B. DES FLUX FINANCIERS INTERNATIONAUX CONSIDÉRABLES

Une des explications apportées au décrochage entre les impositions théoriques e les impositions effectives des grades entreprises passe par l'élucidation de processus de transferts de revenus et de charges entre entités d'un même groupe. L'importance des liaisons financières internationales entre les entreprises est attestée par l'ampleur des revenus des investissements directs internationaux des entreprises du CAC 40.

Par ailleurs, les enquêtes statistiques ont réalisé des progrès qui permettent d'identifier l'ampleur prise par les structurations financières internationales des groupes multinationaux.

1. La mondialisation des grandes entreprises et de leurs profits

Les entreprises françaises, en particulier celles du CAC 40 sont très fortement internationalisées.

Les revenus de leurs investissements directs à l'étranger (IDE) qui regroupent leurs participations dans des sociétés étrangères, tels que les recense la balance des paiements sur la base des déclarations des entreprises, en témoignent.

La très forte croissance des revenus d'IDE , qui sont peut-être imparfaitement appréhendés dans la mesure où le superviseur n'a pas accès à la totalité des comptes bancaires détenus à l'étranger et doit se reposer sur des déclarations, invite à s'interroger sur l'existence de pratiques de transfert des bénéfices entre entités des groupes trasnationaux dans la mesure où les données macroéconomiques ne la justifie pas toujours pleinement .

Il peut exister quelques doutes sur le périmètre des recensements ainsi opérés.

Des données incomplètes

Ainsi, les données sur les revenus d'investissements directs à l'étranger ne recensent que les flux concernant des structures directement contrôlées ou détenues à plus de 10 %. Or, les périmètres de consolidation comptable peuvent inclure des sociétés en bien plus grand nombre puisqu'ils sont définis à partir de l'existence d'une influence notable qui suffit pour procéder à l'intégration proportionnelle des sociétés dans le groupe et déterminer le résultat net part du groupe.

Par ailleurs, les données utilisées éliminent les résultats non courants comme les plus-values ou les dépréciations d'actifs financiers. A l'inverse, des éléments pouvant affecter le résultat courant sont pris en compte (les écarts d'acquisition). Ces opérations non récurrentes peuvent atteindre des montants très élevés, notamment du fait de la position dans le cycle. Ainsi, pour l'année 2010, les conventions appliquées aboutissant à des constats bien différents de ceux auxquels on arrive en traitant différemment nos éléments. Les revenus étrangers ne progressant que de 22 milliards d'euros contre une augmentation de 35 milliards si on avait tenu compte des résultats exceptionnels.

Globalement les statistiques de revenus d'IDE sous- estiment sans doute la réalité des revenus tirés par les entreprises françaises de leurs implantations à l'étranger. En effet ne sont comptés que les revenus des filiales de premier rang. Ainsi les résultats dégagés par la filiale d'une filiale étrangère conservés par la première ne sont pas comptés comme revenus d'IDE. Dès lors, les résultats courants nets du groupe sont structurellement supérieurs (sauf pertes de la sous-filiale) à ceux recensés au titre des revenus d'IDE.

La proportion du résultat net courant global réalisée à l'étranger par les entreprises du CAC 40, qui s'élevait déjà à 52 % du total en moyenne entre 2005 et 2007, atteint désormais plus de 60 % (années 2008-2001).

Plus de 56 % des groupes du CAC 40 réalisent plus de la moitié de leurs performances courantes en dehors de la France.

Le stock de capitaux propres français à l'étranger (hors immobilier) a progressé de 478 à 828 milliards d'euros entre 2005 et 2011, tandis que pour les seules entreprises du CAC 40 ils ont progressé de 373 à 622 milliards.

En 2010, les revenus du stock de capital détenu par ces dernières avaient atteint 48 milliards d'euros soit un taux de rendement apparent de 7,7 % ; en 2011, ces revenus atteignent 44 milliards d'euros.

Il est intéressant d'observer qu'il existe un écart entre les recettes brutes d'IDE et les recettes nettes. Parmi les revenus courants dégagés par des filiales à l'étranger peuvent se trouver des revenus versés en réalité par des entités du groupe situées en France. Ces revenus sont exclus par la méthode d'estimation des recettes brutes d'IDE comme résultant en fait d'une activité effectuée en France. L'ampleur de cette correction est variable mais elle a pu atteindre 1 milliard d'euros en 2010.

D'un point de vue sectoriel, le graphique ci-après illustre la hiérarchie des plus forts bénéficiaires de l'internationalisation des groupes. Le premier secteur est celui de l'énergie, trois groupes dégageant des revenus d'IDE supérieurs à 10 milliards d'euros. Suivent le secteur des biens de consommation (sept groupes et 8,2 milliards d'euros) et le secteur financier (six groupes et 7, 4 milliards d'euros en 2011).

2. Une structuration financière transnationale mal mesurée mais qui semble faire la part belle aux entités financières déterritorialisées

On a indiqué que les revenus d'IDE pouvaient être minorés dans les calculs effectués à raison de choix de méthode. Les financements intragroupe atteignent avec 730 milliards d'euros un niveau élevé tandis que le crédit commercial interentreprises avec 725 milliards d'euros joue également un rôle important.

Ces données recouvrent des flux dont une proportion élevée est domestique, sans qu'elle puisse être précisément identifiée.

Les intérêts nets consolidés résultant des opérations de financement intragroupe inernational ne sont pas comptabilisés . Or ceux-ci peuvent être un vecteur privilégié de l'optimisation fiscale.

Les groupes tendent à multiplier les opérations de prêts-emprunts entre entités affiliées mais résidentes de pays différents. L'ampleur de ces opérations est mal connue du fait des conventions utilisées pour enregistrer les statistiques d'IDE. Un prêt à une filiale étrangère suivi d'un emprunt auprès de cette filiale sont comptés respectivement en investissement direct à l'étranger et en désinvestissement de l'étranger. En bref, les statistiques consolident ces flux.

Par ailleurs, les statistiques traditionnelles concernant les flux d'investissement directs étrangers (IDE) qui obéissent au principe de première contrepartie ne permettent pas d`identifier le vrai bénéficiaire d'un IDE, ni la vraie provenance des IDE en France.

Cependant, des progrès ont été accomplis et l' on connaît désormais mieux l'investisseur ultime qui est recensé dans les flux d'investissement étranger en France.

Le premier investisseur en France est la France elle-même.

En effet, les filiales non résidentes des groupes français sont les premières à investir en France.

Cette situation corrige l'image des statistiques traditionnelles qui attribuent à des pays de dimension réduite une propension à investir en France qu'ils ne semblent avoir que parce que s'y trouvent localisées des entités financières s'interposant entre l'investisseur français et l'entreprise française investie.

L'analyse des flux montre qu'une part conséquente des investissements réalisés en France à partir de la Belgique, des États-Unis, du Luxembourg ou de la Suisse provient d'investisseurs français.

Ces constats renvoient à l'existence de boucles d'investissement dans les entreprises multinationales qui peuvent être vues comme des vecteurs d'optimisation.

Il est tentant de structurer le financement des groupes de sorte que les charges apparaissent dans les entités relaivement imposées, les revenus afférents étant logés dans celles bénéficiant d'une fiscalité plus avantageuse.

Au-delà, les passifs peuvent être plus simplement consitués dans les premiers pays sans considération évidente de la répartition des activités économiques de l'entreprise.

Quelques constats tirés des réponses au questionnaire de votre rapporteur conduisent ssur ce point à des interrogations.

Dans bien des cas, les entreprises questionnées font ressortir l'existence d'une proportion de leurs actifs financiers dans les pays considérés comme offshore plus élevée que pour leur passif financier.

Par ailleurs la cohérence entre la répartition géographique des frais financiers et des résultats n'est pas totale.

La cohérence entre l'imputation des frais financiers et les résultats des entreprises

La société X dégage un chiffre d'affaires se répartissant entre la France et le reste du monde dans une proportion de 11,7 et 88,3 % respectivement.

Son résultat d'exploitation est réparti entre ces deux zones dans des proportions suivantes : 5,9 et 94,1 %.

Les frais financiers du groupe sont majoritairement imputés en France (80,6 %).

La société explique que ce profil résulte d'une contrainte de coût de financement qui oblige à concentrer la dette du groupe sur la Holding de tête, située en France, pour éviter une notation financière défavorable en cas de subordination structurelle de dette. La note est dégradée quand elle est portée par les filiales, les agences de notation considérant qu'en ce cas les créanciers des filiales ont un accès direct au bilan et actifs des filiales qui réduit mécaniquement la protection des prêteurs engagés sur la société mère.

Au total l'impôt sur les sociétés payé en France s'élève au plus à 3 % de l'impôt sur les sociétés payés dans le monde.

La société précise qu'une partie du financement intragroupe a été longtemps gérée dans un Etat offrant un régime des intérêts notionnels avec un allègement conséquent de la charge fiscale.

3. le transfert de bénéfices via les opérations financières : cinq cas d'école

Lors de son audition M Olivier Sivieude, responsable de la Direction des vérifications nationales et internationales (DVNI) a présenté cinq cas-types permettant de répartir les charges et produits financiers au mieux des intérêts fiscaux des entreprises.

L'endettement artificiel, d'abord : des réserves financières sont distribuées dans un autre pays, puis prêtées à la société française sous forme d'obligations remboursables en actions (ORA) par exemple. L'argent ne sort pas réellement de l'entreprise, l'actionnariat n'est pas modifié, mais les charges financières augmentent.

D'autres produits, appelés Repurchase agreement operations (Repo), consistent en un prêt à une filiale américaine ou anglaise, qui confie en gage des titres dont les dividendes se substituent aux intérêts à verser. Ceux-ci auraient été imposables, alors que les dividendes, entre société-fille et société-mère, sont exonérés et n'ont pas à être déclarés en France.

En Belgique, les centrales de trésorerie jouissent du régime très favorable des intérêts notionnels : elles bénéficient d'une déduction forfaitaire fictive qui annule le bénéfice dégagé. Une société en France emprunte à une banque, place l'argent en parts de capital de la centrale en Belgique, qui lui consent un prêt en retour. Cela crée deux charges financières pour la société française et le produit versé en Belgique fait l'objet d'une déduction. C'est une double non-imposition !

Une société peut aussi emprunter, non pas directement à sa société-mère au Canada ou au Japon par exemple, mais auprès d'une entité située dans un paradis fiscal dans laquelle la mère a déposé de l'argent : le produit n'en sera pas taxé.

Elle peut aussi sous-capitaliser des filiales créées dans certains États, et leur accorder des abandons de créances ou des subventions, qui n'y sont pas imposées. La charge est en France et le produit, à l'étranger, n'est pas taxé...

4. Des entreprises largement déployées dans l'offshore

La commission d'enquête a souhaité recueillir des informations sur le déploiement de certaines entreprises (celles du CAC 40) dans des juridictions qui présentent des caractéristiques considérées comme propres aux paradis fiscaux.

La liste des pays retenue par la commission ne peut pas être considérée comme exhaustive de ce point de vue. Par ailleurs, elle comporte des pays européens que le droit européen exclut de considérer comme des paradis fiscaux mais qui sont couramment utilisés par les investisseurs comme lieu d'immatriculation de sociétés à raison de leurs avantages compétitifs en ce domaine.

La commission a eu accès au décompte des filiales des entreprises du CAC 40 dans les pays en question tel qu'il est réalisé par la direction des grandes entreprises du ministère de l'économie et des finances 1 ( * ) .

La DGE recense 2 511 filiales dans ces territoires.

Les entreprises financières en rassemblent 874 , soit environ 35 % du total, ce qui excède largement le « poids » économique de ces entreprises dans le CAC 40. Cette sur-représentation traduit un phénomène d'aimantation de la finance par les centres offshore (voir infra )..

Si l'on exclut les 992 implantations dans des pays appartenant à l'Union européenne, le nombre des filiales dans des juridictions hors UE atteint 1 519 unités.

Sur ce total, 360 implantations correspondent à des filiales d'entreprises du secteur financier (qui comptent 514 filiales dans les pays européens de la zone euro mentionnés dans la liste de la commission d'enquête) .

Le déploiement des groupes non financiers dans les juridictions hors UE est par conséquent très développé (1 159 filiales).

Quelques-uns des pays hors UE peuvent être considérés comme représentant des opportunités comme centres de production ou comme marchés d'écoulement de la production. Tel est le cas pour la Malaisie, les Philippines, et, éventuellement, la Suisse ou Brunei.

Cependant, le nombre des filiales localisées en Suisse par les entreprises non financières (191 sur un total de 227), qui sont rattachés à 27 entreprises, ressort comme singulièrement élevé au vu de l'activité de production et de distribution raisonnablement envisageable dans le pays. Au demeurant, six entreprises comptent plus de dix filiales dans le pays concentrant à elles seules plus de la moitié (101) des filiales des entreprises non financières localisées en Suisse.

Il existe des discordances entre les informations transmises par la DGE et celles transmises à votre rapporteur par les entreprises elles-mêmes .

La DGE relève que l'entreprise X dispose de 45 filiales en Suisse quand celle-ci renvoie à la liste de ses filiales consolidées, qui ne rassemble que 15 unités, pour apprécier son implantation dans le pays.

Pour l'entreprise Y, la différence est dans l'autre sens : la DGE compte moins de filiales dans les pays mentionnés par la commission que l'entreprise ne déclare d'entités.

Par exemple, pour le Delaware celle-ci mentionne treize entités quand la DGE n'en compte qu'une.

Au demeurant, cette entreprise conteste les informations que certains observateurs peuvent suggérer quant à son déploiement offshore.

En réponse à une question portant sur son implication par les données rassemblées dans « Offshore leaks », elle indique : « Ce site nous apparaît inadapté pour approcher la situation réelle des sociétés localisées dans les pays ou les territoires listés.

En effet, il s'avère que les tests effectués sur ce site concernent les sociétés de notre groupe donnant des résultats tout à fait disparates :

- Absence de résultats au test, tout à fait incomplets pour certaines marques pourtant localisées dans les pays listés : x, x, x...

- Au contraire, certains résultats obtenus font référence à des personnes physiques ou sociétés n'ayant aucun lien avec le groupe : tel est le case pour x, x... »

On renvoie également au capitre relatif à l'affaire HSBC qui illustre l'opacité du recours à des comptes à l'étranger.

Sans considérer que les entités dont s'agit servent systématiquement à habiller les résultats imposables en France, certaines situations appellent à l'évidence des éclaircissemens.


* 1 Celle-ci ne comptabilise apparemment que les entités détenues à plus de 50 %, seuil de détention apprécié à partir des détentions directes ou indirectes.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page