C. LA COMPTABILITÉ PRIVÉE, UN CHAMP OUVERT AUX ARBITRAGES

La comptabilité des entreprises financières sert à informer les investisseurs mais aussi la collectivité publique et est à ce titre un outil de transparence. Elle est également au fondement de la détermination du résultat fiscal des entreprises, bien qu'avec des nuances .

Comme instrument de transparence et de responsabilité sociale, la comptabilité pose des problèmes qui paraissent en voie de résolution (voir infra ) .

Comme base fiscale , le CPO évoque les marges de manoeuvre comptables accessibles lors de la détermination du résultat des entreprises financières en ces termes :

« ...la détermination du résultat imposable qui dépend de l'ensemble des opérations de toute nature de l'année et de la variation de valeur de l'actif net, offre de multiples leviers pour optimiser l'assiette taxable.

Sont particulièrement mentionnées les règles de valorisation des titres :

« Les règles d'évaluation des titres détenus à l'actif (et donc le montant des provisions pour dépréciations qui en résultent et permettent d'abaisser le résultat imposable) offrent une certaine marge de manoeuvre. Pour les établissements de crédit, les titres détenus (titres de participation, titres de portefeuille, titres détenus à long terme) peuvent faire l'objet d'une provision pour dépréciation dès lors qu'une moins-value latente est constatée. Pour les titres d'investissement, un risque de crédit avéré doit être démontré. C'est le cas aussi pour les placements amortissables (c'est-à-dire obligataires) des assureurs, les autres placements (actions, immobilier, etc.) faisant l'objet d'une provision pour dépréciation lorsque la moins-value constatée revêt un caractère durable. Les assureurs doivent en outre constituer une provision pour risque d'exigibilité si leurs fonds sont globalement en moins-value latente, qui est fiscalement déductible sous certaines conditions.

Le calcul de certaines provisions techniques au passif des assureurs a des conséquences fiscales. En effet, si elles sont minorées, elles permettent d'avoir un résultat net plus important (avec donc des conséquences positives pour les recettes d'impôt sur les sociétés). Les règles comptables, prudentielles et fiscales actuellement applicables aux assureurs sont globalement alignées : les divergences d'interprétation (évaluation des charges probables, notamment) sont progressivement réglées par l'alignement des doctrines fiscale et prudentielle. »

Les choix de valorisation de l'actif net mobilisent des problèmes d'une extrême complexité qu'illustrent les discussions sans fin sur les normes comptables, évoquées à l'occasion de l'audition de M. Jérôme Haas, président de l'Autorité des normes comptables, et plus encore la mise à l'épreuve des normes comptables par la crise financière.

Par ailleurs, des problèmes pratiques se posent .

En premier lieu, le gigantisme de certains établissements conduit à s'interroger sur la fiabilité des méthodes de contrôle des inscriptions comptables, d'autant plus qu'ils se doublent d'un nombre incalculable d'opérations et de relations d'affaires ainsi que d'une grande complexité d'opérations qui peuvent inclure des décalages d'échéances difficiles à maîtriser.

D'autre part, la diversité des espaces dans lesquels les établissements financiers interviennent, les défaillances des normes comptables et de leur application dans les centres offshore, malgré l'élargissement des prérogatives des superviseurs (commissaires aux comptes, ACPR, AMF), obligent à relativiser la portée et la significativité des contrôles.

Les défaillances comptables dans l' offshore , aperçus tirés des travaux du Forum de l'OCDE

Les défaillances comptables participent à l'opacité qui constitue un facteur de risque d'évasion des capitaux. Le Forum mondial de l'OCDE quand il examine un pays vérifie que celui-ci respecte des standards comptables aux termes desquels toute entité ou arrangemen)t domicilié sur leur territoire ou ayant un lien avec lui satisfait aux obligations suivantes :

la comptabilité doit retracer toutes les transactions et permettre de déterminer la situation financière de l'entité concernée ;

elle doit être assortie de tous les documents justificatifs ; elle doit être conservée pendant une durée minimale de cinq ans.

ces obligations doivent figurer dans les réglementations nationales.

Le groupe de revue par les Pairs a constaté de nombreuses défaillances sur ce point. Par exemple, une partie de l'attractivité des IBCs ( International Business Companies ) dans certains pays des Caraïbes repose sur la légèreté des obligations et des pratiques comptable (voir supra )..

Cette situation n'est pas isolée. Sur les 97 États évalués par le groupe mi 2013, 47 ont été jugés en deçà des standards utilisés, 28 de ces États présentaient des défaillances telles que relativement à ce critère ils ont été notés « non conformes ». Dans certains cas, le défaut d'obligation de tenue de comptabilité pour certaines structures doit être relevé.

Par exemple, aux Iles Caïmans ou aux Iles vierges britanniques, la comptabilité des partnerships ou des trusts n'est généralement pas conservée. Dans les zones franches des EAU, les entités sont exemptées de toute obligation comptable. Il en va de même pour les entités présentes dans un grand nombre de juridictions à condition qu'elles n'exercent pas leur activité dans ces juridictions. C'est une particularité des paradis fiscaux que d'offrir des avantages légaux sous la condition de non activité sur place.

Le groupe de revue par les Pairs remarque cependant que des progrès ont pu être faits dans quelques pays tandis que d'autres sont annoncés ailleurs.

Les progrès évoqués devront être rigoureusement vérifiés.Mais, il faut noter que la complétude des informations comptables fait partie de ces exigences qui ont assez peu de chances d'avoir des prolongements concrets garantis tant que les contrôles comptables resteront peu, voire pas, organisés et tant que les propriétaires des entités demeureront difficilement identifiables.

Sur ce point, il faut rappeler que les scandales financiers du début des années 2000 qui ont été avant tout des scandales comptables (Enron, WorldCom...) ont conduit à renforcer la gouvernance des contrôles comptables.

En particulier, un Haut conseil du commissariat aux comptes (HCCC) a été créé en France avec pour mission d'émettre des avis sur les contrôles comptables et de superviser les contrôles des commissions aux comptes.

Il s'agit d'une innovation heureuse qui, cependant, ne règle pas l'ensemble du problème qu'amène à considérer le contrôle des comptes.

S'agissant du HCCC lui-même, il faut regretter la faiblesse des moyens qui lui sont accordés . Celle-ci a d'ailleurs fait l'objet d'une observation dans le cadre de la mission d'évaluation du système financier français réalisée par le FMI.

D'un point de vue plus fonctionnel, votre rapporteur s'interroge sur l'application au champ de la déontologie comptable d'une formule, souvent rencontrée, qui passe par l'attribution d'une compétence disciplinaire de premier degré à un organe professionnel avec une intervention en appel d'une autorité administrative. Ce système aboutit à une forme de privatisation de la matière disciplinaire qui n'est contrôlée hors-profession que lorsque des sanctions interviennent.

Il n'apparaît pas pleinement adapté à la préoccupation de prévenir tout conflit d'intérêt.

Au demeurant, ce sont les conditions mêmes dans lesquelles interviennent les commissaires aux comptes qui relèvent de cette interrogation.

À cet égard, la commission d'enquête ne peut que réitérer les observations de la commission d'enquête consacrée à l'évasion fiscale internationale : « malgré un renforcement du cadre juridique d'exercice de la profession, qui a notamment vu le jour du Haut conseil du commissariat aux comptes, les commissaires aux comptes qui n'ont pas de démarche active dans le domaine de la fraude fiscale, ont un devoir de vigilance qui s'applique aux questions fiscales, mais que, même encadré par une norme d'exercice professionnelle (une NEP), a été décrit comme obéissant à une obligation de moyen, débouchant sur des découvertes quelque peu aléatoires. Au demeurant, peu de révélations sont faites - 0,4 % des mandats y donnent lieu - , et la pratique semble encore moins courante pour les faits de blanchiment puisque, selon les indications fournies à votre commission, seules 46 déclarations auraient été adressées en 2010 ».

Dans ces conditions, « il faut toutefois observer que, sur ce point, la France se singularise par la mention expresse d'une obligation de dévoilement que nos partenaires ne prévoient généralement pas. Ce point devrait faire l'objet d'une harmonisation internationale, sauf à renforcer le sentiment d'une lutte contre l'évasion fiscale à géométrie variable ».

Par ailleurs,  un problème récurrent de conflit d'intérêts existe du fait de la nature de la relation commerciale entre les commissaires et les entreprises contrôlées par eux.

Dans ces conditions, compte tenu des liens existant entre la détermination du bénéfice fiscal et le résultat comptable des entreprises financières, on peut comprendre que les incertitudes comptables puissent se traduire par certains aléas fiscaux.

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