D. MIEUX ACCOMPAGNER LES VICTIMES TOUT AU LONG DE LA PROCÉDURE PÉNALE

L'exercice par la victime de son droit à réparation ne s'arrête pas à la constitution de partie civile et à la formulation de sa demande de dommages et intérêts : celle-ci doit pouvoir suivre l'ensemble de la procédure et être informée des dates d'audience afin de pouvoir y assister et y être entendue. Pour cela, elle doit être accompagnée tout au long de ses démarches, le cas échéant assistée d'un avocat. Plusieurs solutions ont été expérimentées à cette fin au cours des années récentes.

1. Le JUDEVI : une fausse bonne idée

Sous la précédente législature, afin d'améliorer la prise en compte de la victime par les juridictions pénales, un magistrat avait été spécialement désigné afin d'informer la victime et de veiller au respect de ses droits.

Le décret n°2007-1605 du 13 novembre 2007 a institué un juge délégué aux victimes (JUDEVI) , dont la désignation et les attributions sont désormais définies aux articles D. 47-6-1 et suivants du code de procédure pénale.

Chargé de « veiller à la prise en compte des droits reconnus par la loi aux victimes », ce juge préside la commission d'indemnisation des victimes d'infractions (CIVI). En outre, il est tenu de vérifier les conditions dans lesquelles les parties civiles sont informées de leurs droits, de participer à l'élaboration et à la mise en oeuvre de dispositifs coordonnés d'aide aux victimes sur le ressort du TGI et d'établir un rapport annuel sur l'exercice de ses attributions.

Le décret du 13 novembre 2007 prévoyait de lui confier d'autres attributions mais une partie de ses dispositions ont été annulées par le Conseil d'État. Dans un arrêt du 28 décembre 2009, ce dernier a en effet estimé que les dispositions du décret autorisant le JUDEVI à adresser au juge de l'application des peines (JAP) des ordonnances afin de l'informer de la situation d'une victime et celles permettant à ce magistrat, saisi par le JUDEVI, de compléter les obligations auxquelles le condamné est soumis et, le cas échéant, d'envisager la révocation du sursis avec mise à l'épreuve ou le retrait ou la révocation de la mesure d'aménagement de peine étaient susceptibles d'avoir une incidence sur les modalités d'exécution des peines et relevaient de ce fait du domaine réservé à la loi par l'article 34 de la Constitution. Le Gouvernement n'a toutefois jamais souhaité présenter au Parlement un projet de loi afin de donner une assise législative à ce juge.

L'institution de ce magistrat a d'emblée suscité de grandes réticences au sein du monde judiciaire, les magistrats faisant valoir que l'office du juge s'opposait par principe à ce qu'un magistrat puisse être dédié à l'une des parties.

De fait, les juridictions n'ont pas fait preuve d'un entrain particulier pour mettre en place ce JUDEVI et pour lui accorder la visibilité nécessaire.

D'après les éléments communiqués par les représentantes de l'USM, dans le courant de l'année 2009, les JUDEVI des 171 TGI ont été saisis de 978 demandes (soit une moyenne de 5,72 demandes par TGI dans l'année), qui ont donné lieu à 697 réponses (4,1 réponses par TGI), bon nombre d'entre elles étant en outre des décisions d'incompétence...

Six ans après sa création, l'institution du JUDEVI donne lieu à un constat d'échec unanime , qui n'a toutefois pas paru émouvoir outre mesure les personnes entendues par vos rapporteurs - les représentants de la commission nationale consultative des droits de l'homme ou du syndicat des avocats de France réaffirmant eux aussi leur opposition à cette institution. Il n'est plus guère que le ministère de la justice lui-même pour en défendre mollement le principe 23 ( * ) ...

Dans ces conditions, vos rapporteurs préconisent de prendre acte de cet échec et d'en tirer les conséquences en supprimant le JUDEVI.

Comme l'observent les représentantes de l'USM, « l'existence d'un JUDEVI n'a pas lieu de persister, s'agissant d'une coquille vide contribuant uniquement à complexifier les dispositifs pour les justiciables. Plus que d'un titre, c'est sans aucun doute de moyens qu'auraient besoin les juridictions pour jouer tout à la fois le rôle de coordination et de contrôle des actions des associations ».

M. Jean Danet, maître de conférences à l'université de Nantes, a pour sa part souligné que, plus que d'un juge dédié, c'est de dispositifs de concertation entre l'ensemble des magistrats - parquet et siège - et les partenaires extérieurs (avocats, associations) dont a besoin la politique pénale d'aide aux victimes d'infractions. M. Jean Danet préconise la tenue, chaque année, d'une conférence pénale d'une journée entre l'ensemble de ces professionnels afin de faire le point sur la prise en charge des victimes au sein de la juridiction.

Proposition n°12 : supprimer le JUDEVI.

2. Systématiser et pérenniser les bureaux d'aide aux victimes (BAV)

Créés progressivement au cours des dernières années, les bureaux d'aide aux victimes (BAV) ont été généralisés avec l'adoption du décret n°2012-681 du 7 mai 2012.

Gérés par des associations d'aide aux victimes mais installés au sein même des palais de justice , les BAV ont pour mission d'informer les victimes et de répondre aux difficultés qu'elles sont susceptibles de rencontrer tout au long de la procédure pénale, notamment à l'occasion de toute procédure urgente telle que la procédure de comparution immédiate.

À leur demande, ils renseignent les victimes sur le déroulement de la procédure pénale et les aident dans leurs démarches. Le cas échéant, ils les orientent vers le dispositif d'indemnisation auquel elles peuvent prétendre, comme le service d'aide au recouvrement des victimes d'infractions (SARVI) ou la commission d'indemnisation des victimes d'infractions (CIVI) (voir infra ).

D'une manière générale, les BAV peuvent se voir chargés de délivrer aux victimes toutes les informations dont celles-ci peuvent être destinataires en application du code de procédure pénale.

L'article D. 47-6-15 du code de procédure pénale prévoit expressément qu'ils travaillent conjointement avec les huissiers et les barreaux locaux.

Enfin, lorsque la condamnation est rendue en présence de la partie civile, le BAV reçoit cette dernière à l'issue de l'audience, assistée le cas échéant par son avocat, pour l'informer notamment des modalités pratiques lui permettant d'obtenir le paiement des dommages et intérêts qui lui ont été alloués et, s'il y a lieu, des démarches devant être effectuées pour saisir le SARVI ou la CIVI ainsi que du délai dans lequel elles doivent intervenir : sur ce plan, ils se substituent aux bureaux d'exécution des peines (BEX) auxquels cette mission avait été confiée à titre subsidiaire (voir infra ).

La généralisation des BAV a été confirmée dans la circulaire de politique pénale de la garde des sceaux du 19 septembre 2012, laquelle insiste notamment pour qu'une signalétique ad hoc soit mise en place au sein des juridictions afin de faciliter l'orientation des victimes et pour que les huissiers audienciers soient, à l'issue de l'audience, incités à y conduire les victimes ou à leur en indiquer l'emplacement.

Au 1 er août 2013, 129 BAV étaient ainsi opérationnels 24 ( * ) dans les TGI. Ils devraient être 150 à la fin de cette année 25 ( * ) .

L'avis des personnes entendues par vos rapporteurs a été unanime sur l'intérêt réel de ces bureaux d'aide aux victimes et l'opportunité de les généraliser . Vos rapporteurs ont pu constater par eux-mêmes le fonctionnement de deux BAV lors de leurs déplacements au TGI de Lyon et au TGI d'Angers.

L'efficacité de ces structures dépendra toutefois de plusieurs éléments.

Tout d'abord, comme le relève en filigrane la circulaire de politique pénale du 19 septembre 2012, il est nécessaire d'intégrer pleinement les BAV dans les palais de justice et de leur octroyer un emplacement qui soit à la fois visible et facilement accessible pour les victimes tout en assurant la confidentialité des échanges : vos rapporteurs ont pu constater au cours de leurs déplacements que cet enjeu d'architecture judiciaire était loin d'être anecdotique.

Par ailleurs, le fonctionnement des BAV au quotidien dépend très largement de la structure associative du ressort du tribunal. À titre d'exemple, alors que les BAV du Mans et d'Angers sont tenus par une unique association, le BAV de Lyon est pour sa part tenu « par roulement » par trois associations différentes, ce qui peut susciter ponctuellement des tensions ou des risques de perte d'informations comme l'a expliqué à vos rapporteurs M. Jacques Beaume, procureur général. Une réflexion sur la structuration de ces BAV sera sans doute nécessaire à l'issue des premiers retours d'expérience.

Enfin, comme l'ont observé les représentantes de l'USM, le bon fonctionnement des BAV dépendra de la mise à disposition de personnels de greffe habilités à consulter le bureau d'ordre national. En effet, la seule consultation du logiciel Cassiopée pour renseigner une victime sur l'état d'avancement de sa plainte ne peut être effectuée que par un personnel judiciaire habilité. Il sera donc nécessaire de dégager les emplois de personnels de greffe suffisants pour permettre aux BAV d'exercer pleinement leurs missions.

En tout état de cause, au vu des appréciations extrêmement positives dont ces bureaux font l'objet, vos rapporteurs ne peuvent que préconiser la pérennisation de ces bureaux d'aide aux victimes, accompagnée du dégagement des moyens nécessaires à leur bon fonctionnement.

Proposition n°13 : pérenniser les bureaux d'aide aux victimes (BAV) en leur donnant les moyens nécessaires à leur bon fonctionnement.

3. Sanctuariser les crédits alloués aux associations d'aide aux victimes

Plus largement, le bon fonctionnement des BAV et, au-delà, la qualité de l'accompagnement offert aux victimes reposent très largement sur l'intervention des associations d'aide aux victimes, dont vos rapporteurs tiennent à souligner le rôle inestimable.

En 2012, les 173 associations locales d'aide aux victimes conventionnées par les cours d'appel ont aidé 293 477 personnes dont 216 924 victimes d'infractions pénales (215 331 victimes en 2011) et plus de 40 000 victimes ont été accueillies au sein des BAV 26 ( * ) .

Or ces associations sont depuis plusieurs années fragilisées par les importantes diminutions des crédits alloués tant par l'État que par les autres acteurs publics (collectivités locales notamment) .

M. Jacques Degrandi, premier président de la cour d'appel de Paris, a ainsi fait part de son inquiétude face à la situation matérielle de nombre de ces associations. Sur les 13 associations d'aide aux victimes relevant du ressort de la cour d'appel de Paris, deux sont quasiment en procédure d'alerte et une a déposé son bilan. Le département de Seine-et-Marne risque, à terme, de ne plus être couvert par un réseau viable. Les autres associations rencontrent des difficultés récurrentes et sont très prudentes dans leur gestion.

Comme il l'a rappelé, plus de 90% des charges des associations sont représentées par les coûts salariaux : il leur est par conséquent difficile d'innover ou d'accepter des missions nouvelles sans aide financière complémentaire ou sans le recours à des bénévoles.

S'agissant des seuls BAV, la dotation de l'État (20 000 euros par an par BAV) paraît largement insuffisante , alors que les associations ont besoin de juristes mais aussi de psychologues dont le recrutement peut s'avérer difficile.

La fragilité financière des associations d'aide aux victimes a également été relevée par la Cour des comptes dans son rapport annuel pour 2012. Cette dernière y note que « les associations bénéficient jusqu'à présent de diverses subventions, en plus de celle allouée par le ministère dans le ressort de chaque cour d'appel. La coordination et la complémentarité de ces financements sont relativement mal assurées, ce qui conduit à une méconnaissance de la réalité de la situation financière des associations par les autorités judiciaires. Il est vrai que, depuis 2009, les collectivités locales se sont retirées, partiellement sinon en totalité, du subventionnement. De plus, la perspective d'une baisse d'environ 10% de la dotation du ministère de la justice destinée aux associations renforce l'incertitude, malgré les objectifs ambitieux fixés par le ministère de la justice pour consolider le maillage territorial, assurer la mise en place des bureaux d'aide aux victimes au sein de chaque tribunal de grande instance et développer la polyvalence de leurs prestations » 27 ( * ) .

Vos rapporteurs ne peuvent dans ces conditions que s'associer aux recommandations de la Cour des comptes tendant à donner aux pouvoirs publics une plus grande visibilité sur la situation des associations d'aide aux victimes et, en tout état de cause, préconiser que les crédits alloués à ces dernières par l'État fassent désormais l'objet d'une sanctuarisation.

Proposition n°14 : sanctuariser les crédits alloués par l'État aux associations d'aide aux victimes.

4. L'accompagnement des victimes dans le cadre des procès d'assises

Les procès d'assises, auxquelles sont jugées les affaires les plus sordides et les plus douloureuses, soulèvent la question particulière de l'accompagnement dont les victimes sont susceptibles de bénéficier dans ce cadre procédural si particulier et lors de ces audiences qui peuvent durer plusieurs jours d'affilée.

M. Alain Boulay, président de l'association Aide aux parents d'enfants victimes (APEV), et les représentants de la fédération pour l'aide et le soutien aux victimes de la violence (FPASVV) ont alerté vos rapporteurs sur la grande solitude des victimes lors de ces procès qui, en outre, se déroulent parfois loin de leur domicile.

M. Alain Boulay a notamment évoqué la question de la prise en charge des frais engagés par les victimes à ces occasions, observant que celle-ci relève à l'heure actuelle de la décision de chaque juridiction. Il a ainsi dressé un parallèle entre le procès de Michel Fourniret, à l'occasion duquel les dix familles victimes se sont vu proposer la prise en charge des frais avancés, tandis qu'à la même époque, une famille victime dans une affaire moins médiatique n'a bénéficié d'aucune aide... Il a souhaité qu'une procédure uniforme puisse être mise en oeuvre, afin de permettre aux victimes de savoir à qui s'adresser et faire valoir leurs droits tout au long de la procédure.

Vos rapporteurs ne peuvent que soutenir cette demande qui leur paraît relever de l'équité élémentaire et met en évidence la nécessité de tenir compte de la situation particulière des victimes parties civiles aux procès de cours d'assises.

Proposition n°15 : clarifier les conditions de prise en charge des frais avancés par les victimes dans le cadre des procès d'assises.


* 23 Voir à cet égard les observations du ministère de la justice au rapport de la Cour des comptes consacré à la politique d'aide aux victimes d'infractions pénales, rapport public annuel 2012, page 479.

* 24 Ils n'étaient que 50 au 31 décembre 2012.

* 25 Il y a à l'heure actuelle 161 TGI dont sept ultra-marins, ainsi que quatre tribunaux de première instance (TPI).

* 26 Programme annuel de performances de la mission « justice », annexé au projet de loi de finances pour 2014.

* 27 Cour des comptes, rapport public annuel 2012, page 463.

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