II - LES INTERMITTENTS : QUELLES MESURES D'ACCOMPAGNEMENT ?

Participent à cette table ronde :

M. Christophe Strassel, adjoint à la déléguée générale à l'emploi et à la formation professionnelle au ministère du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social
Mme Laurence Tison-Vuillaume, adjointe au directeur général de la création artistique (DGCA) au ministère de la culture et de la communication

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M. Christophe Strassel , adjoint à la déléguée générale à l'emploi et à la formation professionnelle au ministère du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social . - Mon propos portera sur l'économie générale du secteur, la création d'emplois et l'accompagnement des intermittents en difficulté ou en transition professionnelle.

Je présenterai les caractéristiques de l'emploi dans les métiers artistiques avant de décrire les mécanismes de protection et d'accompagnement. Je terminerai en évoquant les perspectives d'avenir.

Tout d'abord, il est remarquable que les professions artistiques fassent partie de celles auxquelles on peut accéder sans titre ou sans qualification professionnelle reconnus. Faut-il imposer la possession d'un titre ou d'une qualification pour accéder au régime d'indemnisation ? Cette question a été régulièrement débattue. Il y a été irrémédiablement répondu par la négative. Car imposer une norme aussi restrictive ne permettrait pas de tenir compte de la grande variété des profils et des carrières artistiques.

La deuxième caractéristique de l'emploi dans les métiers artistiques est l'hyperflexibilité. Elle provient du fait que la plupart de l'activité est réalisée sous forme de projet mais elle est aussi favorisée par le contexte juridique et économique. Du point de vue juridique, le recours au contrat d'usage incite objectivement à la flexibilité puisqu'il s'agit de l'un des contrats de travail le moins encadré. Du point de vue économique, l'adaptation de l'organisation des acteurs du secteur à l'évolution de la réglementation a également conduit à favoriser la flexibilité. L'évolution des orchestres depuis les années 1980 en fournit un bon exemple. On est passé de structures permanentes à des structures de projet, ce qui peut expliquer que nombre d'artistes autrefois en emploi stable ait basculé dans le régime de l'intermittence en raison de l'adaptation structurelle de leur employeur.

Comment permettre de garantir une protection adaptée à des personnes qui se trouvent dans une situation d'emploi plus instable que celle de la majorité des salariés. L'une des réponses repose sur le droit du travail et les conventions collectives pour offrir un cadre juridique relativement homogène dans un secteur très émietté. L'État a soutenu dans les années 2000 toutes les initiatives qui visaient à augmenter le nombre et la qualité des conventions collectives.

Deuxième élément de réponse : on peut également mettre en place des dispositifs de prévoyance, de formation professionnelle et d'indemnisation du chômage. Sur ce dernier point, je ne parlerai pas de déficit mais tout de même du coût que représentent les annexes VIII et X. De fait, la solidarité interprofessionnelle est plus sollicitée ici qu'ailleurs. Pour le comprendre, il suffit de comparer certains ratios : pour 1 euro de contribution dans le régime général un salarié reçoit un peu moins d'1 euro, pour 1 euro de cotisation un intérimaire reçoit environ 2 euros, pour ce même euro les bénéficiaires des annexes VIII et X reçoivent environ 5 euros. L'intensité de la solidarité interprofessionnelle étant ainsi établie, il convient de reconnaître que le coût global des annexes VIII et X a été stabilisé depuis la réforme de 2003. Il représente environ 1 milliard d'euros pour 100 000 bénéficiaires.

La population concernée est caractérisée par un faible turn over . L'élévation de l'âge des bénéficiaires du régime particulier, supérieur à 40 ans, témoigne du faible renouvellement d'une année à l'autre. De même, il faut relever que le taux de consommation de l'allocation de fin de droits qui prend la suite de l'indemnisation du chômage est assez faible. Des 15 millions d'euros budgétés, 9 ont été consommés en 2012. C'est pour partie la conséquence du durcissement des règles d'octroi rendues nécessaires par la croissance rapide des dépenses de solidarité depuis 2005.

La protection de la carrière des intermittents passe aussi par des actions de professionnalisation qui leur permettent soit de sortir de leur activité, soit de se réinsérer dans le secteur. On peut à bon droit critiquer le régime actuel de professionnalisation. Il est insuffisamment transparent et Pôle emploi s'est engagé à diffuser plus largement toutes les informations utiles sur les actions de professionnalisation auprès des publics ciblés. En outre, la carence du suivi des actions menées est patente. Nous ne disposons à ce jour d'aucun bilan exhaustif.

Mme Laurence Tison-Vuillaume, adjointe au directeur général de la création artistique au ministère de la culture et de la communication . - L'adoption à l'unanimité du rapport de l'Assemblée nationale a été pour nous un signe très fort de la prise en compte de l'enjeu de l'intermittence par le Parlement. Vos travaux poursuivent dans cette voie et nous nous en réjouissons. La ministre a engagé une étude sur le PIB culturel pour préciser la valeur ajoutée des métiers artistiques qui contribuent si massivement à l'économie de notre pays. Le projet de loi sur la création, en cours d'élaboration, en portera la marque.

J'aborderai la question qui nous rassemble aujourd'hui sous un angle peu pris en compte, celui de la durée moyenne des contrats. On peut en effet s'inquiéter du déséquilibre dû au décalage entre la croissance du nombre d'intermittents et l'évolution de l'offre d'emplois disponibles. Pour vous donner quelques chiffres, entre 1989 et 2003, le volume de travail a crû de 80 % alors que parallèlement le nombre d'intermittents croissait de plus de 120 %. En conséquence, la durée moyenne des contrats s'est considérablement amenuisée. Elle est passée, pour les artistes, de 17 jours en 1986 à 3 jours aujourd'hui, et pour les techniciens de 26 à 5 jours. Il convient cependant de souligner que ce déséquilibre s'est atténué et que désormais l'offre et la demande de travail augmentent au même rythme.

Pour accompagner les intermittents, un fonds de professionnalisation et de solidarité a été créé en 2007. Il prolonge un dispositif mis en place dès 2004 par l'État afin de compenser le durcissement des règles d'indemnisation en 2003.

Le fonds présente deux objets : il vise d'une part l'indemnisation, d'autre part l'accompagnement social et professionnel des techniciens et des artistes fragilisés. Pour sécuriser leur parcours professionnel, des consultants leur proposent leur aide en termes d'évolution de carrière, d'approfondissement du projet professionnel. Des entretiens de suivi permettent de guider les plus en difficulté. Le fonds peut également servir à prendre en charge des frais spécifiques occasionnés par des formations ou par un déménagement. Il aide ainsi à la mobilité géographique et professionnelle des intermittents.

Quelques éléments de bilan sur l'emploi du fonds pour dresser un portrait-robot du bénéficiaire type : l'âge médian est d'environ 45 ans alors que 69 % des professionnels du spectacle ont moins de 45 ans ; 51 % des bénéficiaires sont des femmes, souvent seules avec enfants et disposant d'un revenu annuel inférieur à 15 000 euros. Pourtant, les femmes ne représentent que 33 % des salariés du spectacle. 70 % des bénéficiaires vivent seuls. 80 % des aides sont allouées aux artistes. La répartition géographique des aides est la suivante : 40 % dans les régions, 39 % à Paris, 21 % en Ile-de-France hors Paris.

La circulaire « matermittentes » du 16 avril 2013 a rappelé le droit en vigueur notamment en matière d'indemnités journalières. Mais le problème est moins dans le contenu des règles que dans leur application. Certaines situations difficiles voire scandaleuses ont nécessité l'intervention des médiateurs auprès des caisses primaires d'assurance maladie. Pour résoudre ces difficultés peut-être faudra-t-il remonter ces règles à un niveau supérieur dans la hiérarchie des normes, éventuellement au niveau législatif. La ministre de la culture s'est réjouie de l'amendement sénatorial adopté sur cette question lors de l'examen du projet de loi relatif à l'égalité entre les femmes et les hommes.

Même si les titres ne sont pas requis pour bénéficier du régime des intermittents, l'obtention d'un diplôme constitue tout de même une garantie d'un point de vue professionnel. Il faut saluer les efforts du ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche et celui de la culture et de la communication, puisque le taux d'insertion des diplômés issus des établissements d'enseignement supérieur « culture » se situe entre 85 et 90 %.

En termes de professionnalisation, j'aimerais insister sur la nécessité d'aider les entreprises du secteur à mieux se structurer en diffusant les compétences requises en ressources humaines, en organisation et en gestion financière. Je rappelle à cet effet la signature de l'accord cadre de développement de l'emploi et des compétences (ADEC). En outre, nous avons mis en place cette année un dispositif d'appui aux très petites entreprises (DATPE) de moins de 5 salariés qui sont particulièrement fragiles.

Enfin, nous menons une analyse fine de la structure d'emploi en lien avec la labellisation des activités, ce qui nous permettrait d'ajuster au plus près des besoins . La déclaration annuelle des données sociales (DADS) offrira une photographie précise de la structure de l'emploi.

Mme Maryvonne Blondin . - Sur ce point, voulez-vous dire que vous ne disposiez pas auparavant d'une analyse fine de l'emploi dans les structures labellisées ?

Mme Laurence Tison-Vuillaume . - Pour tout dire, le travail label par label n'existe pas et nous ne disposons que d'une photographie grossière par type de contrat selon que leur durée est de plus ou moins 9 mois.

M. Michel le Scouarnec . - Monsieur Strassel, pourriez-vous nous donner des précisions sur les chiffres du turn over ?

M. Christophe Strassel . - De mémoire, je dirai entre 5 et 10 %.

Mme Marie-Christine Blandin, présidente . - Les membres de la commission seront attentifs à ce que les spécificités des métiers de la création soient prises en compte dans les futurs projets de loi, notamment dans la prochaine réforme des retraites.

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