B. DE MULTIPLES JURIDICTIONS D'ATTRIBUTION AUX COMPOSITIONS TRÈS DIFFÉRENTES

L'expression « juridiction » est suffisamment large pour embrasser sous une même notion des réalités très différentes. Ce qui distingue une juridiction d'une autre est la matière qui lui est dévolue et la procédure qu'elle suit.

Le code de l'organisation judiciaire recense ainsi presqu'une vingtaine de juridictions d'attribution.

Nombre d'entre elles, toutefois, se rattachent au TGI, parce qu'elles sont composées de magistrats de ce tribunal comme le tribunal d'instance, ou que, faute de disposer d'un greffe ou de moyens propres, elles dépendent de ceux du TGI, comme la juridiction de l'expropriation.

Quelques-unes, cependant, s'en distinguent nettement par leur composition : soit les juges sont élus, comme au sein des conseils de prud'hommes ou des tribunaux de commerce, soit le magistrat professionnel est assisté de magistrats non professionnels, selon la logique de l'échevinage, comme pour le tribunal paritaire des baux ruraux ou le tribunal des affaires de sécurité sociale

Ces différences de composition reflètent des différences dans la mission qui leur est dévolue, que traduisent aussi leurs particularités procédurales.

1. Les juridictions composées de magistrats du TGI
a) Le tribunal d'instance

Héritier des juges de paix, le tribunal d'instance est souvent présenté comme la juridiction du quotidien et de la précarité. Son champ de compétence est large, puisqu'il connaît de toutes les affaires civiles personnelles ou mobilières d'un montant inférieur à 10 000 euros, sous réserve des compétences des juridictions de proximité ( cf. infra ).

Le tribunal d'instance connaît aussi de la saisie des rémunérations, du traitement des situations de surendettement des particuliers et de la procédure de rétablissement personnel. Enfin, il est juge des tutelles et juge de l'exécution pour les matières de sa compétence. Constitué en tribunal de police, il se prononce sur les contraventions.

Le tribunal d'instance statue à juge unique, selon une procédure simple, sans représentation obligatoire d'avocat, qui laisse une large place à la conciliation.

Il est constitué de magistrats du TGI, spécialement affectés à l'instance par leur décret de nomination, mais qui peuvent être appelés à participer aux travaux du tribunal de grande instance, lorsque leur charge à l'instance est inférieure à un temps plein. En revanche, les personnels de greffe sont spécifiquement affectés au tribunal d'instance et ne peuvent, sauf temporairement, accomplir leur service au TGI.

Jusqu'au 1 er janvier 2015, date de la suppression de la juridiction de proximité 12 ( * ) , les tribunaux d'instance accueillent ces juridictions et le juge d'instance peut être appelé à suppléer les juges de proximité dans leur charge. À partir de cette date, le contentieux des juridictions de proximité sera reversé auprès des tribunaux d'instance, qui redeviendront compétents pour les litiges civils d'un montant inférieur à 4 000 euros.

La juridiction de proximité, jusqu'au 1 er janvier 2015

Conçue à l'origine comme la juridiction des petits litiges de la vie quotidienne, hébergée au siège du tribunal d'instance, la juridiction de proximité, qui statue à juge unique, exerce ses compétences en matière civile comme en matière pénale.

Le juge de proximité est ainsi compétent pour trois types de litiges civils :

- les actions personnelles ou mobilières jusqu'à la valeur de 4 000 euros. Il statue alors en dernier ressort et sa décision ne peut faire l'objet que d'un pourvoi en cassation (art. L. 231-3 et R. 231-3 du code de l'organisation judiciaire) ;

- les demandes indéterminées ayant pour origine l'exécution d'une obligation dont le montant n'excède pas 4 000 euros. La décision du juge de proximité est alors susceptible d'appel ;

- les injonctions de payer et de faire, pour un montant inférieur à 4 000 euros.

En matière pénale, le juge de proximité connaît des quatre premières classes de contravention (art. 521 du code de procédure pénale). Toutefois, le tribunal de police reste compétent pour juger les contraventions de la quatrième classe en cas de diffamation ou d'injure non publique (art. R. 41-11 du code de procédure pénale).

La réforme de la carte judiciaire a principalement touché les tribunaux d'instance, puisqu'elle en a réduit le nombre de près du tiers. Il n'en reste ainsi plus que 305 en 2011, contre 476 en 2008, soit un peu moins du double du nombre de TGI (161).

b) Les juridictions intégrées au TGI

Ces juridictions seront seulement mentionnées pour mémoire. En effet, dans la perspective d'une réflexion sur un tribunal de première instance, leur regroupement au sein du TGI ne ferait pas de difficulté, dans la mesure où elles y sont d'ores et déjà rattachées, sous la forme de chambres ou de services juridictionnels particuliers, et relèvent, pour leur gestion administrative, du président du tribunal de grande instance.

Il en est ainsi, par exemple, de la juridiction de l'instruction, du juge des enfants, du juge de l'expropriation, du tribunal d'application des peines ou du juge aux affaires familiales.

2. Les juridictions composées de juges élus : les tribunaux de commerce et les conseils de prud'hommes

Le tribunal de commerce et le conseil des prud'hommes 13 ( * ) ont en commun d'être constitués de juges élus en leur sein par ceux dont ils règleront les différends.

Cette composition a partie liée avec les domaines couverts par ces deux juridictions, les affaires commerciales pour le premier, et les litiges individuels du contrat de travail pour le second 14 ( * ) .

Elle s'explique par la technicité de ces contentieux, la nécessité d'être averti des usages professionnels en vigueur et, pour les conseils des prud'hommes, l'influence du paritarisme.

Elle contribue à l'autonomie de ces deux juridictions au sein de l'organisation judiciaire française.

Leur autonomie administrative est garantie : les deux juridictions sont administrées par leur président, élu, et disposent d'un greffe distinct de celui du tribunal de grande instance. Le greffe des tribunaux de commerce présente la particularité de ne pas être constitué de fonctionnaires, contrairement aux autres, mais d'être assuré par des titulaires de charge.

Leur autonomie juridictionnelle est importante, mais elle n'est toutefois pas absolue : elle se limite au premier degré de juridiction, la cour d'appel étant seule compétente en ces matières en cas d'appel. En outre, en cas de partage égal des voix dans une affaire prud'homale, un magistrat départiteur est nommé. Les tribunaux de commerce sont quant à eux soumis à l'échevinage dans les ressorts des cours d'appel de Colmar et de Metz, et il existe, outre-mer, des tribunaux mixte de commerce, composés de juges élus, mais placés sous la présidence du président du tribunal de première instance.

On compte aujourd'hui, après la réforme de la carte judiciaire, 209 conseils de prud'hommes et 130 tribunaux de commerce.

3. Les juridictions échevinales

L'échevinage désigne la composition d'une juridiction qui réunit auprès de magistrats professionnels des magistrats non professionnels, issus des rangs des citoyens (jury de cour d'assises), de représentants -élus ou désignés- des catégories socioprofessionnelles (assesseurs du tribunal paritaire des baux ruraux ou des juridictions de sécurité sociale) ou de personnalités particulièrement qualifiées (assesseurs du tribunal pour enfants ou assesseurs du tribunal maritime 15 ( * ) ).

Si l'on met de côté l'organisation particulière des tribunaux de commerce en Alsace-Moselle, on compte trois juridictions échevinales civiles 16 ( * ) : le tribunal paritaire des baux ruraux, le tribunal des affaires de sécurité sociale et le tribunal du contentieux de l'incapacité.

• Le tribunal paritaire des baux ruraux

Le tribunal paritaire des baux ruraux est chargé de trancher les litiges qui naissent à l'occasion d'un contrat de bail rural, entre le propriétaire de la terre louée (le « bailleur ») et celui qui la lui loue (le « preneur » du bail).

Il se confond largement avec le tribunal d'instance, puisqu'il recouvre le même ressort et qu'il est présidé par un juge d'instance. Ce tribunal est en principe complété par quatre assesseurs, deux représentants élus des bailleurs et deux des preneurs de baux ruraux. Toutefois, faute de vocation, les carences sont fréquentes, de sorte que le juge d'instance est souvent appelé à statuer seul.

• Le tribunal des affaires de sécurité sociale (TASS) et le tribunal du contentieux de l'incapacité (TCI)

Le tribunal des affaires de sécurité sociale connaît des contentieux relatifs aux cotisations ou aux prestations sociales, qui naissent entre les assurés sociaux et les organismes de sécurité sociale.

Il est présidé par un magistrat de l'ordre judiciaire, en activité ou honoraire, assisté de deux assesseurs désignés parmi les représentants des salariés et ceux des employeurs.

Son ressort territorial ne se confond pas avec celui d'une autre juridiction judiciaire, puisqu'il correspond en réalité à tout ou partie de celui de la circonscription des organismes de sécurité sociale.

Surtout, les frais de fonctionnement de cette structure sont largement assumés par la sécurité sociale -à l'exception de la rémunération des magistrats en activité. Le service de greffe présente la particularité d'être assuré par des secrétariats de juridiction gérés par les directions régionales de la jeunesse, des sports et de la cohésion sociale, et constitués principalement d'agents rémunérés par la sécurité sociale, à ce titre salariés de droit privé.

L'organisation est sensiblement la même pour les tribunaux du contentieux de l'incapacité, qui ont, en revanche, pour mission de statuer sur les questions médicales relatives à l'appréciation des taux d'invalidité, d'incapacité ou de nécessité de soins.

Les décisions rendues par le tribunal des affaires de sécurité sociale relèvent, en appel, de la chambre sociale de la cour d'appel du ressort, tandis que celles rendues par le tribunal du contentieux de l'incapacité relèvent en revanche de la cour nationale de l'incapacité et de la tarification de l'assurance des accidents du travail, dont le siège est à Amiens.


* 12 La suppression de ces juridictions a été décidée dans la loi n° 2011-1862 du 13 décembre 2011 relative à la répartition des contentieux et à l'allègement de certaines procédures juridictionnelles, conformément à la recommandation de la commission sur la répartition des contentieux présidée par le doyen Serge Guinchard. Celle-ci, qui devait intervenir au 1 er janvier 2013 a cependant été reportée de deux ans par la loi n° 2012-1441 du 24 décembre 2012 relative aux juridictions de proximité.

* 13 Relèvent de la même logique, quoique pour traiter des relations entre les pêcheurs de Méditerranée, les prud'homies de pêche, dont le régime est défini par le décret du 19 novembre 1859 sur la police de la pêche côtière dans le cinquième arrondissement maritime.

* 14 Les litiges relatifs aux conflits collectifs du travail relèvent en revanche du TGI.

* 15 Ce tribunal maritime remplace le tribunal maritime commercial pour connaître des infractions maritimes, en vertu de l'ordonnance n° 2012-1218 du 2 novembre 2012 portant réforme pénale en matière maritime.

* 16 Les juridictions pénales échevinales sont, elles au nombre de quatre : la cour d'assises, la cour d'assises pour mineurs, le tribunal pour enfants et le tribunal maritime. En revanche, le tribunal correctionnel pour mineurs, qui n'est qu'une formation spécialisée du tribunal correctionnel, n'est pas échevinal.

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