III. UN TIMIDE INFLÉCHISSEMENT DES MENTALITÉS ET DES PRATIQUES DES INTERMÉDIAIRES

La lutte contre l'évasion fiscale au niveau des intermédiaires s'est d'abord appuyée sur les outils de la lutte contre le blanchiment des capitaux. Les deux entretiennent d'ailleurs des liens étroits puisque la fraude fiscale utilise bien souvent les mêmes outils que le blanchiment des capitaux.

Ainsi, la diffusion d'une « culture anti-blanchiment », en particulier chez les intermédiaires de la sphère financière, permet aujourd'hui d'envisager d'aller plus loin s'agissant de l'évasion fiscale. D'ailleurs, depuis l'explosion de la crise financière, on peut constater une timide évolution en ce sens.

En dépit de ces lacunes et du manque manifeste d'implication des différents régulateurs en matière de lutte contre la fraude fiscale, la commission d'enquête a pu prendre la mesure, au cours des auditions, d'un timide mais réel début d'évolution des mentalités et des pratiques des intermédiaires financiers , qui peut sans doute être attribué pour une large part aux nombreuses mesures adoptées au niveau international, européen et français depuis trois à quatre années pour renforcer la lutte contre la fraude. À cet égard, le contraste entre les discours tenus l'an dernier devant la précédente commission d'enquête et les propos entendus au cours des mois passés est patent, et paraît illustrer l'amorce de l'évolution des comportements que la commission d'enquête appelle de ses voeux.

Un problème important doit être mentionné en exergue, celui des conflits d'intérêts. Lors de sn adition M Dominique Strauss-Khan a affirmé : Les conflits d'intérêts sont une question centrale . Des évolutions législatives sont intervenues sur ce point dans le prolongement des travaux de la commission Sauvé et à l'occasion de la démission du ministre du budget.

Ces sujets ont été abordés par votre commission d'enquête qui a pu recueillir des informations utiles lors de ses auditions notamment auprès du vice-président du Conseil d'État M Jean-Marc Sauvé et du président de la commission de déontologie de la fonction publique M Arrighi de Casanova.

La problématique des conflits d'intérêts dépassent de beaucoup les mesures adoptées pour s'assurer que des personnes désignées exercent leurs fonctions avec décence et impartialité.

Il faudrait ici évoquer l'influence du secteur financier sur les élites qui recouvre ce que Marc Roche a pu appeler le « gouvernement Goldman » et qui voit la France consacrer une partie de ses efforts de formation des élites administratives à entretenir le vivier des dirigeants des entreprises financières mais aussi concentrer sur moins d'une centaine de personnes la direction de ses plus grandes entreprises.

Il faudrait aussi considérer les conflits d'intérêts pouvant exister à tous les étages des unités qui animent la finance : les directions et salariés des entreprises financières versus les intérêts à long terme des mêmes entreprises à travers les incitations perverses des systèmes de rémunération, les commissaires aux comptes et les agences de notation à la fois juges et parties des organismes dans lesquels ils interviennent, les entreprises financières et leurs clients dans des relations où le devoir de conseil peut entrer en conflit avec les intérêts de l'établissement.

L'image d'une finance corporatiste n'a pas perdu de sa puissance sur l'opinion non plus qu'elle n'appartient au passé. Le grand silence des banques françaises devant les opérations de diversion systématique de l'épargne nationale vers des paradis fiscaux par des homologues en témoigne. Cette thématique s'est plutôt enrichie de nouvelles préoccupations tenant à la dimension stratégique des ressources financières, aux interdépendances internationales très fortes qui unifient le village planétaire financier et aux contraintes qu'exerce l'attractivité financière sur l'ensemble des décideurs, dirigeants des entreprises financières mais aussi régulateurs et superviseurs.

Cet environnement de fortes tensions est propice à des confusions d'intérêts, où des phénomènes moutonniers et de dilemme des régulateurs, peuvent conduire à des déséquilibres systémiques illustrés par les enchaînements qui ont conduit à la crise de 2007, mais aussi à quelques arrangements plus ponctuels, de ceux qu'une culture de l'indulgence ou plus simplement de la raison d'État peut engendrer.

Il faut certes veiller à dissiper les conflits d'intérêts en appliquant les textes en cours de révision qui vont dans le sens d'une extension de la casuistique des conflits d'intérêts.

Votre rapporteur s'inquiète que ce ne soit pas toujours fait avec suffisamment de rigueur. Des exemples célèbres ont pu être évoqués qui appartiennent à un passé récent. Au cours des travaux de votre commission d'autres cas se sont produits pouvant concerner des contributeurs importants à des réflexions publiques sur la situation des banques, auxquelles le présent rapport se réfère. La composition de l'AMF demeure un sujet d'interrogations pour votre rapporteur qui relève que le FMI les partage. Les règles de déport ne sont pas suffisantes à rassurer sur l'absence d'influences intéressées sur les décisions puisqu'elles ne peuvent être sanctionnées qu'à la faveur de décisions défavorables, et non quand celles-ci donnent satisfaction, hypothèses où la collusion est le plus à redouter. Par ailleurs, votre rapporteur relève que l'AMF na pas la culture connues sous le nom de « jurisprudence Balladur ». Participent à ses missions des personnes pouvant être impliquées dans des affaires en cours d'instruction.

Au-delà, il faut aussi créer les conditions d'un agencement des structures propices à une prévention des tentations.

Ce dernier objectif implique une réflexion sur l'organisation des pouvoirs passant par une répartition plus équilibrée des prérogatives de l'ensemble des « stakeholders », qui doit contribuer à faire progresser une démocratie économique particulièrement nécessaire dans des temps où les entreprises se voient attribuer par la force des faits mais aussi par les évolutions des cadres juridiques une force prescriptive dont il faut envisager le partage.

En bref, l'approche consistant à faire des conflits d'intérêt des phénomènes strictement individuels qu'il conviendrait de prévenir et de réprimer semble trop étroite, bien que  nécessaire.

Le présent rapport comporte une série de recommandations se rattachant à cette préoccupation. Elles ne seraient pas complètes si l'on ne mentionnait pas deux en outre deux d'entre elles qui doivent être mises particulièrement en évidence .

Il s'agit en premier lieu d'enrichir la démocratie sociale et économique en mettant la conformité fiscale à l'agenda du dialogue social et à celui des assemblées d'actionnaires .

Il s'agit aussi de fortifier notre démocratie politico-administrative. La commission d `enquête du Sénat sur l'évasion fiscale internationale avait souhaité qu'un Haut-Commissariat à la protection des intérêts financiers publics voient le jour ainsi qu'une délégation parlementaire chargée de ce volet important pour nos finances publiques .

Alors que la crise de confiance de nos compatriotes sur la détermination et l'impartialité de la lutte anti-fraude atteint un point culminant, les mesures prises pour lutter contre la fraude risquent d'être affectées dans leur crédibilité par le maintien d'un système de contrôle public qui ne peut tout de même pas reposer sur la multiplication de commissions d'enquête pour étayer sa crédibilité.

A. 2009-2013 : UN TOURNANT DANS LA COOPÉRATION INTERNATIONALE EN MATIÈRE D'ÉVASION FISCALE

Alors que, pendant de nombreuses années, la lutte contre la fraude fiscale, considérée comme relevant de la seule prérogative de chaque État concerné, a été le « parent pauvre » de la coopération administrative et judiciaire internationale, cet état de fait semble évoluer de façon significative depuis 2008-2009, sous l'effet de la crise financière et bancaire, puis des crises des dettes souveraines, qui ont mis en évidence le caractère plus que jamais inadmissible de l'incivisme fiscal des particuliers et des entreprises.

Si certains processus ne rassurent pas vraiment sur la dynamique de la réponse apportée à l'évasion des capitaux, d'autres sont plus prometteurs.

1. Les progrès réalisés au niveau de l'OCDE pour améliorer la coopération en matière de fraude fiscale et freiner les phénomènes d'« évasion fiscale agressive »

Quelques semaines après la faillite massive du système bancaire, une vingtaine de pays membres de l'Organisation pour la coopération et le développement économique (OCDE) se sont réunis à Paris le 21 octobre 2008 , à l'initiative conjointe de la France et de l'Allemagne, afin de renforcer la lutte coordonnée contre les « paradis fiscaux », dont l'opacité est devenue insupportable avec le déclenchement de la crise financière. Une révision de la liste de ces territoires et la mise en place d'échanges de « bonnes pratiques » en matière de lutte contre la fraude sont mises à l'ordre du jour.

Mais c'est surtout à compter du sommet du G20 à Londres, le 2 avril 2009 , que des annonces importantes ont été faites pour améliorer la coordination et la coopération entre les pays industrialisés afin de faire face à l'érosion des bases fiscales nationales et endiguer les flux financiers à destination et au départ des centres offshore . La déclaration des chefs d'État et de gouvernement propose une série de mesures destinées à assainir le système financier. S'agissant plus particulièrement de la question fiscale, la déclaration fait état de l'engagement des États « de prendre des mesures à l'encontre des juridictions non-coopératives, y compris les paradis fiscaux. Nous sommes prêts à appliquer des sanctions pour protéger nos finances publiques et les systèmes financiers. L'ère du secret bancaire est révolue ».

Quelques semaines plus tard, en septembre 2009, le Forum mondial sur la transparence et l'échange de renseignements à des fins fiscales (une enceinte réunissant les membres et non-membres de l'OCDE) est profondément remanié afin, notamment, d'amener les États et territoires non coopératifs à accepter puis à appliquer les standards internationaux en matière de transparence fiscale. À cette fin, le Forum mondial institue un processus de revue par les pairs , destiné à évaluer le degré de transparence en matière fiscale desdits États ou territoires. Ces évaluations portent à la fois sur le cadre légal en place (examen de phase 1) et l'effectivité de l'assistance administrative (examen de phase 2), et concernent la disponibilité des renseignements, la capacité de l'administration à accéder à ceux-ci et à les transmettre à des partenaires étrangers. Lancé dès 2010, ce programme a permis, à ce jour, d'évaluer le cadre légal de 98 États ou territoires , aboutissant à la formulation de plus de 600 recommandations et à la publication de ces évaluations, ce qui a d'ores et déjà incité plusieurs d'entre eux à engager des réformes pour se mettre en conformité avec les standards internationaux.

Ce mouvement s'est par ailleurs accompagné d'une révision des différentes listes de paradis fiscaux établies par les organismes internationaux (OCDE, GAFI, Conseil de stabilité financière), listes dont les contours mouvants soulignent la difficulté à définir ces territoires non coopératifs à partir de critères à la fois objectifs et opérationnels 38 ( * ) , ainsi que d'une incitation faite à ces États et territoires (comme le Lichtenstein par exemple) de prendre un certain nombre d'engagements en matière d'échange d'informations et de coopération administrative .

Les paradis fiscaux en droit français

La notion de « régime fiscal privilégié » (RFP), définie par l'article 238 A du CGI, désigne un régime fiscal permettant aux personnes qui y sont situées d'être « assujetties à des impôts sur les bénéfices ou les revenus dont le montant est inférieur de plus de la moitié à celui de l'impôt [...] dont elles auraient été redevables dans les conditions de droit commun en France ». La notion de régime fiscal privilégié entraîne le durcissement de plusieurs mesures fiscales.

Plus sévère mais aussi plus restreinte, la notion d'« État ou territoire non coopératif » (ETNC) a été introduite en 2009 à l'article 238-0 A du CGI 39 ( * ) . Sont considérés comme ETNC les États ou territoires non membres de l'Union européenne qui, ayant fait l'objet d'un examen par les pairs de l'OCDE, n'ont pas signé avec la France ni avec au moins douze autres parties une convention d'échange de renseignements à des fins fiscales. La qualification d'ETNC emporte l'application de plusieurs mesures dissuasives, telles que l'exclusion du régime des sociétés mères (article 145 du CGI) ou le durcissement des conditions de déduction des charges (article 238 A du CGI). Fixée par l'arrêté du 21 août 2013, la liste des ETNC pour l'année 2013 comprend 10 pays.

Afin d'accroître la portée de ce régime, le projet de loi relatif à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière prévoit que seront désormais considérés comme ETNC les États ou territoires qui, à compter du 1 er janvier 2016, ne pratiquent pas l'échange automatique d'informations.

De fait, depuis 2009, la France a signé :

- 28 accords d'échanges de renseignements, avec Jersey, Guernesey, l'Ile de Man, les Iles vierges britanniques, le Liechtenstein, Andorre, Saint-Marin, Gibraltar, les Iles Caïmans, les Bermudes, les Iles Turques et Caïques, les Bahamas, Vanuatu, l'Uruguay, Sainte-Lucie, Antigua et Barbuda, Saint Kitts et Nevis, Grenade, Saint Vincent et les Grenadines, les Iles Cook, les Antilles Néerlandaises, le Belize, le Costa Rica, la Dominique, Brunei, Anguilla, le Liberia et Aruba ;

- 12 avenants à des conventions fiscales portant sur l'échange de renseignements visant à mettre en oeuvre le standard international de l'article 26 du modèle de l'OCDE, avec le Bahreïn, le Luxembourg, la Belgique, la Suisse, la Malaisie, Singapour, le Canada, l'Arabie Saoudite, l'Autriche, Maurice, les Philippines et Oman ;

- ainsi que deux nouvelles conventions fiscales, avec Hong Kong et le Panama.

Les travaux engagés par l'OCDE ne se limitent plus, désormais, à la lutte contre la fraude fiscale stricto sensu , mais, depuis quelques mois, visent également à apporter des solutions concertées aux phénomènes d'« évasion fiscale agressive » pratiquée par certaines grandes entreprises. Lors du sommet des 18 et 19 juin 2012 à Los Cabos, les chefs d'État et de gouvernement du G20, à l'initiative de la France et des États-Unis, ont demandé à l'OCDE de proposer un plan d'action contre l'érosion des bases en matière de fiscalité des entreprises et les transferts de bénéfices ( Base Erosion and Profit Shifting - BEPS). Trois groupes de travail (mesures anti-abus, règles de territorialité, prix de transfert) ont ainsi été constitués. Présenté lors de la réunion des ministres des Finances du G20 à Moscou en juillet 2013, le Plan d'action de l'OCDE recense 15 mesures spécifiques destinées à doter les États d'instruments juridiques nationaux et internationaux permettant d'empêcher les entreprises de se soustraire partiellement ou totalement à l'impôt. Ce plan reconnaît l'importance d'aborder l'économie numérique sans frontières et de développer un nouvel ensemble de normes visant à éviter la double non-imposition. À ces fins, il met l'accent sur l'exigence de plus grande transparence, de meilleure communication et de coopération internationale plus étroite. Il prévoit, enfin, l'élaboration d'un instrument multilatéral destiné à servir de référence à une modification des conventions fiscales bilatérales.

Lors de son audition par votre commission d'enquête, Mathilde Dupré, chargée de plaidoyer au CCFD, a souligné cette avancée : « pour la première fois, l'OCDE reconnaît que [l'érosion des assiettes fiscales et les transferts de profits] n'est pas seulement un problème spécifique aux pays en développement, en raison de leur administration fiscale corrompue, mal formée ou mal payée. Un pré-rapport publié en février 2013 détecte en effet un véritable problème avec la fiscalité des entreprises multinationales au niveau mondial, pensée dans les années 1920 et qui n'est plus adaptée à notre époque. Ainsi, aujourd'hui, le contournement de l'impôt est devenu la règle. Les accords qui permettent d'éviter la double imposition aboutissent à ce que les entreprises ne paient plus d'impôt nulle part. En conséquence, tout le monde est perdant, sauf les paradis fiscaux qui attirent des activités artificielles pour enregistrer des profits en réalité générés ailleurs. Sur ces questions, nous commençons à rencontrer un écho favorable. Reste à savoir quelles seront les mesures concrètes retenues ».

2. De l'échec des accords Rubik au « FATCA » américain : la promotion de l'échange automatique d'informations comme nouveau standard de la coopération internationale

Les mois qui viennent de s'écouler ont par ailleurs vu progresser de façon tout à fait significative la promotion de l'échange automatique d'informations comme nouveau standard de la coopération internationale.

• L'échec des accords « Rubik »

La destinée des accords dits « Rubik » est à cet égard révélatrice de l'évolution rapide des mentalités en ce domaine et d'un abaissement significatif du seuil de tolérance des pays occidentaux face aux politiques d'opacité financière menées par certains États - y compris au sein même de l'Union européenne.

Forte de son attachement ancien au principe du secret bancaire et de l'opacité fiscale que celui-ci assure aux clients de ses établissements financiers, la Suisse a cherché à répondre aux mises en cause dont elle faisait l'objet de la part de ses principaux partenaires sans pour autant remettre en cause les fondements de son système bancaire. En 2011, elle a proposé à plusieurs grands États européens des accords bilatéraux dits « accords Rubik » reposant sur le principe d'un prélèvement forfaitaire libératoire effectué par son administration sur tous les comptes détenus en Suisse par les résidents du pays partenaire. Cette imposition forfaitaire a pour objet de permettre au contribuable de continuer à bénéficier de la confidentialité et d'éteindre toutes créances fiscales à l'égard de son État de résidence. L'imposition est établie et prélevée par les établissements financiers suisses, à charge, ensuite, pour l'administration fédérale suisse de reverser l'intégralité du produit à l'État partenaire. Elle est présentée comme une alternative à l'échange automatique d'informations , permettant de concilier confidentialité pour les détenteurs de comptes non déclarés et rentrées fiscales pour l'État partenaire.

Des accords de ce type ont ainsi été signés avec l'Allemagne et le Royaume-Uni en automne 2012 ainsi qu'avec l'Autriche en avril 2012. La France a, pour sa part, décliné toute proposition en ce sens, estimant notamment qu'un accord de ce type s'apparentait à une forme d'amnistie fiscale peu compatible avec nos principes républicains.

Toutefois, alors que les accords signés avec le Royaume-Uni et l'Autriche sont entrés en vigueur le 1 er janvier 2013, l'accord avec l'Allemagne a été rejeté par le Parlement allemand - semblant porter un coup d'arrêt au dispositif.

De fait, la Suisse paraît de plus en plus isolée dans sa défense de dispositifs de ce type, tandis que les voix se font de plus en plus nombreuses, notamment en Europe, pour demander la généralisation d'un mécanisme d'échange automatique d'informations entre les États partenaires. À cet égard, les effets d'entraînement induits par la prochaine entrée en vigueur de la loi « FATCA », votée par les États-Unis au printemps 2010, jouent un rôle essentiel dans les évolutions que la commission d'enquête a pu constater, quasiment au jour le jour, dans la mise en place d'une coopération internationale et européenne réelle en matière de fraude fiscale.

• Les effets d'entraînement induits par la loi « FATCA »

Le 18 mars 2010, les États-Unis ont adopté le « Foreign Account Tax Compliance Act » (« FATCA ») ayant pour objet d'obliger les établissements financiers étrangers de fournir à l' Internal Revenue Service (IRS) - l'agence fiscale des États-Unis - des informations sur les comptes détenus directement ou indirectement par des contribuables américains , notamment les flux financiers et les soldes annuels de ces comptes.

Le client américain de l'institution financière devra donner son accord à la transmission de ces informations ; dans le cas contraire, cette dernière sera tenue de procéder au bénéfice de l'IRS à une retenue fiscale égale à 30 % du montant de l'ensemble des paiements en provenance des États-Unis.

Dans un souci d'efficacité, cette loi, d'application extraterritoriale , s'adresse non seulement aux États liés aux États-Unis par une convention internationale de coopération, mais également, en l'absence d'une telle convention, directement aux établissements financiers , qui se trouvent de facto confrontés à un risque de rétorsion dans le cas où ils refuseraient de se soumettre aux demandes américaines (prélèvement de 30 % sur tous les paiements émis depuis les États-Unis pour compte propre ou pour compte de tiers).

En vue de faciliter la mise en oeuvre de cet accord, la France - comme d'autres États - a négocié un accord avec les États-Unis reposant sur la réciprocité , ce qui permettra d'améliorer la coopération fiscale avec les États-Unis (même si, en pratique, le nombre de résidents fiscaux américains en France et le nombre de résidents fiscaux français aux États-Unis est limité).

De fait, en incitant la plupart des États à conclure avec l'administration américaine un tel accord, ce dispositif, dont l'entrée en vigueur est fixée au 1 er juillet 2014 , contribue d'ores et déjà à promouvoir le principe de l'échange automatique d'informations comme nouveau standard de la coopération entre États en matière fiscale.

Ce dernier a d'ores et déjà fait l'objet d'une communication du G20 de Saint-Pétersbourg de septembre 2013 , lequel a chargé l'OCDE d'établir un rapport en vue de mettre en place dans ce domaine un standard international qui pourra, à terme, être généralisé.

Concrètement, l'enjeu est de taille : alors que, jusqu'à présent, prédomine encore le principe de la coopération « à la demande » (un État suspectant l'un de ses ressortissants de posséder un compte non déclaré dans un autre État en demande confirmation à ce dernier), la mise en place de l'échange automatique d'informations permettra aux administrations d'être informées systématiquement des ouvertures de compte, transferts d'argent, créations de sociétés, etc. réalisés par leurs ressortissants dans les pays partenaires, en amont de l'ouverture de toute procédure administrative ou judiciaire. Pour reprendre les termes utilisés par Christian Chavagneux, journaliste à Alternatives Économiques , lors de son audition : « l'échange automatique met à mal le secret bancaire à des fins fiscales ».

Ce système est d'autant plus susceptible de prospérer qu'il est promu par des pays jouissant d'un poids important dans l'économie mondiale : ainsi, face au risque de mesures de rétorsion auquel ses établissements financiers auraient pu être confrontés, la Suisse a signé avec les États-Unis le 14 février 2013 un accord relatif à la mise en oeuvre du « FATCA », que le Parlement suisse a entériné le 27 septembre dernier .

3. Un nouvel élan donné à la coopération européenne en matière fiscale

L'entrée en vigueur prochaine du dispositif « FATCA » n'est sans doute pas étrangère aux progrès réalisés au cours des derniers mois au sein de l'Union européenne pour améliorer la coopération entre les États-membres en matière fiscale.

La fiscalité - l'un des rares domaines qui demeurent régis par la règle de l'unanimité - peut être regardée comme le « parent pauvre » de la coopération européenne. Des dispositifs de coopération ont certes pu être adoptés - tels la « directive épargne » du 3 juin 2003, qui a mis en place un échange automatique d'informations entre États membres s'agissant des paiements d'intérêts - mais leur champ a longtemps été circonscrit, laissant subsister d'importantes disparités entre les législations d'États membres pas toujours très soucieux de solidarité fiscale... Les réticences à cet égard du Luxembourg et de l'Autriche sont connues.

L'Union européenne ne pouvait toutefois pas rester imperméable aux engagements pris dans le cadre du G20 et de l'OCDE et au souhait nettement affirmé de plusieurs de ses membres - à commencer par la France - d'avancer de façon significative sur ce sujet.

• Des exigences accrues en matière d'échanges d'informations

C'est dans ce contexte qu'a été adoptée la directive 2011/16/UE du 15 février 2011 relative à la coopération administrative dans le domaine fiscal , visant à renforcer les exigences de transparence et d'échange d'informations entre les États membres.

Son champ concerne tous les impôts et taxes , à l'exception de la TVA, des droits de douane, des droits d'accises et des cotisations sociales obligatoires déjà couvertes par d'autres dispositions législatives de l'UE sur la coopération administrative. Les échanges d'informations peuvent porter sur des personnes physiques ou morales, sur des associations de personnes ou sur toute autre construction juridique.

Elle dispose que, désormais, les États membres ne peuvent plus refuser de transmettre des informations au seul motif que ces informations sont détenues « par une banque, un autre établissement financier, un mandataire ou une personne agissant en tant qu'agent ou fiduciaire, ou qu'elles se rapportent à une participation au capital d'une personne » .

En outre, la directive prévoit qu' à compter du 1 er janvier 2015, cinq catégories de revenus et de capitaux donneront lieu à un échange automatique d'informations : revenus professionnels, jetons de présence, produits d'assurance-vie non couverts par d'autres directives, pensions, propriété et revenus de biens immobiliers.

Enfin, elle renforce les mécanismes d'échanges spontanés entre partenaires européens, par exemple lorsque l'autorité compétente d'un État membre a des raisons de supposer qu'il peut exister une perte d'impôt ou de taxe dans un autre État membre.

Cette directive est entrée en vigueur le 1 er janvier 2013, à l'exception des dispositions relatives à l'échange automatique d'informations qui n'entreront en vigueur que le 1 er janvier 2015.

• L'engagement du processus de révision de la « directive épargne » de 2003

Parallèlement, l'Union européenne s'est engagée dans un processus de révision de la « directive épargne » 2003/48/CE du 3 juin 2003.

Entrée en vigueur le 1 er janvier 2005, cette dernière astreint les agents payeurs, soit à déclarer les intérêts perçus par les contribuables résidant dans d'autres États membres de l'UE, soit, s'agissant de la Belgique, du Luxembourg et de l'Autriche, à prélever une retenue à la source sur les intérêts perçus (20 % jusqu'au 30 juin 2011, 35 % depuis cette date). Des dispositions similaires (échange d'informations ou retenue à la source) sont également appliquées dans cinq pays tiers européens (Suisse, Liechtenstein, Monaco, Andorre et Saint-Marin) et dans dix territoires dépendants ou associés du Royaume-Uni et des Pays-Bas (Anguilla, Aruba, Iles Vierges britanniques, Iles Caïmans, Guernesey, île de Man, Jersey, Montserrat, Antilles néerlandaises et îles Turks-et-Caicos), sur la base d'accords bilatéraux.

La proposition de modification publiée par la Commission européenne le 13 novembre 2008 vise à améliorer le dispositif, en étendant son champ d'application aux personnes morales , afin de garantir l'imposition des paiements d'intérêts transitant par des structures intermédiaires de type « trusts ». Elle prévoit aussi d'étendre le champ d'application de la directive aux revenus équivalents à des intérêts et provenant d'investissements effectués dans divers produits financiers innovants ainsi que dans certains produits d'assurance-vie . En outre, la simplification du fonctionnement technique de la directive devrait faciliter l'utilisation du système et en rendre l'application plus efficace.

Jusqu'à présent, les négociations ont fait l'objet de blocages récurrents, principalement du fait du Luxembourg et de l'Autriche, qui bénéficient du régime dérogatoire permettant de payer une retenue à la source plutôt que de délivrer des informations, et qui ont fait de la renégociation des accords bilatéraux conclus avec les cinq pays tiers précités (Suisse, Liechtenstein, Monaco, Andorre et Saint-Marin) un préalable à toute avancée dans le domaine communautaire.

Ces réticences se sont récemment atténuées : sous l'effet de la pression de leurs pairs, le Luxembourg et l'Autriche ont accepté de déconnecter la question de la révision de la directive épargne de la renégociation des accords avec les pays tiers. La Commission européenne a ainsi été spécifiquement chargée, le 14 mai dernier, d'un mandat de négociation visant à étendre le champ des accords portant mesures équivalentes à la directive épargne conclus avec ces cinq États et à y inclure une clause d'échange de renseignements sur demande conforme aux standards internationaux. Ce mandat prévoit également la possibilité de leur demander d'entrer dans une démarche d'échange automatique avec les États membres.

• Vers un « FATCA » européen

Avant même son entrée en vigueur formelle, le dispositif américain « FATCA », à l'application duquel se préparent de nombreux pays, tend à s'imposer comme modèle à suivre en matière de lutte contre la fraude fiscale, l'évasion fiscale et la planification fiscale agressive.

C'est ainsi qu'à la demande du Conseil européen réuni le 22 mai 2013, la Commission européenne a publié, le 12 juin 2013, une proposition tendant à étendre l'échange automatique d'informations entre les administrations fiscales de l'Union européenne : les dividendes, les plus-values, toutes les autres formes de revenus financiers et les soldes de comptes seraient ajoutés à la liste des catégories faisant l'objet d'un échange automatique d'informations au sein de l'Union en vertu de la directive du 15 février 2011 précitée.

D'ores et déjà, afin de donner une impulsion à ces chantiers, la France, l'Allemagne, l'Espagne, l'Italie et le Royaume-Uni ont décidé, dans le cadre du « G5 », de développer à titre de pilote un mécanisme d'échange automatique sur le modèle de « FATCA ».

Plusieurs autres États pourraient s'y associer (à ce jour, douze États membres, ainsi que le Mexique et la Norvège), tandis que le fait que des États membres traditionnellement réticents à l'échange automatique d'informations comme l'Autriche ou de Luxembourg aient accepté à l'égard des États-Unis de mettre en oeuvre « FATCA » devrait permettre d'obtenir leur adhésion au dispositif, en raison, notamment, de la clause de la nation la plus favorisée prévue à l'article 19 de la directive du 15 février 2011 précitée (qui dispose que « lorsqu'un État membre offre à un pays tiers une coopération plus étendue que celle prévue par la présente directive, il ne peut pas refuser cette coopération étendue à un autre État membre souhaitant prendre part à une telle forme de coopération mutuelle plus étendue »).

L'échange automatique d'informations, que la précédente commission d'enquête appelait de ses voeux, semble désormais à portée de main...

Comme l'indiquait Bruno Bézard, directeur général des finances publiques, lors de son audition : « Vous remarquerez que l'accord « Rubik », dont tout le monde parlait il y a quelques mois, a quasiment disparu de la scène médiatique [...] . Les promesses budgétaires faites par la Suisse à la Grande-Bretagne, pour l'appâter, afin qu'elle signe cet accord, vont décevoir, malheureusement pour le budget britannique, et ne sont plus de mise. On n'est plus dans un contexte où il est possible de garder le silence en échange d'un gros chèque ! [...] L'Allemagne n'a pas ratifié cet accord. Les Suisses avaient présenté les conclusions de la discussion avec l'Italie comme imminentes. Dans l'ambiance actuelle, la signature d'un tel accord me paraît peu probable. Les choses peuvent changer, mais l'atmosphère n'est plus du tout la même. En moins d'un an, j'ai pu voir le contexte international se modifier radicalement ».

4. L'implication de la France

Confronté, comme la plupart de nos partenaires européens, à d'importantes difficultés budgétaires et à l'exigence qui lui est faite « d'assainir » ses finances publiques en maîtrisant notamment le poids de sa dette publique, notre pays a pris toute sa part dans ce mouvement tendant à endiguer l'opacité entretenue dans les paradis fiscaux par des établissements financiers complaisants et faire revenir sur son territoire les ressources qui lui sont dues.

Parallèlement, notre arsenal national, administratif et judiciaire, de lutte contre la fraude fiscale et l'érosion des ressources financières a été substantiellement renforcé. Le rapport de la précédente commission d'enquête a longuement décrit les nombreuses mesures adoptées par le Parlement depuis les lois de finances rectificatives de 2009 40 ( * ) , tout en soulignant les carences de notre organisation administrative, l'intervention encore trop subsidiaire de l'autorité judiciaire, le manque de moyens humains et techniques , et - plus fondamentalement - l'absence de vision stratégique susceptible de permettre aux pouvoirs publics d'appréhender efficacement les phénomènes d'évasion fiscale. C'est à ce dernier défi que tente de répondre pour partie la présente commission d'enquête.

Depuis ce précédent rapport, le Parlement a été invité à examiner un projet de loi tendant à renforcer la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière ainsi qu'un projet de loi organique instituant un procureur de la République financier , qui sera compétent sur l'ensemble du territoire national pour détecter et poursuivre un grand nombre d'infractions économiques et financières complexes - notamment la fraude fiscale complexe ou revêtant une dimension internationale.

Les nombreuses mesures contenues dans ces deux textes ne répondent sans doute pas au souhait de « grand soir » attendu par certains, mais elles vont tout de même dans le sens d'un renforcement important des pouvoirs de l'administration fiscale et de l'autorité judiciaire, qui seront toutes deux dotées de nouveaux outils juridiques leur permettant de mieux détecter les anomalies et les fraudes potentielles, de surmonter l'hostilité ou l'inertie des acteurs récalcitrants et de les sanctionner plus sévèrement 41 ( * ) .

En particulier, la création d'un délit de fraude fiscale commis en bande organisée permettra à la justice de mieux appréhender les intermédiaires qui, sciemment ou par complaisance, contribuent activement à l'évasion illégale des ressources financières ( cf. infra ).


* 38 Pour une analyse détaillée de ces différentes listes, voir le rapport de la commission d'enquête sénatoriale sur l'évasion fiscale internationale, tome I, pages 202 et suivantes.

* 39 L'article 22 de la loi n°2009-1674 du 30 décembre 2009 de finances rectificative pour 2009.

* 40 Rapport précité, tome I, pages 330 et suivantes.

* 41 Pour un détail des nombreuses mesures contenues dans ce projet de loi, voir notamment les rapports de nos collègues Alain Anziani, rapporteur de la commission des lois, et François Marc, rapporteur pour avis de la commission des finances, consultables à l'adresse suivante : http://www.senat.fr/dossier-legislatif/pjl12-690.html

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