II. LE DÉBAT AU PARLEMENT EUROPÉEN ET SON PROLONGEMENT

A. UN DÉROULEMENT HORS NORME

À bien des égards, le débat législatif est particulier, avec une commission compétente à titre principal et six commissions saisies pour avis, celle chargée de l'industrie, de la recherche et de l'énergie intervenant comme « commission associée » au sens de l'article 50 du Règlement du Parlement européen. Il en résulte une obligation particulière de coordination entre les commissions ENVI et ITRE, ce qui n'est jamais de nature à simplifier le processus ni à le rendre plus rapide. L'intervention du Conseil en deux formations distinctes, à savoir le Conseil Environnement et le Conseil Transports, télécommunications et énergie accroît presque mécaniquement la charge pesant sur le Comité des représentants permanents, qui doit coordonner les positions prises par deux fois plus de ministères. Enfin, l'échéance électorale du printemps 2014 est loin d'être sans incidence : au minimum, elle suspend de facto la procédure législative à l'issue de la première lecture si celle-ci ne permet pas de conclure définitivement ; si une deuxième lecture est nécessaire, le président du nouveau Parlement européen pourra rétablir au profit des députés les possibilités d'amendement dont ils ne disposent en principe qu'en première lecture... En définitive, la première lecture a suivi un rythme andante ma non troppo , avec un départ soutenu mais un élan insuffisant pour qu'il soit possible d'augurer une conclusion du débat au cours de l'actuelle législature.

B. UNE PREMIÈRE LECTURE « ANDANTE MA NON TROPPO »

Tout commence par la proposition de directive publiée le 17 octobre 2012, tendant à modifier la directive 98/70/CE concernant la qualité de l'essence et des carburants diesels ainsi que la directive 2009/28/CE relatives à la promotion de l'utilisation de l'énergie produite à partir de sources renouvelables.

Le nouveau texte est couramment dénommé « directive ILUC » ( Indirect land use change ), acronyme anglais du CASI. La crainte de voir les biocarburants de première génération, les seuls utilisables à relativement grande échelle d'ici 2020, provoquer finalement un accroissement des émissions de gaz à effet de serre et contribuer à la faim dans le monde explique le plafonnement à 5 % proposé par la Commission européenne à l'horizon 2020. Les biocarburants apportent aujourd'hui environ 4,5 % de l'énergie consommée dans les transports au sein de l'Union européenne. La proposition de la Commission tendait donc en pratique à maintenir le statu quo. Ainsi, les biocarburants conventionnels pourraient assurer au maximum la moitié de l'énergie renouvelable utilisée dans les transports, cette dernière devant toujours s'établir à 10 %.

Le dispositif proposé par la Commission européenne comporte une autre innovation, consistant à affecter certains biocarburants d'un coefficient deux, voire d'un coefficient quatre pour le décompte de leur contribution aux énergies d'origine renouvelable, afin d'encourager le recours à des biocarburants moins contestables sur le plan alimentaire ou environnemental. Imaginons qu'en 2020 un carburant incorpore 5 % de biocarburant conventionnel et 1,25 % de biocarburant avancé bénéficiant d'un coefficient quatre : ce carburant sera réputé contenir 10 % d'énergies durables, soit 5 % au titre du biocarburant conventionnel et 4 x 1,25 %, soit encore 5 % au titre du biocarburant avancé. Ainsi, l'objectif 2020 serait réputé atteint grâce au coefficient multiplicateur.

Les Conseils Transports, puis Environnement ont organisé des débats d'orientation sur ce thème, respectivement le 22 février et le 21 mars 2013, mais certaines commissions compétentes du Parlement européen s'étaient déjà saisies du dossier.

En définitive, pas moins de six avis ont été adoptés, émanant des commissions recherche et énergie (ITRE), agriculture et développement rural (AGRI), développement (DEVE), commerce international (INTA), industrie, développement régional (REGI), et transport (TRAN). Compétente au fond, la commission environnement, santé publique et sécurité alimentaire (ENVI) s'est prononcée le 26 juillet sur le rapport de Mme Lepage, ouvrant ainsi la voie au débat en séance publique.

Le Parlement européen s'est donc prononcé en première lecture le 11 septembre 2013.

Les députés ont adopté un plafonnement des biocarburants conventionnels à 6 %, une valeur médiane entre les 6,5 % proposés par la commission ITRE et les 5,5 % qui avaient la préférence de la commission ENVI.

Le Parlement européen a également introduit un sous-objectif de 2,5 % pour la consommation des biocarburants avancés à l'horizon 2020, avec un quadruple comptage pour les biocarburants issus d'algues, malgré l'absence de perspectives industrielles sérieuses pour cette filière d'ici la fin de la décennie. Le sous-objectif signifie que les carburants devront intégrer au minimum 2,5 % de biocarburants avancés à l'horizon 2020, contre un maximum de 6 % pour les biocarburants conventionnels.

Enfin, les députés européens ont demandé que la Commission européenne effectue en 2016 une expertise méthodologique permettant de mieux apprécier l'ampleur et les effets précis du facteur CASI, dans le double but d'éviter un dévoiement des surfaces dédiées à l'agriculture mais aussi l'écueil de décisions hâtives, prises sans véritable fondement scientifique. Il a donc été décidé à titre conservatoire d'organiser un système de rapports, à la charge des États membres, pour mieux connaître la réalité, afin d'introduire ce facteur dans la législation européenne en 2020. Sachant que le CASI semble se manifester principalement hors d'Europe, on peut légitimement s'interroger sur l'intérêt des informations que les États membres pourront fournir...

Quoi qu'il en soit, le rythme soutenu des travaux parlementaires observés jusqu'à la mi-septembre 2013 aurait pu laisser augurer une conclusion rapide du débat législatif. Il n'en sera pourtant rien, car le Parlement a refusé -par 347 voix contre 346 ! - le mandat demandé par Mme Lepage, qui avait rapporté les travaux de la commission ENVI et qui souhaitait une habilitation à négocier avec le Conseil de façon à conclure le débat avant l'échéance électorale du printemps 2014.


Les six avis formulés par des commissions du Parlement européen

Avis de la commission ITRE, commission associée

La commission de l'industrie, de la recherche et de l'énergie estime que « le principal moteur du développement des biocarburants est de lutter contre le changement climatique », car ils constituent « le principal outil permettant de passer d'un transport reposant sur des combustibles fossiles à un transport reposant sur des « énergies renouvelables ». Elle a souligné la contribution des biocarburants à la réduction de la dépendance énergétique.

Estimant imprécise la connaissance des changements indirects dans l'affectation des sols, alors que la prise en compte « mettrait fin à l'industrie du biodiesel de l'Union européenne » le rapporteur pour avis s'est prononcé contre toute mention du changement indirect dans l'affectation des sols, même sous forme d'obligation d'informer. Il s'est élevé contre le plafonnement à 5 % des biocarburants classiques pris en compte, ainsi qu'à l'introduction du comptage multiple en faveur des biocarburants de deuxième et de troisième génération. La seule disposition proposée par la Commission européenne et approuvée par le rapporteur pour avis est l'exigence envers les installations nouvelles consistant à imposer une réduction de 60 % des émissions des gaz à effet de serre. La commission s'est prononcée pour un plafond de 6,5 % applicables aux biocarburants traditionnels, sous réserve d'un plafond spécifique de 8 % en faveur des biocarburants intégrés dans l'essence de biocarburants « fabriqués à partir de plantes sucrières ou de plantes riches en amidon ». En outre, l'électricité utilisée dans les transports et provenant de sources renouvelables ainsi que l'hydrogène devraient être comptabilisée à concurrence de 1 % au total. Les députés ont souhaité que la Commission européenne réalise et actualise « régulièrement » les études permettant de mieux cerner les changements indirects sur l'affectation des sols, tout en insistant sur « les droits des communautés locales et autochtones », qui ne devraient jamais être déplacées à cause des biocarburants.

Avis de la commission AGRI

La commission de l'agriculture et du développement rural a insisté tout d'abord sur la nécessité d'accroître le rendement des cultures à finalité alimentaire ; dans le même esprit, elle a estimé que l'utilisation d'un certain espace pour


des productions destinées aux biocarburants nécessitait d'augmenter par ailleurs la production alimentaire, un objectif qui pouvait être atteint aussi par une meilleure productivité de l'agriculture.

À propos des biocarburants avancés, la commission a préféré s'en tenir à une rédaction de principe tant que ces produits ne sont pas « disponibles en grande quantité dans le commerce ».

S'agissant enfin de l'affectation des sols, les commissaires ont jugé que le processus indirect n'était pas suffisamment connu pour en tirer les conséquences dans un acte législatif, tout en souhaitant que la Commission européenne puisse élaborer une modélisation « confortée par de claires données scientifiques et économiques ». En attendant, les députés se sont prononcés contre le durcissement des exigences en matière de réduction des gaz à effet de serre applicable aux nouvelles installations à compter du 1 er juillet 2014.

Avis de la commission DEVE

La commission du développement a réaffirmé les objectifs 2020, avant d'affirmer que l'utilisation des biocarburants était « parfois contre-productive par rapport à l'objectif poursuivi » tendant à réduire les émissions de gaz à effet de serre. Elle a ensuite mentionné le « dilemme nourriture-carburants », non sans reconnaître que les avis divergent quant au rôle joué par la politique de l'Union en matière de biocarburants. Considérant avec beaucoup de méfiance l'utilisation de la biomasse pour obtenir des biocarburants, la commission du développement a proposé de conforter la sécurité alimentaire, ainsi que la défense des droits d'utilisation du sol. La principale modification de principe souhaitée par la Commission consiste à mettre l'accent sur la réduction de la consommation d'énergie dans le secteur des transports et l'utilisation de ressources énergétiques « n'entraînant aucun ou peu de changements indirects dans l'affectation des sols ».

Avis de la commission INTA

La commission du commerce international a insisté sur les risques inhérents au changement indirect d'affectation des sols, qui « peut annihiler les réductions d'émissions de gaz à effet de serre » des biocarburants par rapport aux combustibles fossiles.

Sur le fond, les commissaires ont souhaité que les biocarburants conventionnels soient pris en compte à concurrence de 6,5 % dans l'objectif de 10 % relatif à la consommation d'énergie renouvelable dans les transports, les 3,5 % restants étant affectés aux biocarburants avancés ainsi qu'à l'électricité d'origine renouvelable.

Avis de la commission TRAN

La commission des transports et du tourisme s'est prononcée en faveur du plafonnement que la Commission européenne souhaitait introduire, en l'assortissant de sous-objectifs : la part des biocarburants produits à partir de céréales ou d'autres plantes riches en amidon devraient représenter 6,5 % de la consommation finale


d'énergie dans les transports, la part des biocarburants avancés devant atteindre 3 %, avec des coefficients multiplicateurs égaux à 1,2 ou à 2 selon la matière première utilisée. En outre, l'électricité produite à partir de sources renouvelables d'énergie est utilisée dans les transports ferroviaires devrait bénéficier d'un coefficient multiplicateur égal à 2,5. Toute mesure de soutien aux biocarburants conventionnels devrait disparaître à partir de 2021.

En matière d'affectation des sols, la Commission européenne devrait présenter un rapport fondé « sur le modèle scientifique le plus fiable » pour limiter les émissions liées aux changements indirects dans l'affectation des sols, encourager le développement de nouvelles filières ainsi que la collecte de données fiables.

Avis de la commission REGI

La commission du développement régional estime que l'Union européenne devrait soutenir en priorité la production et la demande de biocarburants de deuxième génération, « de façon plus globale que ne le propose la Commission ». Après avoir souligné la contribution des biocarburants de nouvelle génération à la création d'emplois, des députés ont demandé que la législation de l'Union européenne établisse un environnement entrepreneurial stable afin que les entreprises renforcent leurs investissements en Europe.

Le Conseil prendra-t-il une position définitive dans les prochains jours ? Nous l'ignorons, mais la présidence lituanienne a proposé une rédaction conduisant à relever jusqu'à 7 % la part des biocarburants de première génération prise en compte dans l'objectif d'énergies renouvelables utilisées dans les transports. Simultanément, la présidence lituanienne propose d'alléger les contraintes inhérentes à la quantification des changements d'affectation de sols indirects, mais sans remettre en cause le principe même du suivi proposé par la Commission européenne.

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