E. CONJUGUER RESPONSABILISATION DE L'AUTEUR ET PROTECTION DE LA VICTIME

De nombreux dispositifs ont été adoptés au cours des récentes années pour inciter l'auteur à s'acquitter de ses obligations à l'égard de la victime. Leur mise en oeuvre est toutefois fragilisée par les manques d'effectifs et la surcharge chronique des juridictions pénales et des services pénitentiaires d'insertion et de probation (SPIP) : il est donc nécessaire de réfléchir à des solutions complémentaires et innovantes.

1. Une prise en compte croissante de la victime dans le cadre du prononcé et de l'exécution des peines

Le législateur a multiplié les dispositions permettant à l'autorité judiciaire de faire de la victime et de la réparation de son préjudice un élément structurant de la peine ou de son exécution.

Au cours de la procédure de jugement, le juge peut décider d'ajourner le prononcé de la peine lorsqu'il apparaît, notamment, que le dommage causé est en voie d'être réparé (articles 132-60 et suivants du code pénal). Dans ce cas, il fixe dans sa décision la date à laquelle il sera statué sur la peine. En pratique, lorsque la victime a été indemnisée avant l'audience de renvoi, le juge dispense de peine la personne poursuivie, comme l'y autorise dans ce cas l'article 132-59 du code pénal.

Le tribunal peut également condamner un prévenu à un sursis avec mise à l'épreuve (SME) : dans ce cas, la juridiction de jugement ou le juge d'application des peines (JAP) peut imposer au condamné l'obligation de « réparer en tout ou en partie, en fonction de ses facultés contributives, les dommages causés par l'infraction, même en l'absence de décision sur l'action civile » (article 132-45 du code pénal).

Enfin, la loi n°2007-297 de prévention de la délinquance du 5 mars 2007 a créé la peine de sanction-réparation, qui consiste dans l'obligation faite au condamné de procéder, dans le délai et selon les modalités fixées par la juridiction, à l'indemnisation du préjudice de la victime. Lorsqu'elle prononce la peine de sanction-réparation, la juridiction doit fixer la durée maximale de l'emprisonnement, qui ne peut excéder six mois, ou le montant maximal de l'amende, qui ne peut excéder 15 000 euros, dont le JAP pourra ordonner la mise à exécution en tout ou partie si le condamné ne respecte par l'obligation de réparation (article 131-8-1 du code pénal).

L'ordonnance du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante permet également à la juridiction de jugement de condamner le mineur auteur des faits à une mesure de réparation directe ou indirecte . Lors de son audition, Mme Marie-Pierre Hourcade, présidente de l'association française des magistrats de la jeunesse et de la famille (AFMJF), a regretté la réticence des services de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) à s'engager dans la mise en oeuvre de mesures de réparation directe, alors même que, lorsque la victime est d'accord, ce type de mesures donne de bons résultats.

Enfin, au stade de l'application des peines, les efforts faits par le condamné pour indemniser les victimes peuvent être pris en compte pour l'octroi d'une mesure de libération conditionnelle ou d'une réduction de peine supplémentaire (articles 721-2 et 729 du code de procédure pénale). La réparation du dommage peut également être une des conditions d'exécution d'un placement sous surveillance électronique (article 723-10 du code de procédure pénale).

Les magistrats rencontrés par vos rapporteurs ont souligné l'intérêt de ces dispositifs qui permettent de conjuguer la sanction avec la responsabilisation du condamné. Mme Chantal Lollic, vice-présidente chargée de l'application des peines au TGI d'Angers, a ainsi indiqué qu'environ deux tiers des auteurs condamnés à un sursis avec mise à l'épreuve accompagné de l'obligation d'indemniser la victime s'acquittaient de leur obligation en totalité.

Plusieurs interlocuteurs en ont toutefois souligné les limites liées à la disponibilité des conseillers d'insertion et de probation chargés de veiller à l'exécution de ces mesures.

Votre commission des lois a, à de nombreuses reprises, eu l'occasion de s'alarmer de la situation de surcharge chronique des services pénitentiaires d'insertion et de probation (SPIP) , qu'elle avait dénoncée notamment à l'occasion de l'examen de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009. Au 1 er janvier 2011, un conseiller d'insertion et de probation (CIP) suivait en moyenne 88,4 personnes placées sous main de justice, alors que la norme européenne retient pour objectif un ratio de 60 personnes par conseiller. En outre, cette proportion recouvre de fortes disparités : à la date du déplacement de vos rapporteurs, le SPIP du Rhône comptait environ 140 condamnés par conseiller, celui d'Angers entre 120 et 130.

Dans le cadre de la présentation du projet de loi relatif à la prévention de la récidive et à l'individualisation des peines, la garde des sceaux a annoncé la création de 300 postes de CIP dans le projet de loi de finances pour 2014, et de 150 postes supplémentaires dans le projet de loi de finances pour 2015. Ces emplois supplémentaires permettront de desserrer quelque peu les contraintes qui pèsent sur le fonctionnement des SPIP.

En outre, il est nécessaire de former les conseillers d'insertion et de probation à ces problématiques : comme l'a souligné Mme Claire Jacquin, vice-présidente chargée de l'application des peines au TGI de Villefranche-sur-Saône, la mise en oeuvre de l'obligation d'indemniser la victime implique que le conseiller d'insertion et de probation prenne l'initiative de vérifier les ressources de l'auteur, au besoin de se procurer ses contrats de travail, etc., et qu'il s'assure que le condamné s'est effectivement acquitté de son obligation. Elle a également regretté que les dossiers d'application des peines soient souvent insuffisamment documentés pour permettre au JAP de veiller à l'exécution de cette obligation.

Vos rapporteurs souhaitent qu'un effort de formation et de sensibilisation supplémentaire auprès des personnels des services pénitentiaires d'insertion et de probation soit porté rapidement sur cette question essentielle.

Proposition n°16 : sensibiliser les personnels des services pénitentiaires d'insertion et de probation aux conditions d'exécution par le condamné de l'obligation d'indemniser la victime, prononcée dans le cadre d'une peine ou d'un aménagement de peine.

2. L'intérêt des bureaux d'exécution des peines (BEX) pour l'exécution des décisions de justice

Une grande partie des tribunaux de grande instance (129 en 2012) sont à l'heure actuelle dotés d'un bureau d'exécution des peines (BEX).

Consacrés par un décret du 13 décembre 2004, les BEX ont pour mission d'informer la personne condamnée sur la décision pénale rendue (peines prononcées, dispositions civile, voies de recours), de l'inciter à accepter un premier acte de mise à exécution de la peine ainsi qu'à s'acquitter volontairement des dommages et intérêts dus aux parties civiles. Les BEX sont notamment tenus d'expliquer au condamné les conséquences du non-paiement volontaire des dommages et intérêts, et, le cas échéant, d'informer les parties civiles sur leurs droits.

Si cette dernière mission a vocation à devenir résiduelle sous l'effet de la généralisation des bureaux d'aide aux victimes (voir supra ), les BEX jouent néanmoins un rôle important auprès des auteurs d'infractions en les incitant à s'acquitter de leurs obligations à l'égard des victimes.

Or, les BEX font à l'heure actuelle les frais d'importantes réductions d'effectifs . De ce fait, le nombre de BEX est passé de 140 en 2011 à 129 en 2012.

Les magistrats s'entendent pourtant pour reconnaître l'intérêt de ces bureaux dans l'exécution des décisions de justice. D'après les éléments d'information communiqués par le ministère de la justice, le BEX apparaît en particulier très efficace pour les audiences correctionnelles à juge unique, les CRPC et la notification des ordonnances pénales.

Comme l'ont observé les représentantes de l'USM, la loi de programmation relative à l'exécution des peines du 27 mars 2012 prévoyait dans son annexe la création de 207 emplois de catégories B et C afin de soutenir la généralisation des BEX. Or ces créations de poste n'ont jamais fait l'objet d'ouvertures de crédits correspondantes en loi de finances.

Le projet de loi de finances pour 2014 prévoit certes la création de 40 emplois de catégorie C pour l'exécution des peines et les BEX, mais sans identifier lesquels de ces emplois seront spécifiquement dédiés à ces derniers.

Vos rapporteurs ne peuvent qu'attirer l'attention du Gouvernement sur la nécessité de ne pas abandonner ces structures qui peuvent jouer un rôle important dans l'exécution par l'auteur de ses obligations à l'égard de la victime.

Proposition n°17 : affecter les effectifs nécessaires au fonctionnement des bureaux d'exécution des peines (BEX).

3. Faciliter l'indemnisation des victimes grâce à l'exécution des peines de confiscation

La loi n°2010-768 du 9 juillet 2010 visant à faciliter la saisie et la confiscation en matière pénale a profondément rénové le régime des saisies pénales, en permettant au parquet ou au juge d'instruction d'ordonner les mesures nécessaires pour garantir l'exécution de la peine de confiscation que la juridiction de jugement pourrait prononcer. La gestion des biens saisis a été confiée à la nouvelle Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (AGRASC), opérationnelle depuis le 4 février 2011.

Dans ce cadre, la loi du 9 juillet 2010 a introduit dans le code de procédure pénale un article 706-164 qui dispose que « toute personne physique qui, s'étant constituée partie civile, a bénéficié d'une décision définitive lui accordant des dommages et intérêts en réparation du préjudice qu'elle a subi du fait d'une infraction pénale ainsi que des frais [non payés par l'État et exposés par la partie civile] et qui n'a pas obtenu d'indemnisation ou de réparation [auprès des CIVI] ou une aide au recouvrement [en application du SARVI] peut obtenir de l'Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués que ces sommes lui soient payées prioritairement sur les biens de son débiteur dont la confiscation a été décidée par décision définitive ».

Afin de mettre en oeuvre ces dispositions, l'Agence s'est rapprochée de l'INAVEM afin de faire connaître ce nouveau dispositif auprès des victimes. Elle a par ailleurs, dès le 14 avril 2011, conclu un protocole avec le FGTI afin de lui permettre de savoir si le demandeur a été indemnisé par la CIVI ou au titre du SARVI. Enfin, elle a intégré cette question aux formations qu'elle délivre aux magistrats.

Ce dispositif est récent et n'a encore donné lieu qu'à un nombre limité d'applications. Dans le ressort de la cour d'appel de Lyon, une victime a ainsi pu être indemnisée de plusieurs préjudices à partir du produit de la vente avant jugement du véhicule saisi.

Par ailleurs, un tiers des restitutions ordonnées par les juridictions le sont au profit des victimes ou des parties civiles.

Vos rapporteurs souhaitent qu'un tel dispositif puisse se développer, car il constitue sans aucun doute un moyen efficace de concilier la sanction du condamné avec les droits des victimes qui se trouvent ainsi rapidement indemnisées.

À cette fin, il conviendrait d'inciter les magistrats, lorsqu'ils prononcent une peine de confiscation, à informer spécialement les parties civiles de leur droit d'obtenir le paiement des dommages et intérêts auprès de l'AGRASC sur le fondement de l'article 706-164 du code de procédure pénale précité.

Proposition n°18 : mieux informer les acteurs du procès pénal et les victimes d'infractions pénales de la possibilité qu'ont ces dernières d'obtenir le paiement des dommages et intérêts sur les biens confisqués de l'auteur condamné.

En outre, ce dispositif pourrait être complété. En effet, à l'heure actuelle, l'AGRASC n'assure que l'exécution des décisions de confiscation portant sur des biens dont la gestion lui a été confiée au stade de la saisie, ainsi que de certains biens complexes pour lesquels elle est susceptible d'apporter une plus-value. Un grand nombre de biens susceptibles d'être confisqués (notamment les véhicules immobilisés en application de l'article L. 325-1-1 du code de la route) relèvent en revanche de la compétence du service des domaines .

Dans un souci de cohérence et d'efficacité, vos rapporteurs estiment que la possibilité ouverte à la victime d'obtenir le paiement des dommages et intérêts alloués par la juridiction de jugement à partir de la vente des biens de l'auteur des faits ayant fait l'objet d'une décision définitive de confiscation devrait être étendue aux biens confisqués susceptibles de relever du service des domaines.

Proposition n°19 : étendre le dispositif d'indemnisation des victimes à partir du produit de la vente des biens confisqués de l'auteur aux biens relevant de la compétence du service des domaines.

4. Confier à un organisme collecteur un rôle d'interface entre la victime et l'auteur condamné

Les pouvoirs publics ont multiplié les dispositifs tendant à inciter l'auteur des faits à s'acquitter de ses obligations à l'égard de la victime ou à faciliter l'indemnisation de cette dernière grâce à l'exécution des décisions de confiscation (voir supra ).

Que faire, toutefois, en cas d'inertie de la personne condamnée ?

À l'heure actuelle, une victime qui s'est vue allouer des dommages et intérêts par décision d'une juridiction pénale peut mettre en oeuvre l'ensemble des voies d'exécution prévues par le code de procédure civile.

M. Maxime Cessieux, représentant le syndicat des avocats de France, a toutefois souligné le caractère souvent insurmontable de ces procédures pour nombre de victimes qui ne sont, en outre, souvent pas en mesure de s'acquitter des frais d'huissier demandés (les frais demandés pour une saisie sur compte peuvent s'élever à 400 euros par exemple).

En outre, comme l'a expliqué M. Patrick Auger, président de l'association ADAVIP 53 mais également huissier de justice à Laval, 80% de ces auteurs « récalcitrants » sont en réalité insolvables. Une partie d'entre eux se trouve déjà en situation de surendettement. Dans de telles situations, il est rare que la victime obtienne le versement des dommages et intérêts auxquels elle peut prétendre...

L'attention de vos rapporteurs a également été appelée sur la situation des victimes de faits pour lesquels l'auteur s'est vu condamné à une longue peine d'emprisonnement. Dans ce cas, l'indemnisation des parties civiles se fait à partir du « pécule » du condamné, dont une part est spécifiquement réservée à cet effet. L'article 728-1 du code de procédure pénale prévoit à cet égard que « les sommes destinées à l'indemnisation des parties civiles leur sont versées directement, sous réserve des droits des créanciers d'aliments, à la demande du procureur de la République, par l'établissement pénitentiaire ».

Plusieurs interlocuteurs ont attiré l'attention de vos rapporteurs sur le fait que ces dispositions, favorables dans leur principe aux victimes, aboutissaient en pratique à des solutions insatisfaisantes, compte tenu de la situation d'indigence dans laquelle se trouvent une part importante des détenus et de la difficulté à développer le travail en prison 28 ( * ) - la victime recevant sur son compte bancaire, tous les mois pendant des années, des sommes extrêmement modestes (parfois de l'ordre d'à peine un ou deux euros).

Vos rapporteurs estiment nécessaire de mettre un terme à cette « triple peine » qui fait peser sur la victime, outre le souvenir de l'infraction et le poids du parcours judiciaire ayant abouti à la condamnation de l'auteur des faits, le rappel régulier de sa situation par le versement pendant de trop longs mois de sommes manifestement sans proportion avec le préjudice qu'elle a subi.

Comme l'ont plaidé plusieurs personnes entendues, la victime devrait pouvoir bénéficier d'un « droit à l'oubli » et ne pas se voir rappeler sans cesse qu'elle a, un jour, été victime d'une infraction pénale.

C'est la raison pour laquelle vos rapporteurs préconisent la mise en place d'un organisme collecteur chargé de jouer un rôle d'interface entre l'auteur des faits et la victime : en l'absence de paiement volontaire de la part de l'auteur, cette dernière pourrait s'adresser à cet organisme, munie de la décision pénale lui octroyant des dommages et intérêts, et en obtenir le versement - à charge ensuite pour cet organisme de se retourner contre l'auteur des faits pour en obtenir le remboursement.

Cette solution a été plébiscitée par de nombreuses personnes entendues par vos rapporteurs, et notamment par M. Jacques Degrandi, premier président de la cour d'appel de Paris.

Compte tenu de l'expérience acquise par le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions (FGTI) sur des missions comparables et de la qualité reconnue de son action, vos rapporteurs proposent que cette nouvelle mission lui soit confiée.

Proposition n°20 : confier à un organisme collecteur le soin de jouer le rôle d'interface entre la victime et l'auteur des faits lorsque ce dernier ne s'est pas acquitté volontairement du paiement des dommages et intérêts auxquels il a été condamné. Cette mission pourrait être confiée au FGTI.

La création d'un tel organisme collecteur s'inscrirait dans la continuité des dispositifs existants visant à permettre l'indemnisation des victimes des dommages les plus lourds ou se trouvant dans une situation particulièrement difficile sur le fondement de la solidarité nationale.


* 28 Voir à ce sujet notamment le bilan de l'application de la loi pénitentiaire dressé par notre ancienne collègue Nicole Borvo Cohen-Seat et de notre collègue Jean-René Lecerf au nom de votre commission des lois et de la commission sénatoriale pour le contrôle de l'application des lois (rapport n°629 (2011-2012), juillet 2012).

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page