EXAMEN EN COMMISSION (mercredi 30 octobre 2013)

M. Jean-Pierre Sueur , président . - MM. Béchu et Kaltenbach nous présentent les conclusions de leur rapport d'information sur l'indemnisation des victimes d'infractions pénales. Il est devenu rituel de penser aux victimes ; mais aux évocations incantatoires, nous préférons des propositions concrètes !

M. Philippe Kaltenbach , co-rapporteur . - Chacun souhaite donner toute leur place aux victimes mais le fossé reste grand entre les discours et les actes. Les premières lois datent des années 1970, mais la grande référence reste la loi Badinter sur la protection des victimes d'infractions de 1983. Il convient de noter qu'en 2004, dans le gouvernement de M. Raffarin, Mme Nicole Guedj avait même été nommée secrétaire d'État aux droits des victimes.

Nous avons procédé à une quarantaine d'auditions et nous sommes déplacés dans des juridictions, à Angers et à Lyon, ainsi qu'à la maison de la justice et du droit de Gennevilliers.

Notre dispositif juridique est complet, conjuguant possibilité de se constituer partie civile et existence d'un système d'indemnisation fondé sur la solidarité nationale, mais des faiblesses apparaissent lors de son application.

Je présenterai nos propositions relatives à la meilleure prise en compte de la victime à chaque stade du procès pénal, laissant à M. Béchu le soin de présenter celles relatives à l'indemnisation au titre de la solidarité nationale.

Il appartient à l'auteur des faits de réparer le préjudice et à l'autorité judiciaire de veiller à la garantie des droits des victimes lors d'une procédure pénale, comme l'affirme la loi du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d'innocence et des droits des victimes.

Tout d'abord, nous souhaitons faciliter la constitution de partie civile. Nous proposons d'améliorer l'information délivrée aux victimes dès leur dépôt de plainte, par un effort supplémentaire de sensibilisation et de formation des personnels de police et de gendarmerie, mais également par l'établissement, au niveau national, d'un formulaire d'information clair et accessible sur les conséquences de la constitution de partie civile et sur les diverses voies d'indemnisation. Tous les justiciables doivent être traités de la même manière. Il faut également assurer l'interconnexion des fichiers de police et de gendarmerie, d'une part, et de la justice, d'autre part. Selon le cabinet de la ministre, les interconnexions des fichiers de la justice avec ceux des forces de l'ordre sont en cours, mais il reste à harmoniser les fichiers de la police et de la gendarmerie entre eux. Nous proposons aussi d'améliorer la procédure permettant à la victime de se constituer partie civile au cours de l'enquête de police.

Les mesures alternatives aux poursuites et les procédures rapides de jugement sont de plus en plus utilisées ; elles accélèrent la justice et contribuent à désengorger les tribunaux mais la victime est parfois oubliée. C'est pourquoi nous proposons de développer le recours à la médiation pénale, sous la responsabilité de professionnels spécialement formés, et d'engager une réflexion sur l'opportunité d'ouvrir la possibilité de prononcer cette mesure, si la victime donne son accord, dans le cadre d'un contrôle judiciaire, d'un ajournement de peine ou d'un sursis avec mise à l'épreuve. Évitons de recourir à la procédure de l'ordonnance pénale lorsque les faits impliquent une ou plusieurs victimes. Certains tribunaux, comme le tribunal de grande instance de Lyon, procèdent déjà ainsi. Améliorons également l'information des victimes dans le cadre des procédures de comparution immédiate, notamment en nous appuyant sur les associations d'aide aux victimes. Il faut aménager la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de la culpabilité (CRPC) afin de permettre à la victime d'être entendue par le procureur de la République avant que ce dernier ne prenne sa décision sur la ou les peines qu'il proposera à l'auteur des faits d'exécuter.

Nous avons constaté que les victimes sont traitées inégalement en matière d'indemnisation. Ainsi la pratique de la correctionnalisation des viols, permise par la loi Perben du 9 mars 2004, ne saurait en aucun cas se traduire par une minoration de l'indemnisation du préjudice subi par la victime. Nous souhaitons, en outre, assurer une large diffusion, auprès des personnels de santé comme de l'ensemble des acteurs du procès pénal, du guide de Recommandations pour la pratique clinique (RPC) pour la rédaction des certificats médicaux initiaux concernant une personne victime de violences établi par la Haute autorité de santé afin de parvenir à une harmonisation des incapacités totales de travail (ITT) attribuées. Il ne nous paraît toutefois pas opportun de remplacer la notion d'ITT, référence connue de tous les praticiens du droit pénal, par celle de déficit fonctionnel temporaire ou permanent. Dans un même souci d'harmonisation, nous proposons de diffuser un référentiel national d'indemnisation des préjudices corporels, dans le prolongement des travaux conduits par le premier président de la cour d'appel de Paris. Les associations craignent que les assurances ne négocient en amont, entraînant un plafonnement des indemnités. Toutefois, ce référentiel ne lierait pas l'appréciation du juge.

Nous souhaitons également mieux accompagner les victimes tout au long de la procédure pénale. Nous proposons de supprimer le juge délégué aux victimes (Judevi), et au contraire de pérenniser les bureaux d'aide aux victimes (BAV) en leur donnant les moyens nécessaires à leur bon fonctionnement. Le Gouvernement s'emploie à en installer dans toutes les juridictions. Les associations d'aide aux victimes jouent un rôle essentiel. Il faut sanctuariser les crédits qui leur sont alloués par l'État. Enfin, il est nécessaire de clarifier les conditions de prise en charge des frais avancés par les victimes dans le cadre des procès d'assises.

Enfin, dernier volet, il faut conjuguer responsabilisation de l'auteur et protection de la victime. Les personnels des services pénitentiaires d'insertion et de probation doivent être sensibilisés aux conditions d'exécution par le condamné de l'obligation d'indemnisation de la victime, prononcée dans le cadre d'une peine ou d'un aménagement de peine. En outre, il est important d'affecter les effectifs nécessaires, de magistrats comme de greffiers, au fonctionnement des bureaux d'exécution des peines (BEX). Il faut mieux informer les acteurs du procès pénal et les victimes de la possibilité d'obtenir le paiement des dommages et intérêts sur les biens confisqués de l'auteur condamné. De même, nous proposons d'étendre le dispositif d'indemnisation des victimes à partir du produit de la vente des biens confisqués de l'auteur aux biens relevant de la compétence du service des domaines.

Notre dernière proposition consiste à confier à un organisme collecteur le soin de jouer le rôle d'interface entre la victime et l'auteur des faits lorsque ce dernier ne s'est pas acquitté volontairement du paiement des dommages et intérêts auxquels il a été condamné. Cette mission pourrait être confiée au fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions (FGTI).

Telles sont nos pistes pour que les victimes utilisent les dispositifs existants et soient mieux indemnisées.

M. Christophe Béchu , co-rapporteur . - Les propositions que je présente visent à rationaliser et simplifier les conditions d'accès à l'indemnisation au titre de la solidarité nationale même quand aucune décision de justice n'a été prononcée ou que l'auteur est considéré comme irresponsable. Dans ces cas, les victimes s'adressent à la commission d'indemnisation des victimes des infractions (Civi), qui est une juridiction existant au sein de chaque TGI. Depuis 2008, la solidarité nationale joue aussi lorsqu'une décision de justice n'a pas été exécutée grâce au service d'aide au recouvrement des victimes d'infractions (Sarvi).

En aval, le FGTI assure l'indemnisation des victimes de préjudices corporels (article 706-3 du code de procédure pénale), de dommages matériels (article 706-14) ou de l'incendie de leur véhicule (706-14-1). Il se comporte parfois comme une partie adverse pour minimiser le montant de l'indemnisation des victimes devant la Civi.

Il faut simplifier cet ensemble.

Nous proposons tout d'abord d'allonger la durée des délais de saisine. Le délai pour saisir le FGTI, au titre du Sarvi, par exemple, est d'une année après une décision de justice non exécutée. C'est trop court. En matière de terrorisme le délai de saisine est de dix ans à compter de l'infraction. Nous proposons également d'ouvrir l'accès au dispositif de l'article 706-3 du code de procédure pénale à toute personne victime d'une ITT égale ou supérieure à 15 jours, et non plus 30 jours.

Il faut ensuite évaluer l'opportunité de conserver l'article 706-14-1 du code de procédure pénale relatif à l'indemnisation des personnes victimes de la destruction par incendie de leur véhicule. En effet, 70% des indemnisations relèvent de l'article 706-3, 26 % de l'article 706-14, 4% seulement relèvent de cet article, même si cette part est très dynamique, pour un montant de 800 000 euros. Mais les incendies sont-ils toujours fortuits ? En outre, les plafonds de ressources sont plus généreux que ceux au titre de l'article 706-14. Beaucoup de professionnels s'interrogent sur l'opportunité de maintenir cet article 706-14-1.

Enfin, nous proposons de fondre les dispositifs de l'article 706-14 et du Sarvi au sein d'un dispositif plus large jouant le rôle d'interface entre l'auteur et la victime.

Le deuxième axe consiste à renforcer le rôle du FGTI. Nous proposons de mener à son terme la logique de déjuridictionnalisation de la procédure d'indemnisation entre le FGTI et la victime afin que la Civi ne soit plus saisie qu'en cas de désaccord entre ces derniers, soit environ 20% des cas. De plus, recourons à des experts agréés par le FGTI pour la réalisation des expertises relatives à l'évaluation du préjudice de la victime dès le stade du procès pénal, afin d'éviter les doubles expertises.

Pourquoi, également, ne pas solliciter l'expertise du FGTI en amont de l'élaboration de directives générales de politique pénale relatives au traitement de contentieux présentant des problématiques similaires en matière d'indemnisation des victimes ?

Pour lui permettre d'exercer ces nouvelles missions, il faut renforcer les ressources du Fonds.

Nous proposons d'affecter au FGTI une part des amendes pénales collectées. De même, affectons une partie du produit des biens confisqués par décision de justice définitive à l'indemnisation des victimes par le FGTI. Le Fonds de garantie des assurances obligatoires de dommages (FGAO) bénéficie ainsi déjà d'une partie du produit des amendes routières.

Comme l'a dit M. Kaltenbach dans son introduction, l'indemnisation des victimes doit d'abord relever des auteurs, d'où notre proposition n° 30. La solidarité nationale fonctionne de manière subrogatoire : le FGTI paye et tente de se rembourser sur les auteurs. En 2012, le FGTI a ainsi récupéré 73,5 millions d'euros. Depuis trois ans, ce montant stagne et pour l'accroître, le FGTI devrait pouvoir accéder au fichier sur l'application des peines, probation et insertion (APPI) afin d'avoir une meilleure idée de la situation des auteurs.

Enfin, tout ce que j'ai dit sur la CIVI, le SARVI et le FGTI ne s'applique pas aux victimes couvertes par des fonds particuliers : victimes de l'amiante, des accidents de chasse, des accidents de la route... Notre proposition n° 31 suggère de rapprocher les fonds existants sur un modèle proche de celui existant entre le FGAO et le FGTI. Une structure unifiée permettrait d'avoir une seule plateforme téléphonique, un seul système de gestion des fonds, une seule catégorie de personnel. Un FGTI unifié gèrerait ainsi l'ensemble des fonds ce qui mettrait un terme aux empilements.

Nous avons beaucoup parlé d'argent - telle était notre mission - mais nous sommes bien conscients que les perspectives d'indemnisation ne peuvent remplacer la catharsis nécessaire qui accompagne le procès. Néanmoins, l'indemnisation est nécessaire et nous avons le sentiment qu'avec ces 31 propositions, nous allons dans le bon sens.

M. Jean-Pierre Sueur , président . - Vous avez fait un très important travail.

M. Patrice Gélard . - Ce rapport était très intéressant. Néanmoins, devant la multiplicité des abréviations, un lexique est indispensable.

Certaines propositions auraient pu être mise en oeuvre par Mme la garde des sceaux par le biais des instructions aux procureurs, notamment la proposition n° 8.

La proposition n° 5 (éviter de recourir à la procédure de l'ordonnance pénale lorsque les faits impliquent une ou plusieurs victimes) me gêne un peu : pourquoi cette suggestion s'il n'y a qu'une seule victime ?

Un grand nombre d'auteurs de faits répréhensibles sont insolvables et ils n'ont aucun patrimoine. Ils sont condamnés à des dommages et intérêts, mais ils ne les payent jamais. Et quand ils ont un emploi, il est impossible de les retrouver s'ils changent d'adresse, un peu comme les pères qui abandonnent leur foyer...

Même si vous avez rappelé le rôle joué par la cour d'appel de Paris en matière d'harmonisation des indemnisations, je regrette que la Cour de cassation ne joue pas pleinement son rôle.

Un mot sur l'indemnisation des personnes victimes de la destruction par incendie de leur véhicule. Lorsque des voitures sont incendiées au cours d'émeutes, la responsabilité de la puissance publique est engagée, y compris les 24 et 31 décembre. Deuxième cas : ceux qui volent des voitures et y mettent ensuite le feu pour effacer leurs empreintes. Souvent, les propriétaires n'ont pas d'assurance incendie, et ils se retrouvent doublement victimes : leur instrument de travail est parti en fumée et ils n'ont pas les moyens d'en racheter un autre.

M. Jean-Jacques Hyest . - L'assurance incendie est obligatoire.

M. Patrice Gélard . - Pas du tout ! Pour conclure, j'approuve l'essentiel de vos propositions dont certaines pourraient être très rapidement mises en oeuvre.

M. Yves Détraigne . - Félicitations à nos deux rapporteurs dont les propositions sont très pragmatiques. C'est d'autant plus important que les victimes sont souvent perdues face à la multiplicité des dispositifs.

De même qu'il a fallu revivifier le Conseil national de l'aide aux victimes, auquel j'appartiens, les victimes doivent pouvoir faire valoir leurs droits plus facilement, plus simplement et plus rapidement.

Je souscris totalement à ce rapport.

M. Jean-Pierre Sueur , président . - Je reviens sur la proposition n° 5 : pourquoi ne pas modifier la loi ? Lorsqu'il y a des victimes, la procédure d'ordonnance pénale ne leur permet pas de faire entendre leurs droits.

Lors de récents débats, nous avions fait la distinction entre les instructions à caractère personnel ou individuel et les instructions à caractère général. Les sujets dont nous débattons pourraient donner lieu à des instructions à caractère général.

Comme M. Collombat s'apprête à rapporter une proposition de loi de M. Mézard sur la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC), pourquoi ne pas y inclure la proposition n° 7 ?

Enfin, je partage totalement l'esprit de la proposition n° 14. Le malheur, c'est que le principe de l'annualité budgétaire ne nous fait disposer que d'un pouvoir de persuasion auprès du garde des sceaux actuel et de ses successeurs : ils doivent comprendre qu'il serait inconcevable de diminuer les moyens accordés aux associations d'aide aux victimes.

M. Christophe Béchu , co-rapporteur . - Monsieur Gélard, vous trouverez un lexique à la fin du rapport.

Pour les incendies de voiture, la complexité du dispositif justifierait une évaluation : en cas d'émeute, c'est le juge administratif qui reconnait la responsabilité sans faute de l'État qui n'a pas pu empêcher la destruction de biens. Pour les incendies après vol, les voitures abandonnées sont souvent de grosses cylindrées : le problème du défaut d'assurance des propriétaires ne se pose souvent pas.

Nous avons créé en 2008 le SARVI pour indemniser les victimes confrontées à des auteurs insolvables. Dans 68% des cas, ce service est saisi de demandes d'indemnisation inférieures à 1 000 euros. Or, jusqu'à ce montant, l'indemnisation est totale. Au-delà, l'indemnisation est limitée à 30%, et le plafond est de 3 000 euros. Ensuite, le FGTI essaye d'obtenir le remboursement par les auteurs, d'où la proposition n° 20.

M. Philippe Kaltenbach , co-rapporteur . - L'ordonnance pénale est une procédure simplifiée, écrite et non contradictoire, qui a été étendue par la loi du 13 décembre 2011. Comme les victimes ne peuvent pas intervenir dans la procédure, certains tribunaux, comme celui de Lyon, n'ont pas recours à cette procédure. Nous n'avons cependant pas voulu écarter cette possibilité qui peut parfois s'avérer pertinente, par exemple pour un vol de téléphone portable.

M. Jean-Jacques Hyest . - La prudence des tribunaux doit pouvoir s'exercer.

M. Patrice Gélard . - Dans certains cas, cela s'est très bien passé.

M. Philippe Kaltenbach , co-rapporteur . - Peut-être faudrait-il des instructions pour limiter cette procédure à des cas extrêmement simples.

Nous allons voir s'il est possible d'amender la proposition de loi de M. Mézard.

Mme la garde des sceaux va certainement se saisir de la proposition n° 8.

Enfin, il ne faut plus que les subventions versées aux associations des aides aux victimes diminuent, comme ce fut le cas dans un passé pas si lointain. Les moyens financiers doivent être pérennisés et même augmentés, car la subvention pour un bureau d'aide aux victimes ne représente que 20.000 euros par an, coût très faible comparé à ce que l'administration devrait payer pour les prendre en charge.

Ces 31 propositions peuvent entrer en vigueur rapidement, qu'elles soient reprises par le ministère dans le cadre de circulaires ou instructions, ou qu'elles soient intégrées dans des textes à venir, comme le projet de réforme pénale qui comporte déjà des dispositions en faveur des victimes.

M. Jean-Pierre Sueur , président . - Je remercie nos deux rapporteurs.

La publication du rapport d'information est autorisée.

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