F. ENCADRER ET CONDITIONNER LA POLITIQUE DE REMISES FISCALES

En amont de l'action ici recommandée, il est nécessaire d'appeler l'administration fiscale à exercer la plus grande vigilance sur l'admission des entreprises financières à imputer des pertes à l'occasion de la détermination de leur résultat fiscal. Une vigilance sans faille doit notamment s'appliquer afin de déterminer la responsabilité des entreprises dans les déboires subis en privilégiant une interprétation stricte de la jurisprudence ALCATEL-CIT ce qui suppose une vérification minutieuse des cas d'espèce afin de pouvoir qualifier les défaillances des systèmes de contrôle en identifiant des situations de complicité éventuelles.

Proposition W : réaliser des vérifications approfondies des pertes alléguées par les entreprises sur leurs positions financières.

L'exercice par l'administration fiscale de ses missions peut s'analyser de deux manières. D'un point de vue matériel, elle sanctionne les montages frauduleux , en faisant notamment application des dispositifs anti-abus de notre droit fiscal (cf. infra ). D'un point de vue organique, elle sanctionne les individus 53 ( * ) qui bénéficient de ces montages - à défaut de pouvoir correctement sanctionner les individus qui les commercialisent.

Or, en ce qui concerne les individus, l'administration dispose d'une marge d'action : sa faculté de remise et de transaction sur les pénalités fiscales. Le choix a ainsi été fait, récemment, de mettre en place un dispositif d'incitation à la régularisation pour les contribuables possédant des avoirs non déclarés. La commission d'enquête estime que cette logique, dès lors qu'elle ne constitue pas une amnistie, mérite d'être explorée .

Plus précisément, le dispositif repose sur l'articulation dans le temps de deux messages : d'une part, l'annonce du prochain durcissement de la lutte contre la fraude, au niveau national comme international ; d'autre part, la possibilité de régulariser au plus vite les situations illégales, avec des pénalités réduites, que prévoit la circulaire du 21 juin 2013.

Circulaire n° 672 du 21 juin 2013

Le traitement des déclarations rectificatives
des contribuables détenant des avoirs à l'étranger

En parallèle à l'examen du projet de loi relatif à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière , le ministre délégué chargé du budget a présenté une circulaire visant à inciter les contribuables à régulariser leurs avoirs non déclarés à l'étranger : il s'agit d' appliquer le droit commun tout en tenant compte de la démarche spontanée . La circulaire écarte ainsi « toute amnistie, toute condition dérogatoire au droit commun, tout anonymat et toute tractation occulte ».

Les contribuables doivent ainsi s'acquitter de l'intégralité des impôts dus , ainsi que des intérêts de retard au taux légal. L'incitation au « retour » réside donc dans l'atténuation des pénalités prévues par le code général des impôts, que l'administration a la faculté de moduler et que la circulaire vient encadrer.

Le droit commun prévoit en effet une majoration pour manquement délibéré de 40 % de l'impôt dû, ainsi qu'une amende annuelle pour défaut de déclaration étant plafonnée à 5 % de la valeur des avoirs au 31 décembre de l'année concernée. La circulaire permettra de moduler ces pénalités selon le degré d'intentionnalité de la fraude. Elle distingue ainsi les fraudeurs « passifs » (pour des avoirs reçus en succession ou en donation, ou constitués par le contribuable alors qu'il n'était pas résident fiscal en France), et les fraudeurs « actifs » (pour des avoirs constitués par le contribuable alors qu'il était résident fiscal en France).

Taux de majoration Amende annuelle

Droit commun : 40 % 5 %

Fraudeurs « actifs » : 30 % 3 %

Fraudeurs « passifs » : 15 % 1,5 %

Les contribuables souhaitant régulariser leur situation seront accueillis de manière centralisée et homogène par la Direction nationale de vérification des situations fiscales (DNVSF) , et plus précisément par un « Service de traitement des déclarations rectificatives » (STDR) installé dans le 19 e arrondissement de Paris.

Les premiers résultats de cette politique sont encourageants . Ainsi, d'après le ministre délégué chargé du budget 54 ( * ) , l'administration fiscale avait ainsi reçu mi-septembre 1 605 demandes de régularisation en huit semaines, soit « plus qu'au cours des deux dernières années » - une annonce qui reste toutefois muette sur les montants en jeu 55 ( * ) . Par comparaison, la « cellule de dégrisement » mise en place en avril 2009 avait, au total, permis la régularisation de 4 600 dossiers, pour 1,2 milliard d'euros de droits et pénalités.

Lors de son audition, l'avocat fiscaliste Éric Ginter a estimé que « la période actuelle est propice, notamment en raison de l'âge de beaucoup des personnes concernées. Ce processus est positif pour les finances et la moralité publiques en évitant que la fraude fiscale soit considérée comme non-condamnable ». Il a par ailleurs identifié trois « profils » de repentis, qui correspondent assez bien aux catégories prévues par la circulaire du 21 juin 2013 : « le premier concerne les personnes ayant hérité. Nous n'avons aucun moyen de vérifier que cet héritage en est bien un. Il est toutefois vraisemblable que cette situation a pu exister dans certaines familles, notamment en raison des événements difficiles du XX e siècle. Le deuxième type de dossiers est constitué des personnes ayant gagné de l'argent à l'étranger, et qui pour des raisons assez variées n'ont pas souhaité le rapatrier en France. [...] Ces cas de figure posent des problèmes mal traités actuellement, comme par exemple la déclaration de compte à l'étranger. Des personnes bénéficient en effet de plans de retraite versés par des sociétés internationales et alimentés à l'étranger. Elles déclarent leur revenu mais peuvent avoir omis de cocher la bonne case sur le formulaire. Enfin, des personnes ont alimenté de leur vivant des comptes à l'étranger, également pour plusieurs raisons. Certaines étaient réticentes à l'impôt, d'autres méfiantes vis-à-vis d'une monnaie alors régulièrement dévaluée ».

L'avocat fiscaliste Alain Moreau constate également que les dossiers sont de plus petite ampleur qu'auparavant, « de 300 000 euros à un million d'euros » 56 ( * ) , témoignant d'un changement dans la sociologie des « repentis » : pour ces derniers, « ce qui était un secret familial bien gardé devient un risque insupportable », ajoute-t-il.

Si la commission d'enquête juge favorablement ce dispositif, elle estime néanmoins que celui-ci a vocation à rester limité dans le temps .

Par ailleurs, une réflexion pourrait être engagée sur la conditionnalité des remises pratiquées par l'administration . Par exemple, les pénalités réduites pourraient s'appliquer aux fraudeurs qui acceptent d'investir dans l'économie française les fonds rapatriés . Après une régularisation, en effet, le contribuable demeure entièrement libre de l'usage des sommes qui restent à sa disposition et peut indifféremment en maintenir ou en modifier la destination. Il ne s'agit nullement d'instaurer une obligation d'emploi de ces fonds - ce qui serait alors contraire au droit de propriété - mais bien de créer une incitation à les investir dans l'économie réelle . Plusieurs critères pourraient être définis : industrie, formation, recherche, logement ou encore énergies renouvelables. Limité à l'investissement dans l'économie française, le dispositif serait une offre « gagnant-gagnant » aux effets vertueux pour la croissance.

De même que pour la politique de régularisation actuellement menée, cette possibilité ne doit en aucun cas correspondre à une amnistie - c'est un point sur lequel insiste particulièrement la commission d'enquête. Les impôts dus devront être payés dans leur intégralité, seule les pénalités pouvant être réduites - et non pas supprimées.

Proposition n° 23 : ouvrir un débat sur la conditionnalité des remises de pénalités fiscales, notamment pour les « repentis » investissant dans l'économie réelle.


* 53 Le raisonnement qui s'applique à la lutte contre la fraude fiscale se rapproche de celui qu'a proposé lors de son audition Dominique Strauss-Kahn, ancien directeur général du Fonds monétaire international, à propos des dérives de la finance internationale : « le vrai problème, c'est le comportement des individus. C'est moins la finance qui est en cause que les financiers. Si j'étais provocateur, je dirais qu'à trop s'occuper de la finance, on ne s'occupe pas assez des financiers ! [...] Les sanctions doivent frapper les individus, de haut en bas de la chaîne hiérarchique, plutôt que les institutions ».

* 54 Déclaration du 17 septembre 2013.

* 55 A titre indicatif, le projet de loi de finances pour 2014 prévoit que la lutte contre la fraude fiscale des ménages rapportera un milliard d'euros au budget de l'État.

* 56 Les Echos, mardi 27 août 2013.

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