B. ENTRE DROITS FONDAMENTAUX ET SUBSIDIARITÉ : LE DILEMME ETHIQUE EUROPÉEN

1. La diversité des éthiques nationales

Si les pays européens se reconnaissent un patrimoine éthique commun au travers des droits fondamentaux, ils n'en donnent pas une expression uniforme au sein de leurs frontières. De multiples clivages éthiques existent ainsi en Europe, fondés sur des différences religieuses, historiques, juridiques ou sociales. Les exemples sont nombreux dans les domaines de la santé et de la bioéthique, ce qui ne va pas sans créer parfois certaines tensions au niveau européen.

a) Quelques illustrations
(1) Fin de vie et euthanasie

Les questions relatives à la prise en charge de la fin de vie et à l'euthanasie divisent les citoyens européens. Les législations des États européens en matière d'euthanasie reflètent ces désaccords. On peut distinguer trois groupes de pays en Europe :

- Les pays qui autorisent l'euthanasie : il s'agit des Pays-Bas, de la Belgique, du Luxembourg et de la Suisse. L'euthanasie pratiquée par un médecin et/ou le suicide assisté y sont autorisés pour les personnes en fin de vie ou dans une situation médicale « sans issue ». Il fait l'objet d'un encadrement plus ou moins strict par ces pays.

- Les pays interdisant l'euthanasie mais où « l'arrêt des traitements déraisonnables » est possible : une douzaine de pays en Europe (Allemagne, Autriche, Danemark, Espagne, France, Grande-Bretagne, Hongrie, Italie, Norvège, Portugal, République tchèque, Slovaquie) autorise les patients, ou à défaut la famille, à refuser l'acharnement thérapeutique. L'encadrement varie toutefois selon les pays puisque si certains comme la France ont adopté une loi sur la fin de vie 7 ( * ) , d'autres n'ont pas légiféré et appliquent des règles fondées sur des pratiques reconnues et tolérées, et sur les décisions de justice.

- Les pays interdisant strictement l'euthanasie : il s'agit de la Grèce, la Roumanie, la Pologne, l'Irlande où l'euthanasie peut être lourdement pénalisée.

(2) Avortement

Aujourd'hui, la plupart des pays européens autorisent l'interruption volontaire de grossesse (IVG). Mais les conditions d'application de ce droit varient d'un État à un autre, révélant un positionnement éthique différent.

On peut le vérifier dans les États où la possibilité de recourir à l'avortement est avant tout une question de délai : elle est en principe garantie pendant les 12 premières semaines de grossesse en France, en Belgique et en Allemagne, et les 22 premières semaines aux Pays-Bas mais seulement pendant les 8 premières semaines au Portugal. De même, dans les pays où l'interruption de grossesse est autorisée sur prescription médicale, celle-ci peut être soit facilement obtenue (comme en Espagne ou en Grande-Bretagne), soit au contraire limitée à certaines circonstances (en Pologne, dans les cas de viol ou de malformation foetale).

L'IVG reste par ailleurs interdite en Irlande où le droit à la vie de l'enfant non né est inscrit dans la Constitution et où les juges estiment que l'avortement ne peut être toléré que dans les cas où il existe un risque sérieux pour la vie de la mère.

(3) Gestation pour autrui

La gestation pour autrui (GPA) est un sujet polémique, particulièrement en France où elle est interdite au nom du principe de non-marchandisation du corps humain. Pourtant, cette technique d'assistance médicale à la procréation est admise dans d'autres États européens : elle est ainsi autorisée et encadrée au Royaume-Uni, au Danemark, en Grèce et en Hongrie ; et tolérée en Belgique, aux Pays-Bas et en Finlande, où elle ne fait pas l'objet d'un encadrement juridique spécifique. Il faut noter que dans aucun de ces pays européens la rémunération des mères porteuses n'est autorisée. Seules des compensations sont admises, comme la prise en charge des frais de grossesse ou le remboursement de salaires que la mère porteuse n'aurait pas pu percevoir.

Outre en France, la GPA demeure interdite en Allemagne, en Espagne, en Italie et en Suisse.

(4) Don d'organes

Plusieurs problématiques sont au coeur de la question du don d'organes : l'anonymat du don, sa gratuité, le consentement des donneurs (morts ou vivants), la relation entre le donneur et le receveur. Les pays européens ont une approche identique en matière d'anonymat et de gratuité du don d'organes. En revanche, les règles et les pratiques divergent en ce qui concerne le consentement des donneurs décédés ainsi que la relation donneur-receveur.

Au Danemark, aux Pays-Bas, au Royaume-Uni, en Irlande et en Allemagne, en Lituanie et en Suisse, le prélèvement d'organes post mortem s'opère sous le régime du consentement explicite : dans ce cas, le prélèvement n'est autorisé que si le donneur a donné explicitement son consentement de son vivant. Les autres pays européens, dont la France, appliquent le régime du consentement présumé : ils « présument » la solidarité des citoyens et leur accord pour donner leurs organes après leur mort ; le prélèvement est donc envisagé dès lors que le donneur n'a pas exprimé de refus de son vivant.

Les pays européens ont également des approches très différentes sur le degré de relation souhaitable entre un donneur vivant et son receveur. Les positions sont variées, les uns et les autres se situant entre les deux extrêmes suivants : le don d'organes vivants limité aux membres de la famille qui ont un lien génétique (excluant du don les conjoints) comme au Portugal ; le don « altruiste » c'est-à-dire la situation où tout un chacun peut consentir un don d'organes sans nécessité d'avoir un lien quelconque avec le receveur comme en Espagne, en Italie, aux Pays-Bas et au Royaume-Uni. La France a, quant à elle, élargit en 2011 le cercle autorisé des donneurs vivants, jusque-là restreint à la famille proche, à toute personne pouvant apporter la preuve d'un lien étroit et stable avec le receveur.

b) Les clivages au niveau européen

Les divergences éthiques des États européens dans les domaines de la santé et de la biomédecine provoquent parfois des affrontements dans le cadre des débats qui se tiennent dans les enceintes communautaires ou au Conseil de l'Europe.

Ces dissensions sont souvent liées au fait que les États européens, pour des raisons culturelles, historiques ou religieuses, n'accordent pas la même valeur aux principes d'autonomie, d'intégrité de la personne, de justice et d'équité qui découlent du principe fondamental, unanimement respecté, de la dignité de l'être humain. Or, dans le cadre d'une problématique éthique, ces principes peuvent parfois s'opposer. Dans une telle situation de conflit entre des principes néanmoins communs, certains États vont donc privilégier un principe là où d'autres préfèrent trancher en faveur du principe opposé.

Une des principales lignes de fracture du débat éthique en Europe se cristallise ainsi autour du principe de liberté individuelle ou d'autonomie. Il existe en Europe une tradition libérale, représentée par des pays comme le Royaume-Uni ou les Pays-Bas, qui accorde plus souvent la préférence au choix individuel lorsqu'il apparaît opposé à la norme sociale, alors que d'autres pays adopteront une solution inverse. La France ou l'Allemagne, par exemple, sont des pays qui vont poser plus souvent des limites à l'autonomie individuelle pour protéger d'autres valeurs.

D'autres points de tension parcourent les débats entre pays européens sur les sujets bioéthiques et font varier au final les alliances ou opposition entre États. Ils sont par exemple liés à la religion (tradition catholique/tradition protestante) et à sa place dans le pays considéré (religion/laïcité), au système juridique (droit écrit/droit coutumier), à l'existence ou non d'une législation nationale avancée dans le domaine de la bioéthique (on distingue ici une ligne de fracture entre pays de l'Europe de l'Est et ceux de l'Europe de l'Ouest).

Parmi les sujets les plus conflictuels, on compte notamment :

- Le statut de l'embryon , qui oppose les pays où la religion catholique conserve une influence importante (Pologne, Irlande, Italie) ou un pays comme l'Allemagne pour des raisons historiques à des États comme le Royaume-Uni, le Danemark, l'Espagne aux positions plus souples (voir à ce sujet l'encadré ci-après) ;

- La recherche sur les personnes incapables , qui constitue un tabou en Allemagne depuis la seconde guerre mondiale ;

- Le statut des données génétiques (accès et utilisation), sur lequel s'affrontent les pays porteurs d'une approche libérale (autonomie de la personne) et ceux qui privilégient la protection de l'individu ;

- La fin de vie et la question de l'euthanasie qui oppose les pays qui ont autorisé l'euthanasie (Pays-Bas, Belgique, Luxembourg) et ceux qui continuent à l'exclure.

LE FINANCEMENT DE LA RECHERCHE SUR LES CELLULES SOUCHES EMBRYONNAIRES : UN DÉBAT RÉCURRENT AU SEIN DE L'UNION EUROPÉENNE

Les questionnements autour de la recherche embryonnaire alimentent les débats autour du financement de la politique de recherche de l'Union européenne depuis plusieurs décennies.

Les premières décisions en la matière sont intervenues au moment de l'adoption du 4e programme commun de recherche et développement (1994-1998) qui a interdit l'altération de l'identité génétique des êtres humains ainsi que le clonage. Cette interdiction a été reconduite au cours du programme suivant (5e PCRD - 1999-2002) mais l'émergence du clonage thérapeutique a rendu les débats plus compliqués lors de la discussion du 6 e PCRD (2002-2006). Le consensus sur l'interdiction du clonage, pris jusqu'alors uniquement dans sa dimension reproductive, a éclaté lorsque s'est posée la question de savoir s'il fallait autoriser la production d'embryons (âgés de cinq à sept jours, appelés blastocystes) dans un but non procréatif, mais à seule fin d'utiliser leurs cellules pour soigner certaines maladies ou en rechercher les causes. Les États européens ayant apporté des


réponses législatives différentes à cette question, le maintien d'une interdiction globale de la recherche sur toutes les formes de clonage ne pouvait en effet qu'être remise en question.

Le 6 e PCRD est adopté sans que le débat soit tranché. Un moratoire concernant le financement de la recherche communautaire sur les cellules souches est déclaré jusqu'au 31 décembre 2003 mais les États ne parviendront pas à se mettre d'accord sur un encadrement des projets de recherche sur les cellules souches dans le délai imparti. Au final, la Commission européenne choisit de publier en 2004 des appels à projet concernant les cellules souches dans le cadre du 6 e PCRD selon les orientations suivantes : les projets visant à créer des embryons humains à des fins de recherche ou thérapeutiques sont exclus ; en revanche, le financement de projets de recherche utilisant des cellules souches à partir d'embryons surnuméraires ne faisant plus l'objet d'un projet parental est autorisé à l'issue d'une évaluation scientifique rigoureuse et d'un examen éthique strict. Par ailleurs, aucune recherche sur l'embryon et les cellules embryonnaires ne peut être financée dans un pays l'interdisant.

C'est cette position qui a continué de prévaloir depuis dans les programmes de recherche européens suivants, en dépit de l'opposition répétée de pays comme la Pologne, la Lituanie, Malte l'Autriche et la Slovaquie.

c) L'Europe, espace de mobilité et moyen de contournement des éthiques nationales : l'exemple du tourisme procréatif

Le poids des héritages culturels et religieux conduit les pays européens à adopter des législations différentes, parfois opposées, dans le domaine de la bioéthique au nom de l'« éthique nationale ». Toutefois, dans ce domaine comme dans d'autres, la liberté de circulation donne la possibilité aux citoyens européens de transgresser les règles nationales. La mobilité au sein de l'Union européenne peut devenir source de dysfonctionnements quand elle ne s'accompagne pas d'un rapprochement des règles ou d'une harmonisation. Le « tourisme procréatif » illustre parfaitement cette situation.

Qu'entend-on exactement par « tourisme procréatif » ? Cette expression désigne l'acte de voyager dans un État membre autre que celui dans lequel on réside pour y bénéficier de services ou de soins d'assistance médicale à la procréation (AMP) qui ne sont pas autorisés dans l'État membre de résidence. Il peut s'agir du recours à une mère porteuse (gestation pour autrui), de l'assistance médicale à la procréation au-delà de l'âge considéré comme normal pour procréer, de l'assistance médicale à la procréation pour les femmes célibataires, etc. Mais le contournement des interdictions posées par la loi nationale en matière d'AMP n'est pas l'unique motif du « tourisme procréatif ». Celui-ci peut aussi être motivé par la difficulté d'accéder à un moyen d'AMP autorisé par l'État de résidence. Ainsi, en France, la faiblesse du don d'ovocytes pousse de nombreux couples infertiles, lassés d'attendre, à se déplacer dans d'autres pays européens (Espagne, Belgique, Grèce, République tchèque) qui n'ont pas de difficultés à recruter des donneuses. Or, si l'on s'attache à cet exemple, on constate que les conditions dans lesquelles sont réalisés les dons d'ovocytes dans ces pays peuvent susciter des questions éthiques, notamment en ce qui concerne le recrutement et la prise en charge des donneuses.

La compensation financière versée aux donneuses est le principal sujet de préoccupation sur le plan éthique. Même si elle est instituée dans le but de compenser les frais que la donneuse est amenée à débourser ainsi que l'effort et le temps fournis pour le don, la compensation peut représenter une rémunération déguisée pour des personnes socialement défavorisées qui seront incitées à répéter le don. Fixée à 900 euros, la compensation attire ainsi en Espagne de jeunes étudiantes (dont des françaises qui traversent la frontière pour effectuer un don à Barcelone) mais aussi des donneuses en provenance de pays où le niveau de vie est moins élevé (des rumeurs parviennent régulièrement sur le déplacement organisé de donneuses en provenance des pays de l'Est de l'Europe).

Les enjeux financiers autour du don d'ovocytes peuvent être importants. En Slovaquie et en République tchèque, le prix d'achat des ovocytes est compris entre 1 500 et 2 500 euros alors que la somme reçue par les donneuses va de 50 à 500 euros. On comprend que cette activité est particulièrement lucrative pour les cliniques de ces pays. Celles-ci vont parfois jusqu'à mettre en oeuvre des pratiques publicitaires et de démarchage très agressives auprès des praticiens et des patients étrangers.

2. Le respect de la subsidiarité en matière éthique
a) Unis dans la diversité éthique : le discours de l'Union européenne

Dans le cadre des traités, l'Union européenne ne dispose pas de compétences clairement établies en matière de régulation de la biomédecine, et encore moins en ce qui concerne l'éthique en général. On imagine mal, en effet, les États membres déléguer des compétences à l'Union sur des questions comme l'avortement, la recherche sur l'embryon ou l'euthanasie. C'est pourquoi les institutions de l'Union européenne ont toujours une approche très prudente des problématiques qui touchent à des enjeux éthiques. Elles ont bien conscience que l'Union n'est pas un échelon normatif susceptible de favoriser des consensus sur des questions, par nature, très clivées nationalement et, qu'en ces matières, le respect du principe de subsidiarité est primordial .

Les avis du Groupe européen d'éthique (GEE) reflètent cette réalité. On y trouve régulièrement des formules telles que : « Le pluralisme apparaît comme une particularité de l'Union européenne. Il témoigne de la richesse des traditions de ses États membres et appelle chacun au respect et à la tolérance mutuels ».

De même, dans son avis n° 12 du 23 novembre 1998 sur la recherche impliquant l'utilisation d'embryons humains dans le cadre du 5 e programme-cadre de recherche, constatant que les États membres ont une approche différente de la question, le GEE considère que « le respect des différences d'approches philosophiques, morales, voire juridiques, propres à chaque culture nationale est consubstantiel à la construction de l'Europe. D'un point de vue éthique, le caractère multiculturel de la société européenne invite à la tolérance mutuelle, tant les peuples que les responsables politiques des Nations de l'Europe qui ont choisi, de manière unique, de lier leur destin tout en assurant le respect mutuel de traditions historiques particulièrement fortes ».

En 2000, le GEE rappelle utilement, dans le cadre de son avis n° 15 sur les aspects éthiques de la recherche sur les cellules souches humaines et leur utilisation, que le respect du pluralisme est fondé juridiquement sur : « l'article 22 de la Charte des droits fondamentaux intitulé « Diversité culturelle, religieuse et linguistique » et « l'article 6 du traité d'Amsterdam qui garantit la protection des droits fondamentaux au niveau de l'Union européenne en se fondant sur les instruments internationaux ainsi que sur les traditions constitutionnelles communes, tout en insistant sur le respect de l'identité nationale de tous les États membres » 8 ( * ) .

Il faut noter que la situation n'est pas différente dans le cadre d'un système fédéral abouti comme celui des États-Unis où la loi fédérale reste muette sur de nombreux sujets éthiques, laissant les États appliquer leurs propres règles.

b) La jurisprudence des cours européennes

La jurisprudence des deux cours européennes , la Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH) et la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE), dans les affaires présentant un enjeu éthique se signale par un effacement de la légitimité du droit européen au profit de celle des législations nationales .

La CEDH, qui doit juger de plus en plus d'affaires relevant des questions de société et de la bioéthique, renvoie ainsi régulièrement dans ses arrêts, en l'absence de consensus européen sur la portée d'un droit garanti par la Convention européenne des droits de l'Homme ou en cas de choix fondamental à opérer entre des droits en conflit, aux pluralismes nationaux. Elle refuse de définir le sens et la portée de certains droits ou de s'approprier certaines notions conventionnelles en se fondant sur le principe de subsidiarité ou, pour reprendre son expression, sur la notion de « marge nationale d'appréciation ». La Cour de Strasbourg a notamment eu recours à ce raisonnement juridique sur des sujets comme l'avortement (Arrêt Open door et Dublin Well Woman c. Irlande du 29 octobre 1992 ; Arrêt Tysiac c. Pologne du 20 mars 2007), la protection de l'intégrité physique (Arrêt Larsky, Jaggard et Brown c. Royaume-Uni du 19 février 1997), le statut de l'embryon (Arrêt Vo c. France du 8 juillet 2004), la fin de vie et l'euthanasie (Arrêt Pretty c. Royaume-Uni du 29 avril 2002 ; Arrêt Koch c. Allemagne du 19 juillet 2012) ou encore en matière d'accès aux origines (Arrêt Odièvre c .France du 13 février 2003) ou d'adoption homosexuelle (Arrêt Fretté c. France du 26 février 2002).

La jurisprudence de la CJUE se caractérise quant à elle par la volonté de se tenir le plus en retrait possible des notions « chargées » au plan moral et éthique, en se focalisant sur la règle de droit à interpréter. Comme l'écrit Stéphanie Hennette-Vauchez, Professeur de droit public à l'université Paris X Nanterre, « le positionnement volontiers revendiqué à Luxembourg est celui d'un raisonnement « purement juridique », se démarquant des sables mouvants de l'éthique ou de l'ontologie ». Ainsi, sur la question de l'avortement, la Cour soulignait dans l'arrêt Grogan c. SPUC de 1991 que le fait que le requérant soutienne que « l'interruption volontaire de grossesse ne saurait être considérée comme un service au motif qu'elle serait gravement immorale et qu'elle impliquerait la destruction de la vie d'un tiers, à savoir l'enfant à naître », « quelle que soit la valeur de tels arguments du point de vue moral », ne pouvait avoir d'influence. Cette position se justifie par le respect du principe de subsidiarité. Toujours dans l'arrêt Grogan , la Cour estime en effet qu'« il [ne lui] appartient pas [...] de substituer son appréciation à celle du législateur des États membres où les activités en cause sont légalement pratiquées ».

Dans l'affaire Sabine Mayr datant de 2008, la CJUE a confirmé cette orientation en indiquant qu'elle entendait sérier précisément les questions dont elle était saisie afin de ne se prononcer que sur leur part proprement juridique - à l'exclusion de leur dimension éthique : « si le traitement des fécondations artificielles et des cellules aptes à se développer est un sujet de société très sensible dans de nombreux États, marqué par les multiples traditions et systèmes de valeurs de ceux-ci, la Cour n'est pas appelée, par le présent renvoi préjudiciel, à aborder des questions de nature médicale ou éthique, mais elle doit se limiter à une interprétation juridique des dispositions pertinentes de la directive 92/85, compte tenu du libellé, de l'économie et des objectifs de celle-ci ».

Il faut signaler qu'un récent arrêt a remis en cause ce positionnement constant de la CJUE sur les questions relevant de l'éthique. Il s'agit de l'arrêt Brüstle intervenu en octobre 2011 dans lequel la Cour, contre toute attente, a donné une définition juridique positive de l'embryon (« l'embryon » s'entend de « tout ovule humain dès la stade de la fécondation ») alors qu'une position consensuelle des États membres est loin d'être acquise en la matière et qu'aucun autre juge -national ou supranational - n'avait jusqu'à présent souhaité emprunter cette voie. Il est encore trop tôt pour dire si cet arrêt est le signe d'un revirement de la CJUE dans sa conception des rapports entre droit communautaire et droit nationaux dans le domaine de l'éthique.


* 7 Loi n° 2005-370 du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie.

* 8 Ces dispositions ont été reprises aux articles 4 et 6 du traité de l'Union européenne après adoption du traité de Lisbonne.

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