VII. REFONDER UNE THÉORIE DES FINANCES LOCALES

A. UN SYSTÈME INÉGALITAIRE ET DE MOINS EN MOINS LISIBLE

1. Un système complexe et inégalitaire

Les finances locales sont devenues un système où s'enchevêtrent de multiples dotations, compensations, garanties, et mécanismes de péréquation qui rendent toute nouvelle réforme systémique difficile.

C'est le cas en particulier de la dotation globale de fonctionnement (DGF), qui représente 18 % des recettes totales des collectivités territoriales. En effet, la DGF actuelle est née de la sédimentation de diverses dotations, dont la répartition entre collectivités s'avère, pour certaines, difficile à justifier. En conséquence, l'inégalité inhérente à ce système est régulièrement dénoncée.

La multiplication des mécanismes de péréquation contribue également à la perte de lisibilité du système : dotation de solidarité rurale (DSR) ou urbaine (DSU), fonds de péréquation des ressources intercommunales et communales (FPIC), fonds de péréquation départementaux s'agissant par exemple de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) ou des droits de mutation à titre onéreux (DMTO).

Par conséquent, la compréhension du système aux yeux des citoyens - voire des élus eux-mêmes n'est plus garantie. Or, l'article 14 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen dispose : « Tous les Citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs Représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d'en suivre l'emploi et d'en déterminer la quotité, l'assiette, le recouvrement et la durée ». À cette aune, le degré de complexité des finances et de la fiscalité locales ne peut qu'être considéré comme insatisfaisant.

2. La disparition progressive des compétences

Par ailleurs, Laurent Davezies comme Yann Le Meur ont fait part de leur préoccupation face à la perte progressive des compétences dans le domaine des finances locales : au sein de l'État mais aussi dans les universités, les experts susceptibles d'adopter une vision objective et de long terme de ces problématiques sont de plus en plus rares.

Il en résulte un accaparement de ces sujets par les lobbys qu'on ne peut que regretter, et qui justifie que des moyens soient donnés au Parlement pour développer sa propre expertise (cf. supra ).

B. LA CONSTRUCTION D'UNE VÉRITABLE SOLIDARITÉ COMME RÉPONSE AUX INÉGALITÉS TERRITORIALES

1. Un constat : l'inégale répartition des ressources entre les territoires

Votre mission reconnaît qu'une autonomie fiscale plus large ne constitue pas forcément une voie d'avenir, notamment pour les territoires les plus pauvres : l'hétérogénéité des territoires a des conséquences considérables sur les bases fiscales et donc les recettes des collectivités.

Laurent Davezies 11 ( * ) a ainsi mis en évidence l'existence de quatre « France » en fonction du dynamisme et du caractère marchand des territoires (cf. supra ). Plus finement encore, il a souligné la « spécialisation fonctionnelle » des zones en raison notamment de la mobilité des personnes : les individus résident, étudient, travaillent, passent leurs vacances ou leur retraite dans des lieux différents. Chaque type de zone bénéficie de recettes fiscales différentes et fait face à des charges spécifiques (zones résidentielles, commerciales, tertiaires, industrielles, etc.).

Cette hétérogénéité et cette spécialisation des territoires ont donc des effets inégalitaires sur la répartition des ressources entre les collectivités. Or, la crise de 2007-2013 a renforcé ces inégalités territoriales, dont il n'est plus permis de penser qu'elles ne sont que transitoires.

Il n'en demeure pas moins que les collectivités doivent avoir les moyens de garantir l'égalité des citoyens face aux services publics.

2. Un objectif : la réduction des inégalités

Face à cette situation, il convient de prélever les recettes fiscales dans les territoires où est créée la richesse, c'est-à-dire la valeur ajoutée.

Mais l'hétérogénéité des territoires est telle qu'il est nécessaire d'accompagner cette territorialisation de la recette d'une véritable solidarité financière entre les collectivités. Cette solidarité s'effectue grâce à un partage des ressources fiscales, c'est-à-dire grâce à des dispositifs de péréquation donnant aux collectivités les moyens de leurs missions, prenant en compte leur richesse relative.

Ainsi, un système modernisé des finances locales reposerait-il sur ce principe simple de prélèvement de la richesse là où elle est créée, et d'un partage des recettes ainsi procurées grâce à une péréquation horizontale renforcée progressivement.

L'importance prise par les mécanismes de péréquation et leur nécessaire renforcement justifieraient la clarification et l'unification des critères de la péréquation ; il serait également indispensable de lui fixer un objectif chiffré de réduction progressive des inégalités. Une telle mesure de l'efficacité de la péréquation est certes délicate, mais l'utilisation de l'indicateur de ressources élargies (IRE) créé à l'initiative de la commission des finances du Sénat constitue une indéniable piste.

Tirer les conséquences de la mondialisation et des écarts de dynamisme territoriaux pour refonder une théorie des finances locales

Cette nouvelle théorie des finances locales pourrait reposer sur des principes simples, gages de sa lisibilité pour tous qui pourraient être les suivants : une fiscalisation de la richesse là où est créée la valeur ajoutée, modérée par une péréquation horizontale renforcée, prenant en compte la richesse des collectivités, et dont l'efficacité serait mesurée à l'aune de la réduction des inégalités qu'elle permet.


* 11 Davezies, (L.), La Crise qui vient : la nouvelle fracture territoriale , éditions du Seuil, Paris, 2013.

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