AUDITION DE M. MICHEL AUJEAN, ANCIEN DIRECTEUR DES ANALYSES ET DES POLITIQUES FISCALES À LA DIRECTION GÉNÉRALE DE LA FISCALITÉ ET DE L'UNION DOUANIÈRE DE LA COMMISSION EUROPÉENNE

(mercredi 19 juin 2013)

M. François Pillet, président . - Nous auditionnons aujourd'hui M.  Michel Aujean, ancien directeur des analyses et des politiques fiscales à la direction générale de la fiscalité et de l'Union douanière de la Commission européenne. Une commission d'enquête fait l'objet d'un encadrement juridique strict. Je signale au public présent que toute personne qui troublerait les débats serait exclue sur le champ. Je vous informe en outre qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13 à 434-15 du code pénal.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Michel Aujean prête serment.

M. Michel Aujean, ancien directeur des analyses et des politiques fiscales à la direction générale de la fiscalité et de l'Union douanière de la Commission européenne . - Merci pour votre invitation. J'ai été le directeur de la politique fiscale de 1998 à 2007, date à laquelle j'ai quitté la Commission après avoir passé une vingtaine d'années dans ce département où j'ai contribué à presque toutes les initiatives de politique fiscale de la commission - notamment pour éliminer les obstacles fiscaux au bon fonctionnement du marché unique, comme le demande le traité, ce qui va de la TVA au projet de directive ACCIS (assiette commune consolidée pour l'impôt sur les sociétés). J'ai surtout été à l'origine du paquet fiscal du commissaire Monti, qui comprenait le code de conduite et la directive « Épargne », que j'ai négociés de 1996 à 2005.

J'ai toujours essayé d'adopter une position intermédiaire entre les entreprises et les administrations fiscales, avec pour objectif de réaliser un véritable marché unique reposant sur un système fiscal simple, efficace et stable. Cela n'a pas été sans désaccords, en particulier avec les entreprises, lorsque nous avons imposé des solutions parfois radicales. Mais j'ai toujours indiqué que le passage par ce code de conduite contre la concurrence fiscale dommageable était une étape indispensable pour éliminer les obstacles fiscaux et espérer passer à un autre système, l'ACCIS, conçu dans l'intérêt des entreprises.

La concurrence fiscale a changé de nature depuis qu'au milieu des années 1990 nous avons adopté et mis en oeuvre le code de conduite, ce qui a conduit à éliminer une centaine de mesures fiscales dommageables. Les États membres ont adapté leurs systèmes fiscaux pour tenir compte des nouveaux critères, se positionnant souvent à la frontière extrême de ce que le code accepte - tendance à laquelle nous avons essayé de remédier. La concurrence fiscale ne se fait plus guère par les mesures dommageables mais par la baisse du taux d'imposition, associée à des instruments traditionnels, comme les prix de transfert et la déductibilité des intérêts, ou nouveaux : les situations hybrides, les divergences de législation, dites mismatches, les différences de traitement des revenus passifs - notamment pour les brevets - et l'exploitation des faiblesses de textes comme tels les directives visant l'élimination de la double imposition (mères-filiales, intérêts et redevances), qui permet à certains de s'exonérer de toute imposition.

Entre 2005 et 2007, les petits pays ont commencé à entrer en rébellion, rompant le consensus au sein du groupe « code de conduite » car ils s'estimaient trop systématiquement désignés comme les coupables des situations de concurrence fiscale dommageable. Le code lui-même n'a pas été révisé, en dépit de réflexions engagées dès 2004 ou 2005 en ce sens, faute de soutien politique de la part des États membres, de la Commission et de la présidence du groupe « code de conduite ». Le code n'est plus adapté. Les intérêts notionnels belges, qui permettent de déduire la rémunération normale du capital, ne constituent ni une mesure dommageable, ni une aide d'État, et sont donc parfaitement licites. Pourtant, selon Le soir du 28 janvier dernier, Arcelor-Mittal France, qui a généré entre 2008 et 2011 5,8 milliards d'euros de profits, a déduit 5,6 milliards au titre des intérêts notionnels. Or cet impôt éludé ne constitue pas un manque à gagner pour le fisc belge puisqu'il aurait dû être payé sur les bénéfices étrangers. Ce type de situation appelle une analyse différente de la notion de concurrence fiscale et de ses effets sur la concurrence, la croissance et l'emploi.

La fiscalité de l'épargne, deuxième volet du paquet fiscal de 1996, a fait l'objet d'une directive adoptée en 2003 et entrée en vigueur le 1 er juillet 2005. Ses effets, d'abord limités, se sont renforcés lorsque les mesures de transition se sont achevées. Cette directive manquait en partie son but car certaines situations n'avaient pas été correctement prises en compte dans la rédaction initiale ou ont été modifiées lors de l'examen au Conseil. Nous avons préparé sa révision en toute transparence, en publiant tous nos documents d'analyse sur le site de la Commission. C'est le meilleur moyen d'être protégé des pressions des lobbies. La révision de la directive a été adoptée en 2008, mais le Luxembourg et l'Autriche bloquent son adoption par le Conseil des ministres. Or les États-membres n'y portent pas un intérêt suffisant pour surmonter ce blocage, et la Commission se montre assez passive. La récente directive d'assistance mutuelle, qui comprend la clause de la nation la plus favorisée, et l'adoption du Foreign Account Tax Compliance Act (Fatca) ont enfin fait bouger les choses, laissant espérer que la directive amendant la directive « Épargne » sera adoptée, que les mandats de négociation avec les cinq pays tiers appartenant au champ de la directive ACCIS seront attribués à la Commission, et que les Pays-Bas et le Royaume-Uni modifieront d'eux-mêmes l'application de la directive dans leurs territoires dépendants et associés.

En conclusion, c'est aux grands pays de faire pression pour réguler la concurrence fiscale et obtenir les modifications nécessaires en matière d'échange d'informations et d'assistance mutuelle.

M . Éric Bocquet, rapporteur . - Merci pour ces informations intéressantes. L'un des ressorts de l'évasion fiscale est la concurrence fiscale au sein de l'Union européenne. Nous sommes très loin de l'harmonisation, qui devrait être une priorité. Ce chantier est-il engagé ? M. Cameron déclarait récemment que l'impôt sur les sociétés allait encore diminuer au Royaume-Uni, après s'être dit prêt à accueillir les exilés fiscaux... La concurrence est exacerbée. Comment se construit-elle ? Quelles pistes explorer pour arriver à un espace fiscalement harmonisé, supprimant toute velléité d'évasion ? Je crois que l'Union européenne n'a pas pris ce sujet à bras le corps.

M. Michel Aujean . - La concurrence fiscale semble plus forte à l'intérieur de l'Union que vis-à-vis du reste du monde. Les taux d'imposition des sociétés ont beaucoup plus baissé au cours des vingt dernières années dans notre zone que ce n'est le cas aux États-Unis, au Japon ou dans les autres pays membres de l'OCDE. Je vous transmettrai les graphiques si vous le souhaitez. La concurrence fiscale est avant tout un problème intra-européen. Les pays du Benelux, très actifs dans ce domaine, ont toujours utilisé ce moyen de contrebalancer les difficultés propres aux petits pays : faute de grand marché domestique, ils sont obligés de se lancer dans des activités à l'étranger, ce qui, en l'absence de compensation transfrontalière, génère des pertes fiscales. Pour en limiter les conséquences, il leur faut donc devenir particulièrement attractifs, et attirer soit les activités, soit les assiettes fiscales.

Que faire ? La seule solution, à mes yeux, passe par l'adoption de l'ACCIS. J'y ai travaillé pendant dix ans. Ce projet associe assiette unique et consolidation, ce qui attirera les entreprises, en leur apportant une vraie simplification et l'assurance de n'être taxées que sur le profit net. BusinessEurope a soutenu cette approche depuis le début. En mettant en place une répartition de l'assiette par une formule à trois facteurs, l'ACCIS répond à la plupart des critiques sérieuses sur le besoin de changer de système fiscal. Le projet Base Erosion and Profit Shifting (Beps) de l'OCDE dénonçait le découplage croissant entre le lieu où les entreprises exercent leurs activités et investissent et celui où les bénéfices sont déclarés à des fins fiscales. Avec l'ACCIS, la répartition de l'assiette ne passe plus par les prix de transfert et le traitement indépendant de chaque entité mais par la considération du groupe d'entreprises qui a, dans une assiette unique commune, une formule pour répartir son activité et ses profits sur les différents territoires. Malheureusement, ce projet n'avance pas. Pis, le groupe des questions fiscales du Conseil aurait décidé de limiter les discussions à l'harmonisation de l'assiette, la consolidation et la répartition étant mises de côté, alors que ce sont les parties essentielles !

M. Éric Bocquet, rapporteur . - Si ce projet fait l'objet d'un accord, comment expliquez-vous qu'il soit si difficile à mettre en oeuvre ?

M. Michel Aujean . - C'est une révolution, qui change complètement la façon d'aborder l'activité des groupes et leur contrôle. Cela va très loin, et n'est pas sans poser de problèmes. Pour les analyser à fond, il nous faut la coopération des États membres : sans accès aux recettes et aux profits déclarés, impossible de réaliser des simulations et d'évaluer toutes les conséquences de l'ACCIS. La formule de répartition suscite encore des difficultés, notamment dans la partie « capital », puisque qu'elle ne retient que les actifs corporels, et en ce qui concerne les ventes : idéalement, les ventes de Google en France seraient saisies dans la formule de répartition, puisque Google a un établissement stable en France, par lequel les ventes à destinations de clients sur le territoire français seraient recensées et donc incluses dans la répartition, ce qui changerait considérablement l'assiette de la taxe payée par Google en France - à condition que l'on accepte ce critère de vente à destination, et que Google conserve cet établissement stable en France... Les incertitudes et les réticences face à cette révolution expliquent le peu d'entrain des États membres pour faire avancer le projet.

La Commission vient de publier trois communications sur la lutte contre l'évasion fiscale qui relèvent plus d'une « shopping list » de mesures que d'une stratégie fiscale d'ensemble, et dont l'ACCIS semble avoir presque totalement disparu. C'est pourtant la solution à plus de la moitié des problèmes posés par l'évasion fiscale.

M. Éric Bocquet, rapporteur . - Quelle est la position officielle de la France sur l'ACCIS ? Est-elle maximaliste, ou favorable à un compromis ?

M. Michel Aujean . - J'ai été déçu par l'attitude française. Je pensais que nous avions fait suffisamment de progrès dans la compréhension du projet pour que le soutien de la France soit fort. En 2008, la présidence française avait l'intention de faire avancer l'ACCIS, mais la Commission n'a pas été capable de présenter une proposition. Depuis, nous stagnons, et le projet n'avance pas. Il ne verra le jour que si la France, l'Allemagne, l'Italie et l'Espagne, qui représentent 60% du PIB de l'Union, s'allient, comme elles l'ont fait pour l'échange automatique d'informations, afin de faire pression.

M. Éric Bocquet, rapporteur . - Avez-vous une idée des flux et du niveau d'imposition que représenteraient les incorporels ?

M. Michel Aujean . - Non. On dit habituellement que le commerce intragroupe représente environ 70 % du commerce intracommunautaire.

M. Éric Bocquet, rapporteur . - Notre commission s'intéresse au rôle des banques et des acteurs financiers. Quel est le rôle des opérations financières dans les pratiques d'optimisation fiscale des entreprises et des individus, et celui des financements intragroupe dans les schémas fiscaux agressifs ?

M. Michel Aujean . - Je n'ai guère d'éléments à vous donner. J'ai peu travaillé avec les opérateurs bancaires et financiers, si ce n'est sur la fiscalité de l'épargne ou la TVA.

M. Éric Bocquet, rapporteur . - Vous avez évoqué les produits hybrides et les revenus passifs. Quelles sont les techniques utilisées ? Comment les opérateurs utilisent-ils les conventions fiscales pour éliminer ou réduire la charge fiscale ?

M. Michel Aujean . - Je crains de devoir vous décevoir à nouveau : économiste de formation, je n'ai guère de pratique de ces questions. On recense une soixantaine de situations hybrides à l'intérieur de l'Union : par exemple, d'un côté de la frontière on est imposable à l'impôt sur les sociétés, de l'autre à l'impôt sur le revenu des personnes physiques. En jouant habilement sur cette différence, on peut n'être imposé nulle part.

M. François Pillet, président . - Quand on a en charge, dans un grand cabinet d'avocats, un pôle « prospective fiscale et stratégie d'entreprise », quelle ingénierie vend-on à ses clients ?

M. Michel Aujean . - Pour ma part, je ne vends rien. Je suis arrivé chez TAJ en 2008 avec pour projet de créer un centre de recherche fiscale en France : nous n'avons rien de tel aujourd'hui, quand le Royaume-Uni possède deux grands instituts : l'Institute for Fiscal Studies et l'Oxford Center for Business Taxation. Chez TAJ, je fournis un support aux avocats du cabinet, qui sont mes seuls clients, sur les questions économiques et européennes, par exemple sur la manière dont la Cour de justice de l'Union européenne a abordé la question des exit tax. Je dirige également un blog qui publie des articles sur la politique fiscale pour nourrir la réflexion des décideurs publics comme privés. Je représente enfin TAJ dans toutes les organisations, associations, institutions, confédérations traitant de fiscalité, si possible européenne. Mes activités ne sont donc guère orientées vers la pratique du conseil.

M. François Pillet, président . - Pour une personne physique au patrimoine important, qui ne serait pas très attachée à son lieu de résidence, souhaitant optimiser ses revenus et sa retraite en restant en Europe, quelle serait la meilleure destination ?

M. Michel Aujean . - Avec ces seuls éléments, je suis incapable de vous répondre.

M. François Pillet, président . - Imaginons une personne qui n'aurait pas la terre attachée à ses souliers. Ira-t-elle à Londres ?

M. Michel Aujean . - Chez la plupart de nos voisins, l'activité est beaucoup plus fortement taxée qu'en France. En Belgique, où je réside depuis 37 ans, le taux marginal d'imposition est de 50 %, et est atteint dès 30 000 euros de revenu annuel ! Dans la perspective de la retraite, la Belgique peut en revanche être une destination intéressante : les plus-values n'y sont pas imposées. Mais les droits de succession y sont beaucoup plus élevés qu'en France si l'on n'a pas pris la précaution de structurer son capital. Il n'y a donc pas de réponse évidente à votre question.

M. François Pillet, président . - Plus que de l'optimisation, il faut faire de l'orfèvrerie fiscale.

M. Michel Aujean . - Nous parlons de solutions légales. Comment faire la différence entre optimisation et évasion fiscale ? L'évasion est légale. Je ne crois pas que l'on puisse marquer une limite précise entre les deux.

Mme Nathalie Goulet . - Nous non plus.

M. Michel Aujean . - Je ne crois pas non plus aux dispositifs anti-abus.

M. Éric Bocquet, rapporteur . - Les Britanniques ont travaillé sur cette notion, pourtant.

M. Michel Aujean . - En effet, notamment en mettant en place une obligation de révéler les montages. Personnellement, je n'y crois pas.

M. Éric Bocquet, rapporteur . - Un rapport montrait que c'était possible.

M. Michel Aujean . - Oui. De même, les Britanniques terminent une consultation sur une mesure générale anti-abus qu'ils souhaitent mettre en place. Je n'y crois pas non plus : ces mesures anti-abus sont inapplicables au cas par cas dans la plupart des situations.

M. Éric Bocquet, rapporteur . - Y compris l'abus de droit ?

M. Michel Aujean . - Je parle d'une clause anti-abus fiscal générale. Le risque est grand de faire obstacle à l'activité légitime des opérateurs économiques.

M. François Pillet, président . - Ne pourrait-on généraliser l'obligation de passer par le rescrit ?

M . Michel Aujean . - Je suis en faveur de ce que l'OCDE a appelé la cooperative compliance : il s'agit de passer à une autre approche de la relation entre les contribuables et l'administration, fondée sur la confiance. L'administration fiscale française s'y met, avec retard. Cette démarche est plus convaincante : une présence continue auprès de l'entreprise permet d'être mieux informé de ses pratiques et de ses stratégies, et de mieux les comprendre. L'intervention fiscale, avec l'appui de rescrits qui seraient publiés, gagnerait en solidité.

M. Éric Bocquet, rapporteur . - La question des revenus différés a-t-elle fait l'objet d'une attention particulière ?

M. Michel Aujean . - Nous nous sommes penchés sur le cas des pensions complémentaires obligatoires.

M. Éric Bocquet, rapporteur . - Je pensais à la dénonciation, par le Danemark, de la convention fiscale.

M. Michel Aujean . - À partir de 2001, la Commission s'est efforcée de faire éliminer par les États membres les discriminations qui interdisaient, par exemple, à un Danois contribuant à un fonds de pension finlandais de bénéficier de la déductibilité des cotisations. Certains contribuables cotisaient - et déduisaient - dans les pays nordiques et allaient ensuite jouir de leur pension en Espagne, où elle était imposée. Cela constituait un véritable transfert au profit des pays du Sud. Nous avons suggéré d'instaurer des échanges d'information et de répartir différemment l'imposition des pensions, mais les États membres ne l'ont pas souhaité. La seule suite a été cette procédure d'infraction contre les États membres qui n'acceptaient pas la déductibilité transfrontalière des cotisations.

M. François Pillet, président . - Quel est le rôle des banques dans l'évasion fiscale ? Font-elles du conseil ?

M. Jacques Chiron . - Comment accompagnent-elles leurs clients dans ces démarches ? Est-ce à cette fin qu'elles créent de nombreuses filiales à l'étranger ?

Mme Nathalie Goulet . - Lors de la modification de la loi de modernisation de l'économie, j'avais déposé plusieurs amendements pour créer un pôle d'excellence en matière fiscale et internationale. L'université de Paris-Dauphine me semblait l'endroit idoine pour un troisième cycle en fiscalité internationale. Pouvez-vous nous donner, en exclusivité, votre vision d'un tel pôle d'excellence ? Si nous ne formons pas des fiscalistes d'excellence, ce sont les banques qui recruteront les meilleurs, et notre administration fiscale restera à la traîne.

Le Qatar bénéficie d'une convention qui fait de la France, pour ce pays, un paradis fiscal. Comment revoir cette convention fiscale ?

M. Michel Aujean . - Je n'ai aucune expérience de la banque : je n'ai côtoyé le système bancaire que dans le cadre des discussions autour de la directive « Épargne ». J'ai découvert des choses étonnantes à cette occasion : lorsqu'une retenue à la source de 15% a été évoquée, j'ai appris que cela correspondait à peu près aux frais de gestion de patrimoine réclamés aux épargnants par les banques des pays à secret bancaire ! Je ne sais absolument pas si les banques conseillent ou accompagnent leurs clients dans l'évasion fiscale.

J'ai été en contact avec Paris-Dauphine, car nous avions envisagé de créer une chaire de fiscalité. Ce projet semble en sommeil, mais je le reprendrais volontiers.

Mme Nathalie Goulet . - Faites confiance à notre commission, cela va prospérer !

M. Michel Aujean . - Le centre d'Oxford me paraît un excellent modèle. Il est né d'une initiative conjointe du club des cent plus grosses entreprises britanniques, du Trésor et des milieux universitaires. Un appel d'offre a été publié, Oxford l'a emporté. Ce centre n'a plus besoin du financement tripartite initial, il vole désormais de ses propres ailes et produit une excellente littérature.

M. Jacques Chiron . - Vous avez parlé d'échanges entre l'administration fiscale et les entreprises. Serait-il utile que les schémas proposés par les fiscalistes, au-delà d'un certain niveau, soient automatiquement communiqués à l'administration, afin de garantir qu'il ne s'agit bien que d'optimisation ?

M. Michel Aujean . - Quels sont les moyens et l'autorité du législateur fiscal en France ? Le système fiscal français est à la fois complexe, inefficace - taux nominaux élevés, recettes modestes -, décourageant, instable, et difficile à administrer. La stabilité du cadre fiscal, la sécurité juridique, la non-rétroactivité sont les premiers critères de l'attractivité. Comment rendre de l'efficacité à ce système ? Certains pays ont choisi de fonder leur attractivité sur une assiette étroite, des niches et un taux effectif faible, mais ce n'est pas ce que la sagesse conventionnelle recommande. Une divulgation des montages n'aurait de sens que si elle s'inscrivait dans une relation de cooperative compliance, dans laquelle l'entreprise a besoin d'échanges avec l'administration fiscale pour acquérir la certitude juridique. Dans le cadre administratif actuel, c'est impossible.

M. Éric Bocquet, rapporteur. - Nous voulons nous hâter de rendre la fiscalité populaire, comme Diderot voulait rendre la philosophie populaire. C'est un sujet éminemment politique, citoyen, qui nous concerne tous. La fiscalité est l'arme de la République pour construire une société meilleure. Vous avez dit que les intérêts notionnels en Belgique ne sont pas une aide d'État. Cela a-t-il été jugé ?

M. Michel Aujean . - Oui, ce régime a été notifié à la Commission au titre des aides d'État, et la Commission a indiqué qu'il s'agissait d'une mesure générale. Il a aussi été notifié au groupe « code de conduite », qui a conclu qu'il ne s'agissait pas d'une mesure dommageable.

M. Éric Bocquet, rapporteur . - Les conclusions du G8 qui s'est tenu hier en Irlande du Nord sont truffées du verbe modal should : on reste dans le domaine des recommandations et des déclarations d'intention. Quelle appréciation portez-vous sur les conclusions de ce sommet ?

M. Michel Aujean . - C'est un grand progrès que d'avoir une intention ferme de mettre en oeuvre un échange automatique d'informations. Je me suis battu pendant des années pour y parvenir, dans le cadre de la directive « Épargne ». La difficulté tient aux sociétés-écrans ou trusts qui rendent ces échanges automatiques inutiles en dissimulant l'identité réelle du contribuable. À ce stade, je reste donc sur ma faim.

La directive « Épargne » a défini la catégorie de revenus - les intérêts, au sens large - faisant l'objet d'échange d'informations. Sans pareille définition internationale, il sera difficile d'échanger des informations, car on ne saura pas ce que l'on échange. L'administration belge, qui ne taxe pas les plus-values, a ainsi communiqué au fisc français le montant du capital d'une Sicav, que ce dernier a pris pour la plus-value... Il faudra harmoniser les définitions du champ de l'échange d'information avant de le rendre opérationnel. L'OCDE a l'intention d'y travailler, je lui souhaite bonne chance.

M. Éric Bocquet, rapporteur . - Vous avez évoqué le code de conduite : qui en était l'initiateur ? De quand date-t-il ? Quel en est le contenu ? Est-ce une arme efficace ?

M. Michel Aujean . - Le code de conduite résulte d'un paquet de mesures adopté en 1997 par les quinze ministres des finances et étendu par la suite aux douze nouveaux États membres. Il définit une concurrence fiscale dommageable comme une mesure qui procure un taux effectif d'imposition inférieur au taux normal applicable - les centres de coordination belges parvenaient à réduire le taux effectif de 34 % à 7 % - et passe les mesures fiscales au crible de cinq critères : est-elle réservée aux non-résidents ? Cantonnée ? Correspond-elle à une activité économique réelle ? Applique-t-on des prix de transfert conformes aux principes de l'OCDE ? La mesure est-elle transparente ?

La Commission, chargée par le Conseil de conduire un premier examen, a produit une liste d'une cinquantaine de mesures jugées dommageables, chiffre porté à 283 grâce aux dénonciations réciproques des États membres. Nous avons dressé une fiche technique sur chacune de ces mesures et le Conseil a créé un groupe de haut niveau pour les passer en revue. Dans une première phase, 66 mesures ont été déclarées dommageables, dont le régime des brevets en France. En général, elles ont été soit amendées, soit supprimées ; pour toutes une solution a été trouvée. Les douze nouveaux entrants ont été soumis au même exercice, et 38 mesures dommageables ont été éliminées.

Depuis 2005, le groupe se consacre à l'examen des nouvelles mesures, qui doivent être notifiées par les États membres. L'examen se fait toutefois a posteriori, après leur adoption, ce qui me parait être de mauvaise méthode. Le groupe examine également les situations de mismatch, qui se traduisent par exemple par une double non-imposition.

M. François Pillet, président . - Merci de ces précisions.

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