B. LA FORMATION EN ETHIQUE : RELEVER LE DÉFI DE LA COMPÉTENCE

1. Enseigner l'éthique : un impératif

Il existe un décalage dans nos sociétés contemporaines entre une demande d'éthique de plus en plus forte, qui se manifeste dans divers secteurs (santé, économie, environnement, etc), et la faible considération que la matière éthique en tant que telle reçoit par ailleurs.

La démarche éthique pâtit à la fois d'une profonde méconnaissance et de l'idée répandue qu'elle peut se pratiquer de manière instinctive, en dehors de tout apprentissage, en faisant tout simplement appel au « bon sens ». Cette situation conduit souvent à une impasse où l'éthique est réduite à une dimension ornementale (l'éthique « placebo ») voire instrumentalisée (l'éthique « alibi »).

L'éthique doit être prise au sérieux. Elle repose sur une réflexion rationnelle qui mène à des prises de position s'appuyant sur des principes et des valeurs. Sa pratique implique de connaître et maîtriser des concepts et de mettre en oeuvre une méthodologie. Pour éviter de voir prospérer une éthique au rabais, il est donc indispensable de proposer des parcours de formation de qualité en éthique. Cela passe avant tout, selon votre rapporteur, par la mise en place d'un enseignement et d'une recherche universitaires dignes de ce nom .

2. Quel statut pour l'enseignement de l'éthique ? Le cas particulier de la France

L'éthique est censée tirer sa force de l'interdisciplinarité. En effet, pour être pertinente aujourd'hui, l'éthique ne peut pas se limiter au seul territoire de la philosophie. Elle doit être ouverte à d'autres approches du réel telles que les sciences sociales, la médecine, l'économie, etc 16 ( * ) . Mais, dans le cadre de l'enseignement universitaire, cette force peut se transformer en faiblesse. Dépendante de multiples disciplines, l'approche éthique est confrontée à la difficulté d'exister elle-même comme matière universitaire à part entière . On compte certes dans plusieurs pays européens (Allemagne, Autriche, France, Italie, Suisse, Royaume-Uni) quelques enseignements et diplômes « autonomes » en éthique, à vocation interdisciplinaire, mais ceux-ci font figure d'exceptions. La règle consiste davantage à instituer un enseignement dédié à l'éthique dans le périmètre limité de chaque discipline. Ce mode de fonctionnement est problématique car il entraîne la constitution au sein de l'université de « chapelles éthiques » (éthique de l'environnement, éthique des affaires, éthique biomédicale, etc.) qui se fabriquent une éthique à la carte et négligent les apports d'une approche holistique de l'éthique.

S'étant entretenu dans le cadre de la préparation de ce rapport avec les représentants de la Commission permanente du Conseil national des universités (CP-CNU) et plusieurs universitaires, votre rapporteur n'a pu que faire le constat de la difficulté de faire émerger l'éthique comme une discipline autonome au sein de l'université française.

Le Conseil national des universités est l'instance nationale chargée de de la gestion de la carrière des enseignants-chercheurs en France. Il est organisé en « groupes de sections », chaque section représentant un ensemble cohérent de disciplines, spécialités et thèmes de recherche universitaires. La transversalité de certaines disciplines ou spécialités - dont l'éthique - y est largement acceptée et est une donnée habituelle. Mais, en pareil cas, le rattachement des enseignants-chercheurs à une « section CNU » de référence reste de mise. Actuellement, l'enseignement et la recherche en éthique sont ainsi pris en compte dans le cadre des formations universitaires et notamment des écoles doctorales dépendant de la 17 e section -« Philosophie », de la 72 e section - « Histoire et épistémologie des sciences », ou dans le cadre de certaines formations médicales (section 46-03 - « Médecine légale et droit de la santé »). Or, le fait de ne pas disposer d'une section CNU dédiée s'avère invalidant pour la carrière d'un enseignant-chercheur qui souhaite se spécialiser en éthique. L'éthique ne peut en effet être considérée comme sa discipline majeure. Dans ces conditions, son investissement en faveur de l'éthique - à travers des publications, par exemple - ne sera pas valorisé et pourra même nuire à son plan de carrière car on lui fera le reproche de ne pas suffisamment s'impliquer dans le champ disciplinaire dont il dépend.

Le moyen pour sortir de ce blocage serait de reconnaître l'éthique pour elle-même à travers la constitution d'une section CNU interdisciplinaire sur le modèle de ce qui se pratique pour l'épistémologie, l'anthropologie ou les sciences de l'éducation. C'est une fois organisée officiellement que l'on pourra veiller au sérieux de la formation et des diplômes dans le domaine de l'éthique .


* 16 La composition des comités d'éthique en Europe en est un témoignage direct.

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