B. LE PROJET EUROPÉEN : QUELLE DIMENSION ÉTHIQUE ?

L'éthique est une réflexion qui vise à déterminer le bien agir. Pour ce faire, la philosophie morale nous enseigne que l'éthique requiert de l'individu ou de la collectivité la mise en oeuvre de « vertus », qui sont des dispositions à bien agir. Ces « vertus » sont ce que le vocabulaire contemporain traduit volontiers par le terme de « valeurs ». Agir en vue du bien en fonction ou au nom de valeurs/vertus : c'est à travers ce prisme que la dimension éthique du projet européen se concrétise.

1. L'Europe, une communauté de valeurs

Après la Seconde guerre mondiale, la création du Conseil de l'Europe en 1949 et le lancement du projet de Communauté européenne du charbon et de l'acier (CECA), suite au discours de Robert Schuman le 9 mai 1950, ont été l'occasion de réaffirmer les fondements éthiques et culturels de l'identité européenne : respect de la dignité humaine, liberté, égalité, solidarité, État de droit, progrès, universalisme... Droits de l'Homme et démocratie ont notamment été érigés en critères absolus.

Ces droits et libertés, placés au sommet de la hiérarchie des valeurs européennes, sont issus d'un héritage historique et culturel commun. La déclaration suivante d'Alcide de Gasperi, ministre des affaires étrangères de l'Italie au moment de la création de la CECA, un des pères fondateurs de l'Europe communautaire, résume à sa façon la teneur de cet héritage, rendant possible une communauté de destin : « L'héritage européen commun, cette éthique partagée par tous qui exalte l'idée et la responsabilité de la personne humaine, avec son ferment de fraternité évangélique, avec son sens du droit hérité de l'Antiquité, avec son culte de la beauté affiné depuis des siècles, avec le souci de la vérité et de la justice fondé sur une expérience millénaire » 4 ( * ) .

On retrouve la référence à cet héritage commun dans les textes officiels. Le Statut du Conseil de l'Europe, adopté en 1949, précise ainsi que les pays fondateurs sont « inébranlablement attachés aux valeurs spirituelles et morales qui sont le patrimoine commun de leurs peuples et qui sont à l'origine des principes de liberté individuelle, de liberté politique et de prééminence du droit, sur lesquels se fonde toute démocratie véritable ». De même, le préambule du traité sur l'Union européenne (TUE) fait référence aux « héritages culturels, religieux et humanistes de l'Europe, à partir desquels se sont développées les valeurs universelles que constituent les droits inviolables et inaliénables de la personne humaine, ainsi que la liberté, la démocratie, l'égalité et l'État de droit ».

Le Conseil de l'Europe et l'Union européenne ont pour objectif de préserver et de promouvoir ces valeurs, dont ils sont les dépositaires historiques et qu'ils considèrent comme universelles. Ces valeurs inspirent la législation et les recommandations de ces institutions. Leur non-respect peut être sanctionné par la Cour de justice de l'Union européenne et la Cour européenne des droits de l'Homme de Strasbourg.

Les valeurs du projet européen recoupent des préoccupations qui sont au coeur de la réflexion éthique. Ainsi, c'est au travers des droits fondamentaux que l'Europe affirme sa dimension éthique.

2. Les droits de l'Homme, boussole éthique de l'Europe

René Cassin, dans son discours de réception du prix Nobel de la paix, en 1968, déclara que la Déclaration universelle des droits de l'Homme était « le premier manifeste d'ordre éthique que l'humanité organisée ait jamais adopté ». Par cette affirmation, René Cassin a exprimé de façon directe la force des liens qui unissait selon lui droits de l'Homme et éthique.

Auditionnée par votre rapporteur, Michèle Guillaume-Hofnung, Professeur de droit à l'Université Paris II, et vice-présidente du Comité des droits de l'Homme et des questions éthiques de la Commission nationale française de l'UNESCO, soutient ce point de vue. Elle démontre dans ses écrits que c'est à travers la notion de dignité humaine que la jonction entre droit et éthique se réalise : « Le primat de la dignité humaine, clef de voûte de tout l'édifice des droits de l'Homme, est aussi une valeur éthique primordiale. La dignité, qualité que l'individu tire à la fois de sa valeur unique et irremplaçable d'individu et de sa valeur universelle d'homme, entraînant le respect de droits imprescriptibles, indivisibles et universels, opposables à l'État comme aux autres individus, appartient aux deux domaines ». Michelle Guillaume-Hofnung ajoute que le droit a cet avantage de procurer protection et efficacité aux valeurs éthiques qui ne sauraient être respectées autrement. En conséquence, elle estime que les droits de l'Homme sont une indispensable boussole de l'éthique de nos jours.

Le lien entre droits de l'Homme et valeurs éthiques se vérifie dans les grands textes européens consacrant les droits de l'Homme et les libertés fondamentales que sont la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.

Rappelons, qu'historiquement, la protection des droits fondamentaux a relevé pendant longtemps du Conseil de l'Europe (dès 1950). Ce n'est, en effet, qu'en 2000 que l'Union européenne choisit d'adopter une Charte proclamant les droits et libertés que chaque État membre considère comme inhérents à la personne humaine, érigeant ceux-ci comme normes fondatrices de l'Union. Outre qu'elle agit à présent comme un rappel des principes qui constituent le fondement de l'identité européenne pour les États membres, la Charte figure également un modèle pour tous les pays candidats, qui doivent pleinement adhérer à ce socle de valeurs communes et non pas seulement manifester la volonté d'entrer dans un marché ou de bénéficier d'aides.

Il est intéressant de noter que la Charte des droits fondamentaux, en dehors des droits civils et politiques, et des droits économiques et sociaux, consacre également des droits de « nouvelle génération » comme ceux relatifs à la bioéthique, soulignant ainsi de manière plus évidente le lien qui associe éthique et droits de l'Homme. L'article 3 proclame ainsi le droit à son intégrité physique et mentale et vise précisément dans le cadre de la médecine et de la biologie : le consentement libre et éclairé, l'interdiction de pratiques eugéniques, l'interdiction de faire du corps humain et de ses parties une source de profit, l'interdiction du clonage reproductif. La Convention sur les droits de l'Homme et la biomédecine, signée à Oviedo en 1997, dans le cadre du Conseil de l'Europe, cristallise également le lien entre protection des droits de l'Homme et bioéthique : elle vise à protéger « l'être humain dans sa dignité et son identité et garantissent à toute personne, sans discrimination, le respect de son intégrité et de ses autres droits et libertés fondamentales à l'égard des applications de la biologie et de la médecine » et pose comme principe de base que « l'intérêt et le bien de l'être humain doivent prévaloir sur le seul intérêt de la société ou de la science ».


* 4 G. Audisio et A. Chiara, « Schuman, Adenauer et De Gasperi, fondateurs de l'Europe unie selon le projet de Jean Monnet », Paris, Salvator, 2004.

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