUR DES JEUX VIDÉO

Source : SNJV/Opcalia

c) Des acteurs variés entretenant des relations complexes

Le lancement sur le marché d'un jeu vidéo comporte trois étapes, et autant de types d'acteurs différents : le développement ou la création du jeu, sa production-édition et enfin sa distribution 27 ( * ) . Certains acteurs sont uniquement développeurs, d'autres sont développeurs-éditeurs et d'autres sont développeurs, éditeurs et distributeurs .

• La phase de création

La première étape est la création à proprement parler du jeu vidéo par des studios. Ceux-ci sont des entreprises de taille très variable, souvent des PME, soit indépendantes, soit intégrées à l'éditeur. Les équipes y travaillant font collaborer de nombreux corps de métiers ultra spécialisés et qualifiés :

- les concepteurs, ou game designers , chargés d'imaginer les concepts sur lesquels sont basés les jeux. Ils sont parfois assistés par des scénaristes, notamment quand l'univers en est complexe, comme dans les jeux de rôle ;

- les concepteurs de niveau, ou level designer , chargés de réaliser les niveaux de jeu en respectant les consignes globales définies par les game designers ;

- les infographistes 2D et 3D, les musiciens et les techniciens, qui assistent les concepteurs ;

- les programmeurs, chargés du développement global du jeu, qui interviennent sur le moteur du jeu, mais aussi sur des logiciels annexes ;

- les testeurs, qui s'inscrivent dans une démarche qualité ;

- les traducteurs, chargés de traduire non seulement les dialogues, mais aussi les inscriptions et les menus des jeux.

En outre, la complexification croissante des jeux a incité les développeurs à solliciter des prestataires intermédiaires spécialisés . Ces sous-traitants peuvent intervenir sur une partie du jeu (création sonore, graphique...) ou sur des éléments support (moteur 3D...).

Les relations contractuelles entre développeurs et éditeurs sont particulièrement diversifiées, sachant que les « poids lourds » du secteur, comme Activision-Blizzard, EA, Titus, Infogrames ou Ubisoft, sont à la fois développeurs, éditeurs et distributeurs.

On distingue, parmi les développeurs, ceux qui n'ont pas d'indépendance par rapport à l'éditeur de ceux qui en conservent une. Les « first-party-publisher » sont intégrés à l'éditeur de jeu vidéo (ou au producteur de consoles) et peuvent utiliser soit le nom de leur éditeur (comme Nintendo, Electronic Arts, Ubisoft, Sega ou Activision-Blizzard), soit un nom propre (comme Polyphony Digital chez Sony).

Un « second-party-publisher » est un ancien studio indépendant qui s'est fait racheter par un « first-party-publisher » pour développer des jeux. Enfin, un « third-party-publisher » est un studio de développement indépendant, mais qui peut avoir des accords exclusifs d'édition avec les éditeurs.

L'initiative de la création d'un jeu provient de l'éditeur, ou du développeur lui-même s'il s'agit d'un concept original . La phase de conception, financée par l'un ou l'autre selon les cas, laisse place à une phase de pré-production débouchant sur la mise au point d'une maquette informatique puis, si elle est validée, à la phase de production proprement dite, financée par l'éditeur.

La rémunération du développeur comporte normalement deux parties : une avance sur royalties , fixe, que lui consent l'éditeur, et qui n'est pas remboursable, même en cas d'échec commercial, ainsi qu'une rémunération proportionnelle aux ventes effectives, versée une fois les coûts de production couverts.

• La phase de production

La phase de production du jeu, au sens qu'elle a dans l'industrie du cinéma, est prise en charge par l'éditeur . Celui-ci, qui a assuré le financement de sa création, détient les droits de propriété intellectuelle, produit le support du jeu, les notices et l'emballage du logiciel, assure le marketing et la promotion, et fait le lien avec le distributeur. C'est son label qui figure sur les jeux.

La plupart des éditeurs indépendants produisent aujourd'hui pour plusieurs plateformes ( PC, PS3, Xbox 360, 3DS ...). Une telle stratégie s'explique principalement par des raisons industrielles liées à l'augmentation du coût moyen de production. Le portage d'un jeu coûte en effet trois fois moins cher que le développement du jeu initial . En outre, cela permet de réduire la dépendance à une plateforme et d'assurer une plus grande ouverture pour les débouchés.

Il n'en reste pas moins que chaque constructeur de console (Sony, Nintendo, Microsoft) a intérêt à proposer des jeux en exclusivité pour valoriser spécifiquement son produit et assurer sa renommée. Il le fait au travers de productions internes ou en passant des accords avec des éditeurs tiers.

• La phase de distribution

Cette phase, qui comprend la vente physique de jeux vidéo, la vente de jeux sur mobiles et la vente et la location dématérialisées est le fait de divers types d'acteurs, dont les marges sont plus faibles.

Les distributeurs livrent les grossistes, les détaillants (comme Micromania en France ou GameStop aux États-Unis) et les centrales d'achat pour les grandes surfaces (comme Carrefour ou la FNAC). Les éditeurs les plus importants sont aussi distributeurs ; ils peuvent exercer cette fonction pour leur compte ou celui d'autres éditeurs. À l'inverse, certains distributeurs spécialisés ne sont pas éditeurs (comme Big Ben et Nobilis en France).

Le distributeur s'occupe de la partie logistique : il fournit les magasins revendeurs et gère le stock de marchandises. Le succès d'un jeu dépend du nombre de jeux vendus pendant les premières semaines ; dès lors, l'existence durant cette période d'un stock conséquent et d'un large réseau de distribution sont cruciaux, et l'action du distributeur tout autant.

d) La difficile conciliation du marché de l'occasion avec les nécessités de la lutte contre le piratage

Le marché parallèle de l'occasion est né en même temps que le jeu vidéo. La liberté du joueur sur le jeu qu'il possède et la volonté de pouvoir partager l'expérience ludique sont des principes considérés comme inaliénables dans la philosophie des « gamers ».

À l'heure actuelle, les Français sont les plus grands consommateurs de jeux vidéo d'occasion en Europe. Sous la double influence d'une conjoncture économique difficile et de certains phénomènes de mode tels que le « rétro gaming » (jeux anciens et de collection), les ventes ne cessent de progresser, le secteur représentant désormais trois milliards d'euros de chiffre d'affaires annuels.

À l'heure où la première mise en marché souffre, avec notamment la fin d'activité récente du réseau de vente Game, des enseignes de distribution spécialisées dans l'occasion se sont développées et voient leur activité croître. Ainsi, après avoir racheté une partie du réseau Game l'hiver dernier, l'enseigne Game Cash compte soixante-dix points de vente, avec l'ambition d'atteindre les cent cinquante à deux cents points de vente à terme, au rythme de dix à douze ouvertures par an.

Pourtant, l'avenir du marché de l'occasion semble largement hypothéqué par le développement massif de l'offre dématérialisée . Selon une récente étude du cabinet de conseil PwC 28 ( * ) , les ventes dématérialisées devraient dépasser les ventes physiques à l'horizon 2016 et porter à elles seules 64 % de la croissance mondiale du secteur d'ici 2017.

Cette évolution, qui n'a rien d'un mouvement naturel comme dans d'autres secteurs de l'édition, relève en réalité d'une stratégie des éditeurs et des consoliers pour, officiellement, lutter plus efficacement contre la fraude et, en réalité, mieux contrôler les joueurs et leur comportement .

La distribution de jeux en ligne permet certes, en exigeant des joueurs qu'ils s'identifient et se connectent régulièrement pour mettre à jour leurs jeux et pouvoir évoluer en leur sein, de limiter grandement les risques de fraude et de violation de la propriété intellectuelle dont sont porteurs les jeux d'occasion.

Des plateformes de distribution de contenu comme Steam ou Origin se placent ainsi entre l'usager et son jeu, tandis que des verrous numériques (DRM) ont pour objet de contrôler l'accès et l'utilisation des contenus acquis légalement.

Cependant, les motivations des fabricants de console et des éditeurs de jeux à développer l'offre digitalisée semble être davantage de « tenir » les joueurs à distance et de favoriser la facturation à ces derniers différents types de prestations : envoi de de codes de sécurisation des jeux et de toutes sortes de services en ligne pour améliorer leur jouabilité. Cette stratégie, qui in fine assèche le marché de la revente d'occasion, accentue en outre les dysfonctionnements sur les jeux en ligne, dont la maintenance est extrêmement délicate techniquement .

Une telle évolution s'est fait jour lors de l'annonce du lancement des deux dernières consoles de salon, à la mi-juin : la PlayStation 4 de Sony et la Xbox One de Microsoft. Alors que la société japonaise n'imposait pas une connexion en ligne pour utiliser sa future console et laissait les joueurs libres d'échanger ou de revendre leurs jeux, la firme américaine exigeait tout d'abord une telle connexion régulière, toutes les 24 heures.

La réaction de la communauté des joueurs ne s'est pas fait attendre. Sur les sites spécialisés, les forums de discussion ou les blogs, les commentaires critiques ont fusé suite à cette annonce, que d'aucuns avaient déjà anticipée. Devant cette levée de boucliers et le risque concurrentiel que représentait la démarche plus libérale de son rival japonais, Microsoft faisait finalement « machine arrière » quelques jours plus tard, en indiquant qu'« une connexion à Internet ne sera pas requise pour jouer offline », le joueur n'ayant besoin que d'un accès unique lors de l'installation. Le consolier américain ajoutait que l'on pourrait « échanger, prêter, revendre, donner ou louer » des jeux sans restriction, comme c'est actuellement le cas avec la Xbox 360 .

Ce revirement positif n'en laisse pas moins planer une menace diffuse sur l'avenir de cette filière de l'occasion. Sa disparition aurait des conséquences néfastes, tant pour les joueurs que pour la filière prise dans sa globalité.

Pour les premiers, la possibilité de revendre d'occasion des jeux achetés neufs permet en effet d'amortir ces acquisitions, dont les montants sont relativement élevés pour les « hits » du secteur puisqu'ils peuvent aller jusqu'à quatre-vingt euros. Cela se vérifie particulièrement pour les publics les moins fortunés, tels que les jeunes ou les étudiants, qui constituent de surcroît la plus grande part des « gamers ».

Interdire un tel refinancement risquerait fort d'empêcher, ou du moins de désinciter ces utilisateurs à acheter de nouveaux jeux, mais également à acquérir de nouvelles consoles, ce qui affecterait à la fois les éditeurs et les fabricants de ces deux types de produits. En outre, cela réduirait fortement l'activité des sociétés spécialisées dans la vente de jeux vidéo, neufs ou usagés, désormais concurrencées par les plateformes dématérialisées.

Le marché de l'occasion parait donc essentiel pour l'industrie vidéoludique. C'est d'ailleurs ce qui ressort d'une étude réalisée par Masakazu Ishihara et Andrew Ching, respectivement professeurs de marketing à l'Université de New York et à l'Université de Toronto. Se basant sur le marché vidéoludique japonais, ils anticipent une baisse de profits de 10 % par jeu en cas de disparition totale du second marché des jeux vidéo.

e) La courte durée de vie des produits

Le marché des jeux vidéo se caractérise par une extrême volatilité et par des cycles d'exploitation excessivement courts. La plupart des jeux sur support physique se vend ainsi dans les deux semaines suivant leur lancement, la période octobre-décembre, qui suit la rentrée scolaire et s'achève avec les fêtes de fin d'année, étant particulièrement propice : les ventes de Noël représentent en effet 40 % du chiffre d'affaires saisonnier. La durée de vie commerciale d'un jeu sur PC est d'un an au plus, et de 6 mois seulement sur une console .

Le secteur des jeux vidéo « ne fait pas de conserve » : un titre, pour populaire et rentable qu'il soit, sera très rapidement relégué par d'autres sorties, plus abouties techniquement ou visuellement. A l'inverse du cinéma, il n'existe donc pas de catalogue des jeux vidéo dans lequel les joueurs peuvent puiser des années après leur parution.

Selon Laurent Michaud, responsable du pôle « loisirs numériques et électronique grand public » à l'IDATE, « la règle économique « s'adapter ou disparaître » n'a jamais été aussi vraie qu'aujourd'hui dans l'industrie du jeu. Et jamais cette règle ne s'est exercée aussi vite qu'aujourd'hui. Les temps de production se raccourcissent sur de nombreuses plateformes (mobiles, tablettes, réseaux sociaux, navigateurs) et le time to market est très court, tout comme parfois le temps qui sépare le développeur de la désillusion » 29 ( * ) .

Le caractère très éphémère de la durée de vie des jeux vidéo contraste avec le temps nécessaire à leur élaboration . Technique, complexe, faisant intervenir de multiples acteurs, cette phase est souvent étalée sur des périodes bien plus longues que celle de l'industrie du cinéma, par exemple. Selon la nature des projets, il peut ainsi s'écouler de un à sept ans entre la phase de conception et l'achèvement du projet concrétisé par sa commercialisation.

f) Le poids considérable des dépenses marketing

La création et la mise sur le marché de jeux vidéo, qui requièrent des compétences à très haute valeur ajoutée, passent par la sollicitation de financements toujours plus importants.

Grâce aux avancées de l'informatique personnelle, il est aujourd'hui possible à des développeurs amateurs de mettre au point des jeux relativement basiques ensuite proposés sur des plateformes gratuites à un public plus ou moins large. Mais l'édition de « hits », susceptibles de rapporter des dizaines, voire des centaines de millions d'euros suppose de mobiliser des moyens industriels aux coûts sans cesse plus importants. Les plus grosses productions ont ainsi nécessité d'investir une centaine de millions d'euros.

La seule phase de pré-production implique déjà des sommes conséquentes : les projets présentés pour bénéficier du Fonds d'aide aux jeux vidéo, qui aide au financement de cette phase, affichent en effet des budgets de 400 000 à 600 000 euros en moyenne.

Mais c'est, en aval, le poste marketing qui est le plus coûteux. Il recouvre aussi bien les spots télévisés que les pages dans les magazines (spécialisés ou non), les campagnes d'affichage de plus ou moins grande envergure, la mise en place de bannières sur des sites Internet, l'achat de « homepages », les présentations auprès de la presse lors d'événements organisés aux quatre coins du monde ou la réalisation de vidéos.

Sur les plus grosses productions, pas moins de la moitié du budget total y est dédiée. L'entreprise d'origine lyonnaise Arkane Studios, pour le lancement de son jeu Dishonored , aurait mobilisé un budget de vingt millions d'euros, répartis à parts égales entre la conception du jeu et les dépenses de marketing.

Si ces montants sont substantiels, ils demeurent modestes au regard de ceux concernant les « poids lourds » du secteur. Ainsi, selon le Los Angeles Times 30 ( * ) , le développement du jeu Call of duty : Modern Warfare 2 aurait coûté entre 40 et 50 millions de dollars (entre 27 et 33,6 millions d'euros) - soit moins toutefois que les 100 millions de dollars de GTA IV - pour un coût global du projet - incluant cette fois le budget marketing - de l'ordre de 200 millions de dollars (134,5 millions d'euros) !

Les financements alloués à la promotion sont parfois plus importants que ceux du développement et de la production , car le lancement se fait à l'échelle mondiale et doit avoir un impact massif, l'essentiel des revenus tirés du jeu étant perçus dans les quelques semaines suivant sa sortie. Cette dernière est donc organisée comme un événement médiatique majeur et prend dorénavant une dimension gigantesque.

En amont des jeux vidéo, l'industrie des consoles est également marquée par une inflation de son budget marketing , supportée par des fabricants qui sont également éditeurs de jeux, ou « first party publishers ». Microsoft a ainsi dépensé 569 millions d'euros pour sa campagne de publicité pour la Xbox , tandis que Nintendo a investi 20 millions en marketing en France et 100 millions d'euros en Europe pour le lancement de la GameCube il y a dix ans. Des chiffres qui seront largement dépassés lors du lancement de la future génération de consoles, attendu cette année.

2. Un contrat social atypique
a) Des équipes jeunes et pluridisciplinaires

La force de travail à l'origine de la création et de la production de jeux vidéo se caractérise d'abord par sa jeunesse. Dans les studios dont le groupe de travail a auditionné les représentants ou ceux qu'il a eu l'opportunité de visiter, la moyenne d'âge des effectifs est fort basse : elle ne dépasse ainsi pas trente-cinq ans pour Ubisoft et à peine trente ans pour Ankama .

De fait, les seniors, recherchés pour leur expertise, constituent une denrée rare . Expatriés à l'étranger ou engagés, après quelques années, dans une voie professionnelle différente, ils représentent une minorité des effectifs. Dans une société comme Asobo Studio, à Bordeaux, un senior encadre en moyenne deux juniors, dont il se charge de la formation interne. À titre d'exemple, le graphiste senior réalise un personnage, que les juniors peuvent ensuite reproduire.

Indispensables bien souvent à la création, les seniors sont également plus coûteux et, de fait, parfois inabordables pour les studios de petite taille . À cette contrainte s'ajoute celle de la localisation : le responsable d'Asobo Studio indiquait ainsi au groupe de travail, lors de sa visite, qu'il était difficile de trouver des seniors intéressés par une installation à Bordeaux, sauf si des raisons familiales les amenaient à ce choix géographique.

De surcroît, les studios de jeux vidéo ne parviennent souvent pas à conserver leurs effectifs à long terme. Alain Le Diberder, lors de son audition par le groupe de travail, a estimé, à cet égard, qu'il existait un problème de gestion des carrières longues dans le secteur du jeu vidéo. Les studios développent, selon lui, souvent un certain jeunisme, et ce à tort. En effet, les grands créateurs de jeux, Peter Molyneux chez Nintendo par exemple, avaient souvent plus de quarante ans au moment de leurs plus grands succès. Par ailleurs, la stabilité et l'expérience des équipes constituent un atout majeur pour la création d'un jeu. Devant le groupe de travail, le responsable de Quantic Dream a ainsi estimé qu'une équipe devait avoir créé trois jeux qualifiables de grosse production pour maîtriser parfaitement son savoir-faire.

Outre leur jeunesse, la pluridisciplinarité caractérise également les professionnels du jeu vidéo. Venus d'une multitude de milieux professionnels, parfois autodidactes passionnés par la matière 31 ( * ) , les graphistes, scénaristes, programmeurs, développeurs, animateurs unissent leurs compétences pour créer un jeu. Une équipe travaille en général plusieurs mois, voire plusieurs années sur un même projet.

Enfin, il convient de préciser que les femmes sont minoritaires dans les sociétés de jeux vidéo, si l'on fait abstraction des fonctions supports que représentent le marketing, la communication et l'administration générale. À titre d'exemple, chez Ankama, la proportion de femmes s'établit à 35 % des effectifs . Elles occupent majoritairement, au sein des équipes techniques, des postes de graphistes.

b) Des contrats de travail pas toujours adaptés

Les salariés du jeu vidéo, à la différence de ceux du film d'animation et, plus généralement des industries culturelles dont l'activité s'exerce sous le régime de l'intermittence, sont majoritairement en contrat à durée indéterminée . Toutefois, on observe depuis peu, dans les studios français, le développement d'embauches à durée déterminée, évolution qui a pour corollaire une plus grande précarité de certains salariés.

Le constat est identique dans les studios, de taille très variable, que le groupe de travail a rencontrés. Chez Ubisoft, certains recrutements se font en contrat à durée déterminée ou sous le régime de l'intermittence, notamment pour les graphistes et les animateurs, mais la plupart directement en contrat à durée indéterminée. Chez Asobo Studio, dont les effectifs s'échelonnent entre quatre-vingt et cent-vingt-cinq personnes en fonction des phases de production, cinquante employés sont en contrat à durée indéterminée. Quantic Dream, pour sa part, a choisi le même statut pour la majorité de ses cent-quatre-vingts salariés. De fait quarante d'entre eux travaillent dans l'entreprise depuis plus de sept ans.

Ce choix de la stabilité des effectifs traduit la volonté de ne pas perdre les talents tant convoités à l'étranger. Il s'agit là d' une contrepartie offerte aux salaires, généralement moins élevés en France , hormis pour les développeurs, compte tenu de la pénurie. À titre d'exemple, un animateur débutant se verra proposer 125 000 dollars annuels aux États-Unis, contre 60 000 euros en Grande-Bretagne et seulement 43 000 euros en France (ramenés récemment en moyenne à 30 000 euros en raison des difficultés économiques de nombreux studios). Même si nombre d'interlocuteurs ont indiqué au groupe de travail que, à l'instar des artistes, les professionnels du jeu vidéo étaient habituellement moins intéressés par la rémunération que par la qualité du projet proposé, les garanties salariales offertes par les contrats à durée indéterminée pallient les moindres rémunérations hexagonales.

Si ce régime semble satisfaisant pour le « noyau dur » des équipes qui demeure dans la société entre chaque projet, celui du contrat à durée déterminée se plie mal aux contraintes de la production de jeux vidéo , où la date de fin de projet est rarement connue précisément. Ce constat s'applique également au système de l'alternance, en raison de l'existence de phases de production longues et intensives qui empêchent tout retour ponctuel en formation.

De fait, il arrive que des studios contournent la loi dans des conditions peu protectrices des salariés en ayant recours abusivement à des « consultants extérieurs » sous-traitants mais requalifiables en salariés ou encore en créant des filiales « audiovisuelles » recourant au régime des intermittents alors même que l'activité a souvent peu à voir avec la création audiovisuelle.

Afin de remédier à cette situation, l'ensemble des directeurs de studios rencontrés ont fait part de la nécessité de créer des contrats de travail plus souples pour leur industrie , sur le modèle des contrats de chantier du secteur du bâtiment et des travaux publics.

Le débat sur l'adéquation du droit du travail français aux contraintes spécifiques de la production de jeux vidéo est ancien . Dès 2003, il a fait l'objet de la cinquième proposition du rapport de Fabrice Fries « Propositions pour développer l'industrie du jeu vidéo en France » à l'attention de M. Francis Mer, alors ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. L'auteur décrit ainsi la situation : « Le métier de création des jeux vidéo, centré sur des projets, est fait de pics et de creux très marqués. Le contrat à durée indéterminée est pourtant la norme pour les salariés des studios français, ce qui peut constituer un frein à l'embauche. De fait, en bonne part en raison d'une souplesse plus grande de la réglementation du travail, les effectifs des studios en Grande-Bretagne sont près de quatre fois supérieurs à ceux des studios français » .

À l'époque, il est envisagé d'adapter le droit du travail, en permettant au secteur du jeu vidéo de recourir à des contrats de projet : « Le jeu vidéo semble un terreau idéal pour une application éventuelle des contrats de projet, ces contrats d'une durée minimale de trois ans s'interrompant à l'achèvement d'un projet précis : population cible très qualifiée et limitée en nombre, secteur jeune donc propice aux expérimentations, impact de la mesure garanti en termes d'emplois. »

Près de dix ans plus tard, la demande du syndicat national du jeu vidéo (SNJV) aux candidats à l'élection présidentielle de 2012 32 ( * ) ne fut guère différente : « L'humain est au coeur de la production de jeux vidéo. Dans un contexte de très forte compétitivité mondiale, l'enjeu central pour les entreprises du jeu vidéo réside dans leur capacité à disposer des meilleurs talents . La tension dans certains métiers et la forte attractivité des entreprises étrangères obligent les sociétés françaises à offrir un environnement très favorable aux collaborateurs et à les fidéliser. Le contrat social qui fonde la relation entre les salariés du secteur et les employeurs est donc un enjeu de premier ordre. Il s'appuie sur une majorité d'embauches en contrat à durée indéterminée (plus de 68 % des salariés). Mais l'absence de régime collectif du travail adapté entraîne de fortes disparités de régime et provoque une réelle fragilité dans la relation salarié/employeur. De plus, la réalité de nos cycles de production, qui réside dans un enchaînement de projets avec de fortes fluctuations au sein des équipes et des périodes de moindre charge, oblige à recourir à des contrats plus précaires. L'inadaptation du droit du travail à ces spécificités fragilise donc les entreprises et freine le recrutement de nombreux salariés car les sociétés ne peuvent s'engager sur une durée indéterminée. Afin de limiter cet effet, la mise en place d'un contrat de travail adapté aux rythmes de production inhérents au marché du jeu vidéo et à la très forte tension sur les métiers clés, est devenue indispensable. Elle permettra une plus grande attractivité de nos entreprises et une meilleure fidélisation des salariés grâce à une visibilité de plus long terme. »

Vos rapporteurs souhaitent que le groupe de travail interministériel actuellement en place prenne la mesure de cette contrainte pour la compétitivité des studios français et propose la création d'un contrat de travail ad hoc , adapté aux cycles de production tout en garantissant des droits protecteurs aux salariés.

c) L'épineuse question du droit d'auteur

La question du régime juridique applicable aux jeux vidéo en matière de propriété intellectuelle et artistique est également complexe. De fait, même si le jeu vidéo est considéré comme une oeuvre de l'esprit au sens de la loi n° 57-298 du 11 mars 1957 relative à la propriété littéraire et artistique et, à ce titre, protégé par le droit d'auteur (Cour de cassation, 1986), le code de la propriété intellectuelle n'en fait nulle mention.

Le principal sujet de débat concerne, en conséquence, l'application du droit d'auteur à cette industrie culturelle, débat dont la réponse dépend grandement de la qualification qui est donnée du jeu vidéo comme oeuvre logicielle, oeuvre multimédia, oeuvre audiovisuelle ou base de données, mais également des conditions de son élaboration (oeuvre collective ou oeuvre de collaboration).

À la différence d'une oeuvre de collaboration, définie par l'article L. 113-2 du code de la propriété intellectuelle comme « une oeuvre créée par plusieurs personnes physiques et uniquement par des personnes physiques » , qui est la propriété commune des coauteurs qui en partagent le droit (article L. 113-3), est dite collective, selon le même article, « l'oeuvre créée sur l'initiative d'une personne physique ou morale qui l'édite, la publie ou la divulgue sous sa direction et son nom et dans laquelle la contribution personnelle des auteurs participant à son élaboration se fond dans l'ensemble en vue duquel elle est conçue, sans qu'il soit possible d'attribuer à chacun d'eux un droit distinct sur l'ensemble réalisé. » En outre, aux termes de l'article L. 113-5, sauf preuve contraire, l'oeuvre collective est la propriété de la personne physique ou morale sous le nom de laquelle elle est divulguée . Le titulaire peut donc exploiter librement l'oeuvre et n'a pas à associer les contributeurs au résultat lorsqu'ils ont déjà reçu une rémunération forfaitaire.

Pour nombre de spécialistes, le jeu vidéo serait une oeuvre collective et ces créateurs ne bénéficieraient pas, à ce titre de la protection du droit d'auteur de façon individuelle. Le SNJV a défendu cette option lors de son audition par le groupe de travail, en estimant que le droit d'auteur ne pouvait pas réellement s'appliquer à la production en équipe. Dans le jeu, en effet, l'importance du travail de chacun varie d'une production à l'autre selon, par exemple, que le jeu est plus ou moins graphique ou musical. Souvent, le nom des créateurs n'est même pas connu et le responsable de la production est en réalité plutôt un animateur d'équipe, fréquemment intéressé au capital du studio. La personne morale titulaire des droits serait donc bien le studio.

Cette position a également été soutenue par Emmanuel Olivier, ancien président-directeur général d'Index +, pour lequel, sauf accord contraire, il doit y avoir cession des droits au studio, en contrepartie d'une rémunération forfaitaire avec ou sans intéressement, quels que soient les horaires de travail et le type de contrat de travail. De même, pour Olivier Lejade, fondateur et directeur de Mekensleep, également auditionné par le groupe de travail, le processus de création d'un jeu vidéo n'a rien à voir avec celui des autres produits culturels . La notion d'auteur n'a pas de sens : il s'agit bien d'une création collective. L'intéressement serait donc, selon lui, plus légitime que le droit d'auteur.

À l'inapplication du droit d'auteur à une oeuvre collective, si l'on considère que le jeu vidéo répond à cette définition, s'ajoute la difficulté à mesurer la part du travail de chaque intervenant dans une création alors même, par exemple, que les joueurs peuvent également devenir co-auteurs, par exemple de certains jeux en ligne. Cette difficulté est notamment soulevée par Sébastien Genvo, dans son « Introduction aux enjeux artistiques et culturels des jeux vidéo » en 2003 : « Si le jeu vidéo peut être estimé comme un moyen d'expression artistique, il faut se demander qui est à l'origine de cette expression. En effet , à la différence de la plupart des disciplines artistiques, il est très difficile d'estimer qui sont réellement les auteurs d'une oeuvre de jeu vidéo . Ainsi, qui est réellement l'auteur d'un personnage de Diablo 2 ? Est-ce le graphiste du jeu qui a dessiné les différentes formes que peuvent prendre les personnages, est-ce la personne qui a défini le concept global du personnage (...) , est-ce l'ensemble des personnes qui ont conçu le jeu ou est-ce le joueur qui façonne son personnage d'après les éléments mis à sa disposition par le programme ? De même, alors que le jeu Conter Strike est originellement pourvu d'un certain nombre de cartes, il est possible pour n'importe quel utilisateur de créer ses propres cartes avec des logiciels mis en libre circulation sur Internet, logiciels qui sont légaux et gratuits. Le véritable auteur du jeu est-il alors le concepteur du programme, les graphistes, ou l'utilisateur qui créé l'architecture dans laquelle va se dérouler la partie ? »

Pour Sébastien Genvo, dans son ouvrage précité : « Si de nombreux cas juridiques démontrent que le jeu vidéo jouit effectivement de la protection du droit d'auteur, il est néanmoins indéniable que cette protection est couramment rendue caduque, de nombreux principes régissant le droit d'auteur s'appliquant mal au concept même de jeu vidéo . Ainsi, le droit moral d'un auteur de ne pas voir son oeuvre modifiée est inapplicable au jeu vidéo qui est une oeuvre sans cesse modifiée par son utilisateur. (...) De même, le principe d'originalité comme reflet d'éléments propres à la personnalité d'un auteur, ou d'une entité définie comme auteur, ne peut prendre effet dans un jeu vidéo, (...) médium où chaque joueur a la possibilité de faire du jeu une oeuvre qui lui est propre, modifiant l'oeuvre créée originellement pas ses concepteurs. »

À l'origine, le jeu vidéo bénéficiait en revanche de la protection relative aux logiciels , ce qui était effectivement adapté les premières années : jusqu'aux années 90, l'essentiel des équipes était composé de programmeurs. Dans un arrêt de 1997, la Cour d'appel de Caen confirme cette assimilation du jeu vidéo à une oeuvre logicielle, car le logiciel apparaît comme « spécifique et primordial dans le produit complexe qu'est le jeu vidéo ». Mais, dès 1999, la cour d'appel de Versailles fait le choix de le qualifier d'oeuvre collective. Puis, la Cour de cassation revient à l'oeuvre logicielle en 2000, tandis que la Cour d'appel de Paris lui préfère la qualification d'oeuvre de collaboration et d'oeuvre audiovisuelle en 2004 et en 2007. Avec l'arrêt Cryo du 25 juin 2009, corroboré par la Cour d'appel de Paris en 2011, il est enfin question de qualification distributive du jeu vidéo : la cohabitation de plusieurs régimes de droits d'auteur en fonction des différentes composantes du jeu (graphisme, musique, logiciel et narration) est affirmée.

Ces décisions contradictoires illustrent l'instabilité jurisprudentielle qui a marqué, ces dernières années, le débat sur le droit d'auteur en matière de jeux vidéo .

En réalité, en l'absence d'un régime juridique établi, le débat sur l'application du droit d'auteur aux jeux vidéo n'a jamais cessé, en raison du souhait de certaines sociétés de gestion collective, et notamment la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD) de bénéficier des revenus générés par cette industrie , comme le rappelait le Syndicat des éditeurs de logiciels de loisirs (SELL) lors de son audition.

La mission confiée à Jean Martin et Valérie-Laure Benabou par le Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique en 2004 33 ( * ) , puis celle de Patrice Martin-Lalande en 2011 34 ( * ) , ont traité de cette question, sans toutefois aboutir à une solution partagée par l'ensemble des acteurs. À la suite de ces échecs, Aurélie Filippetti a demandé, peu de temps après sa nomination comme ministre de la culture et de la communication, à Philippe Chantepie de relancer les négociations dans un contexte où les protagonistes ne poursuivaient pas les mêmes objectifs en la matière : la SACD était favorable à l'application du régime de l'oeuvre audiovisuelle, tandis que la SCAM préférait le modèle applicable aux journalistes, dans une logique d'oeuvre collective. Par ailleurs, Ubisoft penchait pour une rémunération forfaitaire (intéressement), alors que le SNJV était ouvert à une part de droits d'auteur dans le calcul des rémunérations.

Philippe Chantepie a donc engagé des discussions individuelles avec le SELL, le SNJV, Ubisoft, la SCAM, la SACD et la SACEM, ce qui a permis d' aboutir à une solution de compromis en septembre 2012 consistant en la création d'une nouvelle catégorie d'oeuvres et en un système de cession des droits avec une présomption quasi-irréfragable au profit de l'entreprise. La rémunération des salariés était fonction d'une négociation entre le salarié et son studio et devait être proportionnelle aux résultats, sauf accord d'entreprise. Restait à définir l'assiette à laquelle devait s'appliquer cette rémunération, probablement un pourcentage du chiffre d'affaires car Ubisoft ne voulait pas donner d'informations à ses concurrents sur le nombre d'exemplaires vendus. Chaque studio devait en outre déterminer qui était ou non créateur du jeu. Finalement, malgré ce compromis, les acteurs du jeu vidéo ont renoncé à l'application du droit d'auteur à l'automne 2012.

De fait, certains obstacles n'avaient pu être supprimés, notamment l'existence de contrats différents au sein d'un même studio : certains créateurs sont des « free-lance », les scénaristes par exemple, rémunérés selon un contrat qui varie en fonction de leur prestation, et d'autres des salariés. En outre, les sociétés de gestion collective prennent une commission sur leur activité : si cela ne pose pas de difficulté dans le cas d'une gestion des droits au long cours, tel n'est pas le cas du jeu vidéo , qui a une durée de vie très courte. Il n'existe par ailleurs pas de catalogue des droits (pas de rémunération possible sur la distribution), en raison de l'obsolescence rapide des jeux et des supports.

Une avancée a toutefois été réalisée en 2012 au profit des compositeurs de musique de jeux, rémunérés sur leurs droits par la SACEM. De ce point de vue, cette évolution vient conforter la qualification distributive du jeu vidéo issue de l'arrêt Cryo du 25 juin 2009 (à chaque composante du jeu, son régime de rémunération). Il convient de rappeler à cet égard qu'un accord avec la SACEM a longtemps été rendu impossible en raison des tarifs trop élevés de la société de gestion au regard de ceux pratiqués outre-Atlantique (Ubisoft rétribuait d'ailleurs les compositeurs britanniques et américains sans difficulté). Les négociations ont permis de trouver un accord avec Ubisoft en juin 2012, puis d'autres sociétés s'y sont associées. Ankama est ainsi en cours de discussion. Cela étant, les compositeurs de musique de jeux ne sont généralement pas salariés du studio, ce qui rend l'application du droit d'auteur plus aisée, comme le soulignait Philippe Chantepie devant le groupe de travail.

Mais, au total, aujourd'hui, hormis les compositeurs de musique de jeux, seuls quelques créateurs de jeux touchent des droits d'auteur et une infime minorité en vit , à l'instar de Michel Ancel (Ubisoft) et David Cage (Quantic Dream). Chez Quantic Dream, le chef décorateur bénéficie également d'un contrat d'auteur sur la production en cours.

En réalité, la majorité des studios français a fait le choix d'intéresser les salariés aux résultats du jeu, en contrepartie d'une cession de leurs droits. Ainsi, 20 % des royalties sur les ventes seront attribués à l'équipe du nouveau jeu développé par Quantic Dream. Ce système prévaut dans les grands studios du monde entier et rapporte beaucoup d'argent aux salariés en cas de succès. Sachant, encore une fois, que seuls 20 % des jeux produits au niveau mondial seront distribués et que 4 % gagneront de l'argent , cette proportion étant encore inférieure s'agissant des jeux sur mobiles.

Il s'avère que ce mode de rémunération semble en réalité satisfaire les salariés du jeu vidéo. Les contentieux sont rares et aucune demande syndicale particulière ne se fait jour pour que le droit d'auteur s'applique à cette industrie. Les salariés préfèrent porter leurs efforts sur la négociation d'accords salariaux et cette situation semble identique à l'étranger. Selon l'exemple cité par Alain Le Diberder lors de son audition, une mission parlementaire britannique, qui avait étudié, au début des années 2000, les bonnes pratiques de gestion des auteurs de jeux vidéo au Japon, avait constaté que, lorsque le jeu était terminé à temps, 5 à 10 % du chiffre d'affaires de l'éditeur revenait à l'équipe. Le responsable de l'équipe le distribuait ensuite comme il le souhaitait, au moment où le jeu suivant était terminé, ce qui avait l'avantage de fidéliser l'équipe d'une production à l'autre.

La fidélisation et la motivation des salariés constituent en effet une double conséquence positive du système de l'intéressement . D'ailleurs, l'Association pour l'emploi des cadres (APEC) et l'Université de Paris-Dauphine travaillent sur le secteur du jeu vidéo pour mesurer la part de l'intéressement dans la motivation des salariés.

Selon Philippe Chantepie, l'absence de droit d'auteur dans le jeu vidéo ne comporte in fine qu'un risque juridique très faible (très peu d'arrêts dans la jurisprudence, essentiellement en cas de développement de produits dérivés) car, dans la majeure partie des cas, les salariés n'ont pas intérêt à réclamer des droits qui seraient inférieurs à leur intéressement . De fait, les créateurs de jeux ne sont pas en demande de droits d'auteur. La contribution personnelle s'efface devant l'oeuvre collective, même si certains souhaiteraient voir apparaitre leur nom sur le jeu. Mais il est également exact que les petits studios, qui foisonnent avec l'essor des jeux sur mobiles et tablettes moins coûteux à produire, n'ont pas toujours une politique d'intéressement convenable pour les créateurs.

Si l'affaire semble désormais entendue, vos rapporteurs n'émettront qu'un seul regret : l'application du droit d'auteur au jeu vidéo aurait pu permettre de lui donner un attribut symbolique des industries culturelles et la reconnaissance institutionnelle tant attendue par le secteur. Peut-être peut-on envisager que les récents accords signés avec la SACEM en application, en quelque sorte, de la jurisprudence Cryo , trouveront à terme une équivalence pour les autres composantes du jeu.

Une autre réflexion concerne le bénéfice, pour les jeux vidéo, de la rémunération pour copie privée. Pendant longtemps, certains acteurs du jeu vidéo ont souhaité son application, arguant du fait qu'à l'époque la jurisprudence qualifiait le jeu vidéo d'oeuvre logicielle (copie de sauvegarde), puis ont abandonné cette idée pour ne pas handicaper encore plus des entreprises souvent fragiles. En effet, une telle taxation aurait pour effet d'augmenter sensiblement le prix des consoles , selon la capacité de stockage de leur disque dur.

En outre, le SELL et le SNJV font valoir que les jeux sont de plus en plus fréquemment stockés sur des serveurs, et moins sur des ordinateurs, ce qui limiterait l'intérêt de ce type de rémunération, à moins que le dispositif ne soit modifié pour s'appliquer aux ordinateurs et aux consoles munies d'un disque dur interne. Une telle option est envisagée depuis 2007, mais la commission sur la rémunération pour copie privée, qui a adopté une délibération sur l'examen de nouveaux supports imposés en avril 2010, en a à ce jour épargné les consoles.

Pourtant, les jeux occupant une place importante dans la mémoire, le barème de la redevance pourrait être intéressant. Cependant, si la redevance pour copie privée s'appliquait au secteur du jeu vidéo sans augmentation de la taxe, il faudrait diminuer la rente d'autres secteurs , comme cela s'est passé en 2003 où la musique et l'audiovisuel ont réduit leur rémunération pour permettre l'entrée des arts visuels et écrits dans le dispositif. Sur ce point, dans la mesure où le produit de la taxe n'est pas directement affectable et où les entreprises du jeu vidéo ne sont pas représentées à la commission sur la rémunération pour copie privée, il est à craindre qu'en réalité elle ne leur bénéficie que fort peu, raison pour laquelle vos rapporteurs ne sont pas favorables à une telle évolution.

III. « JOUER FRANÇAIS » DEMAIN

A. DES OBSTACLES À LEVER

Notre pays dispose des capacités techniques et humaines pour demeurer l'un des tous premiers producteurs de jeux vidéo au monde, voire pour regagner les places perdues ces dernières années. Il devra toutefois lever certaines difficultés structurelles qui pèsent aujourd'hui sur le développement du secteur.

1. Assurer la stabilité de l'environnement normatif

Le premier obstacle, qui ne peut donner lieu en tant que tel à des mesures concrètes mais se doit d'être cité, est l' instabilité du cadre fiscal et règlementaire .

Ainsi que le souligne Nicolas Gaume, président du SNJV, l'une des deux grandes « malédictions » dont souffre le secteur des jeux vidéo est « un écosystème juridique, fiscal et social terriblement instable » 35 ( * ) .

Les entreprises du secteur sont en majorité de petite taille, et ne peuvent amortir les chocs que représentent des bouleversements de leur environnement normatif. « Quelles que soient les règles », poursuit en ce sens Nicolas Gaume, « elles devraient être... compréhensibles et stables. Que de changements et d'amendements au gré des humeurs, des effets d'annonce politique et, pire encore, face à la méconnaissance du monde de l'entreprise par nos élus ».

La structuration de notre industrie du jeu vidéo, résolument tournée vers l'international, rend cette limite très perceptible. « Avec les trois-quarts de nos ventes en dehors de France, majoritairement en Amérique et en Asie, notre secteur est particulièrement sensible à cette instabilité de notre cadre de travail », souligne le président du SNJV, qui ajoute : « pour retenir une des conséquences de cette faiblesse de notre pays, on constate que la mortalité de nos entreprises est quasiment un tiers supérieure à celles des entreprises de nos voisins allemands ».

Les représentants du SELL, autre syndicat du secteur, ont, eux aussi, insisté auprès du groupe de travail sur le fait que la « première demande » de la filière était bien de « ne pas alourdir le cadre règlementaire et fiscal » qui l'environne, et notamment de garantir une « stabilité du cadre juridique autour de la propriété intellectuelle et du droit d'auteur ».

Le Gouvernement devra bien avoir en tête cet impératif de stabilité lorsqu'il s'agira de traduire en mesures effectives les travaux du groupe de travail qu'il a mis en place début avril, notamment en matière fiscale. Pour leur part, vos deux rapporteurs insistent sur la nécessité de stabiliser le cadre normatif du secteur.

2. Une offre de capital risque quasi inexistante

La deuxième des grandes « malédictions » du secteur du jeu vidéo mises en avant par Nicolas Gaume, après l'instabilité de son environnement, tient à « une absence d'outils de financement de fonds propres adaptés ». S'il peut offrir des retours sur investissement très élevés, le secteur est en effet très exigeant en capitaux sur fonds propres : la fabrication d'un jeu pour Facebook , pour le Web ou les smartphones coûte entre 50 000 et 300 000 euros, et celle d'un jeu pour console de 5 à 20 millions d'euros.

Dans les années 90, les entreprises qui avaient la capacité d'investir massivement - portées notamment par le développement des marchés boursiers - sur les nouveaux environnements de jeux ont pu devenir des acteurs importants de la production mondiale de jeux vidéo. Mais la part de risque ayant augmenté avec la multiplication des plateformes, les financements se sont taris et les entreprises ne sont aujourd'hui plus en capacité de produire leurs titres, faute de financement .

Ainsi, les capital-risqueurs n'investissent pas suffisamment dans le secteur, et tendent même à réduire leurs apports. La différence de culture de ce point de vue entre notre pays et les États-Unis parle d'elle-même. En 2008, dont datent les derniers chiffres connus, le capital-risque pour le jeu vidéo représentait 30 milliards d'euros outre-Atlantique. En France, les sommes allouées n'étaient que 45 millions d'euros la même année, contre 570 millions d'euros au début des années 2000, le capital d'amorçage passant pour sa part de 74 à 26 millions d'euros.

Pour simplifier, souligne le président du SNJV, « on pourrait dire que le jeu vidéo exige les montants généralement traités par les fonds communs de placement dans l'innovation (FCPI) avec le niveau de risque des Fonds communs de placement à risque (FCPR) ». Il ne convient donc ni à l'un, ni à l'autre de ces instruments, qui constituent la base de notre système de financement pour la création d'entreprises.

Le document adressé par le SNJV aux candidats à la dernière élection présidentielle 36 ( * ) , faisait de la réponse à la question du financement la première des dix mesures qu'il préconisait de prendre.

Les entreprises du secteur du jeu vidéo, comme plus généralement celles du numérique, souffrent d'une sous-capitalisation chronique, y était-il indiqué. Dans un contexte de très forte concurrence internationale, leur capacité d'investissement, déterminante pour leur capacité à exister sur les marchés en croissance, se trouve extrêmement fragilisée. Elles se développent donc avec des fonds propres réduits, quand leurs concurrentes étrangères mobilisent des millions d'euros et prennent le leadership .

Le manque de visibilité du secteur en est un facteur explicatif . Paradoxalement, alors qu'il dépense des sommes extravagantes dans le marketing , le secteur souffre d'une insuffisante médiatisation auprès des décideurs financiers. « Rares sont les investisseurs institutionnels ou entrepreneuriaux à s'intéresser au jeu vidéo, souvent par méconnaissance et peur d'un secteur empreint de préjugés », observe Nicolas Gaume.

Ce manque de reconnaissance incite les développeurs à se tourner vers des modèles alternatifs de financement, qui évitent les canaux incertains du capital-risque. C'est ainsi que les plateformes de financement participatif soutenant la production de certains artistes trouvent une utilité dans le secteur des jeux vidéo.

3. Un marché dominé par quelques géants où les PME ne parviennent pas à une « masse critique »

Le paysage vidéoludique français, hormis quelques grosses structures comme Ubisoft ou Ankama, est surtout composé de TPE et de PME. Celles-ci présentent des caractéristiques qui sont en phase avec les qualités requises dans le secteur : rapidité de réaction, créativité et inventivité, ou encore la souplesse d'exécution.

Majoritaire en nombre, ce type d'entreprises n'est pas cependant celui qui crée le plus de valeur, captée par les plus importantes, qui possèdent une véritable force de frappe matérielle et financière. Tout l'enjeu pour le dynamisme du secteur est de parvenir, pour cette myriade de TPE et PME, à une « masse critique » assurant leur pérennisation et leur permettant de nourrir des prétentions à l'international .

Le modèle économique de l'industrie du jeu vidéo explique ce paysage très contrasté. Ainsi que le souligne Valérie Bourgouin, chef du service « jeu vidéo et création numérique » au CNC 37 ( * ) , « à chaque nouvelle console, les investissements nécessaires en recherche et développement sont plus longs, les équipes plus importantes. Cette production est donc de plus en plus concentrée : les éditeurs axes leurs investissements sur des licences à succès, assurent la fabrication en maîtrisant toute la chaîne de fabrication, conservent les droits d'exploitation et laissent peu de place à la création indépendante ».

L'évolution de la distribution, qui passe de plus en plus par des plateformes dématérialisées, pourrait permettre de faire évoluer les choses . Dans le modèle de commercialisation traditionnel, en magasin, c'est l'éditeur qui finance, et capte l'ensemble des droits de propriété. Dans le modèle de la distribution digitalisée, des studios indépendants, qui ne sont plus contraints de passer par un éditeur, peuvent accéder au marché tout en conservant la valeur patrimoniale de leurs productions.

« Cela permet à de plus petites structures de développer des jeux très créatifs, dans des économies moins ambitieuses, tout en conservant la majorité des recettes sur les ventes », observe Valérie Bourgoin. Avec à la clef, si le produit est de qualité et rencontre l'intérêt du public, des succès commerciaux et une profitabilité renforcée qui peuvent contribuer au développement de petites sociétés.

Les petits studios indépendants sont aujourd'hui engagées dans une démarche consistant à se positionner comme des producteurs à part entière, autour de projets qu'ils initient et qu'ils portent entièrement, susceptibles de créer de la valeur catalogue. Le problème, dans ce schéma, viendra davantage - et paradoxalement - de la difficulté à obtenir de la visibilité : « le jeu vidéo n'est plus un objet rare, bien au contraire », poursuit la chef de service au CNC, « on y trouve pléthore d'offres, gratuites ou payantes, à l'acte, dans le jeu ou par abonnement, sur toutes les plateformes ».

4. Une grande faiblesse managériale

Les entreprises du secteur des jeux vidéo souffrent trop souvent de l'absence dans leurs équipes de professionnels du management , qui soient à même de gérer les différentes fonctions support et de diriger les équipes.

Dès 2008, une étude prospective sur le secteur du jeu vidéo 38 ( * ) insistait sur le « déficit de structure des équipes », recommandant de « créer des fonctions dédiées sur certains enjeux clés tels que le marketing /commerce, la gestion de production et la gestion des RH », de « mettre en place un encadrement intermédiaire sensibilisé à la gestion des équipes et des prestataires extérieurs » et de « développer fortement le recours à la formation professionnelle aussi bien au niveau des salariés que du management ».

Cette carence a été mise en avant comme un important facteur limitant le développement des entreprises de la filière. Le problème vient en fait d' une confusion des rôles et d'une absence d'identification de ces fonctions de management au sein des entreprises , dont la petite taille - le secteur compte 250 PME, rappelons-le - est évidemment un facteur explicatif. Ainsi, la direction d'équipes est, dans le pire des cas, inexistante, et la plupart du temps prise en charge par des salariés exerçant d'autres fonctions au sein de l'entreprise ou n'ayant pas de formation adaptée.

À ce dernier égard, dans un article posté sur son blog, un ancien développeur, reconverti dans le management financier 39 ( * ) pose un regard plein d'acuité sur un sujet qu'il a lui-même expérimenté. L'absence de profil spécifique de managers « de fait » est son reproche majeur. « Mon principal grief vis-à-vis des managers dans notre industrie (...) est qu'ils n'ont aucune formation de manager , ils le deviennent principalement sur le tas par évolution de carrière ou par opportunité et non par choix et fonction de leur capacité ».

À cette carence s'ajoute l'exercice simultané de diverses fonctions - dont celle de manager - dépourvues de tout rapport entre elles. « Ma carrière a été parsemée de mauvais managers . La plupart cumulaient aussi le rôle de producer ou de leader . C'est une erreur fréquente que j'ai constatée à maintes reprises. Pourtant, il y a une énorme différence entre un leader et un manager et cela demande des compétences bien distinctes. Vous admettrez que ce sont des qualités bien différentes de celles demandées sur un CV pour les postes de programmeurs, artiste ou même testeurs qui pourtant deviendront par évolution de carrière manager ».

Pourtant, le SNJV s'est lancé dans une démarche d'identification et de description des métiers du jeu vidéo à l'échelle nationale, aboutissant à un référentiel formalisé avec les acteurs du secteur et publié en octobre 2012. Or, le groupe « management » constitue le premier des cinq groupes de métiers identifiés 40 ( * ) . Il comprend quatre grands types de métiers que sont : directeur de production, chef de projet, directeur marketing et chef de produit.

Requérant a minima un bac +4, et plus sûrement un master of business administration (MBA), ces métiers font principalement appel aux compétences et activités de gestion (stratégique, commerciale, financière et budgétaire, mais également gestion de projets, de méthodes, de la qualité et de la communication) et de management (de salariés ou d'équipes).

Ainsi, la nécessité et la consistance des métiers de la gestion et du management dans le secteur des jeux vidéo ont bien été identifiés et précisés, et ce par la filière elle-même, puisque c'est elle qui a nourri les travaux qui ont débouché, sous la gouvernance du SNJV, à ce référentiel professionnel.

5. Des aides publiques mal calibrées et insuffisamment ciblées

Si les aides pour le financement du secteur ont le mérite d'exister, leur montant et leurs conditions d'octroi limitent leur efficacité.

Le FAJV est jugé utile dans son principe même , car il permet d'initier des prototypes et des maquettes, et de faciliter la phase de pré-production. Cependant, l'enveloppe qui y est consacrée ne s'élève qu'à trois millions d'euros environ chaque année.

De plus, la subvention accordée au titre du FAJV couvre 50 % de la création. Toutes les dépenses réalisées au titre du marketing, de la publicité, de la communication et de la commercialisation n'entrent donc pas dans le budget qui peut être financé . Or, ainsi que cela a été souligné, il n'est pas rare que cette partie « non créative » coûte autant, voire davantage que la partie « développement » du jeu.

Le CIJV a été jugé globalement très utile par les personnes auditionnées, l'une estimant même qu'on lui devait la survie du secteur dans notre pays.

Mais a également été stigmatisée la complexité de sa mise en oeuvre et son insuffisance . La dépense fiscale réalisée à ce titre en 2012 a été relativement faible, de l'ordre de deux millions d'euros, tandis que quarante-sept millions d'euros seulement ont été octroyés au titre de cette mesure depuis sa mise en place.

Cette faiblesse est patente au regard de territoires concurrents, tels que le Québec ou l'Ontario au Canada. Depuis 1996, le crédit d'impôt remboursable relatif à la production de titres multimédias y bénéficie aux sociétés qui produisent à plus de 90 % ce type de titres. Il s'y élève à 30 % à 37,5 % des dépenses, là où il est restreint à 20 % dans notre pays.

Mais la principale critique à l'égard du CIJV concerne ses critères de sélection, extrêmement restrictifs et très orientés sur des considérations culturelles. Pour bénéficier du crédit d'impôt, les jeux vidéo doivent en effet satisfaire à plusieurs exigences. En particulier, ils doivent soit constituer une adaptation d'une oeuvre préexistante du patrimoine européen, soit remplir un critère de qualité et d'originalité du concept et de contribution à l'expression de la diversité culturelle et de la création européennes. Ces deux critères visent à ne faire bénéficier du crédit d'impôt que les jeux vidéo qui sont des produits culturels.

Le CIJV, un crédit d'impôt « à points » complexe

Le régime du CIJV est fixé par les articles 220 terdecies et 220 X du code général des impôts, qui ont donné lieu au décret du 29 mai 2008 41 ( * ) pris pour leur application, et à l'arrêté du 29 mai 2008 42 ( * ) pris à son tour en application de ce dernier. Pour être éligibles au CIJV, les jeux doivent, notamment, obtenir un certain nombre de points parmi des éléments d'appréciation figurant dans deux types de groupes :

1° Un groupe « Auteurs et collaborateurs de création », comprenant les six catégories de professions et d'activités suivantes :

a) Directeur créatif ou réalisateur ;

b) Responsable de la conception des mécanismes du jeu ;

c) Scénariste ;

d) Directeur artistique ;

e) Compositeur de la musique ou créateur de l'environnement sonore ;

f) Membre de l'équipe de création, comprenant notamment les artistes conceptuels et environnementaux, les infographistes, les concepteurs de niveau, les personnels en charge du son, les concepteurs des mécaniques du jeu, et les programmeurs.

2° Un groupe « Contribution au développement de la création », comprenant les cinq sous-groupes suivants :

a) Le sous-groupe « Création d'origine patrimoniale » ;

b) Le sous-groupe « Originalité de la création » ;

c) Le sous-groupe « Contenus culturels » ;

d) Le sous-groupe « Localisation des dépenses et nationalité des auteurs et collaborateurs de création » ;

e) Le sous-groupe « Innovations technologiques et éditoriales ».

Sont considérés comme contribuant au développement de la création française et européenne en matière de jeux vidéo ainsi qu'à sa diversité les jeux vidéo qui réunissent un nombre minimum de points fixé par arrêté conjoint du ministre chargé de la culture et du ministre chargé de l'industrie.

L'évaluation de l'éligibilité est effectuée par un comité d'experts composé de représentants des administrations françaises et de personnalités qualifiées, qui n'appartiennent pas forcément au monde du jeu vidéo, et qui peuvent aussi représenter d'autres disciplines culturelles. Ce groupe d'experts, qui vérifie le respect des critères culturels, émet un avis sur la base duquel le ministère de la culture et de la communication donne son agrément.

Il apparaît dans les faits que le découpage de ce barème donne lieu à des exigences qualitatives très élevées, notamment eu égard à des éléments d'appréciation d'ordre culturel à la fois éminemment subjectifs et parfois difficiles à satisfaire pour certains « hits » pourtant très populaires auprès du public des joueurs.

Il y a donc une sorte de dichotomie entre ces soixante-quatre critères quelque peu abstraits, difficilement saisissables et privilégiant un certain type de jeux, et une industrie française du jeu vidéo qui existe et est mondialement reconnue à travers sa grande diversité.

De plus, le CIJV ne finance que des jeux ayant un coût de développement relativement élevé, supérieur ou égal à 150 000 euros. Or, tous les éditeurs n'ont pas les moyens de produire des jeux de cette envergure. Il y a donc une utilisation du CIJV inférieure à ce qu'elle pourrait être , ce qu'ont d'ailleurs souligné les responsables de la Direction générale de la compétitivité, de l'industrie et des services (DGCIS).

Le CICE a été utilisé par les entreprises du secteur, mais a vu ses effets bénéfiques absorbés par l'accroissement de certaines impositions. Ainsi, pour une société comme Ankama, il a eu un impact de 500 000 euros, soit 4 % des coûts de développement. Mais, l'entreprise ne souhaitant pas, pour des raisons commerciales, augmenter le tarif des abonnements à ses jeux en ligne, cet avantage sera réduit à néant par la hausse de la TVA décidée par le Gouvernement dans le cadre du pacte pour la compétitivité. En effet, en vertu de celle-ci, dès le 1 er janvier 2014, le taux de TVA normal passera de 19,6 à 20 % et le taux intermédiaire sera porté de 7 à 10 %.

Le CIR est présenté comme utile pour les entreprises du secteur, notamment dans son compartiment « innovation ». Pour une entreprise comme Quantic Dream, qui employait une quarantaine de personnes en R&D et qui réalisait 8,5 millions d'euros de chiffres d'affaires en 2011, le CIR a représenté environ un million d'euros.

Toutefois, plusieurs limites ont été pointées.

En amont tout d'abord, pour ce qui est du montage de dossiers par les entreprises y prétendant. En effet, celles-ci sont, dans la grande majorité des cas, des PME qui ne disposent pas en interne des moyens matériels, techniques et humains pour réaliser et déposer auprès de l'administration des finances de telles demandes. Elles doivent donc recourir à des cabinets spécialisés , qui se sont multipliés ces dernières années, avec l'augmentation de l'enveloppe fiscale liée au CIR.

Or, ces officines ont pour certaines d'entre elles des pratiques douteuses. Elles démarchent d'elles-mêmes ces PME en les « poussant à la consommation », sans que ces dernières ne rentrent nécessairement dans le cadre du CIR ou du CII. Elles prennent des commissions substantielles , de l'ordre de 25 à 30 % du crédit d'impôt. Certaines continueraient même à se rémunérer au pourcentage, alors que le législateur a cherché à arrêter ces pratiques en pénalisant les entreprises qui les acceptaient.

Par ailleurs, les PME sont très sensibles aux contrôles réalisés par l'administration fiscale dans le cadre du CIR ou du CII, et aux risques de requalification qu'ils entraînent pour elles.

En effet, dans de tels cas, les entreprises déclarantes doivent pouvoir fournir tous les documents justificatifs pertinents, financiers comme scientifiques. Le contrôleur fiscal responsable de leur dossier valide seul le bien fondé du montant déclaré. En cas de doute sur l'éligibilité technique du projet, il peut demander une expertise auprès du ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche, qui mandate alors un expert scientifique afin de valider les critères de recherche et développement du projet.

L'irruption de ces experts, généralement issus du milieu universitaire et compétents dans des domaines identiques ou proches du projet valorisé, est souvent mal vécue par les entreprises contrôlées. Celles-ci les estime, certes détenteurs de connaissances théoriques poussées sur le sujet, mais extérieurs à leurs problématiques et trop éloignés de la réalité de terrain pour pouvoir juger de la pertinence et de l'éligibilité des dépenses de recherche effectuées.

Enfin, le statut de JEI est utilisé par les entreprises du secteur, qui le jugent intéressant en cas d'importants résultats (par le biais de l'exonération d'impôt sur les sociétés) ou d'emploi de nombreux salariés (par celui de l'exonération de charges). Néanmoins, le niveau trop bas de son plafonnement a été souligné par différents intervenants.

B. DES ATOUTS À PRÉSERVER

1. Des formations de grande qualité

L'élite mondiale des programmeurs et des designers de jeux est en partie formée en France, assurent les professionnels du secteur. Mais les créateurs de studios et les salariés du secteur du jeu vidéo ne sont pas , et loin s'en faut, issus d'un type de formation unique . Certains sont autodidactes, d'autres diplômés d'une école d'ingénieurs, dont plusieurs ont créé des filières dédiés aux jeux vidéo, d'autres encore de formations en graphisme, en design 3D ou en cinéma d'animation créées dans les années 1980 parallèlement au développement des images de synthèse.

On observe toutefois depuis plusieurs années la création de formations spécialisées dans le jeu vidéo (environ une cinquantaine, de niveau divers), dont certaines bénéficient déjà d'une renommée internationale. Ces écoles participent depuis plusieurs années à des compétitions internationales de jeux vidéo, d'où elles reviennent le plus souvent médaillées.

En 2013, l' Imagine Cup de Microsoft qui se tient à Saint-Pétersbourg au mois de juillet ne fait pas exception à la règle puisque trois équipes françaises (Ingésup, Supinfogame et l'Université d'Orléans) ont été sélectionnées pour la finale. En 2011, la France avait obtenu les deux premiers prix de la catégorie « games » et, en 2012, elle s'était hissée à la deuxième place.

Afin de mesurer cette évolution, le groupe de travail sénatorial a auditionné Marie-France Zumofen, directrice-adjointe, et Nicolas Esposito, enseignant-chercheur à l'école des Gobelins et s'est rendue à Valenciennes dans les locaux de Supinfogame.

a) Les Gobelins : une diversification difficile dans le domaine du jeu vidéo

L'école des Gobelins a été fondée en 1963 par la Chambre de commerce et d'industrie de Paris pour former les étudiants aux métiers de la photographie. En 1969, elle ouvre un département industries graphiques, puis une formation au cinéma d'animation en 1975. La diversification de l'école se poursuit en 1991 avec le multimédia et, enfin, en 2011 par le jeu vidéo.

L'école compte aujourd'hui 1 500 étudiants en formation continue et 700 en formation initiale, dont 400 en contrat d'apprentissage en alternance, notamment dans les filières industries graphiques et multimédia. Reconnue excellente dans ses différents domaines d'intervention - « Gobelins » est presque devenu une marque -, l'école place près de 100 % de ses diplômés au cours de l'année suivant leur sortie.

La formation dispensée en cinéma d'animation est particulièrement appréciée par les professionnels du jeu vidéo , qui engagent les étudiants des Gobelins pour travailler sur les décors de jeu.

Considérant que les besoins des studios en personnels formés sur la création de modèles de jeu (pour la 3D, le son, etc.), c'est-à-dire d'applications interactives en temps réel, et en « game design » n'étaient pas pleinement satisfaits par les formations existantes, et à la demande de Nathalie Kosciusko-Morizet, alors secrétaire d'État chargée de la prospective et du développement de l'économie numérique auprès du Premier ministre François Fillon, l'école des Gobelins a décidé d'ouvrir un enseignement spécifique aux jeux vidéo.

En association avec le Conservatoire national des arts et métiers (CNAM), cette nouvelle formation rassemble à parité des graphistes et des développeurs pour les préparer, après un diplôme de master 1 ou 2 ou équivalent, à un master professionnel en « Interactive digital experience ». Après cinq mois de cours et cinq mois de stage, ces étudiants sont capables de travailler sur des jeux sur tous types de supports.

Si le projet est ambitieux et ne manque pas d'intérêt, la réalité est encore différente. De fait, les aides financières promises à l'école par la région Ile-de-France et par la Chambre de commerce et d'industrie ne se sont jamais concrétisées, ce qui a fait croître le coût de la formation à 9 000 euros par étudiant, somme dissuasive pour de nombreux candidats . En outre, l'école peine à faire connaître cette nouvelle spécialisation, où d'autres structures disposent déjà d'une renommée certaine.

Au total, les deux dernières promotions n'ont compté que neuf diplômés chacune , contre une vingtaine espérée. À titre de comparaison, la filière en cinéma d'animation reçoit chaque année 600 candidatures pour vingt-cinq places et la filière multimédia, 400 candidatures pour quarante places.

b) Supinfogame : un succès français qui s'exporte

L'histoire de Supinfogame, créée en 2001 à Valenciennes par la chambre de commerce et d'industrie locale, est bien différente. Supinfogame, spécialisée dans le jeu vidéo, est l'une des trois écoles du groupe Rubika , qui comprend également Supinfocom, créée en 1988 pour l'animation en 3D et IDS Design, qui forme depuis 1988 également les étudiants au design en 3D.

Le groupe compte environ 1 400 étudiants repartis sur trois sites : Valenciennes, la maison mère (780 étudiants), Arles (200 étudiants en animation exclusivement) et Pune en Inde (450 étudiants). Les frais de scolarité s'élèvent à 6 700 euros par étudiant et par an, mais de nombreuses bourses sont attribuées.

L'aventure indienne du groupe Rubika à Pune, ville étudiante du centre de l'Inde, débute en 2006 à l'initiative de la société DSK et de son créateur Deepak Sakharam Kulkarni, qui souhaitait doter son pays d'une école de création numérique de niveau mondial et a sélectionné Rubika à cet effet. Désormais, des étudiants de tous horizons y bénéficient d'un enseignement dans l'une des trois écoles du groupe, dans un campus équipé des technologies les plus modernes.

Supinfogame rassemble pour sa part 200 étudiants, répartis entre les trois filières de formation : game design (création en 2001 avec vingt étudiants par an), game art (création en 2008 avec vingt-cinq étudiants par an) et programmation (création en 2012 avec seize étudiants). L'école recrute les bacheliers sur concours (dossier, épreuves écrites et entretien), recherchant des profils créatifs (le suivi d'une option en arts plastiques au lycée est apprécié) et passionnés. Cependant, la renommée de l'école attirant de plus en plus de candidats avec un niveau scolaire élevé, il s'avère que la passion du jeu ne suffit plus à être sélectionné, ce d'autant que des qualités rédactionnelles et des connaissances en culture générale sont recherchées, notamment pour la filière de game design . Au total, seul un candidat sur six entre à l'école , contre un sur quatre dans les deux autres écoles de Rubika.

Alors que le profil des candidats était il y a dix ans essentiellement masculin, du nord de la France et passionné d'informatique et de jeu vidéo, Supinfogame reçoit aujourd'hui des dossiers de toute la France et de l'étranger (dix nationalités en 2012), essentiellement de bacheliers généralistes et l'école compte 15 % de filles . Celles-ci choisissent majoritairement la filière de game art , où elles représentent 35 % des effectifs.

L'école dispense très peu de cours magistraux ; la pédagogie est organisée autour d'enseignements en classe par des professionnels en activité, de projets collectifs et individuels et de partenariats avec d'autres formations, notamment l'école des Beaux-Arts de Valenciennes, au conseil d'administration de laquelle siège d'ailleurs le groupe Rubika.

Au cours de leur formation, outre la maîtrise des outils techniques, les étudiants doivent développer un sens de la créativité et de l'innovation , qui deviendra leur signature artistique, lorsqu'ils exerceront des métiers aussi variés que design manager , réalisateur vidéoludique ou réalisateur numérique.

L'objectif de Supinfogame est de poursuivre le développement de nouvelles filières adaptées aux besoins mouvants du marché du jeu vidéo. L'école a également comme projet d'établir, au-delà des formations artistiques, des partenariats avec des écoles de commerce et d'ingénieurs, afin de renforcer la formation de ses étudiants en management et en conduite de projets . Dans ce cadre, la création d'une année supplémentaire optionnelle pour les futurs créateurs d'entreprises est envisagée.

À la rentrée 2014, les trois écoles s'installeront dans un faste espace de 17 000 m 2 , la « Serre numérique », réunissant des espaces de formation, mais également des laboratoires de recherche et de jeunes entreprises.

2. La « french touch » : entre créativité artistique et maîtrise technologique

Fruit de la qualité et de la pluridisciplinarité des formations françaises, mêlant technique, culture générale et travail en équipe, mais également de la dynamique des industries audiovisuelles et cinématographiques héxagonales, le talent des salariés français du jeu vidéo fait l'objet d'une large reconnaissance internationale , qui conduit nombre de studios étrangers à les recruter, moyennant parfois des conditions contractuelles fort attractives.

Pour Erwan Cario, auditionné par le groupe de travail, le succès de l'industrie du jeu vidéo en France dans les années 90 s'explique par l'excellence des formations qui y sont dispensées, notamment pour les graphistes dans les écoles des Gobelins et d'Angoulême (École nationale du jeu et du média interactif).

À titre d'exemple, les étudiants de Supinfogame trouvent à 95 % un emploi au cours de la première année suivant leur diplôme (85 % dans les six mois). Lors de la visite qu'il a effectuée à l'école, le groupe de travail a pu constater que nombre d'entre eux (25 %) sont directement embauchés par des studios étrangers, notamment en Asie et aux États-Unis.

La qualité des formations françaises est en grande partie l'héritage d'une maîtrise aboutie des enseignements artistiques supérieurs et de leur adaptation aux nouvelles technologies, via , en premier lieu, le film d'animation . Des écoles comme les Gobelins et Supinfocom ont ainsi construit leur renommée dans ce domaine avant d'élargir leur offre éducative aux métiers du jeu vidéo. Encore aujourd'hui, leurs diplômés en graphisme et en cinéma d'animation s'orientent vers le jeu vidéo, sans être pour autant issus de leurs filières spécialisées. À l'inverse, des formations technologiques, comme l'Université de technologie de Compiègne, ont choisi de développer, au sein de leur enseignement en ingénierie, un apprentissage aux techniques du jeu vidéo.

En tout état de cause, quelle que soit la facture initiale des formations proposées en France aux futurs professionnels du jeu vidéo, art et technique s'y mêlent, tandis que la culture générale et l'histoire occupent une place de choix .

Cet avantage comparatif est souligné dès 2003 par Fabrice Fries dans son rapport précité à Francis Mer 43 ( * ) : « Le principal [atout des acteurs français du jeu vidéo] tient au vivier de compétences, dont même les éditeurs désormais très internationalisés disent qu'il est probablement supérieur en France à ce qu'on trouve ailleurs . Il faut ici souligner que dès le début des années 90, les filières de formation à l'informatique - des grandes écoles aux DUT - se sont intéressées au secteur et qu'en matière de graphisme le Centre national de la bande dessinée d'Angoulême ou l'École nationale supérieure des arts décoratifs ont joué un rôle précieux dans le développement de la « French touch ». En 2001 s'est créé un DESS spécialisé en jeu vidéo, associant les universités de Poitiers, de La Rochelle et le CNAM. »

Les formations « à la française » conduisent à la production de jeux vidéo marqués par une spécificité culturelle, que Gaël Seydoux, producteur exécutif chez Ubisoft, définit ainsi dans l'entretien donné pour la revue Hermès 44 ( * ) : « Les Français ont des compétences spécifiques. Nous savons raconter et inscrire une narration soigneuse dans une ambiance dont nous maîtrisons les effets sur les joueurs. (...) Parmi nos points forts, je citerais aussi la direction artistique et le gameplay . [A contrario] , la supériorité des Américains est à chercher dans un savoir-faire dérivé de la grande tradition hollywoodienne : ils font montre d'une grande rigueur dans des mises en scènes ambitieuses, riches d'effets spéciaux, et savent immerger les joueurs dans des jeux d'action spectaculaires tout en soignant chaque détail. »

Qualité du graphisme, soin apporté à la narration et originalité de la mécanique de jeu constitueraient donc les atouts majeurs des jeux français . À titre d'exemple, les jeux développés par le studio français Quantic Dream, l'un des fournisseurs de Sony, sont reconnus pour leur poésie et leur qualité narrative ( Moebius réalisé en 1997 avec Paulo Coelho ou L'Anneau des Nibelungen en 1998). Pour sa part, Ubisoft, qui compte désormais vingt-huit studios à l'étranger, réserve à ses implantations françaises les productions nécessitant plus d'innovation et de créativité, à l'instar des Lapins Crétins , tandis que, à Montréal par exemple, sont développés les jeux de série de l'entreprise comme Assassin's Creed.

Il est d'ailleurs intéressant de rappeler que les aides du Centre national du cinéma et de l'image animée en faveur de l'industrie du jeu vidéo retiennent comme principal critère de sélection la créativité de la narration.

Un succès français : Hasta la Muerte

Loin des superproductions issues des grands studios, une petite structure française, Pohlm, a récemment connu le succès avec son jeu Hasta la Muerte , à l'univers narratif particulièrement original et à la signature artistique unique, de l'ambiance sonore aux choix graphiques.

Selon le « pitch » quasi philosophique du jeu, le joueur incarne un émissaire de la mort. « Votre mission est de libérer l'âme des vivants dont l'heure est venue. Le joueur incarne la Mort elle-même et doit récolter l'âme de ceux qui sont prêts à quitter notre monde. »

Ce jeu sur tablettes et mobiles a bénéficié, pour sa création, du fonds d'aide aux jeux vidéo (FAJV), de prêts bancaires et de prêts d'honneur pour un total de 650 000 euros. Pohlm, labellisé Jeune entreprise innovante, a également bénéficié du soutien de structures locales (Pôle Image Magelis et Charente Initiative).

Mais c'est bien le style original du projet qui a engendré son succès, permettant au studio de devenir partenaire de Microsoft Games Studio en 2010 et de voir son jeu directement publié par Microsoft USA, tout en en restant propriétaire, sur le Windows Phone 7. Moins d'une semaine après sa sortie, Hasta la Muerte se classait parmi les trois meilleures ventes.

Pour autant, cette « french touch » n'a pas pour conséquence, et c'est heureux, une signature strictement française des jeux produits sur le territoire national, qui les priverait d'un succès commercial extérieur. En effet, le marché du jeu vidéo est résolument international et près de 80 % de la production française sont destinés à l'exportation.

3. Une industrie culturelle « territorialisée »

Il existe aujourd'hui en France environ deux-cent-cinquante studios de jeux vidéo, dont près du tiers ont moins de deux ans d'ancienneté. Les entreprises se créent et disparaissent au gré des succès et des échecs de leurs jeux, parfois autour d'une même équipe ou tout au moins d'un noyau dur de créatifs. À titre d'exemple, au début des années 90, les disparitions de Sega Lyon, de Kalisto et de Cryo et les plans sociaux d'Infogrames et Ubisoft ont donné naissance à une quinzaine de studios créés par d'anciens salariés.

Ces structures, de taille variable, s'installent le plus souvent près des écoles de formation (Paris, Angoulême, Valenciennes), auprès de collectivités territoriales ayant développé des mesures incitatives pour ce type d'entreprises ou disposant d'un réseau de studios déjà organisé (Bordeaux, Lyon, Montpellier, Annecy), voire dans les régions d'origine de leur créateur.

A la différence des autres industries culturelles (cinéma, audiovisuel, édition, musique, etc.), la production de jeux vidéo est donc réalisée de façon disséminée sur l'ensemble du territoire national, avec toutefois des pôles majeurs en Ile-de-France, à Lyon, dans le Nord-Pas-de-Calais, à Bordeaux ou encore à Montpellier.

Un pôle de studios de jeux vidéo : l'exemple bordelais

Lors de son déplacement à Bordeaux, le 14 juin 2013, le groupe de travail a rencontré plusieurs studios de taille et d'activité différentes, tous membres de l' association Bordeaux Games , qui soutient localement les studios de jeux vidéo, notamment les plus petits s'agissant du marketing et de la communication, et promeut le développement de cette industrie dans la région.

Historiquement, Bordeaux fut la ville du Studio Kalisto créé en 1996 et disparu en 2002. Kalisto a compté jusqu'à 800 salariés et produit des titres légendaires comme Dark Earth , Nightmare Creatures ou Le Cinquième Élément . Ce passé industriel explique en grande partie que Bordeaux soit aujourd'hui un pôle majeur du jeu vidéo en France.

Créé par d'anciens salariés de Kalisto il y a onze ans, Asobo Studio compte aujourd'hui une centaine d'emplois et développe des jeux pour consoles. Le studio a déjà produit treize jeux depuis sa création, dont la moitié sous licences Disney et Pixar (Ratatouille, Toy Story, Garfield, etc.), ce qui nécessite le suivi de procédures de développement hautement confidentielles. Son principal client est Microsoft. L'entreprise, détenue en totalité par ses salariés, a réalisé sept millions d'euros de chiffre d'affaires en 2012.

Autre démembrement de Kalisto, Be Tomorrow , créé en 2002, emploie trente-cinq personnes et réalise deux millions d'euros de chiffre d'affaires. Le studio est spécialisé en jeu sur mobiles et sur Internet, mais produit également des « serious games » et réutilise des technologies développées pour le jeu à destination d'autres usages (outil de comptage d'une foule à partir d'une borne, répondeur pour Orange, GPS en temps réel pour les courses de bateaux, etc.), ce qui permet à son modèle économique d'être moins dépendant du cycle de production des jeux vidéo. Ses clients sont donc plus variés que ceux d'un studio traditionnel : opérateurs, équipementiers, sponsors et organisateurs de manifestations sportives, éditeurs de jeux.

Le groupe de travail a enfin rencontré les deux créateurs d'un jeune studio : Nova Box (trois salariés et un stagiaire) créé en 2007. Si le projet initial de ses créateurs, diplômés de l'école d'ingénierie informatique de Bordeaux et titulaires d'un master en sciences cognitives, était de travailler sur des projets d'intelligence artificielle, l'activité du studio s'est progressivement orientée vers le jeu vidéo, avec le développement d'applications sur mobiles et Internet.

Toutefois, comme le soulignait Alain Le Diberder lors de son audition par le groupe de travail, la territorialisation de la production de jeux ne constitue en rien une spécificité française . Il en est de même au Japon (Nintendo est installé à Osaka), aux États-Unis (on trouve des studios à Austin, à Seattle ou encore à New York, tandis que l'industrie du cinéma, a contrario , a installé sa production sur la seule côte ouest), comme au Canada (Québec, Vancouver, Toronto).

C. LES PROPOSITIONS DU GROUPE DE TRAVAIL

Une démarche dynamique de reconquête du secteur des jeux vidéo suppose, outre d'éviter les obstacles et de préserver les atouts de la France, d'innover en mettant en place de nouveaux instruments d'accompagnement pour l'ensemble de la filière.

1. La création d'une plateforme de valorisation et de distribution de la production française
a) Un outil qui s'inscrit dans une évolution générale vers une dématérialisation des supports

D'abord considérée comme risquée pour les intérêts des concepteurs et des éditeurs de jeux vidéo, la distribution digitale de jeux s'est installée progressivement dans le paysage vidéoludique avec la plateforme Steam, il y a une dizaine d'années. Cette dernière a été suivie par des concurrentes, telles que Impulse, Desura, DLGamer, Origin, GamersGate, Direct2Drive ou encore Games for Windows pour Microsoft.

Début juin, le géant américain Amazon a ouvert sa propre plateforme entièrement dédiée aux jeux vidéo indépendants téléchargeables, appelée Indie Games Store. Il s'agit en réalité d'une catégorie de la section de son Digital Video Games Stores, dans laquelle seront proposés des titres prestigieux et d'autres moins connus. L'initiative a été présentée comme « conçue pour aider les développeurs à promouvoir leurs jeux en aidant les joueurs à les découvrir ».

Promouvoir et faire découvrir leurs productions : telle est bien la difficulté pour de nombreux petits développeurs et éditeurs, pour lesquels les plateformes actuelles ne sont pas adaptées. « On ne compte plus le nombre de petits jeux indés perdus dans les limbes de la distribution, soit rushés sur un malheureux site officiel sans promotion (et donc immédiatement oubliés), soit simplement pas sortis » souligne fort justement un internaute participant à un forum sur le sujet 45 ( * ) .

b) Un instrument de soutien à la diversité de la production française

Afin de rendre l'offre de produits français plus visible, il pourrait être opportun de mettre en place une plateforme nationale , appuyée par les pouvoirs publics et ouverte à tous les jeux produits sur le territoire pour tous les types de publics. Cette plateforme, véritable outil de soutien au développement de la production française, aurait pour objectif à la fois de faire connaître et de distribuer les jeux mais surtout d'assurer aux consommateurs la qualité de la production proposée grâce à une sélection exigeante et originale.

Plutôt que de ne « pousser » que des « hits AAA », dont les éditeurs n'ont généralement pas de difficultés à assurer la visibilité, seraient mis en avant des jeux originaux, diversifiés et innovants, donnant ainsi une véritable chance à leurs concepteurs et diffuseurs.

La plateforme accueillerait les jeux fabriqués sur notre territoire, ce qui impliquerait d'ailleurs une réflexion sur le « made in France » que l'on souhaiterait soutenir en la matière. Les jeux devraient être accessibles aux joueurs de tous pays, dans leurs langues d'origine, afin de promouvoir le savoir-faire français.

La plateforme serait aussi ouverte que possible : aux studios indépendants et aux concepteurs de jeux dépourvus d'éditeurs, en priorité, même si les jeux d'éditeurs -y compris des plus importants- seraient également accueillis. Elle s'apparenterait donc à un système hybride tel que Steam aux États-Unis, mais sans obstacles à l'entrée. L'avantage de proposer un tel système de vente directement accessible consisterait à disposer d'un contenu original et de qualité et de mettre en avant « l'exception culturelle » française.

La commission prélevée sur les jeux vendus serait faible, de l'ordre de 5 à 10 %. En effet, l'une des grandes difficultés actuelles pour les studios indépendants qui utilisent des plateformes de ventes directes est leur soumission à la fois à un prélèvement pour commission et au titre de la TVA.

Le commissionnement par les plateformes s'élève en moyenne aujourd'hui à 30 % du prix de vente final. Un tel taux est manifestement excessif au regard du coût dérisoire de la bande passante et des charges que nécessite la mise en place d'une plateforme, très rapidement amorties si celle-ci est assurée par des entreprises de taille importante.

Une politique de commissionnement constructive pourrait être envisagée, de façon à s'adapter aux besoins des studios. Seraient proposés de façon optionnelle des services à forte valeur ajoutée qui feraient augmenter la commission : + 5 % si l'on propose une autre langue, + 5 % pour un relai presse en France, + 5 % pour un relai presse international... Un commissionnement moins élevé pourrait par ailleurs être envisagé en cas d'exclusivité sur la vente du jeu.

Le choix de protéger les contenus vendus, avec des codes DRM, serait laissé au choix des studios. Si les plus grands le prévoient quasi systématiquement, la tendance est inverse chez les plus petits. La décision sur ce point devrait donc être le fait des principaux intéressés. Les jeux seraient proposés sur tous les supports « ouverts » : Windows, Mac, Linux, Android...

La politique de prix devrait rester responsable, en interdisant la vente de jeux à moins d'un euro. Les moyens de paiement devraient être modernes et accessibles : virements bancaires et cartes de paiement pour l'ensemble des consommateurs, audiotel et SMS en sus pour les Français, sans compter les moyens intégrés tels que Paypal , Google wallet ou Amazon payments et les nouveaux instruments tels que le bitcoin .

Cette plateforme s'apparenterait à un centre national virtuel des jeux vidéo. Elle constituerait une sorte de fonds de ressources et d'orientation pour les publics concernés, à qui elle délivrerait des informations institutionnelles sur les moyens publics (État, collectivités territoriales et programmes européens) mis en place en soutien à cette industrie créative et culturelle.

2. La mise en place d'un fonds participatif

Les studios ont besoin de renforcer leurs fonds propres afin d'adapter leur outil de production à la mutation des marchés du jeu vidéo et aux nouveaux besoins de compétences qu'elle suppose.

a) Un moyen de renforcer les fonds propres dans un secteur très demandeur

Le secteur des jeux vidéo est constitué de TPE et PME dont le chiffre d'affaires moyen est de deux millions d'euros et dont les fonds propres sont faibles au regard des coûts engagés pour la production d'un jeu. Cela limite les capacités d'endettement des entreprises et explique que l'essentiel du coût de développement des jeux soit aujourd'hui assuré par leur éditeur, au détriment de la marge des studios.

En renforçant leurs fonds propres, ces derniers pourraient donc préserver leur indépendance vis-à-vis des éditeurs, augmenter leur capacité d'investissement sur de nouvelles productions et améliorer leurs marges . Le besoin de financement global de la filière est estimé par le SNJV entre quarante-cinq et quatre-vingt-dix millions d'euros sur deux ans (deux à trois millions d'euros pour dix à vingt sociétés et 0,5 million pour cinquante à soixante autres).

La Caisse des dépôts et consignations (CDC) ou OSÉO, actuels délégataires des fonds provenant de la Banque publique d'investissement (BPI), proposent des mécanismes d'investissement intéressants mais dont les modalités techniques et conditions d'exécution sont éloignées des spécificités des entreprises du jeu vidéo et des contraintes d'évolution de ce marché, pour plusieurs raisons.

Tout d'abord, les besoins d'investissement des entreprises sont en fonds propres plus qu'en emprunts à terme classiques . La production de jeux vidéo requiert des investissements importants et répétés afin de livrer les productions que les marchés innovants en croissance attendent. Les budgets de production de logiciels de jeux pour les consoles de nouvelle génération sont ainsi de 40 % supérieurs à ceux constatés sur la génération actuelle ; ils peuvent atteindre plusieurs dizaines de millions d'euros par projet. Sur les marchés dématérialisés, si les montants de chaque production sont bien inférieurs, les entreprises doivent pouvoir investir concomitamment sur plusieurs lignes de projets afin d'augmenter leur surface d'exposition au public et de traiter efficacement la question du recrutement. Les besoins financiers des entreprises se situent donc en amont, en haut de bilan, plus qu'en fonds de roulement.

Par ailleurs, ainsi que cela a été indiqué, la concurrence est globale, et non locale . L'international est constitutif de « l'ADN » des entreprises de l'industrie du jeu vidéo qui doivent donc se positionner sur des marchés où leurs homologues sont Canadiens, Coréens, Singapouriens et Portoricains, et bénéficient d'accès à des sources de financement considérablement supérieures aux nôtres. Renforcer la capacité d'investissement des entreprises françaises, c'est leur redonner la capacité à être compétitives sur les marchés du jeu vidéo mondiaux.

De plus, l'exigence d'antériorité des entreprises sur les marchés visés est incompatible avec la croissance des entreprises de production . L'industrie du jeu vidéo répond à des cycles économiques de très forte amplitude et dont les durées sont souvent beaucoup plus courtes que celles habituellement constatées dans d'autres industries, y compris du numérique. La quasi-totalité des entreprises du secteur se trouve donc éloignée des financements, car elles ne disposent pas des garanties souhaitées en raison des contraintes de marché et de la particularité des cycles économiques du secteur.

En outre, l'aléa économique est plus important que dans d'autres industries culturelles, mais le retour sur investissement en cas de succès est supérieur . Certes, la nature internationale des marchés, la très forte concurrence sur les marchés dématérialisés et ses caractéristiques d'industrie de « hits » génèrent des risques élevés. Ainsi, sur les marchés de détail, le point d'équilibre n'est pas supérieur à 4 % de la production globale, quand sur tablettes et mobiles, il avoisine le 1%. Mais cet aléa économique fort est compensé par la capacité qu'ont les entreprises, en cas de réussite, de générer des revenus substantiels, largement supérieurs aux taux de retour sur investissement habituellement constatés. Les succès d'Ubisoft, d'Ankama ou encore plus récemment de Pretty Simple démontrent que la France peut créer des leaders , et ce depuis les années 70.

Enfin, les modalités de traitement des dossiers par les structures de financement conventionnelles sont incompatibles avec la nature même des activités de production de jeux vidéo . L'industrie du secteur est récente, méconnue et soulève certains préjugés difficiles à combattre. De plus, les marchés évoluant très rapidement, il est nécessaire que le temps d'instruction des dossiers soit limité afin de permettre une adéquation entre l'exigence d'information de l'administration et la capacité pour l'entreprise à se positionner sur les nouveaux marchés visés.

Les canaux de financement classiques ne sont donc pas adaptés aux spécificités du marché des jeux vidéo, et que des mécanismes spécifiques doivent être mis en place. C'est dans cet esprit que le groupe de travail avance l'idée de création d'un prêt participatif pour les entreprises du secteur.

b) Un dispositif basé sur le modèle du prêt participatif innovation

Vos rapporteurs proposent donc la mise en place d'un fonds d'octroi de prêts participatifs 46 ( * ) , financé par la BPI , sur le modèle du prêt participatif innovation, assimilable à des quasi-fonds propres. Cet outil serait adapté aux besoins de la filière du jeu vidéo et, conformément aux objectifs de la BPI, constituerait un « levier » pour des interventions de financement complémentaires. Le fonctionnement du prêt participatif, qui prévoit généralement, au-delà d'un taux d'intérêt de base, une rémunération indexée sur la rentabilité de la société bénéficiaire, permettrait également de répondre au principe d'intéressement de l'État en cas de succès.

Ce fonds d'avances participatives pourrait, comme le fonds de garantie créé en 2011, être logé au sein de l'Institut pour le financement du cinéma et des industries culturelles (IFCIC). Cet établissement de crédit agréé par la Banque de France a été fondé en 1983. Son capital est partagé entre les principales banques françaises et l'État, à travers la BPI, qui en détient 49 %. Il a été chargé par les ministères de la culture et de l'économie et des finances d'une mission d'intérêt général de facilitation de l'accès au financement, notamment au crédit, pour les industries culturelles.

Il s'agit d'un établissement proche des pouvoirs publics, disposant des autorisations nécessaires de la part du régulateur bancaire et d'une expérience significative du secteur du jeu vidéo, en faveur duquel il a permis depuis trois ans la levée de près de 4 millions d'euros de crédits à moyen et long terme. La proximité de l'IFCIC avec le CNC, désormais interlocuteur privilégié de la filière à travers le pilotage du FAJV et du CIJV, ne pourrait que renforcer la pertinence de cette localisation.

Cette intervention de l'IFCIC permettrait d'éviter que la CDC doive instruire plusieurs dizaines de dossiers en faveur de très petites entreprises L'IFCIC mettrait naturellement à profit le réseau des banques recourant habituellement à sa garantie pour promouvoir ces dispositifs et maximiser les effets de levier qu'ils permettent 47 ( * ) .

Ce dispositif viendrait en complément de la mise en place, il y a deux ans, d'un fonds de garantie dédié au secteur du jeu vidéo : les entreprises de la filière peuvent, depuis le mois de mai 2011, voir leurs crédits bancaires à moyen et long terme bénéficier d'une garantie de 50 % à 55 %.

L'articulation de ces deux dispositifs permettrait aux entrepreneurs du secteur d'accroître leur capacité de négociation auprès d'investisseurs privés et, partant, de ne pas subir une dilution trop forte au capital des sociétés qu'ils ont fondé au risque d'une prise de contrôle rapide par des capitaux étrangers.

c) Un nouveau mécanisme de financement public

La question du financement de ce fonds participatif viendrait naturellement à se poser. A cet égard, l'enveloppe dédiée, au sein du programme des investissements d'avenir (PIA), au secteur du numérique, pourrait légitimement être mobilisée. En effet, sur les 35 milliards d'euros de financements totaux, 4,5 ont été fléchés sur le secteur du numérique, parmi lesquels 2,25 pour les usages, services et contenus innovants. Les sommes, relativement modestes au regard de ces chiffres, que requerraient la mise en place de prêts participatifs dans le secteur du jeu vidéo pourraient très opportunément y être prélevées. Et ce d'autant plus que leur financement nécessiterait des dotations dites « non consomptibles », auxquelles le dispositif du PIA donne la préférence.

Autre possibilité, le recours à l'enveloppe de 10 milliards d'euros annoncée le 9 juillet dernier par le Premier ministre, M. Jean-Marc Ayrault, pour stimuler le potentiel de croissance de la France au cours des dix prochaines années. Le numérique figure en effet, aux côtés du développement durable, de la santé et des transports, parmi les quatre grands secteurs d'avenir auxquels ces fonds sont destinés. De par l'importance croissante que l'industrie vidéoludique et les technologies qui en découlent sont appelées à prendre dans le monde de demain, il paraitrait tout à fait légitime de mobiliser une partie de ces fonds pour en favoriser le développement sur notre territoire.

3. Une optimisation des mécanismes d'aide et de financement

Cette optimisation passe par une simplification des procédures, qui pourrait prendre la forme d'un guichet unique de demande d'octroi, ainsi que par une révision des enveloppes et conditions d'éligibilité des différents dispositifs.

a) La mise en place d'un « guichet unique » pour les demandes de soutien

D'une façon générale, la palette d'instruments de soutien au financement des entreprises du secteur a été jugé non négligeable. En revanche, elle s'avère mal exploitée par des entreprises qui, pour les plus petites tout du moins, n'en n'ont pas connaissance ou ne s'estiment pas en mesure d'en bénéficier.

Comme l'ont reconnu des responsables de la direction générale des médias et des industries culturelles (DGMIC), les administrations doivent faire preuve d'une grande pédagogie pour en expliquer la teneur aux PME du secteur et les conseiller sur l'opportunité d'y recourir.

Celles-ci étant fréquemment « perdues » dans le maquis des aides et des structures existantes, la mise en place d'un « guichet unique » serait de nature à faciliter les démarches des professionnels. Ce guichet examinerait leur demande et les réorienterait vers le type de soutien et l'administration la plus compétente pour traiter leur demande. La localisation de ce guichet et son articulation avec les différentes structures en charge de chaque dispositif resterait toutefois à préciser.

Le CNC, compte de sa compétence reconnue en matière d'instruction de dossiers d'aide aux entreprises du secteur du cinéma et de l'audiovisuel, constituerait, selon vos rapporteurs, l'institution idoine pour exercer cette fonction de guichet unique.

b) Un ciblage plus efficace des dispositifs de soutien existants

Le FAJV fonctionne relativement bien et a le mérite de soutenir des entreprises de petite taille qui ne sont pas éligibles au CIJV.

Cependant, l'aide octroyée à ce titre est plafonnée à 50 % du coût du projet et ne peut dépasser 200 000 euros, ce qui est jugé comme étant trop bas par les acteurs du secteur. Ce plafond gagnerait à être doublé afin d'être plus en rapport avec des budgets de pré-production atteignant couramment plusieurs centaines de milliers d'euros, et ceci pas nécessairement pour les seuls « hits » des plus grandes entreprises du secteur.

Par ailleurs, une ambiguïté devrait être levée sur le sort des jeux violents qui prétendent à une aide au titre du FAJV. L'élément de violence, qui ne fait pas officiellement partie des critères pris en compte dans le traitement des dossiers, contrairement à ce qui est le cas pour le CIJV, le serait parfois et rendrait le sort de la demande incertain. Il conviendrait donc de préciser ce point en rappelant aux structures gestionnaires qu'il ne peut s'agir en soi d'un élément discriminant pour l'octroi de la subvention.

S'agissant du CIJV , il conviendrait, dans une prochaine loi de finances, d' assouplir ses critères d'octroi , de sorte qu'il bénéficie à un nombre étendu d'entreprises, à tout le moins pas uniquement aux plus importantes. Le fait que les projets doivent avoir un coût de développement supérieur ou égal à 150 000 euros pour être éligibles en évince en effet naturellement un bon nombre. Ce seuil pourrait donc utilement être divisé par deux.

Il serait également opportun de revoir les critères culturels du CIJV à l'aune de la grande diversité des productions issues de nos studios. S'il est appréciable de vouloir faire vivre l'exception culturelle à la française, il convient tout autant de ne pas « passer à côté » du soutien de productions de qualité, dont l'aspect culturel - dont la définition reste, soit dit en passant, extrêmement délicate et sujette à discussion - n'est peut-être pas privilégié, mais qui présentent bien d'autres qualités (originalité, « jouabilité », graphisme, etc.) et sont susceptible d'être bien accueillies par le marché.

À cet égard, certains critères, qui ne sont pas considérés aujourd'hui, tels que la jouabilité pourtant essentielle pour juger de la qualité d'un jeu, gagneraient à être intégrés parmi ceux pris en compte dans l'octroi du CIJV. Et à l'inverse, des critères tels que celui de la narrativité, qui impliquent de présenter un scénario riche et détaillé, se prêtent mal à certains types de jeu, et ne devraient plus, en conséquence, constituer un critère majeur de sélection.

D'une façon plus générale, ce système de crédit d'impôt mériterait d'être considérablement simplifié . Le calcul par points, suivant un barème complexe, ne plaide pas en effet pour la transparence du dispositif et son assimilation aisée par les entreprises du secteur potentiellement intéressées.

Enfin, il a été souligné que le CIJV était limité dans le temps à une période de production qui va bien au-delà de celle admise par le dispositif. Ainsi, les responsables d'Ankama, rencontrés à leur siège de Roubaix, ont expliqué en avoir bénéficié pour une de leurs productions majeures pendant une période de 36 mois, alors que la production proprement dite se poursuit parfois au-delà, par exemple pour l'activité de maintenance. Aussi l'éligibilité dans le temps du CIJV devrait être révisée, et pouvoir être prolongée.

Le CIR , quant à lui, pourrait opportunément voir son assiette précisée et élargie . D'une part, il reste délicat de déterminer, pour une entreprise, quels travaux peuvent être considérés comme en relevant. Un manuel, dit de Frascati, constitue certes une référence internationale pour la définition des activités de R&D, mais le secteur des jeux vidéo présente des spécificités qui n'y sont pas prises en compte. Il conviendrait donc que l'administration détaille, de façon actualisée, les types de dépenses ouvrant droit au CIR pour l'industrie du jeu vidéo.

En outre, le CIR se limite à la R&D, ce qui exclue toute une série d'activités qui participent pourtant directement à l'amélioration du produit. L'innovation peut, par exemple, porter sur la narration interactive. Or, celle-ci ne rentre pas dans l'assiette du CIR, car ce n'est pas de la programmation pure ou de la recherche fondamentale. Il conviendrait donc d'élargir en ce sens les travaux pris en compte au titre du CIR.

Une telle extension d'un dispositif transversal à l'innovation vaudrait également pour le dispositif de la « jeune entreprise innovante » ( JEI) . Il semble que le gouvernement souhaite y inclure les activités innovantes en matière de marketing ou de design , voire les dépenses en personnel destinées aux activités d'innovation. Une telle évolution serait profitable au secteur des jeux vidéo, et ne peut être qu'encouragée par vos rapporteurs.

Elle serait d'autant plus fructueuse qu'elle s'accompagnerait d'un déplafonnement du statut de la JEI. Celui-ci comprend en effet un double plafond - l'un de 200 000 euros par période de 36 mois pour les allègements fiscaux, l'autre plus complexe pour ce qui est des exonérations de charges sociales. Ce plafond a été jugé comme contraignant par certains bénéficiaires de la mesure ; l'examen de son augmentation paraîtrait opportun, afin d'encourager les jeunes entreprises du secteur à innover et à embaucher.

c) À la recherche de nouvelles ressources pour le financement du secteur

Un plus grand soutien du secteur des jeux vidéo passera par un accroissement des moyens publics mobilisables, ce qui impliquera, dans un contexte de pénurie budgétaire, de trouver de nouvelles ressources. Celles-ci devront être en lien avec le secteur, reposer sur une assiette aussi large que possible et être fixées à un taux suffisamment bas.

Dans cet objectif, vos rapporteurs préconisent la taxation de l'ensemble des jeux vendus neufs sur le marché physique . Cette taxe serait d' un montant de quelques centimes ou dizaines de centimes par jeu . Sur des produits commercialisés entre cinquante et soixante-dix euros en moyenne lors de leur lancement, elle représenterait donc une charge supportable pour l'acheteur, surtout au regard de son utilité finale.

Comme c'est le cas par exemple pour les contributions au service public du gaz ou de l'électricité, ou pour la taxe éco-participation, ce prélèvement serait identifié sur le prix d'achat et son objet précisé. Le consommateur serait donc informé que ce modique supplément de prix sert à financer l'industrie française du secteur vidéo ; il contribuerait à son soutien, en connaissance de cause, en s'acquittant d'une telle « contribution ».

Avec une cinquantaine de millions de produits (consoles et jeux) vendus dans notre pays en 2011 sur le marché physique, cette taxe pourrait rapporter plusieurs millions d'euros. Elle pourrait aisément venir doubler les financements publics alloués au secteur, si l'on a en tête que le FAJV représente trois millions d'euros d'aides et le CIJV deux millions de dépense fiscale.

Une telle contribution viendrait alimenter un fonds géré par le CNC , ainsi pleinement en charge du secteur du jeu vidéo. Ce fonds aurait pour objet d' accorder des financements à la création française dans le secteur du jeu vidéo . Cette nouvelle ressource, et ce fonds de financement qu'elle impliquerait, pourraient d'ailleurs être connectés avec le dispositif du fonds participatif évoqué précédemment, auquel elle pourrait être affectée.

4. Une meilleure articulation entre formations et création d'entreprises

Les questions de formation au management et d'incitation à la création d'entreprise sont cruciales pour l'avenir de la filière. Sur ces deux points, des avancées peuvent être faites en développant des instruments déjà existants.

a) La formation des élèves à la création d'entreprises dans le secteur

Ainsi que cela a été souligné par les responsables du groupe Rubika, il manque en France un véritable accompagnement pour faire passer les « créatifs » - sous-entendu, en matière de développement de jeux - à la création d'entreprise.

Des progrès ont été effectués puisque l'université de Nice-Sophia Antipolis - Polytech Nice Sophia - en partenariat avec l'Institut international du jeu vidéo de Cannes, les professionnels du jeu vidéo regroupés dans le SELL et les entreprises de la technopole de Sophia Antipolis, propose désormais un parcours « management de projets en jeux vidéo » (MAJE).

Basé sur le diplôme universitaire « jeux vidéo & applications » proposé par l'université de Nice-Sophia Antipolis depuis octobre 2006 à la demande des professionnels pour former aux métiers de la gestion, du marketing et de la conception de jeux vidéo, ce parcours de formation est le seul en France en ce domaine et a bénéficié d'une certification professionnelle délivrée par les services ministériels compétents.

Ce cursus a vocation à former des « game producer » dans le domaine du jeu vidéo, comprenant tous les métiers nécessaires à la création, la réalisation et la commercialisation de jeux vidéo. Les étudiants sont recrutés dans le monde entier, pour une formation qui a « vocation à s'internationaliser rapidement en raison de son originalité », selon la description qui en est faite sur le site de l'école.

S'il répond à un besoin réel, ce MAJE ne suffira sans doute pas à combler les besoins du secteur. Ainsi que l'ont souligné les responsables du SELL, beaucoup de ses diplômés sont recrutés par d'autres secteurs industriels, à la recherche de compétences proches de celui des jeux vidéo.

Il faut donc aujourd'hui aller plus loin dans la formation de responsables d'affaires du secteur des jeux vidéo , qui se trouve isolée entre, d'un côté, les établissements de formation spécialisés dans les techniques du jeu vidéo, et de l'autre, ceux s'intéressant aux techniques de la gestion et du commerce.

Ce peut être en mettant au point d'autres parcours de ce type dans d'autres établissements universitaires ex nihilo , en partenariat avec les acteurs de la filière. Ce peut être aussi en introduisant des modules ou des spécialités de management dans les formations « jeux vidéo » et « multimédias » dispensées dans les écoles et universités. Enfin, ce peut être en proposant de telles options dans les cursus des écoles de commerce et des masters à dominante économique des universités.

b) L'essor de pépinières d'entreprises dans le sillon des écoles

Les incubateurs d'entreprises fleurissent depuis une dizaine d'année, et nombre d'entre eux sont spécialisés dans les secteurs du numérique et du multimédia, et certains plus spécifiquement encore dans celui du jeu vidéo. Citons pour exemple la pépinière d'entreprises d'Annecy pour les métiers de l'image, du pôle Media Belle de Mai à Marseille, Eco-créative Bordeaux Chartrons, Paris Innovation Réunion, ou encore Neuilly Nouveaux Medias.

De leur côté, les écoles et formations spécialisées dans les jeux vidéo tendent à se multiplier et à se développer, à mesure que le jeu vidéo fait l'objet d'une reconnaissance de plus en plus large et qu'une demande de parcours adaptés à cette filière se fait sentir.

Pour que l'efficacité de ces deux types de structures soit optimisée, il importe qu'une véritable fertilisation croisée puisse avoir lieu entre les deux, faite d'échanges et d'apports réciproques. Ceci passe par la constitution de pôles spécialisés qui associent les aspects « formation » et « développement » sur un territoire partagé .

Les étudiants doivent s'initier durant leurs années de formation à la création d'entreprises « en situation réelle » , ce que leur permettent, dans un environnement très encadré, les pépinières d'entreprises. C'est en effet l'objet même de ces dernières que de faciliter cette création, en apportant un soutien technique et financier, des conseils et des services.

À l'inverse, les jeunes entreprises en incubation ont un besoin de main d'oeuvre qualifiée , dans un périmètre rapproché. La proximité d'universités et d'écoles spécialisées dans le champ de compétences qu'elles recherchent constitue à cet égard un appréciable « vivier » dans lequel elles peuvent puiser pour développer leur activité.

La rencontre entre ces deux mondes doit se faire à travers des pépinières qui soient gérées par les universités et écoles formant aux métiers du jeu vidéo, ou du moins qui prévoient un rapprochement avec ces structures, sous la forme de conventions de collaboration scientifique et technique. Celles-ci peuvent préciser les conditions de valorisation, par les entreprises, de brevets déposés suite aux travaux menés avec les établissements de formation.

Les collectivités territoriales, qui assurent souvent le portage juridique des pépinières d'entreprises et sont représentées dans les conseils d'administration desdits établissements, ont un rôle moteur à jouer dans la mise en relation entre ces deux sphères, en vue de leur enrichissement réciproque.

CONCLUSION

Après cinq mois de travaux, dix-sept auditions et deux déplacements en région, le groupe de travail sur les jeux vidéo créé par les commissions de la culture et des affaires économiques du Sénat a dressé un état des lieux de cette industrie en France, de ses difficultés économiques et de ses atout indéniables, et proposé plusieurs pistes de travail pour en favoriser le développement sur le territoire national. Ces pistes de travail concernent tant la formation des étudiants, que le soutien aux studios les plus fragiles et l'aide à la création « made in France ».

Parallèlement, depuis plusieurs semaines, un groupe de travail interministériel , installé à l'initiative conjointe d'Aurélie Filippetti, ministre de la culture et de la communication, et de Fleur Pellerin, ministre déléguée auprès du ministre du redressement productif chargée des petites et moyennes entreprises, de l'innovation et de l'économie numérique, réfléchit à des propositions concrètes poursuivant le même objectif de développement économique de l'industrie française du jeu vidéo.

Ce groupe de travail, que les rapporteurs ont rencontré au mois de juin, devrait rendre prochainement ses conclusions.

Il est à souhaiter que le présent rapport puisse inspirer leurs travaux, notamment s'agissant des propositions d'ordre budgétaire qui pourraient utilement être abordées à l'occasion de la discussion du prochain projet de loi de finances . Il en va de l'avenir des studios de jeux français et de la place de notre pays dans une industrie où notre savoir-faire, reconnu, ne produit pas, à ce jour, les résultats économiques à la hauteur de sa qualité.

EXAMEN EN COMMISSION

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Réunies le mercredi 18 septembre 2013, sous la présidence conjointe de Mme Marie-Christine Blandin, présidente de la commission de la culture, et M. Daniel Raoul, président de la commission des affaires économiques, les commissions de la culture et des affaires économiques examinent le rapport d'information sur les jeux vidéo présenté par MM. André Gattolin et Bruno Retailleau, rapporteurs.

M. Daniel Raoul , président de la commission des affaires économiques . - Mes chers collègues, je tiens tout d'abord à souhaiter la bienvenue à nos collègues de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication et à sa présidente, sur un sujet - les jeux vidéo - qui constitue un pan important de notre économie tant en matière d'emplois que de valeur ajoutée.

Mme Marie-Christine Blandin , présidente de la commission de la culture . - Merci de nous accueillir, Monsieur le Président, pour un rapport qui a donné lieu à un travail en commun fructueux entre nos deux commissions.

M. Daniel Raoul , président . - La parole est à présent aux rapporteurs, M. André Gattolin pour la commission de la culture et M. Bruno Retailleau pour notre commission des affaires économiques.

M. André Gattolin , rapporteur pour la commission de la culture . - En février dernier, les commissions en charge de la culture et des affaires économiques ont décidé d'inscrire les jeux vidéo à leur programme de contrôle. Elles ont donc créé un groupe de travail confié à M. Bruno Retailleau et moi-même, dont nous vous présentons aujourd'hui les conclusions.

Au fil de nos auditions et déplacements, les jeux vidéo nous sont apparus tant comme des objets culturels et artistiques que comme des produits technologiques et, en tout état de cause, comme un vecteur de croissance pour nos territoires.

Je vous proposerai pour ma part un état des lieux des pratiques de jeu en France et présenterai ce qui constitue l'un des fleurons de ce secteur dans notre pays : la formation des professionnels, avant de laisser la parole à mon collègue Bruno Retailleau, qui vous exposera les enjeux économiques de cette industrie. Nous conclurons ensemble par la présentation de nos pistes de travail pour l'avenir.

La naissance du jeu vidéo remonte à 1962 avec la création de Space War par un étudiant du Massachussetts Institut of Technology (MIT). Dix ans plus tard, c'est Pong qui fait véritablement connaître ce nouveau divertissement au grand public et marque le début d'une grande aventure aux États-Unis, puis au Japon et en Europe. Vous avez tous à l'esprit les phénomènes de société que constituèrent tour à tour Pac Man en 1980, Tétris en 1983, Mario en 1985, Tomb Rider en 1996, Les Sims en 1999 ou, plus récemment, Call of Duty en 2003.

Chacun de ces jeux à succès est associé à une évolution technologique : des jeux d'arcade aux ordinateurs, des consoles de salon aux consoles portables, des jeux en réseau aux jeux sur smartphones . Avec l'arrivée d'Internet et du téléphone portable, les pratiques se sont ainsi largement modifiées. Elles sont désormais protéiformes et varient selon le support de jeu choisi.

Les jeux eux-mêmes sont aujourd'hui très variés. La classification habituelle distingue les jeux d'aventure, de course, de tir, de gestion, de plateforme, de rôle, de simulation, de sport, de réflexion, d'apprentissage, ou encore les jeux massivement multi-joueurs en ligne, dont World of Warcraft , avec 12 millions d'abonnés, constitue l'exemple le plus abouti.

S'agissant des supports, si les jeux physiques, c'est-à-dire vendus en boîte, représentent toujours le marché le plus lucratif, les jeux en ligne ou sur les réseaux sociaux, ainsi que les jeux sur smartphones , où des options payantes sont proposées au joueur, connaissent une croissance massive.

Ces évolutions ont conduit à un développement considérable des pratiques. Selon le Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC), 60 % des Français joueraient de façon occasionnelle ou assidue. Parmi eux, autre surprise, 46 % sont des femmes. Il faut dire que près de la moitié des foyers français sont équipés d'une console de jeux, 65 % d'un ordinateur et 84 % d'au moins un téléphone portable. Autrefois cantonné à un public d'initiés et de passionnés, le jeu vidéo se place ainsi désormais en tête des pratiques culturelles des Français.

L'âge moyen des joueurs s'établit à près de 35 ans, un quart d'entre eux étant âgé de plus de cinquante ans. Les jeux de mémoire et les jeux de cartes ont démocratisé le jeu vidéo chez les séniors, tandis que les femmes sont particulièrement consommatrices de jeux sur les réseaux sociaux et sur mobile.

Le jeu vidéo continue cependant à être l'objet de nombreux débats. Le premier d'entre eux concerne la faible reconnaissance du secteur au plan culturel. Les ministères de la culture et de l'économie s'en partageant traditionnellement la compétence, aucune des deux tutelles ne considèrent véritablement le développement de l'industrie du jeu vidéo comme une priorité.

Autre débat, et non des moindres : le jeu vidéo constitue-t-il une pratique à risque ou, au contraire, un nouveau vecteur d'apprentissage ?

Les jeux font l'objet d'une classification selon l'âge des publics auxquels ils sont destinés. En Europe, le système dit « PEGI » informe, depuis 2003, les acheteurs sur le contenu des jeux et définit, notamment, les jeux interdit aux mineurs, sans pour autant que cette information ne soit assortie d'une stricte interdiction de vente. Cette classification, mise au point par les industriels eux-mêmes, est extrêmement précise et utile.

Le débat sur la dangerosité des jeux vidéo ressort de celui, plus large, relatif au risque d'aliénation de l'homme par la machine, c'est-à-dire à une dépendance créatrice d'asociabilité voire de violence, risque auxquels les enfants et adolescents seraient plus particulièrement exposés. Au regard des auditions de chercheurs que nous avons menées et des récentes études parues sur ce sujet, il apparait que ce risque doit être considérablement relativisé : il ne concernerait que des publics fragiles, consommateurs de jeux particulièrement violents, où l'usage d'un avatar dans le cadre d'un environnement graphique réaliste peut engendrer une identification à un personnage violent.

A l'opposé, les jeux vidéo sous la forme de « serious games » sont considérés par certains comme les nouveaux supports éducatifs. Là encore, il convient de relativiser. Certes, ils occupent une place de choix dans les programmes scandinaves et anglo-saxons, où ils sont envisagés comme une ruse éducative pour amener l'enfant à s'intéresser à une question ou à résoudre un problème. Mais ces usages scolaires des jeux électroniques sont encore peu fréquents dans nos classes. D'aucuns en réfutent d'ailleurs l'intérêt, estimant que l'attitude ludique n'est pas compatible avec une injonction à jouer pour apprendre. En d'autres termes : l'apprentissage et le jeu demeureront irrémédiablement deux notions étrangères, quelle que soit la forme du jeu.

Addictifs, éducatifs ou ludiques, les jeux vidéo suscitent tant la critique que l'enthousiasme. Dans tous les cas, ils font partie intégrante de notre société, de nos loisirs à nos modes d'apprentissage et de socialisation. Certaines technologies développées par l'industrie du jeu vidéo vont même jusqu'à investir des activités traditionnelles (entreprises, presse, politique, etc.) ; c'est ce que l'on appelle la « gamification » de la société.

Les autres débats qui agitent le secteur des jeux ne concernent pas le produit lui-même, mais les conditions d'embauche et de rémunération des salariés.

En France, les jeux vidéo sont essentiellement produits par des studios de moyenne et de petite taille et par des équipes jeunes et pluridisciplinaires. La moyenne d'âge n'y dépasse souvent pas trente à trente-cinq ans, les femmes représentant environ un tiers des effectifs. Issus d'une multitude de milieux professionnels, parfois autodidactes, il s'agit de passionnés, recrutés essentiellement sur la base de contrats à durée indéterminée (CDI), même si les graphistes bénéficient parfois du régime de l'intermittence et que, crise oblige, les contrats à durée déterminée (CDD) sont en augmentation. Or, les responsables de studios que nous avons rencontrés nous ont indiqué que la réglementation applicable aux CDD se pliait mal aux contraintes de la production de jeux. En effet, la date de fin de projet est rarement connue du jeu. Ils appellent donc de leurs voeux, et il s'agit d'une revendication ancienne, la mise en place de contrats plus adaptés au secteur, dont la durée coïnciderait avec la production du jeu, dès lors que les salariés ne sont pas embauchés en CDI.

S'agissant de la rémunération des créateurs de jeux vidéo, il convient de rappeler que l'application du droit d'auteur à ces produits a fait l'objet, depuis les années 1990, d'une instabilité jurisprudentielle chronique. Tour à tour considéré comme un logiciel, une oeuvre audiovisuelle, collective ou de collaboration - chaque définition emportant une application différente du droit d'auteur -, les jeux ont, depuis 2004, fait l'objet de plusieurs études pour tenter de mettre en place une réglementation pérenne. La dernière mission en date, lancée par la ministre de la culture, Mme Aurélie Filippetti, en 2012, a définitivement tiré un trait sur une application du droit d'auteur au jeu vidéo, hormis pour quelques créateurs renommés et, grâce à un accord avec la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (SACEM), pour les compositeurs de musique de jeu.

De fait, après plusieurs mois de discussion et malgré les compromis proposés par les représentants des sociétés de gestion collective des droits, les acteurs du jeu vidéo ont renoncé à l'application d'une telle réglementation, qui se prête mal à des produits dont l'obsolescence est très rapide, lui préférant le système actuel d'un intéressement des salariés au résultat du jeu, financièrement plus intéressant pour la très grande majorité d'entre eux, tout en assurant leur fidélisation et leur motivation sur un projet.

Je souhaite enfin aborder devant vous la grande qualité des formations françaises en matière de jeu vidéo.

On compte aujourd'hui une cinquante d'écoles spécialisées sur le territoire national, dont certaines, comme Supinfogame que nous sommes allés visiter à Valenciennes, sont renommées au-delà de nos frontières.

Les formations françaises ont pour spécificités de dispenser un enseignement pluridisciplinaire, mêlant arts, technique, culture générale et privilégiant le travail en équipe dans les conditions d'un vrai studio. Cette méthode permet aux étudiants d'obtenir rapidement un emploi à l'issue de leur cursus, malheureusement souvent à l'étranger, où les studios apprécient particulièrement tant la maîtrise technique que la sensibilité artistique - la « french touch » - et le niveau de culture et d'histoire, essentiels à une narrativité de qualité, des diplômés français.

M. Bruno Retailleau , rapporteur pour la commission des affaires économiques . - Les jeux vidéo présentent une double nature, culturelle et économique. Je vous rappelle, à titre de comparaison, que le cinéma lui-même fut pendant longtemps, dans notre pays, rattaché au ministère de l'industrie, avant de l'être à celui de la culture. Le jeu vidéo est progressivement devenu un objet culturel à part entière, comme l'illustre la présence de certains jeux dans les collections du musée d'art moderne de New-York, le MOMA.

Le modèle économique du jeu vidéo est extrêmement particulier. Il représente un marché mondialisé et hyperconcurrentiel, réparti à parts à peu près égales entre l'Asie, l'Amérique du Nord et l'Europe. Notre pays, qui y a longtemps occupé une position de leader , se voit aujourd'hui concurrencé par de nouveaux venus comme l'Allemagne, la Grande-Bretagne ou la Belgique. Estimé à 53 milliards de dollars par l'institut d'études IDATE, soit davantage que les marchés du cinéma ou de la musique, il a longtemps été dominé par le modèle dit du « hit AAA », dans lequel quelques « blockbusters » se vendant à des millions d'exemplaires permettent de financer des milliers d'échecs. Or, ce modèle est aujourd'hui en perte de vitesse du fait de l'explosion des coûts de production, de l'asymétrie des progrès des supports de jeu - le « hard » - par rapport aux contenus - le « soft » - et de l'essor de jeux sur réseaux sociaux ou téléphones mobiles.

La moitié de l'investissement réalisé dans les jeux vidéo est affecté aux dépenses de marketing. Le jeu Grand Theft Auto V (GTA V), qui vient de sortir, a ainsi coûté 200 millions d'euros à produire, pour moitié consacrés à sa promotion.

40 à 50 % des ventes de jeux sont réalisées pendant les quelques jours qui suivent leur sortie et concentrées sur la période des fêtes de fin d'année. Les préventes représentent d'ores et déjà 500 millions d'euros pour GTA V, le précédent record étant de 375 millions d'euros pour Call of duty .

Notre pays possède quelques-uns des éditeurs majeurs du jeu vidéo sur le marché mondial, avec Ubisoft et Gameloft notamment. Activision-Blizzard, qui réalisait plus d'un milliard d'euros de bénéfices au début des années 90, a longtemps été détenu par Vivendi, avant que ce dernier ne s'en sépare car estimant l'économie du secteur trop risquée.

Les entreprises sont majoritairement jeunes - 55 % ont moins de cinq ans d'existence - et petites - 50 % ont moins de 10 salariés. Leur taux de mortalité est particulièrement élevé, supérieur d'un tiers à celui des entreprises allemandes du secteur.

La France, parmi les pays leaders du jeu vidéo dans les années 80 avant que le secteur ne soit confronté à la bulle Internet de la fin des années 90, doit aujourd'hui lever certains obstacles au développement de ce marché. Parmi ceux de nature générale, on relève l'instabilité du cadre règlementaire, une insuffisance de l'offre de capital-risque, notamment au regard de ce qui existe aux États-Unis, ou encore la concentration du marché au profit de quelques grands groupes autour desquels évoluent un très grand nombre de PME atomisées.

Parmi les obstacles sectoriels, on note la faiblesse des compétences managériales dans le secteur et le mauvais calibrage des aides publiques : le Fonds d'aide aux jeux vidéo (FAJV), géré par le CNC et doté de 3 millions d'euros seulement, qui au surplus ne finance pas les dépenses de marketing ; le crédit d'impôt jeux vidéo (CIJV), sous-consommé du fait essentiellement de l'existence de pas moins de 64 critères à remplir pour y prétendre ; le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE), dont l'avantage proposé est compensé par la hausse récente de la TVA ; le crédit d'impôt recherche (CIR), dont la complexité d'instruction incite au développement d'officines spécialisées prélevant des commissions de 20 à 30 % ; et enfin des aides européennes, qui vont bientôt être ouvertes.

Je mentionnerai pour finir qu'un intérêt majeur de l'industrie des jeux réside, pour notre pays, dans la territorialisation des lieux de production, qui, à la différence des autres industries culturelles, ne sont pas situés qu'à Paris.

M. André Gattolin, rapporteur . - S'agissant de nos propositions, nous suggérons d'abord de créer une plateforme de valorisation et de distribution des jeux vidéo de production française. Ce support de vente, qui est appelé à se développer avec la dématérialisation des jeux, connaît un véritable succès aux États-Unis. Cependant, le taux de commissionnement y est souvent prohibitif ; il serait ici beaucoup plus faible. Cette « maison » virtuelle des jeux vidéo serait une structure centrale pour le soutien des nombreuses PME du secteur.

Ensuite, il serait opportun d'instaurer un guichet unique centralisant les demandes de soutien diverses. Le CNC, déjà gestionnaire de divers crédits d'impôt et compétent pour l'image animée, serait tout indiqué pour en être chargé.

Afin de financer les mesures de soutien au secteur, nous vous proposons de créer une taxe sur l'ensemble des jeux vidéo vendus sur support physique sur notre territoire, suivant l'exemple du mécanisme géré par le CNC pour le cinéma. De l'ordre de quelques centimes d'euros, elle s'appliquerait sur des millions d'exemplaires vendus chaque année, et génèrerait ainsi des sommes non négligeables. 80 % des jeux vendus en France n'y étant pas produits, cette taxe s'appliquerait également aux jeux étrangers. Elle supposerait toutefois de mener des négociations avec les autorités européennes.

S'agissant de la formation, il nous faut renforcer les aspects économiques et managériaux dans nos cycles d'étude spécialisés. Des avancées en ce sens ont été réalisées à Nice Sofia-Antipolis ou encore à Valenciennes ; il faut les poursuivre et mieux intégrer ces formations dans des pépinières d'entreprises.

Nous proposons par ailleurs deux séries de mécanismes sur le plan économique.

D'une part, il faut mieux cibler les politiques d'aides publiques. Nous souhaitons doubler le plafond du FAJV, actuellement de 200 000 euros, et réduire de moitié le seuil d'accès au CIJV, qui est aujourd'hui réservé aux jeux dont le coût de développement est supérieur ou égal à 150 000 euros. Enfin, le CIR doit être simplifié pour que les entreprises puissent mieux en bénéficier.

D'autre part, au-delà des aides et des subventions, les entreprises ont besoin de renforcer leurs fonds propres. À cette fin, nous soutenons le principe des prêts participatifs, que la Banque publique d'investissement (BPI) pourrait mettre en place en utilisant la ressource des investissements d'avenir.

Ces propositions permettraient de donner un nouvel élan au secteur des jeux vidéo en France.

M. Daniel Raoul , président . - S'agissant de la taxe que vous avez évoquée, je crains qu'elle soit difficile à appliquer dans un domaine où les jeux sont souvent achetés à l'étranger.

Mme Marie-Noëlle Lienemann . - Je crois que les serious games sont un élément majeur pour la formation au 21 e siècle. Comment peut-on en soutenir la production ? S'agissant de la BPI, comment pourrait être déclinée son intervention ?

Mme Corinne Bouchoux . - Les jeux vidéo véhiculent souvent une vision peu avantageuse des femmes. Avez-vous abordé la question de leurs contenus ?

M. Joël Labbé . - Dans le même sens, comment aborder la question de la violence des jeux vidéo ? Quelles réflexions sociologiques ont-elles été conduites sur les risques qu'ils présentent ?

M. Jean Boyer . - Alors que certains jeunes ne donnent pas la priorité à leur alimentation ou à leur cadre de vie, les jeux vidéo ne risquent-ils pas d'engendrer dépendance et addiction ? Vous devriez attirer l'attention sur ce danger.

M. André Gattolin , rapporteur . - De toutes les auditions que nous avons conduites, il ressort qu'il est difficile d'établir une corrélation entre la pratique des jeux vidéo et celle d'actes extrêmes. De plus, les pratiques se diversifient : par exemple, les femmes sont nombreuses à jouer et accèdent également à des emplois de création dans les entreprises produisant des jeux. S'agissant du contenu de ces derniers, je pense qu'il manque une catégorie « interdit à la vente aux mineurs ».

M. Bruno Retailleau , rapporteur . - L'addiction est un risque et les familles ont un rôle à jouer pour la prévenir. S'agissant de la BPI, nous avons souhaité qu'elle mette en place un fonds participatif pour les jeux. Quant à la taxe proposée, nous nous sommes inspirés du mécanisme vertueux instauré pour le cinéma ; elle porterait sur les jeux vendus en boîte, sur le sol français.

Mme Françoise Cartron . - Je me demande comment on peut qualifier de culturelle cette industrie lorsqu'on voit certains contenus qu'elle produit. Ce rapport devrait aborder la question des problèmes d'addiction et du regard parental.

Mme Marie-Christine Blandin , présidente . - Le rapport est très documenté. Toutefois, il me semble plus orienté sur le développement économique du secteur que sur les contenus. Je propose que nous autorisions sa publication tout en prévoyant de poursuivre la réflexion sur les contenus et leur impact.

La commission des affaires économiques et la commission de la culture autorisent la publication du rapport.

TRAVAUX DES RAPPORTEURS

Auditions

19 mars 2013

M. Laurent BEGUE, professeur à l'Université Pierre Mendès-France à Grenoble

M. Erwan CARIO, chef de service au journal Libération

26 mars 2013

Syndicat national du jeu vidéo (SNJV) : MM. Nicolas GAUME, président et Julien VILLEDIEU, délégué général

Ministère de la culture et de la communication : MM. Frédéric BOKOBZA, sous-directeur du développement de l'économie culturelle, et Pierre MAINGUY, chef du bureau du financement des industries culturelles à la direction générale des médias et des industries culturelles

2 avril 2013

Syndicat des Editeurs de Logiciels de Loisirs (SELL) : M. David NEICHEL, président, Mme Cécile RUSSEIL (Ubisoft) et M. Marc MOSSÉ (Microsoft)

Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC) : M. Guillaume BLANCHOT, directeur de l'audiovisuel et de la création numérique

9 avril 2013

Société des auteurs dans les arts graphiques et plastiques (ADAGP) : Mme Marie-Anne FERRY-FALL, directrice générale, et M. Thierry MAILLARD, directeur juridique

UBISOFT : M. Xavier POIX, directeur des studios français

16 avril 2013

UFC-Que Choisir : M. Nicolas GODEFROY, responsable juridique

École des Gobelins : Mme Marie-France ZUMOFEN, directeur adjoint et M. Nicolas ESPOSITO, enseignant-chercheur

23 avril 2013

Ministère de la culture et de la communication : M. Philippe CHANTEPIE, chef du département des études, de la prospective et des statistiques

Syndicat des producteurs de film d'animation (SPFA) : M. Stéphane LE BARS, délégué général

14 mai 2013

Ministère du redressement productif : Mme Cécile DUBARRY, chef du service des technologies de l'information et de la communication à la direction générale de la compétitivité, de l'industrie et des services (DGCIS)

21 mai 2013

MM. Olivier LEJADE, fondateur et directeur de Mekensleep, et Mathieu TRICLOT, enseignant-chercheur, auteur de « Philosophie des jeux vidéo »

28 mai 2013

M. Emmanuel OLIVIER, ancien président-directeur général d'Index+

3 juin 2013

M. Alain LE DIBERDER, directeur des programmes d'ARTE France

4 juin 2013

Quantic Dream : M. Guillaume de FONDAUMIÈRE, co-CEO et Executive producer

Déplacements

19 avril 2013 : Nord

- Entretiens à Valenciennes à Supinfogame, école de formation aux métiers du jeu vidéo, avec :

Mmes Anne BROTOT, directrice de Rubika, Laure CASALINI, directrice de Supinfogame, M. Jerzy KULAR, directeur de Supinfocom, Mme Corinne LERUSTE, directrice de la communication de Rubika.

Présentation de projets de diplôme par les étudiants de dernière année.

- Visite à Roubaix de la société Ankama et entretiens avec :

MM. Cyril MORANCE, directeur juridique groupe, David TALMAT, directeur marketing jeux vidéo France, Romain SEGUY, directeur administratif et financier, Christophe DÉCARPENTRIE, secrétaire général, Mmes Emilie VARNIER, directrice des ressources humaines et Florence DI RUOCCO, attachée de presse

14 juin 2013 : Bordeaux

- Visite des sociétés Nova Box, Asobo Studio et Be tomorrow

- Réunion de travail avec M. Nicolas BARIDON (Idsc groupe), Mmes Sylvie CLIN (Be tomorrow), Carine GERBE (Be view), MM. Frédéric RORAY, président de Bordeaux Games, Pierre GOGUET, président, et Dominique BABIN, directeur général de la Chambre de commerce et d'industrie de Bordeaux, et Vincent FELTESSE, député

- Visite des locaux de la future Cité du numérique

- « Tweeter Camp 2013 », Conseil régional d'Aquitaine

M. André GATTOLIN, rapporteur pour la commission de la culture, de l'éducation et de la communication, a également rencontré plusieurs acteurs du jeu vidéo lors d'un déplacement à Montréal (Canada) au mois de mai 2013 . Il tient à cet égard à remercier M. Fabrice BLASQUEZ, conseiller économique à l'ambassade de France au Canada, pour l'organisation de ces entretiens.


* 1 Hermès n° 62 (2012) « Quand jouer, c'est communiquer ».

* 2 Introduction aux enjeux artistiques et culturels des jeux vidéo - 2003.

* 3 Alain et Frédéric Le Diberder - L'univers des jeux vidéo .

* 4 Salles ouvertes au public rassemblant des bornes de jeux vidéo se présentant sous la forme d'un meuble muni d'un monnayeur, d'un écran et d'un dispositif de contrôle.

* 5 Le marché du jeu vidéo sur support physique en 2011 - Les études du CNC - Octobre 2012.

* 6 La création dans l'industrie du jeu vidéo - Culture études n° 2009-1 - Janvier 2009.

* 7 Les pratiques de consommation des jeux vidéo des Français (2 e semestre 2011) - Les études du CNC - Octobre 2012.

* 8 Le jeu vidéo en France en 2012, éléments clés - SNJV.

* 9 Goût pour les jeux vidéo, goût pour le sport, deux activités liées chez les adolescents - Culture Prospective n° 2007-2 - Mai 2007.

* 10 Le Journal of Experimental Social Psychology, intitulée « The more you play, the more aggressive you become : a long-term experimental study of cumulative violent video game effects on hostile expectations and aggressive behavior »

* 11 J. Pena - The Priming Effets of Avatars in Virtual Settings - 2009.

* 12 N. Yee et J. Bailenson - The Proteus Effect, The Effect of Transformed Self-Representation on Behavior - 2007.

* 13 In « Les jeux vidéo comme objet de recherche », sous la direction de Samuel Rufat et Hovig Ter Minassian - Juillet 2012.

* 14 Introduction aux enjeux artistiques et culturels des jeux vidéo - 2003.

* 15 Les jeux et les hommes - 1957.

* 16 Revue Hermès n° 62 « Quand jouer, c'est communiquer » - 2012.

* 17 Les jeux vidéo, Que sais-je ? , Bernard Jolivat, 1994.

* 18 La création des jeux vidéo en France en 2001 , rapport de MM. Frédéric et Alain Le Diberder pour le Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique.

* 19 Le modèle économique des jeux vidéo, un colosse en péril , Alain Le Diberder, in Hermès, n° 62, 2012.

* 20 Sans le crédit d'impôt jeu vidéo, nous serions obligés de délocaliser , article de Raphaële Karayan dans L'express , publié le 14 mars 2012.

* 21 Décret n° 2007-1579 du 7 novembre 2007 pris pour l'application de l'article 220 du code général des impôts relatif au crédit d'impôt pour dépenses de distribution de programmes et de formats audiovisuels et modifiant l'annexe III à ce code.

* 22 Programme MEDIA 2014-2019, Contribution des entreprises françaises du secteur des jeux vidéo, SNJV.

* 23 Les deux autres volets qu'il comporte sont, l'un relatif à la culture, l'autre transsectoriel.

* 24 Les guerres économiques des jeux vidéo , ParisTech Review, mars 2013.

* 25 La sinistralité du jeu vidéo , Zalis, octobre 2005.

* 26 L'emploi, les métiers et les rémunérations dans le jeu vidéo , enquête 2012 réalisée par le SNJV et Opcalia.

* 27 Voir sur ce point l'article dont sont issus les développements suivants : L'industrie du jeu vidéo : caractéristiques socio-économiques et principales tendances d'évolution , Nicolas Auray et Myriam Davidovici-Nora, projet PANIC - Telecom Paristech, version de septembre 2010.

* 28 14 e édition de l'étude annuelle « Global Entertainment & Media Outlook » de PricewaterhouseCoopers (PwC) sur les perspectives de l'industrie des médias et des loisirs dans les cinq prochaines années, réalisée dans 50 pays, juin 2013.

* 29 Le marché mondial des jeux vidéo : vers une nouvelle phase de croissance , article de Laurent Michaud dans la revue Géoéconomie, automne-hiver 2012.

* 30 Cité sur jeuxvideo.com : http://www.jeuxvideo.com/dossiers/00013178/tout-sur-le-prix-de-vos-jeux-le-marketing-009.htm

* 31 Sébastien Genvo, dans son ouvrage sur l'introduction aux enjeux artistiques et culturels des jeux vidéo (2003), cite l'exemple suivant : « Si l'on consulte les offres d'emplois sur Internet de la société Blizzard, qui a conçu entre autre Diablo 2, les exigences concernant les postes de production ne stipulent que rarement la nécessité d'une expérience professionnelle. (...) Pour un poste de level designer , les compétences requises sont avant tout la passion du jeu vidéo. »

* 32 Dix mesures clés pour relever les défis industriels du jeu vidéo.

* 33 Le régime juridique des oeuvres multimédias : droits des auteurs et sécurité juridique des investisseurs - Valérie-Laure Benabou et Jean Martin - Rapport pour le CSPLA - Mai 2005.

* 34 Le régime juridique du jeu vidéo en droit d'auteur - Patrice Martin-Lalande - Novembre 2011.

* 35 La France dans le marché mondial des jeux vidéo , article de Nicolas Gaume dans la revue Géoéconomie, automne-hiver 2012.

* 36 10 mesures clés pour relever les défis industriels du jeu vidéo. Une industrie stratégique pour la France , document édité à l'attention des candidats à l'élection présidentielle par le SNJV, mars 2012.

* 37 Les dispositions françaises en faveur du jeu vidéo , article de Valérie Bourgoin paru dans la revue Géoéconomie, automne-hiver 2012.

* 38 Financée par le ministère de l'emploi et OPCALIA, cette étude a été réalisée par le cabinet Ambroise Bouteille & Associés auprès d'une centaine d'entreprises du secteur et d'une trentaine d'experts et d'observateurs.

* 39 Le management dans le jeu vidéo ou pourquoi sommes-nous toujours des amateurs, post de Jeremy Chatelaine sur son propre blog, 13 janvier 2007.

* 40 Les autres étant les groupes « design », « image », « technologie » et « transverse ».

* 41 Décret n° 2008-508 du 29 mai 2008 pris pour l'application des articles 220 terdecies et 220 X du code général des impôts et relatif à l'agrément des jeux vidéo ouvrant droit au crédit d'impôt pour dépenses de création de jeux vidéo.

* 42 Arrêté du 29 mai 2008 pris pour l'application des articles 5 et 6 du décret n° 2008-508 du 29 mai 2008 pris pour l'application des articles 220 terdecies et 220 X du code général des impôts et relatif à l'agrément des jeux vidéo ouvrant droit au crédit d'impôt pour dépenses de création de jeux vidéo liste.

* 43 Propositions pour développer l'industrie du jeu vidéo en France - Rapport à l'attention de M. Francis Mer, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie - Décembre 2003.

* 44 Revue Hermès n° 62 (2012) - Les jeux vidéo : quand jouer, c'est communiquer.

* 45 http://fr.vox.ulule.com/-quelles-plates-formes-distribution-numerique-publier-jeu-426/

* 46 Prêts de longue durée, pouvant être distribués par des banques, des sociétés commerciales, des sociétés du secteur public (OSEO) ou l'Etat, dont la rémunération, qui peut être partiellement indexée à certains indicateurs de performance, est composée d'une partie fixe et éventuellement d'une partie variable.

* 47 L'IFCIC gère deux fonds de garantie d'un montant total de 82 millions d'euros et un fonds d'avances remboursables d'environ 10 millions, dont le montant devrait être prochainement doublé.

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