III. LA SITUATION SPÉCIFIQUE DES TRANSPORTS EN ILE-DE-FRANCE

A. LA RATP, OPÉRATEUR PRÉCURSEUR EN MATIÈRE DE DIALOGUE SOCIAL ET DE PRÉVENTION DES CONFLITS

1. Le développement de l'alarme sociale et l'évolution de la conflictualité depuis 1996

Principal opérateur des transports publics parisiens et franciliens, la RATP a entrepris depuis le milieu des années 1990 une transformation des conditions d'exercice du dialogue social en son sein, dans le but de développer le dialogue entre la direction et les organisations syndicales et de réduire la conflictualité. Un dispositif d'alarme sociale, dont se sont ensuite inspirés la SNCF puis le législateur, y a été mis en place par le biais d'un accord relatif « au droit syndical et à l'amélioration du dialogue social » conclu le 30 mai 1996 avec la majorité des organisations syndicales, à l'exception de la CGT.

Reconduit en 2001 puis en 2006, ce mécanisme d'anticipation et de résolution des conflits permet à une organisation syndicale représentative ou à la direction de saisir l'autre partie d'un problème susceptible de donner lieu au dépôt d'un préavis de grève. Dans un délai de cinq jours à compter de son déclenchement, syndicat et direction de l'entreprise doivent se réunir pour négocier et aboutir, par écrit, à un constat d'accord ou de désaccord. Pouvant être déclenchée à chacun des niveaux de décision de l'entreprise (celui de l'unité, du département ou au niveau central), cette alarme sociale n'était pas, avant le vote de la loi du 21 août 2007, une procédure obligatoire.

Évolution du paysage syndical à la RATP depuis 2006

CGT

Unsa

Sud

CFDT

FO

CFE-CGC

CFTC

2006

36,89 %

29,79 %

6,71 %

9,72 %

8,75 %

5,56 %

2,33 %

2010

33,9 %

25,73 %

14,09 %

10,12 %

10,06 %

5,02 %

0,9 %

Source : RATP

Les élections professionnelles à la RATP, pour la désignation des membres des comités départementaux économiques et professionnels (CDEP), équivalents des comités d'entreprise, ont lieu tous les quatre ans. A l'heure actuelle, les organisations syndicales représentatives y sont la CGT, l'Unsa, Sud, la CFDT, FO ainsi que la CFE-CGC pour les cadres et agents de maîtrise.

Durant la même période, on constate une stabilisation et, dans certains cas, une diminution des indicateurs mesurant la conflictualité dans l'entreprise.

Ainsi, si les années de réforme des retraites ont été synonymes de fortes mobilisations (1995 : 5,64 jours de grève par agent ; 2003 : 1,32 ; 2007 : 2,29; 2010 : 1,23), la mise en place de l'alarme sociale a coïncidé, selon les données communiquées à vos rapporteurs par la RATP, avec une baisse de la conflictualité lorsque ces quatre années sont neutralisées. Alors qu'il y avait en moyenne 0,72 jour de grève par an et par agent sur la période 1986-1994, cet indicateur est passé à 0,35 pour les années 1996 à 2012. Depuis 2008, année d'entrée en vigueur de la loi du 21 août 2007, la moyenne se situe à 0,54 jour de grève par an et par agent, en tenant compte des mouvements sociaux de 2010.

Évolution du nombre de jours de grève par agent à la RATP

Source : RATP

Le nombre de préavis déposés est quant à lui en forte baisse ces dernières années par rapport au milieu des années 2000, où il était déjà bien inférieur à celui constaté dans les années 1990. Après avoir atteint un pic de 367 préavis en 2007, dont 151 liés, selon la RATP, à la prolongation d'une heure du service de nuit, ce chiffre est retombé à 59 dès 2008 pour atteindre 36 en 2012.

Évolution du nombre de préavis de grève à la RATP

Nombre de préavis

1994

1995

1996

1997

1998

1999

2000

2001

2002

2003

481

476

228

339

213

280

459

331

187

182

2004

2005

2006

2007

2008

2009

2010

2011

2012

182

177

173

367

59

80

58

36

36

Source : RATP

En parallèle, l'alarme sociale a été progressivement adoptée par toutes les organisations syndicales : la CGT à partir de 2001 malgré son opposition initiale puis Sud, devenue représentative en 2004. Sa montée en puissance a été régulière, passant de seulement 12 cas en 1996, année de sa création, à 384 utilisations en 2006 puis 307 en 2007, qui sont les deux dernières années où elle est restée facultative. Entre 2008, date à partir de laquelle l'alarme sociale est devenue obligatoire, et 2012, son usage a crû de 25,4 %, passant de 453 à 568 cas.

Évolution du nombre d'alarmes sociales à la RATP

Nombre d'alarmes sociales

1996

1997

1998

1999

2000

2001

2002

2003

2004

12

103

103

129

182

179

258

272

262

2005

2006

2007

2008

2009

2010

2011

2012

353

384

307

453

525

497

456

568

Source : RATP

Il faut également noter que les alarmes sociales aboutissent désormais majoritairement à un constat de désaccord. Alors qu'entre 1997 et 2007 près de 60 % d'entre elles, en moyenne, aboutissaient à un accord avec la direction, ce chiffre est tombé à 36 % en 2012. Dans le même temps, la part des alarmes sociales donnant lieu à un mouvement de grève a connu une croissance continue au cours de la décennie 2000, passant de 3 % en 2003 à 6 % en 2012 après avoir culminé à 10 % entre 2008 et 2011.

Pour plus de 50 % des alarmes sociales, malgré le désaccord qu'elles mettent en lumière entre les syndicats et la direction, l'aboutissement n'est pas la grève. Par ailleurs, en moyenne sur les dix dernières années, 80 % des alarmes (75 % en 2012) ont été déposées au niveau des unités opérationnelles, c'est-à-dire de l'échelon de base de l'organisation de l'activité de la RATP. Toutefois, les alarmes sociales émises au niveau de l'entreprise sont celles qui ont la probabilité la plus élevée de donner lieu au dépôt d'un préavis de grève : ce fut le cas pour 12,5 % d'entre elles en 2012 (4 sur 32) contre 7,2 % (8 sur 111) pour celles visant les départements et 5,6 % (24 sur 425) pour celles relevant des unités opérationnelles.

Cela illustre le rôle que l'alarme sociale a pris depuis sa mise en oeuvre : les organisations syndicales établissent rapidement grâce à elle un contact avec la direction, selon une procédure et un suivi précis, afin de l'alerter d'une situation ou de faire remonter un mécontentement particulier sans pour autant entrer dans une démarche conflictuelle. Si le nombre d'alarmes sociales a pu varier selon les années, elle permet d'améliorer le dialogue social et de répondre rapidement aux craintes que peuvent susciter les différents projets d'évolution et de réorganisation de l'entreprise. Depuis 1996, elle a conduit à un renforcement de la fréquence du dialogue entre les syndicats et la direction.

2. L'ajustement du dispositif conventionnel aux dispositions de la loi du 21 août 2007

L'adoption de la loi du 21 août 2007 a rendu nécessaire la mise en conformité de l'accord d'entreprise relatif au droit syndical et à l'alarme sociale avec ses dispositions. Si la loi a été très largement construite sur la base du modèle de la RATP, elle va plus loin sur plusieurs points, comme le caractère obligatoire de la négociation préalable au dépôt d'un préavis de grève, ou la déclaration quarante-huit heures à l'avance, pour les salariés indispensables à l'exécution du plan de transport adapté, de leur intention de faire grève.

N'ayant pu conclure avec les syndicats d'accord collectif de prévisibilité déterminant les catégories de salariés soumis à la déclaration individuelle d'intention de faire grève, la direction a établi, en application de l'article 5 de la loi (devenu l'article L. 1222-7 du code des transports), un plan de prévisibilité . Ce sont les personnels affectés à l'exploitation et à la maintenance qui sont principalement concernés. Le plan distingue notamment les mouvements de grève dont la durée est inférieure ou égale à 36 heures de ceux plus longs, pour lesquels un nombre accru d'agents, en particulier dans les gares et pour les métiers liés à la maintenance des équipements, sont concernés par la déclaration préalable.

Ce plan a par ailleurs été contesté sur plusieurs points. Il faisait obligation, dans sa version initiale, aux salariés de déclarer quarante-huit heures avant le début du préavis leur intention de faire grève si la durée de celui-ci était inférieure à trente-six heures, ou, pour les préavis plus longs, quarante-huit heures avant la date de première prise de service couverte par le préavis. Saisi par le syndicat Sud, le Conseil d'État a tout d'abord suspendu, en référé 31 ( * ) , le prononcé de sanctions disciplinaires contre les salariés ne respectant pas cette règle. Il l'a ensuite annulée 32 ( * ) en estimant qu'elle méconnaissait l'article 5 de la loi, selon lequel ces salariés doivent faire part de leur intention « au plus tard quarante-huit heures avant de participer à la grève ».

En revanche, la haute juridiction administrative a validé 33 ( * ) la règle selon laquelle les salariés, s'ils souhaitent durant un préavis rejoindre un mouvement de grève, doivent le faire au début d'une de leurs prises de service . Elle a considéré qu'elle répond au besoin de prévenir « les risques de désorganisation qui résulteraient de l'interruption du travail en cours de service par des agents décidant de rejoindre la grève après le début de leur service » et que, si elle constitue bien une limitation à l'exercice du droit de grève, celle-ci est justifiée par les nécessités du fonctionnement du service public de transport et vise à prévenir un usage abusif du droit de grève.

Ce sont désormais le protocole d'accord relatif au droit syndical et à la qualité du dialogue social à la RATP du 28 février 2011 ainsi que l'instruction générale IG 542 de septembre 2012 portant sur les modalités de participation à la grève qui constituent le corpus des règles conventionnelles portant application de la loi du 21 août 2007. Au lieu du double délai maximal de trois jours pour recevoir les organisations syndicales puis de huit jours pour négocier défini par la loi, la RATP a retenu un délai unique de cinq jours au terme duquel une réunion de négociation doit avoir lieu et un constat d'accord ou de désaccord doit être établi. Les organisations syndicales disposent ensuite d'un mois après la signature d'un constat de désaccord pour déposer un préavis. C'est par une application informatique dénommée Conser, accessible également par téléphone, que les salariés peuvent faire leur déclaration de façon confidentielle.

Il faut enfin rappeler que depuis la loi « Diard » du 19 mars 2012 les salariés doivent informer la RATP vingt-quatre heures à l'avance soit de leur renonciation à faire grève soit de leur volonté de reprendre le travail. Cette règle ne s'applique pas lorsqu'un préavis prend fin ou qu'il est levé.

3. Le cadre fixé par le contrat avec le Stif

Le contrat conclu le 16 mars 2012 entre la RATP et le Stif pour la période 2012-2015 gouverne les relations entre le principal opérateur des transports en Ile-de-France et son AOT. Il définit les conditions dans lesquelles la RATP opère le service public de transport collectif de voyageurs dont elle a la charge et, à ce titre, détermine dans quelles conditions celle-ci doit assurer la régularité du trafic et répondre aux perturbations.

Après avoir rappelé, à son article 23, que les grèves « sont de l'entière responsabilité de la RATP, qui en assume les conséquences en termes de production d'offre et en termes financiers », le contrat Stif fixe, à son article 24-1, un engagement de service en cas de grève. Si les perturbations entrainent un trafic inférieur à 75 % du service contractuel de référence, la RATP doit assurer au moins 50 % du service normal durant les heures de pointe. En outre, la RATP doit fournir aux voyageurs au plus tard vingt-quatre heures avant le début d'une perturbation prévisible une information gratuite, précise et fiable, en gare comme dans les médias, puis l'actualiser en fonction de l'évolution de la perturbation (article 24-2).

Ainsi que le prévoit l'annexe I-C-3 du contrat, la RATP a donc élaboré cinq PTA, chacun correspondant à l'un de ses sous-réseaux : deux pour les RER A et B, co-exploités avec la SNCF, un pour le métro, un pour le tramway et un pour le bus.

Un plan d'information des voyageurs (annexe I-C-1) détaille chronologiquement les actions qui doivent être entreprises, quarante-huit heures avant une perturbation importante avec un premier communiqué de presse, jusqu'au jour de la perturbation où, dès 6h30, une information précise sur le niveau de service doit être donnée aux usagers. L'amplitude horaire ainsi que les niveaux de service pour le métro et le bus ainsi que la liste des horaires des RER doivent être communiqués. Cette information est transmise par le biais d'un numéro vert, du site internet et des outils mobiles de la RATP, par des annonces et un affichage en gare et doit figurer dans la presse quotidienne régionale.

En application de l'article 9 de la loi, en cas de défaut d'exécution du PTA ou du plan d'information et dont la RATP est directement responsable, celle-ci doit rembourser les voyageurs. Selon l'annexe I-C-2 du contrat, ce remboursement prend la forme d'une réduction du prix d'un nouvel abonnement 34 ( * ) , proportionnelle à l'inexécution du service. Les billets non compostés ne sont pas remboursés du fait de leur validité continue. A la suite des grèves du mois de novembre 2009 sur les RER A (9 novembre) et B (du 9 au 13 novembre), le total des remboursements effectués s'est élevé à 1,4 million d'euros.

Par ailleurs, ayant constaté que certains mouvements sociaux qui ont engendré d'importantes perturbations pour les voyageurs n'ont pas donné lieu à un remboursement, le Stif a inclus dans le dernier contrat une clause générale de remboursement des voyageurs en cas de « situation inacceptable » (article 87-3) sur le RER. Ce mécanisme a vocation à tenir compte de périodes durant lesquelles le niveau d'offre offert se trouve « notablement réduit pendant des durées exceptionnellement longues ». C'est d'un commun accord que le Stif et la RATP déterminent ces situations inacceptables, pour lesquelles les abonnés peuvent se voir rembourser jusqu'à un demi-abonnement par an.

Le contrat Stif cherche également à inciter la RATP à améliorer la qualité du service rendu aux voyageurs. Il reprend le cadre fixé par le schéma directeur d'information voyageur (Sdiv), adopté en juin 2007. Il astreint l'opérateur au respect d'une obligation d'information des usagers en situation normale comme en situation perturbée, prévue (travaux, manifestation) ou imprévue. Si le service de référence, dont la mesure est assurée par des indicateurs, n'est pas atteint, la RATP doit verser au Stif une pénalité. Dans le cas contraire, si les objectifs sont dépassés, elle perçoit un bonus.

De manière plus générale, la RATP est tenue de réaliser le volume d'offre défini dans le contrat. Elle bénéficie d'une franchise annuelle de 3,5 % pour les lignes de métro, de 4 % pour le RER aux heures de pointes et de 2 % pour le RER en dehors de celles-ci. Au-dessus de ces seuils, une réfaction de charges est appliquée : les versements du Stif diminuent, dans la limite d'un plafond annuel global de 10,5 millions d'euros. Enfin, des indicateurs de ponctualité, concernant l'attente moyenne en dehors des heures de pointe, le respect de l'offre contractuelle prévue aux heures de pointe et, pour le RER, la régularité du trafic et son évolution, sont soumis à un bonus-malus.

Concernant les travaux ayant un fort impact sur le fonctionnement d'un réseau, dont la programmation et la planification sont engagées jusqu'à cinq ans avant leur réalisation, un PTA doit être élaboré au plus tard trois mois avant le début du chantier puis communiqué aux voyageurs. Pour les projets les plus importants, un plan de communication spécifique est établi. Le Stif examine, préalablement à la réalisation de ces travaux, leur incidence pour les voyageurs, les modalités de substitution et l'impact des modifications qu'ils entraîneront sur l'offre contractuelle.

L'accent a été mis sur les retours d'expérience, afin d'améliorer la gestion des situations perturbées. Dès le lendemain d'un mouvement de grève, la RATP doit transmettre au Stif les données nécessaires à la vérification de l'exécution du PTA et du plan d'information (article 27 du contrat), en conformité avec l'article 8 de la loi (devenu l'article L. 1222-10 du code des transports).

Enfin, l'exécution du contrat Stif-RATP est soumise au respect de clauses sociales et environnementales , ainsi que le prévoit l'article 12 de la loi. La RATP s'engage donc :

- à préserver, en son sein, les conditions de travail et la qualité du dialogue social ;

- à lutter contre le dumping social et à ne pas accepter, dans sa politique d'achat, d'offre anormalement basse ;

- à lutter contre toutes les formes de discrimination, à promouvoir l'égalité entre les femmes et les hommes et à favoriser l'insertion professionnelle des jeunes et des personnes handicapées ;

- à mettre en oeuvre une politique environnementale concertée avec le Stif afin de développer le recours au matériel roulant dont l'impact sur l'environnement est le plus réduit, d'améliorer son efficacité énergétique, de mieux prendre en compte la santé des voyageurs et des riverains, de mettre en place le tri sélectif des déchets collectés en station et de privilégier l'écoconception des projets d'infrastructures ou d'équipements ;

- à prendre en compte la sensibilité des voyageurs à la publicité dans les espaces de transport, en refusant d'installer des dispositifs de publicité sonore ou à reconnaissance biométrique.


* 31 Conseil d'Etat, juge des référés, 11 février 2008, n° 312330.

* 32 Conseil d'Etat, 19 mai 2008, n° 312329.

* 33 Conseil d'Etat, 11 juin 2010, n° 333262.

* 34 Pour les abonnements vendus en station ou en gare, les prix des abonnements en vente dans les périodes suivant la grève sont réduits à due proportion des jours d'inexécution du service. Pour les abonnements annuels, la réduction représente 1/365 ème du coût annuel par jour d'inexécution du service.

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