DEUXIÈME TABLE RONDE :
QUELLE PROTECTION DES PERSONNES, DE LEUR VIE PRIVÉE
ET DES DONNÉES PERSONNELLES ?

Point de vue :
M. Jean-Louis Touraine, député du Rhône, membre de l'OPECST

M. Jean-Louis Touraine, député du Rhône, membre de l'OPECST . Je voulais faire le lien avec ce qui a déjà été abordé dans ces questions d'actualité, importantes dans les prochaines décennies, sur la médecine personnalisée. En effet, si la définition est encore un peu incomplètement précise dans ce qu'elle englobe, il n'empêche que des grandes lignes se détachent dès maintenant. Malgré la terminologie de médecine personnalisée, cette médecine n'est clairement pas individualisée. Il est important de le dire à la population générale car certains croient que l'on s'achemine vers une médecine d'individu, de façon très singulière. Il faut bien rappeler que le progrès médical continuera encore pendant de nombreuses années à nécessiter des observations et des thérapeutiques s'appliquant à des groupes de patients.

Par contre, la médecine personnalisée inclut la médecine ciblée, l'usage des biomarqueurs, la prédiction génétique, les médecines de précision et de prévention. Dans tous les cas, elle éloigne encore un peu plus de la réduction traditionnelle au seul colloque singulier médecin-malade. En effet, elle introduit de nombreux tiers supplémentaires dans la relation entre le patient et son médecin, dont certains sont connus, et d'autres inconnus. Elle exige et génère une masse de données de santé, sensibles, qui valent pour le présent mais aussi dans une certaine mesure pour l'avenir des personnes.

Ces données sont personnelles, identifiantes, et pour partie invariantes tout au long de la vie. Elles constituent un dossier qui portera sur les possibilités d'évolution de l'état de santé d'une personne pendant toute sa vie. En outre, même si la médecine personnalisée cible l'individu, la famille sera au courant en cas de maladie génétiquement transmissible. Le risque qui pèse donc sur le secret médical prend une dimension encore plus importante que dans le passé, et les risques d'obtention indue de données sont eux aussi accrus d'autant plus qu'il ne s'agit plus des fiches cartonnées du généraliste, mais d'un système informatisé, donc fragile, consultable à distance, intégrant durablement des données personnelles. Ceci est donc préoccupant, car l'anonymisation de ces données doit pouvoir être garantie pour assurer une protection rigoureuse de ce secret médical, éviter des discriminations préjudiciables aux personnes ou aux familles.

En avons-nous les capacités techniques à l'heure actuelle, surtout à un moment où l'on découvre que la surveillance numérique s'effectue à notre insu dans de très nombreuses circonstances ? Nos concitoyens sont-ils informés de ces risques ? Se posent-ils suffisamment la question de leur intimité numérique ? Par ailleurs, le coût du traitement numérique des données de séquençage, par exemple, risque de devenir aussi important, voire supérieur, à celui du séquençage lui-même. Sa complexité dépendra de la connaissance préalable que l'on a de l'ADN séquencé.

Ainsi, loin d'être un aboutissement, la démocratisation du séquençage apparaît de plus en plus comme un point de départ. Désormais, pouvoir obtenir pour un coût relativement modique le génome de vastes populations autorisera des analyses à grande échelle, qui permettront de comprendre le comportement et le rôle de certains gènes, à condition de disposer des ressources informatiques adéquates. Utiles aux chercheurs et aux patients, ces analyses à grande échelle vont générer des masses de données. Dès lors la gestion, le contrôle, la protection des bases de données, deviennent un enjeu crucial.

Qui aura obligation de stocker les données, alors que celles susceptibles de circuler exigent des espaces considérables ? La Commission nationale de l'informatique et des libertés aura-t-elle les moyens d'assurer leur protection ? Qu'en sera-t-il au niveau international ? Ceci conduit à s'interroger sur la capacité de protéger les masses de données ainsi produites. Pour être utiles, interprétables, ces données transitent, ce qui suppose une fiabilité extrême des circuits, donc des accès sécurisés et surtout des systèmes d'anonymisation fiables. Est-on suffisamment avancé dans ces techniques pour pouvoir les garantir ?

La gestion et l'accès aux bio-banques seront aussi un enjeu considérable eu égard à leur importance pour la recherche. L'impact de leur privatisation par de grands groupes pharmaceutiques inquiète à juste titre. En effet, on constate une tension entre la demande des chercheurs qui souhaitent accéder facilement à des banques de données anonymisées, et les détenteurs privés. Ces tensions conduisent à des interrogations sur la protection des personnes contre un mésusage de ces données, car toute faille dans le système risque d'être préjudiciable aux patients que ce soit en termes d'erreur matérielle, de perte de données ou bien de rupture dans l'anonymisation.

Quelles sont les garanties actuelles ? Où en sont les réflexions sur ces sujets très importants pour chacun d'entre nous ? Il s'agit de notre vie privée, et à partir de là, du regard porté par nos concitoyens sur les avancées de la science. Il importe de progresser dans tous ces domaines à mesure que l'accès à un nombre plus important de données numérisées de caractéristiques génétiques devient disponible.

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Pr. Dominique Stoppa-Lyonnet, chef du service de génétique de l'Institut Curie, professeur de génétique médicale à l'université Paris-Descartes, membre du CCNE . Merci monsieur le président de me donner l'occasion de m'exprimer sur un sujet qui m'est cher puisque c'est mon quotidien que de prescrire des tests génétiques.

Sur la question posée, très ciblée, la protection des données personnelles et de la vie privée, je propose de voir deux aspects.

Le premier est la « dure vie » de la personne qui fait un test génétique en cas de maladie dominante ou liée à l'X, c'est-à-dire ces situations où le résultat de son test va avoir un impact majeur pour ses apparentés. L'archétype en est les prédispositions aux cancers, puisque l'essentiel de ces prédispositions obéissent à un modèle dominant : dans ces familles, souvent plusieurs personnes ont été atteintes d'un cancer et appartiennent à la même branche parentale. Je voudrais évoquer le cas index, dont la vie privée et les données personnelles risquent d'être mises à mal du fait du retentissement de sa démarche sur ses apparentés.

Le deuxième point est celui de la confidentialité des données de la recherche, données qui ne peuvent être anonymisées de façon définitive du fait du lien indispensable entre données expérimentales et données cliniques et du fait du retour possible des résultats de la recherche dans le dossier du patient. C'est aussi la confidentialité des données du dossier médical, dossier médical informatisé, que l'on attend avec impatience car devant faciliter la prise en charge des patients.

La démarche en oncogénétique débute en général par celle d'une femme ou d'un homme qui va bien, mais s'interroge sur ses risques tumoraux, alerté par une histoire familiale de cancers. Il souhaite avoir des recommandations de prise en charge. L'état des connaissances et la complexité des analyses génétiques conduisent à mener une étude génétique en deux temps. En effet, pour donner une réponse de qualité et en particulier pouvoir rassurer cette personne qui s'interroge, il est nécessaire dans un premier temps de comprendre l'origine de l'histoire familiale. Comprendre l'origine de l'histoire familiale, c'est identifier un facteur génétique de prédisposition, l'altération - ou mutation - d'un gène donné. Aujourd'hui, on est loin de comprendre toutes les formes familiales de cancer - qui ne sont d'ailleurs pas toujours le reflet d'un facteur génétique de prédisposition - du fait de connaissances encore incomplètes. C'est ainsi qu'afin d'être dans la meilleure situation possible pour repérer un éventuel facteur génétique, la première étude dans la famille va être conduite chez l'une des personnes les plus susceptibles d'être prédisposées, en l'occurrence une personne qui a déjà été traitée pour un cancer : le fameux cas index. Ainsi, souvent à une personne qui s'interroge sur ses risques, on explique que ce n'est pas tant chez elle qu'un premier test va être réalisé mais chez l'un de ses apparentés : un frère, une soeur, voire une cousine, une mère, un père qui a été déjà atteint d'un cancer et dont le jeune âge au moment du diagnostic est indicateur d'une prédisposition. Ainsi, un apparenté qui n'a pas fait initialement cette démarche peut se trouver sollicité afin de donner son autorisation d'accès à son dossier médical et pour venir en consultation de génétique.

Admettons que l'histoire personnelle et familiale de cet apparenté, devenu cas index, soit validée, que l'indication d'un test génétique soit retenue. Les enjeux du test pour lui-même et ses apparentés sont exposés. Les enjeux médicaux sont essentiellement en cas de résultat positif - un facteur de risque identifié - des recommandations de prise en charge. Dans certains cas, une intervention chirurgicale de prévention peut être retenue. L'autre enjeu à anticiper est celui de l'information des apparentés en cas de résultat positif. Le cas index aurait alors la mission d'informer ses apparentés potentiellement concernés et non seulement la personne qui aurait initié l'étude familiale. Le cas index en a en fait le devoir selon les lois de bioéthique de 2004 et de 2011, et le décret d'information de la parentèle qui a été publié le 20 juin 2013. À partir de ces trois étapes, demande du dossier médical, réalisation du test, diffusion de l'information des apparentés en cas de résultat positif, une personne qui n'a pas initié une démarche de génétique, est ainsi très sollicitée.

Je ne veux pas vous dire que je dénonce ces dispositions - elles reflètent la limite actuelle des tests génétiques et elles ont une vocation de prévention. Je voudrais souligner cependant combien nous devons être prudents et respecter les choix des personnes de réaliser ou non un test génétique, ici de prédisposition aux cancers. Nous mettons en avant le droit de ne pas savoir. Mais il faut arriver, dans cet exercice difficile, à conjuguer le souhait de la personne que l'on vient chercher, de faire ou de ne pas faire quelque chose, et ce que veulent faire les apparentés.

Le deuxième point dont je voudrais vous faire part concerne la confidentialité des informations, notamment au cours des recherches. Les travaux de recherche sont inhérents aux tests génétiques.

L'essentiel des tests génétiques entrés dans la pratique médicale aujourd'hui correspond à l'identification de maladies mendéliennes, c'est-à-dire obéissant à un mode de transmission simple (un seul gène) et souvent associées à une pénétrance élevée, c'est-à-dire à une probabilité de survenue élevée. Il existe cependant une certaine variabilité individuelle de la pénétrance, et c'est un enjeu majeur que de repérer des facteurs modificateurs de cette variabilité, facteurs pouvant être eux-mêmes génétiques. Il y a un souci d'intégrer dans la prédiction des caractéristiques cliniques, biologiques, mais aussi l'exposition à des facteurs environnementaux ou liés au mode de vie, car, on le sait, le tout-génétique n'existe pas.

Nous avons donc besoin de faire des travaux de recherche. Ils sont extrêmement importants, et je rajouterais même, Thomas Tursz l'a très bien dit, ils sont essentiels, car il ne faudrait pas qu'aujourd'hui, s'ils ne sont pas faits, les tests génétiques soient figés par des intérêts économiques. C'est valable autant pour la génétique constitutionnelle que pour la génétique somatique.

Il n'empêche qu'il va falloir transférer des données génétiques du patient mais aussi des données cliniques, biologiques, anatomopathologiques, à des laboratoires de recherche. Ces données vont être anonymisées de façon non irréversible, pour deux raisons. D'une part, les données de l'évolution clinique du patient sont essentielles à la recherche elle-même et d'autre part, les résultats de la recherche, s'ils ont un intérêt démontré pour la prise en charge médicale, tendent à être restitués au patient, sous réserve que celui-ci le souhaite. J'inclus parmi les résultats de la recherche les données incidentes, c'est-à-dire celles obtenues sans les avoir

Il faut trouver un système, M. Jean-Louis Touraine l'a évoqué, qui garantisse à la fois une qualité de la recherche, une certaine réactivité de la recherche, et en même temps la confidentialité des données du patient.

Un autre point que je voudrais soulever est la place des données génétiques dans le dossier médical. Les données génétiques, si elles ont un retentissement dans la prise en charge du patient, doivent figurer dans le dossier. Je souligne ce point car pour il ne fait pas l'objet d'un consensus. Pour certains, tout résultat d'études génétiques ne doit pas figurer dans le dossier. D'une façon générale, toutes les données personnelles du dossier médical doivent être sauvegardées, protégées de la même façon. Ce serpent de mer du dossier médical personnel, bientôt informatisé, va avoir en plus comme gageure d'inclure ces données génétiques. Je crois qu'un dossier médical personnalisé n° 2 est en cours d'élaboration. Ces données doivent être intégrées, avec un ensemble de protections, nécessaires et efficaces.

Dr. Catherine Bourgain, chargée de recherche en génétique humaine et statistiques à l'INSERM. J'ai décidé de cibler mon intervention sur un point assez précis dont il a été plusieurs fois fait mention par les intervenants de la première table ronde et par Dominique Stoppa-Lyonnet : la question des enjeux de la protection de la vie privée à l'heure du séquençage haut débit et du partage à grande échelle des données.

Pour commencer je voudrais rappeler une idée importante : donner un sens clinique, faire parler les données issues du séquençage haut débit, est une opération très complexe qui repose en grande partie sur la comparaison avec des données similaires récoltées auprès d'autres patients ou d'individus non malades. On cherchera par exemple, après avoir identifié chez un patient un variant particulier de séquence sur l'ADN, si ce même variant est retrouvé chez d'autres patients, ou chez d'autres personnes non malades. Recueillir de telles données fait l'objet de très nombreux projets de recherches, mais lorsque l'effet des variations de séquence étudiées est faible ou lorsque les variations étudiées sont relativement rares, des jeux de données de très grande taille sont nécessaires. C'est la raison pour laquelle les pratiques de partage de données entre groupes travaillant sur des pathologies similaires, ou de plus en plus la constitution dès le départ de gros consortiums de recherche, sont de plus en plus fréquentes.

Sous l'impulsion de certains financeurs de ces études, ces larges collections de données sont souvent rendues publiques une fois les premières analyses réalisées. L'idée est de permettre à d'autres chercheurs de réutiliser ces données afin de réaliser des analyses complémentaires dans le même cadre, ou dans un cadre non prévu au départ. Comme les idées ou les découvertes, ces données rendues publiques sont censées pouvoir circuler librement pour irriguer, et polliniser, d'une certaine façon, la recherche.

Pour être utile à ces différents travaux à venir, ces données doivent être constituées de plusieurs éléments, comme Dominique Stoppa-Lyonnet l'a évoqué. Il y a les informations sur la séquence de l'ADN, mais il faut aussi des informations cliniques sur la personne autant que possible, et des informations susceptibles d'être utiles et disponibles, comme l'âge, le sexe, le lieu de vie, les expositions environnementales ou les activités professionnelles. Cela a été largement répété, dans un souci de protection des personnes, ces données sont systématiquement anonymisées.

Le passage de ces pratiques d'échanges entre collègues, ou au sein de consortiums, aux pratiques de grandes collections ou bases de données publiques, a plusieurs conséquences. J'en soulignerai simplement deux. Les usages qui pourront être faits par d'autres des données mises en commun dans ces bases de données, peuvent rarement être prévus à l'avance. Il est probable, et même espéré que les usages effectifs de ces données dépasseront les usages initialement présentés aux personnes qui ont accepté de participer à ces études.

Parmi ces usages, il en est un qui pourrait plutôt s'apparenter à un détournement d'usage, puisqu'il consiste à essayer de désanonymiser les données, autrement dit à retrouver l'identité des participants. Un article dont il a été plusieurs fois fait mention aujourd'hui, paru dans la revue Science au mois de janvier 2013 écrit par le groupe de Yaniv Erlich, un ancien hacker informatique reconverti dans la génomique, a fait grand bruit. A partir de données publiques du projet 1000 génomes, dont Philippe Amouyel a parlé tout à l'heure, et en utilisant d'autres bases de données publiques, en particulier sur les noms de famille et les lieux de résidence, Erlich et son groupe ont pu identifier 5 hommes inclus dans le projet 1 000 génomes, et une fois ces cinq hommes identifiés, un total de cinquante membres de leurs familles, également présents dans la base de données 1 000 génomes, ont pu être identifiés.

Les spécialistes du domaine s'accordent à dire que, je cite : « notre capacité à protéger l'anonymat des données à l'ère du big data, est pour le moins limitée ». Je cite là les termes employés par Eric Schadt, une figure emblématique de la génomique haut débit, actuellement directeur de l'Institut de génomique et de biologie multi-échelle du Mont Sinai Hospital de New York , dans un éditorial de 2012 intitulé « Le paysage changeant de la vie privée à l'ère du big data ».

Face à ce constat, quelles sont les options ?

En matière d'usage imprévu, une solution de plus en plus mise en avant, en particulier aux États-Unis et au Royaume-Uni est celle du consentement légal portable, en anglais, Portable Legal Consent : une personne qui participe à une étude peut décider que les informations personnelles qu'elle communique dans le cadre de cette étude sont libres de droit. Autrement dit, elles peuvent être partagées et utilisées dans d'autres études à condition que les résultats obtenus à partir de ces données soient eux-mêmes libres de droits et non appropriables. Le sujet accepte de renoncer à son droit de regard sur ses données, en échange d'une assurance qu'elles seront utilisées uniquement dans un objectif de bien public, pour le plus grand nombre de personnes.

En matière de garantie de l'anonymat, il y a au moins deux positions exprimées dans la littérature scientifique internationale. :

- Pour régler ce problème de la désanonymisation des données il faut travailler sur la gouvernance des bases de données, et mieux encadrer leur accès. Par exemple, un usage pourrait être restreint aux seuls utilisateurs jugés fiables, sur la base de leur affiliation académique par exemple, ou de déclarations sur l'honneur.

- D'autres considèrent que, je cite : « les attentes du public en matière de confidentialité sont en évolution ». Je reprends là les termes d'un commentaire publié dans la revue Science , en réaction à la fameuse publication de ce hacker dont je parlais, de responsables de l'Institut national américain de la recherche sur le génome humain. Autrement dit, la notion de vie privée serait en train de changer, les gens auraient de moins en moins peur de la transparence sur leurs données personnelles. En conclusion de leur commentaire, ces responsables de l'Institut américain invitent à réexaminer la façon d'équilibrer la protection des participants aux recherches avec les bénéfices sociaux susceptibles d'être obtenus grâce au partage large des données. Autrement dit les bénéfices escomptés de ces partages valent peut-être de revenir en arrière sur la protection a priori des participants.

Pour accompagner ces changements, les tenants de cette vision soutiennent les initiatives centrées sur les patients dont il a été question tout à l'heure, à propos des travaux en particulier de 23andMe , qui permettront aux patients de suivre l'avancée de travaux de recherches, d'être tenus au courant des évolutions par le biais de réseaux sociaux dédiés. Cette implication plus grande du public serait une façon d'augmenter sa confiance.

Le corollaire de cette position est résumé par Eric Schadt, le bio-informaticien-généticien, qui dit : « il me semble que l'éducation et la législation devraient être moins focalisées sur la protection de la vie privée et plus sur la prévention de la discrimination sur la base des informations génétiques personnelles ». Cette évolution n'est pas anodine puisqu'il s'agit au nom des progrès attendus pour la santé et pour l'économie, de considérer qu'une protection en aval, condamner la discrimination, peut désormais remplacer la protection en amont, pour empêcher les usages non désirés.

Dans cette discussion, la question des bénéfices attendus est centrale. La Commission de bioéthique auprès du Président américain a publié à la fin de l'année 2012 un rapport dont Simone Bateman a parlé tout à l'heure sur les enjeux de la vie privée associés aux techniques de séquençage à haut débit, « Privacy and Progress ». Ce rapport commence par une description des bénéfices attendus du séquençage. En un mot, la Commission considère qu'ils sont gigantesques en matière de santé comme d'économie. Le projet génome humain est présenté comme un investissement de 3,8 milliards de dollars, ayant eu un impact économique de 796 milliards de dollars, et qui aurait créé 310 000 emplois.

Je tiens à préciser que je ne compte pas moi-même parmi les tenants de cette ouverture rapide des données personnelles au prix d'une moindre protection de la vie privée, mais cette façon de voir les choses est très présente dans les discussions de la communauté scientifique internationale, et il convient de les avoir en tête au moment de réfléchir à ces questions.

En particulier, je voulais finir en disant quelques mots à propos de cette Alliance globale dont il a été question, lancée en juin 2013, qui agrège une cinquantaine d'institutions issues de huit pays. Pour la France il y a l'INCa et le Consortium maladies rares, mais la majorité de ces institutions sont toutefois américaines. Cette Alliance ambitionne de prendre les mesures nécessaires pour encourager le partage de données en définissant des standards techniques et de procédure harmonisés, pour le respect de la vie privée et de l'éthique. Il s'agit de créer les conditions d'un écosystème ouvert sur le modèle Internet, permettant l'innovation. Dans son texte fondateur, l'Alliance insiste à de nombreuses reprises sur la nécessité de prendre en compte les spécificités nationales. Néanmoins, l'esprit général qui se dégage de ce texte fondateur d'une cinquantaine de pages, d'inspiration très largement américaine, reprend nombre des arguments des tenants de l'évolution vers une moindre protection de la vie privée.

Pr Marc Delpech, chef du service de biochimie et génétique moléculaire de l'hôpital Cochin. Comme Dominique Stoppa-Lyonnet, je vais rester dans mon domaine qui est celui du diagnostic génétique. Il est en fait dans la réalité un peu éloigné du discours ambiant.

Tout est beaucoup plus compliqué que ce que l'on dit à propos des gènes et l'information n'est pas si simple que cela à extraire. Il faut remonter un peu en arrière. En 1944, année où il a été démontré que la molécule d'ADN contient l'information génétique et que tout notre patrimoine génétique est dans cette molécule. Depuis lors, la croyance dans le public a été que la connaissance de la séquence de cette molécule allait conduire à la connaissance de la totalité de l'individu. La conclusion pour chacun est que lorsque l'on donne son ADN, on a tout donné, on est totalement nu, et celui qui le détient va tout savoir sur vous. Ce fantasme reste dans la tête de beaucoup. Cela est faux, et chaque jour on se rend compte de plus en plus à quel point c'est faux. Il existe de nombreux facteurs en dehors qui interviennent aussi.

La capacité de prévoir qui sera atteint ou pas est réelle pour les maladies dont a parlé Dominique Stoppa-Lyonnet, des maladies où un seul gène est en cause, où la pénétrance (probabilité d'être malade lorsqu'on possède la mutation délétère) est pratiquement totale. Lorsque l'on possède la mutation, il est certain que l'on sera malade, mais fort heureusement ces maladies sont rares. Ce dont on parle à côté, et beaucoup depuis ce matin, c'est de toutes les maladies communes, le diabète, l'asthme, l'obésité, les maladies cardiovasculaires. Dans ces maladies, la part que tient la génétique est relativement limitée, et aujourd'hui, le plus souvent, nous sommes totalement incapables de l'analyser.

Jusqu'au dernier quart du XX ème siècle, les biologistes ne pouvaient rien étudier. Le problème de l'accès à l'information génétique ne s'est pas posé, car nous étions incapables de lire l'information génétique. Tout a changé en 1975 où l'on a commencé, indirectement, à avoir quelques petits renseignements, et puis surtout à partie de 1977 où il a été possible de commencer à lire le génome. Mais c'était vraiment de tous petits bouts. Pendant quelques années encore cela n'a pas posé de gros problèmes. La technologie évoluant, entre autres grâce au Projet génome humain, on a été capable de lire de plus en plus de données au sein de la molécule d'ADN. Cela a relancé dans le public l'inquiétude de cette information : qu'allait-on en faire, qui allait en disposer ?

Cela a conduit en 1994 à la première loi de bioéthique. Cette loi n'était pas parfaite, une des preuves en est que le décret d'application qui a prévu l'encadrement de l'activité quotidienne de génétique au laboratoire a mis six ans à sortir, alors que le législateur, très prudemment, avait prévu une révision de la loi dans les cinq ans. En fait la loi a été révisée dans les dix ans. Le fait qu'il ait fallu six ans pour sortir le décret, loin d'être parfait, montrait bien que ce n'était pas si simple et que tous les problèmes n'étaient pas résolus. Mais cela a été tout de même une avancée considérable, et la France a joué un rôle de pionnier puisque les grands principes de cette loi ont été repris par la majorité des pays européens et occidentaux. Également, les recommandations de l'OCDE pour les tests génétiques lui correspondent tout à fait, avec la nécessité de transmettre l'information à un médecin, des qualifications particulières pour la réalisation, etc .

Cette loi a été un progrès formidable. Sa philosophie offre une très grande sécurité pour le citoyen car elle n'autorise, c'est un des premiers principes, l'utilisation des tests génétiques que dans un but médical, de recherche, ou judiciaire. Cela exclut les diables que sont les assureurs, les employeurs, etc ., et globalement on avait une très bonne protection.

Cette loi a été révisée comme prévu en 2004, puis en 2011, et je suis un peu inquiet de certaines évolutions. Dans la loi de 1994, la parentèle évoquée par Dominique Stoppa-Lyonnet était totalement, ou presque oubliée. C'est pourtant un point important car la différence majeure entre un test génétique et tout autre examen de biologie médicale, est que le résultat de ce test a des conséquences pour toute la famille du patient et pas seulement pour lui-même comme habituellement. Cet élément devait être pris en compte : il l'a été dans la révision de la loi de 2004 où il était précisé que le médecin devait faire tout son possible pour convaincre le patient d'informer sa famille s'il était porteur d'une anomalie génétique susceptible de provoquer une maladie grave alors qu'il est possible de prendre des mesures pour prévenir ses effets. Il n'empêche que plus loin dans la loi, il était dit que nul ne peut être poursuivi pour ne pas avoir transmis ses caractéristiques génétiques à sa famille.

Quand on regarde la révision de la loi de 2011, ce n'est plus cela du tout. Il y a obligation au patient de transmettre l'information génétique à sa famille, suivant des modalités pouvant inclure le fait que lui ne sera pas au courant : à ce moment-là il demande à ce qu'un médecin informe sa famille sans dire ce qu'il en est pour lui. En 2004 il avait été prévu toute une série de mesures pour permettre la transmission de l'information aux membres de la famille à la demande du patient, mais cela était tellement complexe qu'elles n'ont jamais été appliquées, et c'est pour cela que la loi de 2011 a un peu nettoyé le dispositif. Mais il n'empêche que cette nécessité absolue d'informer la famille est une remise en cause du secret médical, compréhensible, mais qui m'inquiète, car c'est un changement majeur.

En France, nous adorons les lois, nous les accumulons. Le problème est que de temps en temps elles se télescopent. Il vient de sortir un guide de bonnes pratiques des tests génétiques, évoqué par Mme Emmanuelle Prada-Bordenave. Il a été rédigé avec des professionnels par l'Agence, a été validé par le Comité d'orientation de l'Agence et par la Haute autorité de santé. Il est sorti début juin.

Dedans, on y trouve des phrases qui n'y étaient pas à l'origine. Le Ministère a modifié le texte adopté par l'Agence de la biomédecine et la HAS. Et ce ne sont pas des modifications anodines. Il est par exemple indiqué que le résultat doit être rendu au laboratoire ayant effectué le prélèvement. C'est un changement absolument fondamental, même s'il est précisé que le laboratoire préleveur ne doit pas transmettre le résultat au patient, mais au médecin prescripteur. Le fait que le laboratoire réalisateur n'adresse pas directement le résultat à celui qui a réalisé la prescription n'est pas satisfaisant. En effet ces examens sont en général excessivement complexes et nécessitent des connaissances que n'ont pas la majorité des biologistes. Seuls les quelques laboratoires en France qui les réalisent les ont. Cette nécessité de dialogue entre celui qui a réalisé l'examen et celui qui va le rendre est ignorée. De plus, en rendant l'examen au laboratoire préleveur, cela fait transmettre un résultat par quelqu'un qui théoriquement n'a pas le droit de le faire, puisque la loi impose que le laboratoire soit autorisé, et que le praticien soit agréé. Or, le laboratoire préleveur en général n'est ni autorisé, ni agréé. Donc c'est un coup de canif majeur dans la loi. Cette modification a été faite simplement pour être conforme à la loi « Hôpital, patients, santé et territoires » (HPST) de 2009, et à l'ordonnance Ballereau de 2010 qui imposent l'obligation au laboratoire préleveur d'être jusqu'au bout responsable de la transmission des examens et cette ordonnance ne prend pas en compte la spécificité de la génétique et les problèmes éthiques sous-jacents. Il y a donc de temps en temps des dérives, et c'est un peu inquiétant.

Depuis cinq à sept ans, les choses ont terriblement évolué. La technologie est devenue d'une puissance inimaginable. Voici quelques années, la détermination de la séquence du génome humain coûtait plus de 3 milliards de dollars. Aujourd'hui le grand centre de séquençage de Pékin peut séquencer plusieurs individus par jour, pour un coût de moins de 1 000 euros. L'information génétique globale va être accessible de manière très étendue, et se posent maintenant tous les problèmes de protection évoqués tout à l'heure.

Il ne faut pas pour autant s'inquiéter. Franchement, si on mettait sur Internet 99 % de mon patrimoine génétique avec sa séquence, je m'en fiche complètement, car cela ne sert absolument à rien. Mais il y a quand même quelques régions extrêmement sensibles, et je me rappelle le souhait de la deuxième personne dont on a déterminé la séquence au monde : c'était James Watson. C'est lui qui a découvert la structure de la double hélice d'ADN. Il a exigé qu'une région du génome, celui de l'apolipoprotéine E dont l'allèle å4 est lié à la maladie d'Alzheimer, ne soit pas accessible, même pas à lui-même.

Cette quantité d'informations extraordinaire va poser des problèmes pour chacun, car nous allons nous retrouver inondés d'informations (si nous le souhaitons), que notre médecin sera totalement incapable d'interpréter. Même si le résultat doit être transmis par un médecin prescripteur compétent, comme il est dit dans la loi, le résultat est souvent « ésotérique » et difficile à comprendre.

Quand il ne s'agit plus de maladies monogéniques, mais de maladies communes, ce qui est rendu n'est pas un diagnostic, mais un risque. Pour l'immense majorité des individus, le risque est une notion assez abstraite. Je peux donner un exemple qui m'a été fourni par Pierre Corvol et que je trouve excellent. Si vous fumez deux paquets de cigarettes par jour, vous multipliez par 25 votre risque d'avoir un cancer du poumon, et à peu près 80-90 % des cancers du poumon sont dus au tabac. Les Français considèrent que ce risque est dérisoire et leur immense majorité fume. Si on prend un autre exemple, la probabilité de gagner le gros lot au loto est de 1 sur 13 millions. Les Français considèrent que c'est absolument gigantesque, et certains jouent plusieurs fois par semaine. Et ce sont les mêmes qui considèrent qu'augmenter 25 fois son risque est sans importance Dans un domaine aussi complexe que l'information génétique, si l'on vous explique que vous avez un risque de 1,05 de développer une maladie cardio-vasculaire, cela peut affoler alors que cela ne veut rien dire. Des entreprises comme 23andMe proposent ce genre de test et sortent des listings entiers de risques possibles, et régulièrement remis à jour, dont la très grande majorité n'a aucune valeur réelle. Je pense qu'il y a un risque non négligeable pour l'individu d'être traumatisé par de tels résultats et de développer des pathologies psychosomatiques, alors qu'il est parfaitement bien portant.

Malheureusement, malgré ce que pensent certains, on ne peut rien faire dans la mesure où le monde est ouvert et où tout est accessible par Internet. Il suffit de prendre un petit écouvillon, de se brosser l'intérieur des joues, d'envoyer cela en Espagne ou en Australie ou ailleurs, et l'on a tout ce qu'on veut. La loi peut faire ce qu'elle veut, le phénomène ne s'arrête pas aux frontières. En France on n'a pas le droit de faire une recherche de paternité, mais il suffit d'aller en Espagne, en Italie ou en Suisse, et c'est possible. On ne peut donc pas compter sur la loi ou alors il faudra montrer beaucoup d'imagination. Pour moi, le facteur principal, fondamental, est l'éducation du citoyen. Il faut qu'il sache ce qu'il en est, qu'il comprenne ce que cela veut dire. Là uniquement se trouve, à mon avis, une solution.

Dr Jean-François Deleuze, directeur du Centre national de génotypage au CEA . Si j'en crois ce que j'ai entendu ce matin il faut former les médecins en génétique et la population en maths et en statistiques, et nous nous en trouverons mieux... Je me sens comme un technicien après tous ces débats. Je ne suis pas un médecin, mais un scientifique qui produit de la séquence. Je vais vous donner quelques éléments dans cette fonction-là. Que se passe-t-il dans un centre de séquençage, comment cela rentre-t-il, qu'en sort-il et quelles sont les précautions prises ?

Je vais aborder deux points : le consentement éclairé, et le côté confidentialité-sécurité des données.

Au CEA, le Centre national de génotypage (CNG), est un mot un peu misleading comme disent les anglais, car on y fait essentiellement du séquençage. Donc CNG est une appellation historique. C'est en gros le grand centre de séquençage du génome humain en France, une entité du CEA. Vous avez entendu parler tout à l'heure du centre de Pékin que tout le monde connaît. En France c'est le CEA qui gère ce groupe, qui n'a pas les capacités du BGI de Pékin qui a 120 ou 150 séquenceurs, mais en dispose d'environ 11. Avec cela nous pouvons faire trois génomes humains par jour, donc à Pékin, en multipliant par 10, ils peuvent en faire probablement 30 ou 50. C'est incommensurable quand vous vous rappelez qu'il a fallu dix ans, dans les années 90 à 2000 pour en faire un. Voilà l'évolution et l'explosion de la recherche. Le CNG est un opérateur, il n'est pas initiateur, ou promoteur au point de vue juridique du terme, de projets. Il opère pour la communauté scientifique. Nous sommes un centre de ressources, essentiellement académique, pour l'INSERM en particulier.

En termes juridiques et de consentement éclairé, cette responsabilité est associée aux collaborateurs avec qui nous travaillons, qui nous garantissent que les projets et les cohortes d'ADN qu'ils nous soumettent, ont été recensés et sécurisés avec les consentements éclairés idoines.

Quand l'ADN arrive au CNG, nous faisons trois types de choses :

On parle de big data, de génome. Il faut peut-être démystifier. Ces dix dernières années, nous regardions entre un et cinq million de positions, parmi les 3 milliards qui existent dans le génome humain, soit donc environ 0,1% de l'information génétique, non fonctionnelle. En fait nous faisions de l'association. Ce sont des études de populations qui permettent, avec de gros échantillons, de trouver de temps en temps des effets faibles ou rares, qui ne renseignent pas énormément au niveau de l'individu.

Aujourd'hui nous faisons de l'exome. Nous sommes passés d'une approche d'association à une approche plus fonctionnelle. Nous regardons ce que l'on considérait encore il y a peu, les éléments fonctionnels du génome, qui représentent 2 %. Tout le reste est à considérer comme de l'ADN poubelle, notion aujourd'hui remise en question. Cet exome ne représente que 2% de la totalité du génome humain. C'est ce qu'on fait aujourd'hui en routine, et nous trouvons des pénétrances fortes pour les maladies rares. Nous avons là la chance probablement de trouver un gène ou une mutation vraiment causale par rapport à la maladie.

L'émergent est le génome entier, les 3 milliards de paires de bases, qu'on sait faire techniquement. Il coûte beaucoup plus cher, et renseigne sur la totalité de l'information présente dans les gènes, non seulement les éléments fonctionnels, mais les éléments régulateurs de l'expression des gènes. On est capable de le produire, mais non de l'analyser, ou de faire des prédictions définitives. D'où l'appellation de big data, car on produit des giga, des tera, des pétaflop de données.

On a produit au CNG des milliers d'exomes, qui occupent, comme le disait Jean-Louis Touraine, des quantités impressionnantes de stockage informatique. Aucune de ces données n'est exposée dans le domaine public. Toutes ces données que nous produisons proviennent d'échantillons totalement anonymes. Ils sont anonymisés et codés par nos collaborateurs. Quand un projet arrive, nous savons que nous avons un échantillon de x patients. Nous recevons des collaborateurs, des tubes et des codes barre, et nous ne sommes pas capables de revenir en arrière. Nous les utilisons comme du matériel biologique. Le collaborateur est celui qui a l'adéquation entre le code barre, et les structures familiales.

Ces données générées, extrêmement massives, sont déposées, sur nos serveurs au CNG, et accessibles pour nos collaborateurs, par des sites web sécurisés avec des mots de passe. Ce n'est pas que nous ne sommes pas intéressés à les mettre dans des bases publiques, mais ce n'est pas fait. Il reste la question de mettre ces données à la disposition, non pas du public, mais d'une communauté intelligente et respectueuse, qui pourra s'en servir à la fois dans le respect de la confidentialité et pour l'intérêt de la science. Il y a un intérêt à partager ces données. On génère des pétaflop de séquences, qui sont envoyés à nos collaborateurs dans des formes très sécurisées.

Sur le côté éthique et consentement éclairé, nous ne sommes pas promoteurs, nous ne sommes pas les gens qui décidons les consentements éclairés. Mais nous demandons qu'ils soient revus, à la fois pour nous assurer que ce qui se passe est en adéquation avec le consentement éclairé, et pour comprendre quelle évolution il va falloir lui apporter.

En gros on a deux types de consentements éclairés :

- Il y a des consentements très larges, pour étudier la génétique de la maladie, qui sont pour le scientifique très confortables, car ils couvrent quasiment toutes les applications.

- Il existe des consentements très restrictifs, comme il y a pu avoir voici quelques années, où il fallait mentionner des listes de gènes, consistant par exemple à autoriser à regarder si des polymorphismes dans un gène précis sont impliqués dans une maladie.

La science va beaucoup plus vite que les réunions des conseils d'éthique. Vous avez dit tout à l'heure qu'il avait fallu dix ans pour faire un décret. Or la science, la technologie avancent au bénéfice de la médecine, et il est extrêmement compliqué de revenir vers un patient, qui peut être mort, avoir changé de pays, pour lui refaire signer quelque chose. Nous sommes dans un dilemme. Le consentement éclairé très large permet de travailler et de faire bénéficier la science et peut-être le patient, des avancées technologiques qui arrivent, c'est le cas du Whole genome . Avec le consentement éclairé très précis, on dit exactement à la personne ce que l'on va faire : un exome, par exemple. Quand le consentement est très large, par exemple génétique du diabète, tout est couvert. Mais c'est très hétérogène, on trouve de tout, des consentements très larges, des très spécifiques, et il faut aussi reconnaître que souvent nous sommes confrontés à ces questions ; puisque le consentement éclairé a une valeur dans le temps et que la technologie va plus vite, il faudrait faire re-consentir toute la cohorte. C'est souvent impossible.

Il faut probablement que nous soyons proactifs. Je ne parle pas seulement des découvertes fortuites, qui sont rarement mentionnées. Pour le retour vers le patient certains consentements sont très clairs : il n'y aura pas de bénéfice direct, et aucun retour. Et pour d'autres la personne peut demander accès à ses données si elle le veut. Je ne dis pas qu'il n'en faut qu'un, mais nous devons probablement gagner un peu d'homogénéité dans ces consentements éclairés.

En matière de confidentialité, le CNG ne reçoit aucun échantillon identifiant par données sociodémographiques. Nous n'avons que des codes barre. Prenons un exemple : nous envoyons des données pour des collaborations avec Philippe Amouyel : il reçoit avec un mot de passe à la clef sur des sites web sécurisés toutes ces data.

Mais il y a quand même un intérêt évident à les combiner et à les partager. Encore une fois je répète ce qu'a dit Catherine Bourgain, il faut certainement trouver une façon de le faire. Il y a des raisons scientifiques de le faire : obtenir les tailles d'échantillons dont nous avons besoin pour la puissance statistique, faire des méta-analyses. Il faut donc réfléchir au meilleur moyen de trouver un forum ou une façon de le faire pour que le spectre pernicieux de la génétique un peu diabolique se change en un cercle vertueux où l'individu participe à la collectivité en mettant ses données au service de l'analyse globale et qu'avec beaucoup de chances il lui revienne quelque chose.

Mme Audrey Aboukrat, doctorante à l'école de droit de l'université Paris I Panthéon Sorbonne. Comme son nom l'indique, la médecine personnalisée propose une adaptation du diagnostic et des traitements proposés au patient, accroissant ainsi l'efficacité de ceux-ci par leur action ciblée. La personnalisation de la médecine peut en ce sens entraîner des distinctions au sein de la population générale si des traitements et diagnostics individuels se dégage un constat collectif. Cependant, si toute distinction entre groupes d'individus au sein d'une population générale n'implique pas nécessairement une stigmatisation des individus, il existe des risques de rupture d'égalité entre les patients, voire des risques de discrimination dans certains cas (248 ( * )) .

Imaginons par exemple un test de diagnostic ou un médicament qui ciblerait des groupes d'individus en fonction de leur « race » ou de leur « ethnie » et que ce ciblage soit en plus figé dans les revendications d'un brevet, alors le risque de discrimination s'intensifie.

Le ciblage de groupes d'individus au sein de populations générales en fonction de leur « race » ou de leur « ethnie » constitue-t-il une première étape légitime, voire décisive, vers une médecine personnalisée ? Ou s'agit-il au contraire, en l'absence de véritables fondements scientifiques, d'un engrenage possiblement discriminatoire pour les « races » ou les « ethnies » ainsi visées ? C'est à cette problématique que je consacrerai ma présentation, qui, il faut le préciser, prend très largement appui sur un article que nous avons écrit, Mme Christine Noiville et moi-même dans un ouvrage publié en 2011 (249 ( * )) .

Pour structurer cette réflexion, je prendrai deux cas d'études : d'une part le BiDil, qui est un médicament destiné au traitement de l'insuffisance cardiaque au sein de la population africaine américaine exclusivement, et d'autre part, le test génétique commercialisé par l'entreprise Myriad Genetics pour le dépistage d'une prédisposition aux cancers du sein et des ovaires chez les femmes juives ashkénazes exclusivement.

L'histoire du BiDil est celle d'un médicament contre l'insuffisance cardiaque, qui sur le point de tomber dans le domaine public après avoir été protégé par un brevet d'invention, a retrouvé la voie de la rentabilité. Pour comprendre comment, il faut resituer ce médicament dans son contexte médical d'abord, administratif ensuite.

Aux États-Unis, environ cinq millions d'individus souffrent d'insuffisance cardiaque et 500 000 nouveaux cas sont diagnostiqués chaque année, ce qui conduit à d'importantes dépenses de santé pour les patients concernés (250 ( * )) et crée un véritable marché pour l'industrie pharmaceutique. Si les bêtabloquants commercialisés réduisent sensiblement le taux de mortalité au sein de la population « blanche », ceux-ci n'ont qu'un effet limité sur les patients dits « Noirs » (251 ( * )) . Dans une société comme la société américaine où le gouvernement prend peu en charge les dépenses de santé, de telles statistiques apportent un éclairage intéressant sur la commercialisation d'un médicament susceptible d'apporter un traitement adapté aux patients Noirs souffrant d'insuffisance cardiaque.

Le BiDil est un médicament qui résulte de la combinaison de deux molécules : l'Isosorbide dinitrate et l'Hydralazine. Destinée au traitement de l'insuffisance cardiaque, cette combinaison de molécules a fait l'objet d'un brevet en 1989 revendiquant « une méthode permettant de réduire le risque de mortalité associé à l'insuffisance cardiaque chronique chez un patient souffrant d'une déficience de la fonction cardiaque en concomitance avec une tolérance réduite à l'exercice » (252 ( * )) . La Food and Drug Administration (FDA), agence américaine chargée d'autoriser la mise sur le marché des médicaments, avait toutefois refusé en 1997 d'autoriser la commercialisation de la combinaison de molécules.

En 2000, alors que le premier brevet relatif à cette combinaison tendait à expirer, NitroMed a cherché à obtenir un nouveau titre portant sur la même combinaison de molécules, mais visant cette fois une nouvelle application thérapeutique : l'utilisation du même médicament de manière ciblée chez les seuls patients tantôt définis comme « Noirs », tantôt comme afro-américains ou africains américains (253 ( * )) . Le brevet fût délivré en 2002 et assigné à l'entreprise NitroMed (254 ( * )) .

Cette fois, la FDA autorise la commercialisation du BiDil en 2005, pour le traitement de l'insuffisance cardiaque chez des patients identifiés comme Noirs ou Africains américains (255 ( * )) . Notons qu'avec le BiDil, c'est la première fois (256 ( * )) que la FDA autorise la commercialisation d'un médicament qui vise des patients identifiés en fonction de leur « race » au sens des recommandations de la FDA (257 ( * )) . Pour les essais cliniques, quant aux données collectées eu égard à la « race » et « l'ethnie » des participants, la FDA recommande en effet de leur proposer, deux « ethnies » (hispanique ou latino et non-hispanique ou latino) et cinq catégories pour la « race », parmi lesquelles la « race » « noire ou africaine américaine » (258 ( * )) . En conclusion, si l'action ciblée d'un médicament pour le traitement d'une affection au sein d'une population déterminée pour laquelle les médicaments existant ne se révèlent pas efficaces nous semble une grande avancée en faveur du développement d'une médecine personnalisée, le fait que les patients soient tantôt présentés comme Africains américains, tantôt comme Noirs, révèle une imprécision terminologique importante quant à la population véritablement visée. En dépit d'un effort de la FDA pour distinguer « race » et « ethnie », ces notions demeurent en pratique le plus souvent indistinctement utilisées pour identifier un même groupe de population ; les Hispaniques, par exemple, sont tantôt regardés comme une « ethnie » (aux États-Unis), tantôt comme une « race » (en Europe) (259 ( * )) . Par conséquent, si la « race » et « l'ethnie » peuvent être envisagées par les chercheurs comme un moyen utile et rapide de classer les patients soumis à un test ou souffrant d'une maladie, les implications d'un tel usage en droit génèrent un tout autre écho, porteur d'un potentiel discriminatoire.

Si dans le cas du BiDil la population visée correspondait à l'une des « races » mises en évidence par la taxonomie de la FDA, ce n'est pas le cas de la population visée par le test proposé par l'entreprise Myriad Genetics , destiné à identifier une prédisposition au cancer du sein chez les seules femmes juives ashkénazes.

L'entreprise Myriad Genetics a obtenu aux États-Unis un brevet (260 ( * )) revendiquant des méthodes et matériels utilisés pour isoler et détecter le gène BRCA2 dont certains allèles mutants causeraient une prédisposition au cancer du sein. En parallèle, Myriad Genetics a déposé une demande de brevet auprès de l'Office européen des brevets (OEB) pour la même invention (261 ( * )) , entrant alors en compétition avec le Centre anglais de recherche sur le cancer (CRUK (262 ( * )) qui avait lui-même déposé des demandes de brevets comparables au Royaume Uni (263 ( * )) avant que Myriad Genetics ne dépose sa propre demande de brevet aux États-Unis (264 ( * )) . C'est le Centre anglais qui s'est finalement vu délivrer en 2004 un brevet européen (265 ( * )) revendiquant une invention portant sur « l'identification et le séquençage du gène BRCA2 de susceptibilité au cancer, et sur le matériel et les méthodes dérivant des résultats obtenus » (266 ( * )) Myriad Genetics a en conséquence décidé d'amender les revendications de sa demande de brevet en précisant ses revendications par la référence à l'usage d'un acide nucléique particulier portant une mutation du gène BRCA2 associée à une prédisposition au cancer du sein, pour un diagnostic in vitro d'une telle prédisposition « chez les femmes juives ashkénazes ». Objet d'une opposition, cette demande de brevet a ensuite été approuvée en 2006 dans sa version modifiée par la Division d'opposition de l'OEB. Les opposants au brevet ont notamment fait valoir son caractère discriminatoire expliquant que l'application de l'invention brevetée aux seules femmes juives ashkénazes était contraire à l'ordre public (267 ( * )) . Rappelons que l'article 53 de la Convention sur le brevet européen interdit la délivrance de brevets pour des inventions contraires à l'ordre public et aux bonnes moeurs. La Division d'opposition de l'Office européen des brevets a répondu que le test breveté se révèlerait bénéfique aux femmes juives ashkénazes et donc que, si discrimination il y avait, celle-ci ne pouvait être qu'en faveur des femmes concernées (268 ( * )) . Plus encore, la Division d'opposition a considéré que ce serait davantage le choix de ne pas développer le test génétique qui pourrait être discriminatoire pour ces femmes souffrant d'une prédisposition particulière.

Si les arguments avancés par la Division d'opposition ont un sens en eux-mêmes, ils perdent en pertinence lorsque l'on compare le test génétique offert par Myriad Genetics à celui du Centre anglais, lequel couvre tous les types de mutations dans la recherche d'une prédisposition au cancer du sein, y compris donc la mutation expressément visée par le test proposé par Myriad Generics. En outre, le Centre anglais accorde des licences libres (c'est-à-dire qu'il n'est pas nécessaire de payer des droits de licence pour exploiter le test) à toutes les institutions médicales qui le demandent, alors que Myriad Genetics monnaie ses licences, ce qui accroît le prix à payer par les patients concernés aux détenteurs de la licence (269 ( * )) . Ainsi, un test pour le diagnostic des mutations associées aux gènes BRCA 1 et 2 coûte entre 2 500 et 3 000 dollars lorsque celui-ci est acheté directement à Myriad Genetics , 5 000 dollars lorsque celui-ci est acquis auprès de l'entreprise allemande Bioscientia qui a obtenu de Myriad une licence (270 ( * )) .

Comme le remarque l'Institut Curie dans son opposition au brevet européen, le test proposé par Myriad Genetics impose aux seules femmes juives ashkénazes le paiement d'une prime élevée pour effectuer le diagnostic (271 ( * )) . D'un point de vue pratique, cela signifie que les femmes qui s'identifient comme juives ashkénazes souhaitant faire dépister une éventuelle prédisposition au cancer du sein et des ovaires se trouvent face à l'alternative suivante : ou bien s'adresser directement à Myriad Genetics et payer le surcoût, ou bien nier leur identité auprès des médecins utilisant le test développé par le CRUK (272 ( * )) , ceux-ci étant contraints de respecter le brevet plus spécifique détenu par Myriad Genetics et donc de ne pas faire le test aux femmes qui se déclarent juives ashkénazes, au risque d'être déclarés contrefacteurs. A la lumière de ces éléments, il semble plus difficile de discerner les avantages du test proposé par Myriad pour les femmes juives ashkénazes.

Face à cette situation, nous avons proposé la réaffirmation de trois grands principes (273 ( * )) :

Tout d'abord, plutôt qu'une « race » ou une « ethnie », les médicaments mis sur le marché devraient continuer à cibler une maladie et les tests génétiques une mutation. En effet, les indications qui fleurissent aujourd'hui tendent à dessiner d'une façon scientifiquement fragile des traits identiques par « races » ou « ethnies » (274 ( * )) et de nombreuses questions restent en suspens, parmi lesquelles les suivantes : le médicament « racial » pourra-t-il être prescrit au patient ne relevant pas de la « race » en question, même s'il est affecté par la pathologie concernée ? Comment déterminer l'appartenance au groupe de population visé ? Le système d'auto-identification des patients est-il suffisant ?

Ensuite, la « race » ou l' « ethnie », ou plutôt le groupe d'ascendance, devraient pouvoir être pris en considération pour la détermination des indications et contre-indications des produits médicaux dès lors que ces catégories sont posées comme étant scientifiquement pertinentes, mais aussi dynamiques et flexibles. Cette réflexion s'aligne avec l'observation faite ce matin sur l'importance d'inclure à la définition de la médecine personnalisée son caractère mouvant. Prenons l'exemple du Crestor, médicament approuvé en mars 2003 par l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, qui prévoit dans ses contre-indications que la dose de 40 milligrammes ne doit jamais être prescrite pour les personnes présentant certains facteurs de risques, dont les personnes d'ethnie japonaise ou chinoise (275 ( * )) . Si la connaissance de l'ascendance des patients est essentielle dans la recherche biomédicale et ne pose pas de problème à cet égard, il nous semble que les notions de « race » et d' « ethnie » demeurent trop imprécises à elles seules pour décrire les variations génétiques existant au sein de l'espèce humaine (276 ( * )) . Afin d'éviter des confusions entre, d'une part, les notions de « races » et d'« ethnies » et, d'autre part, la génétique et la biologie, il convient d'intégrer ces notions dans des catégories flexibles et dynamiques. Cela signifie que si les critères sous-jacents à la constitution de groupes de populations étaient susceptibles d'évoluer en fonction de l'environnement et du contexte dans lesquels ils sont sollicités, et s'ils étaient étayés par de solides arguments scientifiques, les risques de discrimination sur le long terme s'en trouveraient fortement réduits. Prenons le cas de la maladie périodique, affection héréditaire qui se traduit notamment par des accès récurrents de fièvre, accompagnés de douleurs abdominales et thoraciques. Le groupe de population identifié dans le traitement de cette affection est défini premièrement par une origine géographique commune : le pourtour méditerranéen. Pourquoi ensuite sous-diviser cette étude et figer dans des revendications de brevet des « races » ou « ethnies » particulières, en distinguant les Arméniens, les Grecs, les Juifs, les Sépharades, les Turcs, etc . ? Il nous semble que l'origine géographique est un critère pertinent en tant que tel sans qu'il soit nécessaire, à moins que cela soit étayé par des critères scientifiques pertinents, de sous-diviser ensuite ces populations en sous-groupes.

Enfin, la démonstration d'un lien net s'impose selon nous entre la maladie ou l'exposition à la maladie d'une part, l'« ethnie », la « race » ou le groupe d'ascendance d'autre part, l'intérêt et les effets du médicament ou du test enfin. Il convient selon nous d'éviter à l'avenir que les offices de brevets ne cautionnent trop rapidement un rattachement et un enfermement des variations génétiques ou de certaines populations dans des catégories raciales ou ethniques qui seraient rigides. On peut noter en ce sens trois décisions importantes des chambres de recours de l'Office européen des brevets qui n'acceptent qu'à de strictes conditions la brevetabilité de nouvelles applications thérapeutiques pour le traitement d'une maladie comme affectant un groupe de sujets particuliers (277 ( * )) . Dans ces trois décisions, l'Office impose des exigences strictes, quelle que soit la catégorie proposée au titre de la nouvelle application thérapeutique. Il faut que le groupe de sujets en question soit distinct du groupe antérieurement visé sur les plans physiologique et pathologique ; on est là sur des critères scientifiques, et non pas liés à la « race » ou l' « ethnie », polysémiques et difficiles à définir en droit des brevets. Il faut également que soit prouvée une relation fonctionnelle entre l'état physiologique et pathologique des patients visés d'un côté, et l'effet thérapeutique obtenu de l'autre, de sorte que soit justifiée la distinction opérée entre plusieurs sous-groupes au sein de la population générale (278 ( * )) .

Mme Frédérique Lesaulnier, coordonnatrice du pôle santé de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL). Aujourd'hui les biotechnologies connaissent une véritable révolution, un gigantesque changement d'échelle dans le temps et dans l'espace dû au progrès des sciences et des techniques. Il existe de grands projets fortement médiatisés, internationaux. On a parlé d'Alliance globale tout à l'heure, 70 institutions, 40 pays, qui se met en place. Mais il existe aussi des projets d'envergure nationale à l'échelle d'une population entière, comme DeCODE Genetics en Islande.

Ces bases de données gigantesques ont vocation à être conservées très longtemps et mises à disposition de la communauté des chercheurs à travers une plateforme et à permettre la mise en oeuvre d'études spécifiques ultérieures. Ce phénomène n'est d'ailleurs pas propre aux biothèques. Cette nouvelle organisation de la recherche lance aux autorités de protection des données de nouveaux défis et conduisent à une évaluation des régimes de protection et sans doute une adaptation de ceux-ci. La recherche médicale évolue, de façon globale, vers une mutualisation des moyens, la création de vastes bases de données à des fins de recherches ultérieures, et la réutilisation de bases de données déjà existantes, médico-administratives en particulier, à des fins de recherche, qui appellent probablement de nouvelles modalités d'encadrement

Il est vrai que la génétique a sans doute joué un rôle moteur à la suite du séquençage du génome humain compte tenu de la valorisation des données qui en a résulté. Sans doute faut-il dire que ces vastes bases de données et leur partage présentent un intérêt scientifique majeur. Elles constituent un atout considérable pour la recherche médicale, diagnostique ou thérapeutique, la recherche en santé publique, la génétique des populations, et sont utiles à l'humanité.

D'ailleurs la CNIL autorise nombre de ces traitements. Elle a autorisé l'INSERM, le 8 novembre 2012, à mettre en oeuvre une étude génétique de la population d'origine arménienne, visant à déterminer la structure génétique de cette population et à connaître, ainsi, l'ancienneté de la population étudiée, l'origine et l'histoire du peuplement des différentes régions et faciliter, par la suite, dans un intérêt de santé publique, l'identification de gènes de susceptibilité de maladies polygéniques dans cette population, dans le cadre d'études dites « d'association cas témoins ». Il y a donc un intérêt collectif et individuel majeur.

Pour autant, ces avancées ne doivent pas faire oublier que les données génétiques sont des données de santé, et, à ce titre, ce sont relatives à l'intimité de la vie privée. Elles portent en elles des potentialités discriminatoires. Ce ne sont pas des données médicales comme les autres, et c'est pourquoi elles appellent une protection renforcée. Vous le savez, l'information génétique est une information « à sujets multiples », puisqu'elle concerne une personne, mais aussi toute la lignée de ses apparentés génétiques. Elle présente un caractère unique et permanent pour chaque individu. Enfin, elle présente un caractère prédictif et est susceptible de révéler l'état de santé présent et futur d'une personne, de sorte que lorsque l'on délivre l'information à la personne intéressée, on s'adresse à une personne en bonne santé et on lui révèle la maladie qui la frappera, bien avant qu'elle ne s'exprime. Il faut d'ailleurs être très vigilant sur la prévision et la force attachée à cette prévision en cas de maladie multifactorielle. Et même lorsque l'on a des certitudes, les possibilités thérapeutiques n'évoluent pas parallèlement à la capacité prédictive, de sorte que la personne ne peut tirer aucun bénéfice pour elle-même d'une révélation dotée, en outre, d'une très grosse charge affective. Se pose dès lors la question de l'intérêt de s'entendre annoncer un destin biologique auquel on ne peut échapper par la prévention ou le traitement.

Á tous les titres, la donnée génétique n'est pas une information comme les autres et c'est si vrai que le futur projet de règlement lui reconnaît un caractère sensible.

En raison de ces caractéristiques particulières, le droit français d'une manière générale confère aux données génétiques un statut particulièrement protecteur. En outre, les biotechnologies évoluent dans un réseau d'obligations législatives et réglementaires qui se superposent. Le corps humain, ses éléments, sont des attributs de la personne humaine et soumis à ce titre à un principe d'indisponibilité et de non commercialisation. L'étude des caractéristiques génétiques n'est autorisée que pour certaines fins déterminées par la loi, et à l'inverse, certaines utilisations sont interdites : la discrimination génétique en matière d'emploi, ou d'assurances en particulier, même si on dispose du consentement de la personne. La CNIL a réaffirmé son attachement à ce principe de non-discrimination dans le cadre de la consultation publique lancée sur ce thème par le Comité bioéthique du Conseil de l'Europe en 2012.

En outre les collections d'échantillons biologiques donnent lieu à une déclaration, une demande d'autorisation auprès du Ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche selon qu'elles sont vouées à une utilisation par l'organisme gestionnaire, ou à être cédées. Enfin les échantillons biologiques ne doivent pas être considérés indépendamment des données à caractère personnel qui les accompagnent, et qui sont en constante interaction. De plus, les échantillons biologiques sont eux-mêmes des vecteurs d'information. C'est la raison pour laquelle la CNIL trouve à en connaitre, et la loi « Informatique et Libertés » a vocation à s'appliquer.

Cette loi pose un principe d'interdiction de traitement des données sensibles, qui connaît des dérogations en cas de consentement de la personne, à des fins de suivi médical individuel, à des fins d'intérêt public, de recherche médicale et d'évaluation de pratiques de soins, selon des procédures certainement à simplifier, compte tenu du parcours du combattant auquel sont confrontés aujourd'hui les chercheurs. Un autre fondement est susceptible de lever cette interdiction, l'anonymisation des données à bref délai

Une fois que l'on entre dans l'une de ces exceptions, qui permettent le traitement des données génétiques, il existe des garanties au respect desquelles la CNIL veille : premièrement, un traitement est mis en place pour une finalité précise, déterminée, légitime, et conforme aux missions de l'organisme ; deuxième principe, les données collectées doivent être pertinentes au regard de cette finalité, et non excessives ; troisième principe, la durée de conservation des données doit être limitée et fonction de cette finalité. Je les mentionne pour montrer qu'ensuite, les modalités nouvelles de la recherche lancent des défis à tous ces principes.

La durée de conservation limitée des données en fonction de la finalité de l'étude, le respect du droit des patients, le consentement des personnes, et bien sûr l'information préalable sont fondamentaux. De ces droits dépendent tous les autres, le consentement des personnes quand il y a des prélèvements biologiques identifiants, et, une fois les données collectées, traitées, le droit d'accès des personnes à des fins de rectification le cas échéant

Le dernier principe est celui de la sécurité des données. Il faut en effet veiller à ce que les données soient conservées par le responsable du traitement dans des conditions de nature à garantir leur confidentialité, mais aussi leur intégrité.

Voilà les différents principes posés.

La législation française offre donc un cadre juridique très présent. Les règles existent, ou plutôt elles coexistent. Les problèmes sont abordés selon des approches différentes qui souvent s'ignorent, et c'est dommage puisque les échantillons biologiques, comme les données à caractère personnel, sont pareillement des attributs de la personne humaine, des émanations de celle-ci, dont elles gardent une empreinte. Ce sont en quelque sorte des choses personnalisées, et elles devraient être soumises à un régime largement commun. En particulier il importe, et c'est l'objet de notre tâche, de faire prévaloir l'approche européenne de la protection des données, largement personnaliste, et de tenir la bride à la logique marchande qui va de pair avec la mondialisation.

Donc les règles existent, même si une approche globale fait défaut. Mais elles sont complètement mises à mal par le gigantesque changement de dimension et aussi le comportement des personnes. Il existe, en effet, un mouvement en faveur de l'autonomie des citoyens qui souhaitent prendre en charge leur santé, leur bien-être, être titulaires de leurs données, avoir accès à leurs données médicales, être titulaires de supports sur lesquels figurent ces données médicales, et qui diffusent sur internet dans le cadre d'une génétique « récréative », des données d'une sensibilité extrême, ce qui, là encore, lance des défis aux autorités de protection des données. Il faut responsabiliser les citoyens et appeler leur attention sur la nécessaire confidentialité qui s'attache à ces données.

Pour revenir aux principes dont je vous ai parlé, je vais prendre pour exemple de la constitution de ces vastes bases de données, la cohorte « Elfe », cohorte longitudinale, constituée par l'INED. Le projet consiste à suivre des enfants depuis la naissance jusqu'à l'âge adulte dans toutes les dimensions de leur vie pour identifier les indicateurs ou les éléments qui conditionnent l'évolution d'un individu.

Cette base, d'ailleurs soutenue et financée par les pouvoirs publics a vocation à être mise à disposition de la communauté des chercheurs à travers une plateforme. C'est la même problématique que pour les bases de données génétiques, et, d'ailleurs, elle en contient. Dans ce cas, le contrôle de la pertinence des données est difficile, compte tenu de la finalité très large de l'étude. Nombre de données particulièrement sensibles peuvent être considérées comme pertinentes à l'égard de cette finalité. La base de données ne saurait être soumise à une durée de conservation limitée dans la mesure où précisément ses éléments ont vocation à être mis à disposition des chercheurs. Au départ de cette cohorte en 2011, dont le lancement a été autorisé par la CNIL, le consentement exprès de l'un des parents à l'entrée de l'enfant dans la cohorte a été nécessaire. Se posera également à terme la question du consentement des enfants, qui n'ont aujourd'hui que deux ans. Indépendamment de cela, la conservation dans le temps de la cohorte est difficilement conciliable avec le recueil du consentement à chaque nouvelle utilisation

Ces vastes bases de données, conservées sur de longues périodes, constamment enrichies et leur mutualisation appellent une réévaluation des dispositifs de protection, des règles applicables en la matière et des règles de gouvernance.

La responsabilité doit être renforcée en matière de sécurité pour les gestionnaires de bases de données. En effet, l'article 34 de la loi « Informatique et Libertés » fait obligation aux responsables de traitements de prendre les mesures nécessaires en fonction du risque pour garantir la confidentialité des données. Mais si elles sont nécessaires à des fins de santé publique, il faut aussi assurer l'intégrité des données, leur disponibilité, leur pérennité.

Les gestionnaires de bases vont avoir une responsabilité renforcée, qui va nécessiter une évaluation du niveau de sécurité nécessaire au moment de la constitution de la base, mais aussi des réévaluations régulières en fonction des risques évoluant avec le temps et les évolutions technologiques. Un audit régulier du niveau de sécurité est nécessaire, une adaptation des mesures mises en bouclier face au risque.

Est-il nécessaire de prévoir en plus de la loi « Informatique et Liberté » une procédure particulière de labellisation, de certification, d'homologation, comme il en existe pour les hébergeurs de données de santé ? En effet, quand un professionnel de santé, un établissement ou un patient externalise les données auprès d'un industriel, ce dernier doit obtenir un agrément du ministre de la santé après avis de la CNIL et d'un comité d'agrément des hébergeurs. Cela a conduit à mettre ces hébergeurs sous contrôle, à garantir un très haut niveau de sécurité. Il est probable que la procédure ainsi mise en place n'est pas adaptée à la recherche ou aux vastes bases de données médico-administratives utilisées à des fins de recherche, et qu'il faudra sans doute la faire évoluer. Elle date de la loi Kouchner de 2002 et du décret de 2006. Elle répondait à un réel besoin, sous réserve d'une simplification et d'une adaptation de cette procédure. Mais en tout état de cause la question se pose de garantir un très haut niveau de sécurité de ces vastes bases de données et de leur encadrement. Peut-être faudra-t-il aussi, c'est une question, que l'activité de gestion de bases fasse l'objet d'un encadrement spécifique.

Voilà la première règle : le niveau de sécurité doit être garanti. Il doit être effectif, et réévalué régulièrement. Une fois qu'on a constitué la base, se pose la question de sa mise à disposition. Le droit actuel suffit-il en la matière ? Une réflexion est à mener sur la gouvernance de ces bases. Y a-t-il besoin d'un contrôle juridique, éthique, de la demande d'extraction, et qui va effectuer ce contrôle ?

Il existe plusieurs modèles possibles. On peut imaginer un modèle de gouvernance centralisé. Pour la cohorte Elfe, chaque organisme gestionnaire de la base fixe des règles explicites d'accès et met en place un guichet unique pour traiter les demandes. Cela s'appelle le Comité d'accès de la cohorte Elfe. Ou alors ce peut être un dispositif décentralisé, une structure centrale indépendante qui gère un guichet unique et fait office d'interface entre les demandeurs et les organismes gestionnaires. C'est le cas notamment du groupement d'intérêt public chargé d'autoriser les études de santé publique portant sur le médicament, et qui nécessite un accès au Système national inter-régime de l'assurance maladie (SNIRAM).

Évidemment on pourrait imaginer, d'anonymiser les données, c'est-à-dire de rendre impossible, directement ou indirectement, de retrouver les personnes. Mais dès lors que le traitement nécessite un suivi des personnes dans le temps, comme c'est le cas pour les cohortes, ou d'un suivi médical, on a besoin de garder le lien avec l'identité des personnes pour pouvoir le cas échéant revenir vers elles et engager une nouvelle collecte.

De la même manière, on a parlé de la volonté des personnes qui participent à des recherches d'être bénéficiaires de retours, d'être informées. Si l'on veut les informer, là encore, il va falloir pouvoir les ré-identifier et leur permettre d'exercer leur droit d'accès le cas échéant. Cela correspond à l'idée de nouveaux droits pour les personnes qui souhaitent adhérer à la démarche de la recherche à laquelle elles participent.

Tout cela nécessite encore une fois une sécurité de très haut niveau puisque des données d'identification vont être gardées. On va devoir les séparer des données de l'étude et les conserver dans des conditions très particulières d'accès

Pour les conditions de mise à disposition garantissant la confidentialité des données, il existe aujourd'hui des solutions. Elles sont par exemple les centres d'accès sécurisés à distance (CASD) qui permettent aux chercheurs de pouvoir travailler sur les données de l'INSEE couvertes par le secret statistique. Ils utilisent une base de travail sans pouvoir les copier, et ensuite l'on veille à ce que l'extraction effectuée ne permette pas une identification des personnes. On pourrait aussi réfléchir à des dispositifs de tiers de confiance, de centres d'accès sécurisés.

Pour la CNIL, ces sujets font l'objet d'une réflexion permanente et de préoccupations majeures. Elle les a inscrits à l'ordre du jour du programme de sa direction des Études, de l'Innovation et de la Prospective, puisqu'il est évident qu'il faut réfléchir à une adaptation de notre cadre juridique et technique, pour que ces dispositifs puissent permettre dans l'intérêt individuel et collectif la recherche, sans porter atteinte aux droits et libertés du citoyen.

Débat

Pr Philippe Amouyel . Ce n'est pas une question, mais juste un témoignage sur le partage de bases de données. Je mène un vaste programme international sur la maladie d'Alzheimer, qui est la plus grosse base de données actuellement existante sur cette affection, puisque elle est la réunion de quatre grands consortiums internationaux avec près de 100 000 individus. S'est posée la question du partage public des données.

Quand ils sont financés par des organismes publics, les Anglais comme les Américains doivent mettre leurs données en ligne au bout d'un certain temps, de l'ordre de deux ans, mais en France il n'existe pas de législation particulière. Nous avons publié en 2009 à peu près tous en même temps nos informations, et avec le Centre national de génotypage (CNG) j'ai mis en ligne des informations détaillées sur certaines données anonymisées de notre base. Pour l'instant les Anglais n'ont rien mis et les Américains non plus. Il y a de grandes différences entre ce qui est annoncé et la réalité. Quand nous avons monté le consortium où chacun a partagé les données, nous nous sommes beaucoup opposés, moi-même et les Anglais, à une mise en ligne des données brutes regroupées dans un seul fichier, puis analysées globalement. Nous avons fait des méta-analyses, c'est à dire que chacun analyse localement ses propres données et en sort des résumés. Ensuite ces résumés sont regroupés. Aucune identification de l'individu n'est alors possible. Cela a finalement satisfait tout le monde, et à ce moment il s'est trouvé que la France a été choisie comme hébergeur.

Autre exemple de l'intérêt majeur suscité par ces données. Nous avons des réunions régulières dans le cadre de ce consortium, toutes les semaines, des conférences téléphoniques à 20 ou 30 personnes. Un représentant du gouvernement américain est toujours présent à ces réunions. Il note et enregistre tout. Il est au coeur de l'information et ses questions sont très orientées. Par exemple : « pensez-vous que l'on puisse développer un médicament ? » J'ai donc proposé à des représentants français de venir également, car il y a un déséquilibre très net entre les pays quant à l'implication gouvernementale. Ce partage de données doit donc être rééquilibré entre les nations.

Autre point. Sur les derniers travaux effectués, les Américains ont créé une base dans laquelle ils mettent tout, y compris des données brutes. Ils m'ont généreusement proposé d'y mettre les données du consortium. Je m'y suis personnellement opposé. Puis, quelques mois après la publication du fameux article de Science, nous avons eu une nouvelle réunion. Les Américains ont commencé, à la lumière de cet article, à se poser des questions en s'interrogeant sur les possibilités de récupérer ces informations avec la génétique récréative... Ils sont donc revenus en arrière.

Je crois que le phantasme : « on est tous des gens très sympathiques, des chercheurs qui veulent le bien de l'humanité, qui vont mettre toutes leurs données ensemble pour que cela puisse avancer... » doit tout de même être considéré à l'aune des enjeux économiques de la recherche, et de la protection individuelle.

La première fois que j'ai fait une analyse, c'était au CNG. Vous savez qu'il y a des différences entre populations, et l'on essaie d'effacer ces différences par des ajustements mathématiques, avec des analyses en composantes principales. (NDLR : méthode statistique permettant de classer des individus sur des similitudes mathématiques sans a priori ). Cela utilise environ 100 000 mutations prises au hasard dans le génome. Dans les premières dimensions de ces analyses en composantes principales, émergent spontanément trois grands groupes de populations : européennes, asiatiques, et africaines. Ensuite vous poursuivez les analyses sur les autres dimensions et arrivez à des cartes de répartition des individus en fonction de leur origine géographique, avec une précision telle qu'en France je peux identifier ceux nés en dessous de la Loire ou au-dessus, voire dans certaines régions bien particulières, simplement avec 100 000 polymorphismes. Il n'est pas besoin de toute l'information du génome pour identifier les individus.

Techniquement, pour vous donner une idée, un génome fait 1 téraoctet. Pour l'exploiter, il faut le transférer vers un ordinateur. Tout moyen de transfert sur Internet aujourd'hui, a un débit moyen de 40 mégaoctets par seconde qui vient limiter la vitesse de transfert de ces informations et en ralentir l'utilisation. Il y a des principes de réalité à prendre en compte pour les grands éléments de séquence. Mais également, il n'est besoin que de très peu d'informations pour assurer l'identification. L'article de Science a été fait à partir de séquences répétées du chromosome Y, trois fois rien. Nous n'avons pas besoin de tout le génome pour rompre la protection de l'identité.

Pr Hervé Chneiweiss . Quand Marc Delpech dit que cela ne le gêne pas du tout que 99 % de son génome soit sur Internet, je le comprends très bien, cela ne me gênerais pas non plus. Mais on ne sait pas exactement ce que représente le 1 %. On sait qu'il comprendra ApoE4 ou des choses comme cela, mais la preuve des séquences répétées du chromosome Y ne compte pas beaucoup, sauf si l'on veut tracer des populations.

La question est : quel est le niveau de protection par rapport à quoi ? Il y a une certaine ambigüité de la loi quand on parle des caractères génétiques du sujet. Parle-t-on de ce qui va avoir du sens quand cela revient vers la personne, ou de ce qui n'a plus de sens, car par exemple dans certaines cohortes les personnes sont décédées ? Or, une très grande difficulté sur les données génétiques est que l'on peut obtenir des échantillons, par exemple l'anatomopathologie, conservés à long terme, et on ne peut plus ensuite retrouver les gens. Pourtant, il n'y a plus de problème si l'on analyse certaines caractéristiques de tumeur ou du tissu environnant, puisqu'il n'y a pas de retour possible vers la personne. Mais il pourrait éventuellement y avoir des conséquences sur la descendance.

Autre point sur la question des cohortes, les personnes demandent à être informées sur ce que devient la cohorte. Elles ont signé un consentement, elles savent qu'elles font partie d'un échantillon, qu'elles sont dans une étude avec une puissance statistique sans forcément de valeur pour elles-mêmes. On peut discuter dans certains cas qu'il puisse y avoir un retour, mais la première demande des personnes est : qu'est devenue cette cohorte ? Surtout quand elle dure des années. Elles ont participé à quelque chose et voudraient savoir si elles ont rendu service à la recherche, à la société.

Dr Anne Cambon-Thomsen . Sur la question de savoir ce qui a été fait avec les cohortes : dans mon équipe à Toulouse nous travaillons sur le concept de mesure de l'impact de ce qu'on appelle les bio-ressources, qui sont les collections d'échantillons, les bases de données, etc . Mettre à disposition d'une façon utilisable des ressources, des données ou éventuellement des échantillons, représente tout un travail. Ce n'est pas seulement donner accès et va chercher qui pourra. Penser qu'il suffit de mettre quelque chose à disposition à l'état brut pour que cela soit utilisable et soit effectivement utilisé est naïf. Ce n'est pas toujours fonctionnellement utilisable par d'autres scientifiques ou médecins et il est nécessaire d'organiser, annoter et structurer des bases de données sur des variations de séquences de certains gènes pour que cette information devienne largement utile.

Ce travail est très important pour la communauté scientifique et médicale, car une description correcte des variants génétiques peut être utilisée immédiatement par des médecins. Il n'est cependant reconnu nulle part dans les évaluations des chercheurs, ou des travaux des médecins. Je ne vais pas décrire plus avant le projet sur lequel nous travaillons, avec la philosophie qu'il faut retourner la situation actuelle où il y a une certaine résistance au partage pour des raisons parfois techniques, ou de protection et de sentiment de perte de l'information et de perte de contrôle sur ce qui en est fait. Si l'on avait moyen de mesurer et de donner une valeur au fait qu'une ressource soit utilisée, on pourrait imaginer mettre en place une espèce de cercle vertueux qui serait : plus quelque chose est utilisé, plus il prend de la valeur, et plus cela apporte de la reconnaissance à ceux qui ont mis en place cette ressource. On a dit l'importance des bases de données, de la protection, du partage. Mais il faut aussi trouver un moyen de reconnaître le travail de mise en place des ressources effectivement et efficacement partageables.

Pr Philippe Amouyel. Pour aller dans le sens de ce que dit Anne Cambon-Thomsen, si jamais il y a une décision comme en Angleterre ou aux États Unis de mise à disposition, il faut prévoir les fonds qui vont la faciliter, car cela représente un coût, répercuté sur l'unité de recherche, sur ses fonds propres. Ouvrir une base de données n'est pas simple. Nous sommes sur des choses qui demandent un travail en soi pour la normalisation de ces informations. C'est un peu le sens de Global Alliance , c'est cela qu'ils veulent faire.

Mme Frédérique Lesaulnier . Surtout qu'il y a un travail, pour mettre à disposition ces données, de granularité de la donnée en fonction du besoin, par identification de lots que l'on soumet à un régime particulier d'accès. Certains, plus sensibles, répondent à un autre régime. C'est une activité à part entière qui demande beaucoup de temps, et sur laquelle nous travaillons dans la définition de lots dits "anonymes" qui pourraient être mis à disposition sans véritable contrôle a priori car leur anonymat a été évalué. C'est un énorme travail préalable, qui nécessite des réévaluations régulières. Quand la donnée est agrégée, il y a moins de risque, mais quand elle est individuelle, sa confrontation au Big data , conduit à des ré-identifications, ne serait-ce que par rapprochement à d'autres données. Il faut réfléchir aussi à la durée de mise à disposition.

M. Jean-Louis Touraine . Les différents aspects soulevés sont loin d'être l'objet d'une conclusion définitive. Nous sommes au milieu du gué. Les questions offrent l'affrontement entre les souhaits formulés par la recherche, la nécessité de protections. L'équilibre est délicat à trouver et probablement différent d'une période à l'autre. Donc il faut se garder de définir des règles absolues valables dans le temps et dans l'espace. Il y aura sûrement des adaptations à développer dans le futur au fur et à mesure de la progression des connaissances, des besoins, des techniques, des nécessités de protection, tout en ayant la contrainte supplémentaire du monde ouvert. Nous ne pouvons être ignorants de règles un peu différentes d'un continent à l'autre. Il nous faut naviguer entre tous ces écueils pour assurer sur notre propre continent les meilleures conditions de progrès et de protection. Nous aurons donc l'occasion probablement de nous réunir à nouveau et de réfléchir en voyant dans quelques années le progrès développé dans ces réflexions.


* ( 248 ) Voir J. Kahn, « How a drug becomes «Ethnic»: Law, Commerce, and the Production of Racial Categories in Medicine », Yale Journal of Health Policy, Law & Ethics, n° IV, 2004, p. 13.

* ( 249 ) A. Aboukrat et Ch. Noiville, « Les médicaments «raciaux» ou «ethniques» : manoeuvre commerciale ou enjeu de santé publique ? » dans Les catégories ethno-raciales à l'ère des biotechnologies - Droit, sciences et médecine face à la diversité humaine , Société de législation comparée, UMR de droit comparé de Paris, Vol. n°24 (2011), pp. 55s.

* ( 250 ) Statistiques de 2004 - voir H. J. Wellens, « Tailoring Heart Failure Therapy », New England Journal of Medicine (11 novembre 2004), p. 351.

* ( 251 ) Agency for Healthcare Research and Quality, U.S. Department of Health and Human Services, « Pharmacologic Management of Heart Failure and Left Ventricular Systolic Dysfunction: Effect in Female, Black, and Diabetic Patients, and Cost-Effectiveness », Evidence Report/Technology Assessment n° 82 (juillet 2003).

* ( 252 ) Voir U.S. Patent n° 4 868 179 (19 septembre 1989), en particulier la première revendication.

* ( 253 ) La nouvelle demande de brevet revendiquait en effet « une méthode de réduction de la mortalité associée à l'insuffisance cardiaque, pour améliorer la consommation d'oxygène, pour améliorer la qualité de vie ou pour améliorer la tolérance à l'exercice chez un patient noir comprenant l'administration à ce dernier d'une quantité efficace au plan thérapeutique d'au moins un composé d'Hydralazine (...), et d'au moins un composé d'Isosorbide dinitrate et d'Isosorbide mononitrate » - voir la revendication n° 1 du brevet U.S. Patent n°  6, 465, 463 (délivré le 15 octobre 2002). Voir J. KAHN, « Beyond BiDil: The expanding embrace of race in biomedical research and product development », Saint Louis University Journal of Health Law & Policy, Vol. 3 (2009).

* ( 254 ) U.S. Patent n° 6, 465, 463 (délivré le 15 octobre 2002).

* ( 255 ) U.S. Food and Drug Administration, « FDA Approves BiDil Heart Failure for Black Patients » (23 juin 2005) : http://www.fda.gov/NewsEvents/Newsroom/PressAnnouncements/2005/ucm1
08445.htm.

* ( 256 ) J. Kahn, « Beyond BiDil », art. cit. , p. 61.

* ( 257 ) FDA, « Guidance for Industry: Collection of Race and Ethnicity Data in Clinical Trials » (septembre 2005), p. 3 - note n° 8 : http://www.fda.gov/downloads/RegulatoryInformation/Guidances/ucm
126396.pdf.

* ( 258 ) Id. , pp. 4-5.

* ( 259 ) Voir et comparer : Id. , p. 5 et European Medicines Agency « Assessment Report for Rebetol » (20 janvier 2010), p. 5, http://www.ema.europa.eu/humandocs/PDFs/EPAR/Rebetol/Rebeto l-H-C-246-II-48-AR.pdf.

* ( 260 ) Brevet européen EP785216 (déposé le 17 novembre 1998) : le brevet portait sur des méthodes et matériel utilisés pour isoler et détecter un cancer du sein chez l'humain prédisposant le gène BRCA2 ainsi que certains allèles mutants qui causent la susceptibilité au cancer, au cancer du sein en particulier.

* ( 261 ) Brevet européen EP785216 (déposé le 17 novembre 1998) : le brevet portait sur des méthodes et matériel utilisés pour isoler et détecter un cancer du sein chez l'humain prédisposant le gène BRCA2 ainsi que certains allèles mutants qui causent la susceptibilité au cancer, au cancer du sein en particulier.

* ( 262 ) « Cancer Research UK ».

* ( 263 ) G.B. Patent Application No. 9523959 (délivré le 23 novembre 1995) et G.B. Patent Application n° 9525555 (délivré le 14 décembre 1995).

* ( 264 ) U.S. Patent n° 5, 837, 492 (demande de brevet déposée le 29 avril 1996).

* ( 265 ) Brevet européen EP0858467 (délivré le 11 février 2004).

* ( 266 ) Voir la description et les revendications du brevet européen EP0858467 sur le site Internet de l'Office européen des brevets : http://v3.espacenet.com/publicationDetails/description?CC=EP&NR=0858467B1&KC=B1&FT=D&date=20040211&DB=EPODOC&locale=en_EP

* ( 267 ) OEB, Division d'opposition, décision du 12 septembre 2005 relative au brevet EP-B1-0 785 216.

* ( 268 ) Voir OEB, Motifs de la décision (Annexe) - Opposition (12 septembre 2005) : https://register.epo.org/espacenet/application?lng=fr&number=EP96309211&tab=doclist

* ( 269 ) W. Nicholson Price II, « Patenting race: the problems of ethnic genetic testing patents », The Columbia Science and Technology Law Review, Vol. VIII (2007) p.128.

* ( 270 ) S. Steimle, « Critics question BRCA2 patent decision in Europe », Journal of The National Cancer Institute, p. 97 (2005).

* ( 271 ) Lettre de F. Faivre Petit & J. Warcoin à l'Office européen des brevets (29 avril 2005), https://register.epo.org/espacenet/advancedSearch?lng=fr (entrer le numéro de publication « EP785216 » ; suivre ensuite le lien « Tous les documents », puis le lien « Lettre relative à la procédure d'opposition »).

* ( 272 ) Voir en ce sens J. Kahn, «Race-ing Patents/Patenting Race: An Emerging Political Geography of Intellectual Property in Biotechnology», 92 Iowa Law Review (2007), p. 382.

* ( 273 ) Voir A. Aboukrat et Ch. Noiville, art. cit.

* ( 274 ) J. Kahn, « Beyond BiDil », art. cit. , p. 76.

* ( 275 ) Voir « CRESTOR (rosuvastatine) et toxicité musculaire : renforcement des précautions d'emploi » : http://www.afssaps.fr/Infos-de-securite/Communiques-Points-presse/CRESTOR-R-rosuvastatine-et-toxicite-musculaire-renforcement-des-precautions-d-emploi/(language)/fre-FR

* ( 276 ) Voir S. A. Tishkoff & K. K. Kidd, « Implications of biogeography of human populations for «race» and medicine », Nature Genetics Supplement, Vol. 36, n° 11 (novembre 2004).

* ( 277 ) En l'espèce, les chambres de recours se prononçaient non sur la brevetabilité d'une nouvelle utilité trouvée à un médicament existant, mais sur une utilité accrue d'un médicament pour un groupe de patients donné. Voir les décisions T_19/86, T_893/90 et T_233/96. www.epo.org. Voir A. Aboukrat et Ch. Noiville, art. cit.

* ( 278 ) Décision T_19/86 ; décision T_893/90 ; décision T_233/96.

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