II. QUELLE PLACE POUR L'ÉTHIQUE EN EUROPE ?

A. LA PRISE EN COMPTE INSTITUTIONNELLE DE L'ÉTHIQUE A L'ÉCHELLE EUROPÉENNE

Dès le début des années 1970, une réflexion sur les risques des avancées scientifiques et médicales a émergé en Europe. C'est d'abord au niveau du Conseil de l'Europe puis auprès des instances communautaires que s'est peu à peu institutionnalisée cette réflexion.

1. Le Conseil de l'Europe

Le Conseil de l'Europe a pour mission de promouvoir les principes et valeurs qui sont le patrimoine commun de l'Europe (voir I-B) et, sur ce fondement, organise les conditions d'une coopération intergouvernementale permettant d'apporter des réponses communes aux grands « problèmes de société ». Dans un contexte de développement scientifique sans précédent, l'institution s'est très tôt interrogée sur les risques de dérive et a cherché à construire un équilibre entre la promotion du progrès scientifique et la protection de l'être humain et de la dignité humaine.

L'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe (APCE) a ainsi pris, dès la fin des années 1970, un certain nombre de résolutions et de recommandations afin d'inciter les États membres à légiférer dans le champ de la bioéthique. Elles concernaient les droits des malades et des mourants (1976), les droits des malades mentaux (1978), l'encadrement de l'ingénierie génétique (1982), l'utilisation d'embryons et foetus humains à des fins diagnostiques, thérapeutiques, scientifiques, industrielles et commerciales (1986) ou les problèmes de la recherche sur le génome humain (1989).

Parallèlement, le Conseil de l'Europe s'est doté en 1985 d'un organe spécialisé, le Comité ad hoc pour la bioéthique (CAHBI), placé sous l'autorité du comité des ministres, et chargé de réfléchir aux questions d'éthique médicale. En 1992, le CAHBI prend le nom de Comité directeur pour la bioéthique (CBDI) et se voit confier la tâche d'élaborer la future convention d'Oviedo. Sans que cela affecte son rôle et ses fonctions, ce comité, à la faveur d'une réorganisation récente du Conseil de l'Europe, a été rattaché au Comité des droits de l'Homme et se dénomme désormais Comité directeur de bioéthique (DH-BIO).

Le Comité directeur de bioéthique (DH-BIO) est responsable des activités intergouvernementales du Conseil de l'Europe dans le domaine de bioéthique. Il développe une réflexion pluraliste et pluridisciplinaire mais sa composition (il est constitué d'experts qui sont désignés par les États membres du Conseil de l'Europe et qui représentent donc leur gouvernement respectif) ainsi que son rôle normatif ne permettent de le considérer comme un comité d'éthique.

Le DH-BIO se distingue en effet des autres instances européennes ou nationales chargées de conduire une réflexion éthique par sa capacité à produire de la norme juridique. Les travaux du Comité ont ainsi permis l'élaboration de la Convention sur les droits de l'Homme et la biomédecine (dite « Convention d'Oviedo) et de ses quatre protocoles additionnels (voir II- B- 3).

Le DH-BIO agit sur mandat du comité des ministres et en collaboration avec l'APCE. Par ailleurs, dans le cadre du mandat qui lui est confié par la Convention, il a pour tâche de mener des réexamens périodiques de la Convention et des protocoles, de développer plus en détail les principes inscrits dans la Convention si nécessaire, de sensibiliser à ces principes et d'en faciliter la mise en oeuvre, enfin d'évaluer les enjeux éthiques et juridiques des développements dans le domaine biomédical.

Le DH-BIO joue un rôle moteur dans la réflexion bioéthique au sein du Conseil de l'Europe. Il entretient une collaboration suivie avec les professionnels de santé ou de la recherche, les représentants des patients ainsi qu'une coopération active avec les autres organisations internationales (Union européenne, Unesco, OMS...). Il rédige des livres blancs et des rapports sur des questions d'actualité dans le domaine de la bioéthique et contribue au débat public en organisant des colloques ou des symposiums.

2. L'Union européenne
a) La Commission européenne

Afin de mieux intégrer les préoccupations éthiques dans le cadre de son action, la Commission européenne a développé une approche institutionnelle s'appuyant sur les principes-clés suivants : consultation, coordination et spécialisation.

(1) Le groupe européen d'éthique des sciences et des nouvelles technologies

Le Groupe européen d'éthique des sciences et des nouvelles technologies (Groupe européen d'éthique - GEE) est l'organe le plus emblématique de la volonté affichée par les instances européennes de prendre en compte les enjeux éthiques dans le cadre de l'élaboration des politiques de l'Union.

Le GEE a été créé par une décision de la Commission européenne en décembre 1997, avec pour mission de conseiller celle-ci sur les questions éthiques posées par les sciences et les nouvelles technologies. Il a succédé au Groupe de conseillers pour l'éthique de biotechnologie (GCEB) institué en 1991, dont le champ de compétence était plus limité. Son rôle institutionnel a été reconnu dès 1998 par la directive 98/44/CE relative à la protection juridique des inventions biotechnologiques qui lui a expressément donné le mandat d'évaluer « tous les aspects éthiques liés à la biotechnologie ». Le GEE agit sur mandat du président de la Commission européenne, renouvelable tous les cinq ans.

Calqué sur le modèle classique des comités d'éthique, le GEE est naturellement une instance « pluraliste, indépendante et pluridisciplinaire ». Cet organe consultatif, qui se réunit onze fois par an, est composé de quinze personnalités nommées par la Commission européenne en raison de leur expertise et de leurs qualités individuelles. La sélection est le fruit d'un appel ouvert à manifestations d'intérêt. Lorsqu'ils sont désignés, les membres signent une déclaration d'indépendance marquant ainsi le fait qu'ils siègent à titre personnel et s'engagent à conseiller la Commission en dehors de toute influence extérieure : ils ne sont donc en aucun cas les représentants de leur État membre d'origine. De même, ils ne peuvent recevoir d'instruction d'aucune autorité ou service européens. Cette marque d'indépendance se trouve renforcée par le choix de limiter à 15 le nombre des membres du GEE et de ne pas recourir à un système de représentation à 27 garantissant un siège par État membre. C'est une situation inédite parmi les institutions européennes.

Nommés pour un mandat de cinq ans, renouvelable deux fois, les membres du GEE sont choisis en fonction de leurs compétences, dans le but de pouvoir former trois groupes distincts et équivalents de juristes, de scientifiques et d'« éthiciens » (philosophes, théologiens, etc.). Pour chaque avis, trois rapporteurs sont ainsi désignés, issus de chacun de ces groupes de compétence. Un critère non officiel intervient dans la sélection des candidats : il s'agit de la représentation des différentes traditions de la pensée européenne. La Commission tente ainsi de réaliser un savant mélange au sein du GEE pour y réunir à la fois les tenants des principes éthiques issus de la tradition anglo-saxonne ou scandinave, et les héritiers de la culture rhénane ou gréco-latine. L'objectif est de créer les conditions d'un débat dont on puisse considérer qu'il est l'expression de la diversité de l'héritage historique et culturel européen. Enfin, la Commission européenne veille à aboutir à une composition paritaire : actuellement, huit femmes et sept hommes.

COMPOSITION ACTUELLE DU GROUPE EUROPÉEN D'ÉTHIQUE

Président

- M. Julian Kinderlerer ( Royaume-Uni ) : Professeur de Droit (Université de Cape Town) et Professeur de Biotechnologie et Société (Université de Technologie, Delft, Pays-Bas) ;

Membres

- M. le Professeur Emmanuel Agius ( Malte ) : Doyen de la Faculté de Théologie (Université de Malte), Professeur de Philosophie Morale et Théologie Morale ;

- Mme Inez de Beaufort ( Pays-Bas ) : Professeur d'Éthique de la Santé à la Faculté de Médecine, Centre Médical Erasmus, Rotterdam ;

- M. Peter Dabrock ( Allemagne ) : Professeur de Théologie Systémique (Éthique), Université d'Erlangen-Nuremberg ;

- M. Andrzej Gorski ( Pologne ) : Professeur de Médecine, Université de Médecine de Varsovie et Académie des Sciences ;

- Mme Hille Haker ( Allemagne ) : Professeure de Théologie Catholique Morale, Université Loyola à Chicago (depuis 2010); Professeure de Théologie Morale et Éthique Sociale, Université de Frankfurt (depuis 2005) ;

- Mme Ritva Halila ( Finlande ) : Chef de Département, Institut Hjelt, Université de Helsinki (2010-2013) en congé sabbatique; Secrétaire Générale du Conseil National sur la Sécurité Sociale et l' Éthique de la Sante (ETENE) ;

- Mme Paula Martinho da Silva ( Portugal ) : Avocate, Professeur à l'Institut de Bioéthique de l'Université Catholique Portugaise ;

- Mme Linda Nielsen ( Danemark ) : Professeure de Droit International et Gouvernance, docteur en droit (Université de Copenhague) ;

- M. Herman Nys ( Belgique ) : Avocat, Professeur de Droit Médical, Facultés de Droit et Médecine, K.U. Leuven, Belgique ;

- Mme Siobhan O'Sullivan ( Irlande ) : Fonctionnaire spécialisée sur les questions de bioéthique, Département de Santé et Enfance ; Professeure en Ethique et droit de la Santé (Royal College of Surgeons in Ireland) ;

- Mme Laura Palazzani ( Italie ) : Professeure de Philosophie du Droit (Université Lumsa) ;

- Père Puigdomènech Rosell ( Espagne ) : Professeur de Recherche et Directeur des Laboratoires de Génétique Moléculaire Végétale (SIC-IRTA), Barcelone, Espagne ;

- Mme Marie-Jo Thiel ( France ) : Professeure de l'Université de Strasbourg, Directrice du Centre européenne d'enseignement et de recherche en éthique de l'Université de Strasbourg ;

- M. le Professeur Günter Virt ( Autriche ) : Professeur émérite de théologie morale (Université de Vienne).

Le GEE émet des avis à la demande du président de la Commission européenne mais peut également en soumettre de sa propre initiative (les derniers exemples en date concernent le traité ACTA et la révision de la directive sur les essais cliniques). Le Parlement européen et le Conseil peuvent également saisir le GEE par l'intermédiaire de la Commission. En douze années d'existence, le GEE a rendu 17 avis. De 1991 à 1997, 10 avis avaient été présentés précédemment par le groupe de conseillers pour l'éthique de biotechnologie. Ces avis portent principalement sur des questions relevant du domaine de la santé ou touchant aux sciences du vivant : aspects éthiques des banques de tissus humains ; utilisation des données personnelles de santé dans la société de l'information ; recherche sur les cellules souches humaines ; recherche clinique dans les pays en développement ; tests génétiques dans le cadre du travail ; nanomédecine ; clonage animal pour la production alimentaire ; biologie synthétique, etc. Mais le GEE a aussi rendu en 1999 un avis sur les aspects éthiques du dopage dans le sport, et plus récemment, deux avis portant, d'une part, sur l'éthique des technologies de l'information et de la communication et, d'autre part, sur « un cadre éthique pour l'évaluation de la recherche, la production et l'utilisation de l'énergie ». En 2013, le Groupe s'intéressera aux technologies de surveillance. Progressivement, le GEE est donc amené à élargir son périmètre d'intervention.

Les avis du Groupe européen d'éthique s'appuient sur des « principes éthiques fondamentaux communs à la culture européenne », ainsi que l'énonce le premier rapport général d'activité (1998-2000) du GEE. Ces principes éthiques sont les suivants : la dignité humaine, la liberté individuelle, la justice et la bienfaisance, la solidarité, la liberté de la recherche, la proportionnalité (c'est-à-dire un rapport raisonnable entre les buts poursuivis et les méthodes employées). Depuis, le GEE a dégagé dans le cadre de ces analyses d'autres principes comme : la sécurité (dans le domaine alimentaire notamment), la responsabilité, la transparence, le droit à l'information, l'autonomie, la protection de l'environnement (y compris la biodiversité), la prudence (principe de précaution), le bien-être des animaux, etc. D'une manière générale, on constate que les avis du GEE font appel désormais davantage à des principes issus de la pensée des droits de l'Homme alors que par le passé, ils s'appuyaient principalement sur les principes traditionnels de l'éthique biomédicale.

Maurizio Salvi, conseiller pour les questions d'éthique du président de la Commission européenne et chef du secrétariat du GEE, a exposé à votre rapporteur les conditions et les principes qui présidaient à l'élaboration des avis du Groupe. Les avis du GEE sont structurés de la même façon : présentation des enjeux éthiques soulevés par le sujet retenu ; information contextuelle ; état des lieux juridique et scientifique ; possibles moyens d'action ; enfin, recommandations du Groupe à la Commission. Le Groupe a pour règle de rechercher, dans la mesure du possible, une position consensuelle. Cette recherche du consensus n'est pas, toutefois, une finalité absolue puisque le règlement du GEE prévoit que si un avis n'est pas adopté à l'unanimité, il est assorti de toute opinion divergente exprimée, les dissensions étant consignées parallèlement à l'opinion majoritaire (le cas s'est produit sur le sujet de la brevetabilité des inventions impliquant des cellules souches humaines - avis n° 16 du 7 mai 2002). L'approche consensuelle est davantage présentée comme le résultat logique de la démarche éthique menée en amont, qui consiste pour les membres du GEE à prendre en considération les positions et arguments de leurs collègues, dans un esprit de respect et de tolérance. M. Salvi a déclaré que le GEE s'efforçait d'adopter des recommandations qui soient applicables. Cette dimension concrète et pragmatique des avis du GEE contribue ainsi à affirmer la fonction de conseil et d'aide à la décision politique qui a été dévolue au Groupe.

Le GEE maintient dans le cadre de ses travaux un dialogue avec la société civile. Préalablement à l'adoption de chaque avis, il organise ainsi une table ronde publique qui réunit des représentants des institutions de l'Union européenne, des experts, des personnes représentant différents intérêts (ONG, organisations représentatives de personnes malades, organisations représentant les consommateurs ou l'industrie, etc.). Une fois par semestre, le GEE organise un débat international sur l'éthique.

(2) Le Groupe interservice sur l'éthique et les politiques européennes

Créé en juin 2006, le Groupe interservice sur l'éthique et les politiques européennes est une structure visant à coordonner les actions des différents services de la Commission européenne (20 sur 27 sont concernés) dans le domaine de l'éthique. La Commission a en effet fait le constat de la très grande sensibilité de la société civile européenne aux enjeux éthiques et considéré par conséquent qu'il était nécessaire que son administration - au-delà des avis du GEE - soit en mesure de prendre en compte ces questions et d'en débattre. Il est le lointain héritier de structures telles que le Comité de coordination en biotechnologie qui avant lui réunissait les hauts fonctionnaires des directions générales concernées par la biotechnologie afin de coordonner l'action de la Commission dans ce domaine.

Le Groupe interservice constitue une plateforme de dialogue où les Directions Générales (DG) de la Commission, en particulier, peuvent communiquer et échanger des informations sur les initiatives, les projets législatifs dont elles ont la responsabilité et qui comportent une dimension éthique ou mettent en jeu certains principes inscrits dans la Charte des droits fondamentaux. Le but est notamment de détecter les contradictions éventuelles entre services. Ces réunions permettent également de préparer les prises de position de la Commission européenne dans le domaine éthique au sein des organisations internationales, vis-à-vis des autres institutions européennes ou de parties tiers.

Les réunions du Groupe interservice ont lieu 2 à 3 fois par an. Tout comme le GEE, le Groupe interservice est rattaché au bureau des conseillers de politique européenne de la Commission (BEPA). Cet organe est chargé de fournir au président de la Commission européenne, à son collège de commissaires et aux directions générales des réflexions stratégiques et des conseils politiques, notamment en ce qui concerne « l'information de la société civile, les activités institutionnelles dans le domaine de l'éthique des sciences et des nouvelles technologies et la poursuite du dialogue avec les religions, les Églises et les communautés de conviction ».

(3) La Direction Générale pour la recherche et l'innovation

S'il est vrai que plusieurs directions générales de la Commission sont amenées à prendre en compte dans le cadre de leur activité des enjeux éthiques (on pense en particulier à la DG « Santé et protection des consommateurs »), la Direction Générale pour la recherche et l'innovation est toutefois celle qui a poussé le plus loin l'intégration des préoccupations éthiques dans la définition de son action.

Depuis 1984, la Communauté européenne finance des programmes pluriannuels pour la recherche et le développement technologique (« programmes cadres »). L'objectif est d'améliorer la compétitivité européenne en stimulant l'innovation technologique et en renforçant les fondements scientifiques de l'industrie européenne 5 ( * ) .

Dès le 2 e programme-cadre de recherche et développement (1987-1991), la Commission européenne a développé quelques actions visant à prendre en compte les aspects éthiques mais aussi légaux et sociaux de la recherche en sciences du vivant. Mais une impulsion a été donnée en 1994 lorsque la gestion de ces questions a été confiée à une unité administrative dédiée, au sein de la Direction Générale « Sciences, recherche et développement technologique » (DG XII). Cette unité baptisée ELSA ( Ethical, Legal and Social Aspects ) a permis de jeter les bases de la double mission dont est aujourd'hui investie l'unité « Éthique et genre » de la DG « Recherche et innovation ».

L'unité « Éthique et genre » a pour tâche, d'une part, d'animer et promouvoir l'éthique des sciences au sein de l'« Espace de recherche européen » 6 ( * ) et, d'autre part, d'évaluer d'un point de vue éthique les projets de recherche soumis à la Commission européenne dans le cadre des programmes cadres de recherche et de développement (PCRD) en vue de leur financement par l'Europe (voir II- B- 3). La première partie de la mission de l'unité s'inscrit dans le cadre des orientations définies depuis 2000 par la Commission européenne pour tenter de combler le fossé entre science et société civile.

DE « SCIENCE ET SOCIÉTÉ » À « RECHERCHE ET INNOVATION RESPONSABLES »

Tirant notamment les leçons de l'impact sur l'opinion publique européenne de plusieurs scandales alimentaires et sanitaires survenus dans les années 1990, la Commission a cherché depuis 2000 à restaurer la confiance des citoyens dans la science et la technologie.

En novembre 2000, sur l'initiative du commissaire européen à la recherche de l'époque, Philippe Busquin, la Commission publie un document intitulé : « Science, société et citoyens en Europe » qui pose les bases d'un débat qui aboutira à l'élaboration du Plan d'action « Science et société » en 2001. Ce plan s'articule autour de trois axes : promouvoir l'éducation et la culture scientifique en Europe ; élaborer des politiques scientifiques plus proches des citoyens ; renforcer les bases éthiques des activités scientifiques et technologiques. Le Plan d'action « Science dans la société » lui a succédé. Mis en oeuvre dans le cadre du 7e PCRD (2007-2013), ce nouveau plan vise à développer davantage la participation citoyenne dans les politiques de recherche, afin de permettre une intégration harmonieuse des initiatives scientifiques et technologiques dans la société. Il bénéficie pour cela d'un budget largement renforcé, passant de 88 à 330 millions d'euros.

Depuis 2010, la Commission européenne met l'accent dans le cadre du plan d'action « Science dans la société » sur le concept de « recherche et innovation responsables » (RRI) . La RRI repose sur trois piliers : l'acceptabilité éthique, la gestion du risque et le bénéfice pour l'être humain. Dans le cadre de cette initiative, la Commission souhaite donner une direction positive à la science et au développement technologique, en s'appuyant sur l'acquis de nos sociétés démocratiques : droits de l'Homme, principes de dignité, libertés, égalité, solidarité, droits civiques, justice, développement durable.

La mise en oeuvre de ces plans d'action se fait sur la base d'un programme de travail annuel établi par la Commission. Ce programme détaille les thèmes et les types de projets (projets de recherche, projets de coordination, projets d'actions spécifiques,...) que la Commission souhaite financer pour l'année à venir et constitue le document de référence pour un appel à propositions.

Dans le domaine de l'éthique, des financements ont ainsi été accordés à des projets sur la mise en réseau des comités d'éthique, sur la formation des chercheurs à une démarche éthique, sur l'enseignement de l'éthique des sciences dans les universités, sur les ressources documentaires et les méthodologies à développer en commun pour appliquer l'éthique à la recherche scientifique, etc.

La dernière série d'appels à propositions dans le cadre du 7 e PCRD couvre divers problèmes tels que l'amélioration de la coordination entre la science, la démocratie et la loi, des plans d'action d'apprentissage mutuel, le débat sur les résultats et les publications scientifiques, le rôle croissant des femmes dans la science, le soutien à l'enseignement des sciences et de nouvelles méthodes dans ce domaine.

b) Le Parlement européen

Le Parlement européen est apparu dès les années 1980 comme un acteur institutionnel souhaitant peser dans le débat éthique à l'échelle européenne. Comme les autres institutions européennes, il a surtout apporté sa contribution sur des questions relevant des domaines de la biomédecine ou de la biotechnologie. Il en fut ainsi avec la résolution du 14 décembre 1984 sur un programme pluriannuel de recherche dans le domaine de la biotechnologie, la résolution du 8 octobre 1985 sur les conséquences des nouvelles technologies sur la société européenne, la résolution du 16 mars 1989 sur les problèmes éthiques et juridique de la manipulation génétique, la résolution du 16 mars 1989 sur la fécondation artificielle in vivo et in vitro , ou encore plusieurs initiatives concernant le clonage humain en 1993, 1997, 1998 et 2000.

Sur le plan de l'organisation interne, les députés européens ont à leur disposition depuis 1987 une Unité d'évaluation technologique, le STOA - Scientific and Technological Options Assessment -. Le STOA est l'équivalent européen de l'Office des choix scientifiques et technologiques du Parlement français (OPECST). Il a pour mission de réaliser des études et des expertises indépendantes, sur l'impact des nouvelles technologies. Ce travail permet d'identifier différentes options stratégiques, qui sont par la suite utilisées par les commissions parlementaires dans la prise de décision politique. Comme dans le cadre de l'OPECST, les sujets abordés ont souvent une composante éthique. Le STOA confie généralement ses projets de recherche à des contractants extérieurs (universités, instituts de recherche ou laboratoires sélectionnés généralement sur la base d'appel d'offres). Il coopère également avec les organes parlementaires nationaux d'évaluation des choix technologiques dans le cadre du Réseau européen d'évaluation parlementaire de la technologie (EPTA) qui a été mis en place en 1990.

Le Parlement européen a également favorisé, de manière ponctuelle, la réflexion éthique en son sein à travers des structures ad hoc . Citons, pour mémoire : le groupe de travail sur l'éthique dans le domaine des sciences et technologies en Europe qui, dans le cadre de la commission parlementaire de la recherche, du développement technologique et de l'énergie, a conduit, de 1998 à 2002, sous la présidence du français Alain Pompidou, des évaluations sur les problèmes éthiques liés à la recherche dans le domaine des sciences du vivant et des technologies d'information et de communication, en liaison avec le 5 e programme cadre de recherche et développement ; et la commission temporaire sur la génétique humaine et les autres technologies nouvelles en médecine moderne, créée en 2000 suite à la proposition du gouvernement britannique d'autoriser le clonage thérapeutique, et dont le résultat des travaux suscita de profondes discordes entre les députés libéraux et socialistes et les députés du PPE.

c) Le dialogue avec les religions, les Églises et les communautés de conviction

Le dialogue entre les institutions européennes et les organisations religieuses ou de conviction est considéré comme un des vecteurs du débat éthique en Europe. Il s'est peu à peu structuré depuis le début des années 1990.

Ce dialogue repose, à l'origine, sur l'initiative de Jacques Delors qui, alors président de la Commission européenne, appela en 1992 à « donner une âme à l'Union », sans quoi la construction européenne serait, selon lui, condamnée à tourner court. Mû par cette urgence que l'Union européenne devait « offrir à ses citoyens un projet transcendant les seuls matériaux des connaissances juridiques et du savoir-faire économique sur lesquels elle a été bâtie », il décida donc d'instituer en 1994 le dialogue « une âme pour l'Europe - Éthique et spiritualité ».

De 1994 à 2005, le programme « Une âme pour l'Europe » a permis d'instaurer un dialogue informel entre les institutions européennes et les communautés de foi ou de conviction sur le sens du projet européen mais aussi de favoriser les échanges interconfessionnels. Il réunissait les parties prenantes suivantes : la commission des Conférences épiscopales de la Communauté européenne (COMECE) ; la commission Église et société de la Conférence des églises européennes (KEK) ; le Bureau de l'église orthodoxe ; la Conférence des rabbins européens ; le Conseil musulman de coopération en Europe (CMECE) et la Fédération humaniste européenne (FHE).

Le programme avait également pour but de financer l'organisation par ces mêmes communautés de rencontres, séminaires ou activités sociales dont l'objet devait répondre aux objectifs suivants : « promouvoir la réflexion sur le sens spirituel et éthique de la construction européenne ; promouvoir la liberté de penser et d'agir des citoyens devant des contraintes technocratiques de la civilisation moderne ; augmenter une participation transversale des citoyens à travers des rencontres inter-religieuses, oecuméniques ou humanistes ; défendre les valeurs de base comme la tolérance et la solidarité ; augmenter la participation de ceux qui habituellement ne sont pas consultés sur les enjeux de l'Europe ».

La tradition d'un dialogue régulier avec les religions et les organisations non confessionnelles a été maintenue, même après l'interruption du programme « une âme pour l'Europe » en 2005.

Aujourd'hui, ce dialogue a été élevé au rang d'obligation juridique, puisqu'il a été consacré par le traité de Lisbonne et inscrit à l'article 17 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE).

ARTICLE 17
DU TRAITÉ SUR LE FONCTIONNEMENT DE L'UNION EUROPÉENNE

1. L'Union respecte et ne préjuge pas du statut dont bénéficient, en vertu du droit national, les églises et les associations ou communautés religieuses dans les États membres.

2. L'Union respecte également le statut dont bénéficient, en vertu du droit national, les organisations philosophiques et non confessionnelles.

3. Reconnaissant leur identité et leur contribution spécifique, l'Union maintient un dialogue ouvert, transparent et régulier avec ces églises et organisations.

Sur la base de cet article, dont l'application doit faire l'objet de lignes directrices de la part de la Commission européenne, des sommets annuels sont organisés, à l'invitation des institutions européennes (Conseil, Commission, Parlement), d'une part, avec les représentants des Églises et des communautés religieuses présentes en Europe, et, d'autre part, avec les organisations philosophiques et non confessionnelles. Ces rencontres oecuméniques sont complétées environ deux fois par an par des séminaires de dialogue thématiques auxquels participent experts des organisations et hauts fonctionnaires européens.

THÈMES RÉCENTS DES SÉMINAIRES DE DIALOGUE
ORGANISÉS DANS LE CADRE DE L'ARTICLE 17 DU TFUE

Le bureau des conseillers de politique européenne de la Commission (BEPA) a organisé avec les représentants des Églises (1) et ceux des organisations philosophiques et non confessionnelles (2) les séminaires suivants entre 2011 et 2013 :

(1) avec les représentants des Églises :

- « L'intégration des Roms: une nécessité, un défi et un devoir » ;

- « La liberté de religion: un droit fondamental dans un monde qui change rapidement » ;

- « Promotion de la solidarité dans la crise économique actuelle : La contribution de l'Église orthodoxe à la politique sociale européenne » ;

- « L'économie sociale de marché européenne » ;

(2) avec les représentants des organisations philosophiques et non confessionnelles :

- Séminaire de Dialogue sur « Jeunesse - Éducation - Culture » ;

- « Un partenariat pour la démocratie et une prospérité partagée: une volonté commune de promouvoir les droits et libertés démocratiques dans les pays du sud de la Méditerranée » ;

- « Vers une Solidarité Intergénérationnelle en Europe » ;

- Colloque « Réenchanter l'Europe des citoyens »

3. La coopération européenne entre les comités nationaux d'éthique

Afin de coordonner et promouvoir la coopération entre les comités nationaux d'éthique, le Conseil de l'Europe et la Commission européenne ont respectivement créé la Conférence européenne des comités nationaux d'éthique (COMETH) et le Forum des comités d'éthique nationaux (NEC-Forum).

La COMETH s'est réunie tous les deux ans entre 1992 et 2007 mais a cessé ses activités depuis cette date faute de moyens suffisants. L'objectif de ces rencontres était de permettre aux représentants des comités d'éthique des États membres du Conseil de l'Europe d'échanger des informations sur le fonctionnement des comités et de partager leurs expériences. Au-delà, la COMETH avait un rôle d'assistance pour les pays souhaitant instituer un comité d'éthique, de promotion du débat public sur les questions éthiques posées par les développements des sciences biomédicales et plus largement des disciplines de santé.

La constitution d'un Forum des comités d'éthique nationaux a été décidée en décembre 2001 par les autorités de l'Union européenne. Il est aujourd'hui la seule forme de coopération entre comités d'éthique nationaux au niveau européen. Le NEC Forum réunit deux fois par an, dans le pays qui assure la présidence tournante du Conseil de l'Union européenne, les présidents et secrétaires généraux des comités d'éthique nationaux des États membres afin qu'ils puissent échanger des informations sur leur activité nationale et leurs meilleures pratiques. Ces réunions sont également souvent l'occasion d'évoquer les sujets couverts par les avis récents ou à venir du GEE.

Les comités d'éthique allemand, britannique et français ont mis en place, en dehors du cadre du Conseil de l'Europe ou de l'Union européenne, une coopération plus modeste mais plus fructueuse aux dires des représentants du CCNE que votre rapporteur a rencontrés. Les trois comités se rencontrent une fois par an pour échanger sur les différents questionnements auxquels ils sont soumis dans leurs pays respectifs. D'un format plus réduit, ces réunions fonctionnent sur un schéma d'organisation des débats plus souple et plus satisfaisant que celui des conférences européennes. Les trois comités perçoivent cette coopération comme un moyen d'enrichir et approfondir la réflexion européenne et développer éventuellement des convergences. C'est ainsi que les comités allemand et français ont adopté en 2003 un document commun concernant les biobanques.

Auditionné par votre rapporteur, Jean-Claude Ameisen, chargé des questions internationales au sein du CCNE avant d'en prendre la présidence en novembre 2012, a souligné l'intérêt que présentent selon lui ces échanges entre comités d'éthique nationaux. La prise en compte d'opinions formulées par d'autres participe à l'ouverture d'esprit promue par les comités. Les rencontres internationales permettent de prendre conscience de l'existence, dans les raisonnements des uns et des autres, de « zones aveugles », c'est-à-dire de ce qu'une pensée nationale, en toute bonne foi, ne conçoit pas, en raison de sa culture ou de son histoire, à la différence d'une autre. Connaître ces « zones aveugles » permet d'enrichir le questionnement éthique.


* 5 Le nouveau programme de recherche et développement pour la période 2014-2020, baptisé « Horizon 2020 », a fait l'objet d'un rapport d'information de notre collègue André Gattolin (n°712, 2011-2012)

* 6 L'Espace européen de la recherche (ERA) a pour but de promouvoir une approche intégrée de la recherche en Europe, au-delà d'une simple coopération entre centres de recherche nationaux. L'ERA est souvent décrit comme un « marché commun » pour la recherche.

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