E. INSTITUER UNE OBLIGATION DE DÉCLARATION PRÉALABLE DES SCHÉMAS D'OPTIMISATION FISCALE AUPRÈS DE L'ADMINISTRATION

La connaissance et la compréhension des schémas d'optimisation est un point crucial de la lutte contre l'évasion fiscale , comme l'avait souligné Olivier Sivieude, directeur des vérifications nationales et internationales (DVNI), lors de son audition par la commission d'enquête sur l'évasion des capitaux de 2012 45 ( * ) : « il est extrêmement difficile de démanteler [les] schémas d'optimisation fiscale [des grandes entreprises] , d'abord parce qu'il faut les trouver, ensuite parce qu'il faut prouver qu'elles n'ont pas respecté la loi, enfin parce que leurs avocats et leurs directeurs fiscaux sont très compétents ». Ces schémas sont le plus souvent conçus, proposés et mis en oeuvre par les intermédiaires. Aussi votre commission d'enquête propose-t-elle que les intermédiaires proposant des schémas d'optimisation fiscale soient soumis à une obligation de communication préalable à l'administration fiscale .

Proposition n° 22 : instituer une obligation de déclaration préalable des schémas d'optimisation fiscale, pesant sur les intermédiaires.

La mise en place d'un tel dispositif permettrait à l'administration de disposer d'informations substantielles, précises et à jour sur les principaux montages fiscaux offerts par les intermédiaires. Forte de cette connaissance des schémas d'optimisation, l'administration fiscale :

- gagnerait un temps très précieux dans la détection et la compréhension des montages complexes susceptibles de relever de l'évasion fiscale ;

- pourrait procéder à une analyse des risques et lancer des enquêtes et contrôles fiscaux sur cette base ;

- apporterait une réponse individuelle, réglementaire ou le cas échéant législative plus rapide et plus efficace aux montages ;

- écourterait ainsi la « durée de vie » de ces dispositifs et donc l'incitation à les commercialiser.

Un tel dispositif présente non seulement des avantages pour l'administration, mais aussi pour les contribuables et les intermédiaires eux-mêmes : ils y gagnent une sécurité juridique certaine quant à leurs obligations respectives, ainsi que la garantie d'une « juste concurrence » en matière d'optimisation fiscale.

Des dispositifs de ce type ont déjà fait preuve de leur efficacité dans d'autres pays 46 ( * ) , notamment au Royaume-Uni avec la loi « DOTAS » votée en 2004 (cf. encadré), aux États-Unis grâce à la section 6111 de l' Internal Revenue Code , ou encore au Canada et en Afrique du Sud. Au Royaume-Uni, la loi DOTAS a produit des résultats très satisfaisants : ainsi, 2 928 schémas fiscaux ont été déclarés entre 2004 et 2010. Ils ont notamment conduit à l'adoption de 49 mesures anti-évasion, permettant de « retenir » sur le territoire une assiette fiscale de près de 12 milliards de livres sterling .

L'exemple britannique : la loi DOTAS

Votée en 2004, la loi DOTAS (« Disclosure of Tax Avoidance Schemes ») instaure une obligation de déclaration des schémas d'optimisation fiscale pesant sur les promoteurs et les utilisateurs, afin de permettre une réaction rapide de l'administration fiscale britannique ( Her Majesty's Revenue and Customs - HMRC ). Le fonctionnement du dispositif est le suivant :

- le promoteur d'un schéma d'optimisation est tenu de le déclarer à l'administration fiscale. Des pénalités sont prévues en cas de non-respect de cette obligation ;

- chaque schéma reçoit alors un numéro d'identification individuel 47 ( * ) ;

- tout particulier ou entreprise utilisant ce schéma est tenu de le notifier à l'administration en mentionnant son numéro d'identification dans sa déclaration d'impôts ;

- l'administration peut alors suivre ce schéma et, le cas échéant, prendre les mesures nécessaires pour l'interdire.

Le dispositif repose sur une définition précise de la notion de schéma d'optimisation fiscale . L'obligation de déclaration s'applique ainsi dès lors qu'un montage a pour bénéfice principal de procurer un avantage fiscal, et qu'il répond à certains critères, définis par une instruction fiscale , tels que la confidentialité ou le caractère standardisé. La dernière instruction, publiée en avril 2011, comporte plusieurs mesures de renforcement du dispositif.

Sont considérés comme promoteurs de schémas fiscaux les personnes physiques ou morales qui conçoivent, offrent ou gèrent ces schémas. La liste des impôts couverts par DOTAS a été étendue au fil des années, et comprend désormais l'impôt sur le revenu, l'impôt sur les sociétés, l'impôt sur les plus-values, les droits de mutations immobiliers, les cotisations sociales et la TVA. Depuis 2011, le transfert d'actifs à un trust est également soumis au régime déclaratoire.

Source : http://www.hmrc.gov.uk/aiu

L'obligation de déclaration préalable des schémas fiscaux présente donc une originalité par rapport à la majorité des dispositifs expérimentés jusqu'à maintenant : elle pèse avant tout sur les intermédiaires - cabinets d'avocats ou de conseil, experts comptables, institutions financières ou encore gestionnaires de patrimoine. Afin de la rendre effective, des pénalités dissuasives doivent être prévues .

Il existe d'évidentes difficultés de mise en place d'un dispositif aussi complexe, la principale étant l'absence de définition juridique d'un « schéma d'optimisation fiscale 48 ( * ) » . Une fois cette difficulté résolue, il resterait à définir les personnes sur lesquelles pèse l'obligation déclarative, puis ses modalités et ses sanctions. Il serait également nécessaire de créer un service dédié au sein de l'administration fiscale, avec les efforts de formation que cela implique.

Lors de son audition, Mme Maïté Gabet, directrice nationale des vérifications des situations fiscales (DNVSF) a rappelé les obstacles rencontrés : « une réflexion avait été initiée pour savoir s'il fallait faire des déclarations de montage, comme les Américains ou les Britanniques. Ce projet avait été abandonné face à la masse administrative de gestion qu'il impliquait ». Malgré ces difficultés, la commission d'enquête estime que les réticences de l'administration à l'égard de ce système sont injustifiées 49 ( * ) : l'administration britannique a su s'adapter et les instructions fiscales successives parviennent à cerner - en une centaine de pages - les principaux critères définissant un schéma fiscal. Une phase transitoire pourrait être envisagée , par exemple sous la forme d'une déclaration facultative, le temps nécessaire à la formation des agents de la DGFiP.

Ce nouveau dispositif pourrait s'inscrire dans le cadre plus large d'une rénovation de la procédure de rescrit fiscal 50 ( * ) , qui permet à un contribuable de solliciter l'avis de l'administration sur un point de droit ou une situation fiscale personnelle, et d'obtenir une réponse dans un délai de trois mois. L'administration, qui doit répondre dans un délai de trois mois, s'attache depuis 2008 à faire un meilleur usage de cette procédure, mais celle-ci demeure insuffisamment utilisée 51 ( * ) , notamment pour les montages complexes. Le rescrit fiscal pourrait ainsi être étendu aux intermédiaires offrant des schémas d'optimisation, le cas échéant de manière obligatoire .

Il importe, quoi qu'il en soit, d' assurer le caractère confidentiel des déclarations de schémas fiscaux , qui n'ont pas vocation à être rendu publics. Ainsi, le nouveau dispositif préserverait la compétitivité des entreprises qui en font un avantage comparatif et ne violerait pas le secret professionnel des avocats et intermédiaires - ce qui répondrait aux craintes de Gianmarco Monsellato, du cabinet Taj, lors de son audition 52 ( * ) .


* 45 Rapport n° 673 (2011-2012) fait par Éric Bocquet au nom de la commission d'enquête sur l'évasion des capitaux et des actifs hors de France et ses incidences fiscales, 17 juillet 2012.

* 46 Voir à cet égard : OCDE, « Lutter contre la planification fiscale agressive par l'amélioration de la transparence et de la communication de renseignements », février 2011.

* 47 Un numéro individuel ne vaut pas autorisation.

* 48 Il existe toutefois déjà un « catalogue » des 400 principaux schémas, établi par l'OCDE dans le cadre de l' Agressive Tax Planning Steering Group puis du rapport BEPS (cf. supra ). La DNEF avait également lancé un inventaire des principaux schémas, aujourd'hui interrompu.

* 49 Depuis une première tentative avortée en 2006, un tel dispositif a été proposé à plusieurs reprises, par des missions parlementaires (Rapport du 17 juillet 2012 fait par Éric Bocquet, précité, et rapport du 10 juillet 2013 fait par Pierre-Alain Muet, précité) ou à l'occasion de l'examen de plusieurs textes - dernièrement le projet de loi de séparation et de régulation des activités bancaires, et le projet de loi relatif à la lutte contre la fraude fiscale et la délinquance économique et financière.

* 50 Article L. 80 B du livre des procédures fiscales.

* 51 Environ 20 000 rescrits sont traités chaque année par l'administration fiscale. En 2011, seuls 37 réponses ont été publiées, valant prise de position formelle de l'administration.

* 52 Gianmarco Monsellato s'était toutefois déclaré favorable à un tel dévoilement dans le cadre précis d'un rescrit permettant d'assurer à l'entreprise une sécurité juridique réelle dans un délai restreint.

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